Comment Google va manger l’internet et faire régresser les utilisateurs

Dans ses deux derniers éditos le célèbre docteur Jakob Nielsen nous faisais part d’un phénomène étrange qui semble bouleverser les habitudes de consultation des internautes : l’avènement des moteurs de recherche. En effet, dans un édito intitulé When Search Engines Become Answer Engines l’auteur nous raconte comment les internautes ont modifié leur façon d’utiliser l’internet et se contentent de “tremper le bout du pied” dans les sites sans réellement rentrer dedans. La faute revient aux moteurs de recherche. Ces derniers sont devenus tellement pertinents que les utilisateurs ne s’embêtent plus à chercher l’adresse d’un site ou d’une marque mais à interroger leur moteur de recherche favoris, consulter la page qui leur est proposé et basta ! Conséquence : les utilisateurs ne prennent même plus le temps d’approfondir leur recherche et dans certains cas ne font plus que de visites éclairs. Charge aux sites de mettre en oeuvre des mécanismes de rétention suffisamment performant pour exploiter au mieux ces visites “surprises” (voir l’article Informational Articles Must Ask For the Order du même auteur).

Ce type de comportement peut présenter un risque : lorsque les visiteurs ne passent plus par la page d’accueil mais sont directement parachutés sur une page intérieure, le système de navigation dudit site a intérêt à être intuitif pour que le visiteur en question prenne rapidement ses marques et se sente suffisamment à l’aise pour prolonger sa visite. Et là, c’est tout le chemin critique que vous avez passé des heures à peaufiner qui ne sert plus à grand chose. Au même titre qu’un didacticiel, démarrer sa visite à la page d’accueil permet de se familiariser en douceur avec la logique de navigation d’un site : les visiteurs découvrent la navigation de premier puis de second niveau, ils localisent le titre de la page, ils apprennent à s’orienter en quelque sorte. En débarquant directement sur une page intérieure, l’apprentissage est d’autant plus rude que la page est située en profondeur dans l’arborescence du site.

Et cela m’amène à une autre réflexion. Je constate une volonté des éditeurs de sites ou de logiciels de vulgariser l’outil informatique et d’autoriser les utilisateurs à butiner sur leur machine sans trop s’impliquer. Voici quelques exemples :

  • Google et son service de mail Gmail qui autorise 1 Go d’espace de stockage et se repose sur la puissance du moteur de recherche pour éviter aux utilisateurs d’avoir à trier leurs mails ;
  • Apple et son outil de recherche intégré Spotlight qui évite aux utilisateurs d’avoir à trier leurs fichiers.

Bref, tout est mis en oeuvre pour faciliter la tâche aux utilisateurs, mais surtout pour les rendre plus fainéants ! Et c’est là où je veux en venir : à rendre l’informatique plus simple on fait des utilisateurs plus nonchalants.

Mon point de vue est le suivant : l’outil informatique est un outil compliqué, il nécessite de la part des utilisateurs un minimum de concentration et un certain apprentissage. Plus on essaye de faire croire aux utilisateurs qu’un ordinateur c’est simple et ça marche tout seul et plus on les incite à oublier touts les réflexes durement appris (créer des répertoires et sous-repertoires pour classer ses fichiers, lire les didacticiels et les messages d’erreur…). En fait on incite les utilisateurs à régresser dans leur apprentissage et à prendre des distances vis à vis de l’outil. Une des conséquences que j’anticipe est une élévation de leur niveau d’exigence en terme de simplicité d’utilisation et une tendance à abandonner beaucoup plus vite devant une difficulté.

Tout ça pour dire que cette tendance à la simplification provoque en moi un sentiment de méfiance. Est-ce que l’on est pas en train de parler d’une tendance à la béatisation ? Je sais quel ‘informatique c’est pour tout le monde et qu’il faut réduire la fracture numérique mais je reste fermement convaincu qu’il y a un minimum requis pour se servir d’un ordinateur dans de bonne conditions. Et vous ? C’est quoi votre point de vue ?