Même si vous êtes partis en congé à l’autre bout de la terre, vous devez normalement être au courant du lancement de Facebook Places, leur service de géolocalisation sociale.
J’imagine que vous avez déjà dû lire tout ce qu’il y a à savoir sur le service aussi je me contenterais d’un bref récapitulatif :
- Places vous permet de signaler l’endroit où vous vous trouvez (“check-in” en anglais), vous pouvez aussi publier la liste des amis qui sont avec vous (et qui ont un profil sur Facebook) ;
- Toutes les signalisations sont affichées sur la page de l’endroit en question ainsi que sur le news feed de vos amis ;
- Le service n’est disponible que sur la version mobile (touch.facebook.com ou sur l’application iPhone) et réservé aux utilisateurs US pour le moment ;
- Les endroits conservent l’historique des personnes qui s’y sont signalées (cf. le principe de placestream déjà exploité par d’autres) ;
- Les propriétaires d’un endroit (boutique, restaurant, cinéma…) peuvent en revendiquer la propriété et récupérer les droits de gestion de la page ;
- Places proposera une série d’API pour exploiter sa base de données (importation de check-in d’autres services comme Foursquare, Gowalla… exportation des check-in vers d’autres services).
Plus d’infos ici : Everything You Need To Know About Facebook Places ou sur cette vidéo :
http://www.facebook.com/v/10150257497405484
Un positionnement couteux et des concurrents féroces
Ce service n’en est qu’à ses débuts, mais il revendique une approche différente de ses concurrents directs : Top Location Based Services Compared with Facebook Places.
Facebook Places met en effet l’accent sur les commerces, ce qui le place en concurrence directe avec des city guides comme Yelp ou Cityvox. Non seulement ces acteurs bénéficient de moyens beaucoup plus importants que des startups comme Foursquare, Gowalla ou Brighkyte, mais ils profitent surtout d’une plus grande ancienneté sur le créneau et d’une base de données de lieux déjà complète. Constituer un annuaire complet des bars, restaurants, commerce… est en effet un travail titanesque qui nécessite de nombreuses années de travail et surtout des équipes importantes. Je suis impliqué depuis l’année dernière dans un long chantier d’évolution du site ma-residence.fr et je peux vous assurer qu’il faut déployer des efforts colossaux pour ne couvrir qu’une “petite ville” comme Levallois-Perret (je ne parle même pas de grandes capitales comme Paris ou Londres).
De plus, les city guides cités plus haut exploitent une base de donnée particulièrement bien structurée avec des avis parfaitement bien sémantisés, alors que Facebook Places se contente de simples check-ins. Difficile dans ces conditions de soutenir la comparaison avec des acteurs de niche qui proposent des interactions sociales beaucoup plus riches. Ma-residence propose par exemple une application en ligne de gestion de copropriété, un service de petites annonces ultra-locales, un moteur de recherche de services entre voisins, des modules dédiés aux associations et aux écoles… Bref, un ensemble de fonctionnalités qui motive les membres à s’impliquer dans leur vie de quartier.
Facebook Places ambitionne également de se positionner sur le créneau de la publicité locale. Le service va alors être en concurrence avec des acteurs encore plus gros comme les Pages Jaunes. Outre le rapport de force, Facebook va être confronté à un autre problème de taille : La confiance des annonceurs locaux. Un commerçant qui ouvre sa boutique va avoir le réflexe de se faire référencer sur les Pages Jaunes et éventuellement sur Google Maps, mais va-t-il forcément penser à inscrire sa boutique sur un réseau social où l’on trouve quantité de groupes farfelus, de profils racoleurs et autres casual games ? Le commerce de détail (ou la restauration) est un milieu ultra-concurrentiel, les patrons comptent leurs sous et ils ne se satisferont pas d’une argumentation bancale (“connect people and allow them to gather“) et d’un monitoring approximatif (cf. Audience : les chiffres de Facebook sont-ils crédibles ?).
Les membres joueront-ils le jeu ?
Comme toujours, vous pourriez me répondre qu’avec ses 500 millions de membres, Facebook est un rouleau compresseur qui va justement démocratiser de nouvelles pratiques et faire exploser les usages. Je ne pense pas, dans la mesure où les 500 millions de membres ne sont pas équipés d’un smartphone capable de faire de la géolocalisation (peut-être 1/5 ème). D’autre part, que les membres ne vont pas forcément s’approprier ces nouvelles fonctionnalités et les exploiter en masse. Cette fascination pour les nouveautés est en effet propre aux adopteurs précoces, les geeks qui n’ont pas abandonné Twitter, qui sont sur The Hotlist ou PlanCast. La grosse majorité des utilisateurs de Facebook est ainsi issue des adopteurs tardifs voir de la majorité tardive, ceux qui partagent des photos, des liens mais ne se risqueraient pas à créer un nouveau lieu à partir de leur smartphone.
Autre facteur limitant à prendre en compte : La peur de l’exposition. Le succès de Facebook repose en effet sur sa domination de la sphère sociale des internautes où les apparences sont reines : Les profils ne sont que des pseudo-avatars, des doubles numériques servant à valoriser les membres à travers leur nombre d’amis, leurs photos de vacances ou de soirée. Le comportement des membres ne va pas changer avec l’arrivée de ces nouvelles fonctionnalités : Les check-ins ne se feront que dans une recherche de valorisation sociale (je me signale dans un bar / resto branché, pas dans la supérette de mon quartier ou chez mon urologue). C’est dommage car c’est justement grâce à cette infinité d’acteurs locaux “non branchés” que les annuaires font leur richesse.
Rajouter à cela les réticences liées à la confidentialité et vous aurez une grosse majorité de membres qui vont s’autocensurer et ne se signaler qu’aux endroits les plus cools (Starbucks, Apple Store…). En ce sens, je ne pense pas que les membres de Facebook sont prêt à franchir le pas et à exposer leur vie réelle, celle de tous les jours qui est certainement plus rébarbative que la “palissade sociale” que nous nous efforçons d’entretenir pour arriver à nos fins (être reconnu pas nos pairs, draguer…). Je pense ne pas me tromper en disant que les membres de Facebook ne souhaitent pas réellement s’ancrer dans la vie réelle (exposition quotidienne) mais plutôt qu’ils cherchent à la fuir à travers des profils-avatars.
De nouveaux défis à relever pour convaincre les annonceurs
Revenons-en aux annonceurs locaux. Autant je suis persuadé qu’il y a de très nombreuses opportunités dans le domaine du marketing ultra-local (le succès fulgurant de Groupon en est un bel exemple) ; autant je trouve l’approche de Facebook un peu légère car nous commençons déjà à voir des premiers cas de fraude (de faux check-ins : Hack of the Day: Travel the World With Facebook Places). Comment convaincre des annonceurs de se lancer dans une campagne de m-couponing alors que des petits malins peuvent simuler leur présence dans un lieu ? Shopkick, une start-up spécialisée sur ce créneau, utilise par exemple des petits boitiers chargés d’authentifier la présence effective des mobinautes et leur délivrer ainsi des coupons de réduction : Here’s Shopkick’s Special Sauce: A Box In Every Store That Verifies You’re Really There.
Enfin dernière zone d’ombre : les outils d’administration de masse. Alors que les marques et enseignes de distribution en sont encore à tâtonner pour créer leur Fan Page, comment les convaincre d’ouvrir une page par magasin ? Plus votre réseau de distribution est important, plus de travail de monitoring / maintenance va être laborieux. Les grandes enseignes vont ainsi devoir investir pour mettre en place les mécanismes leur permettant d’industrialiser la gestion des pages de chacun de leurs magasins ainsi que la gestion d’un programme de m-couponing reposant sur de la géolocalisation (lire à ce sujet Facebook Places: Revolution or Evolution?).
Conclusion
Tout comme j’avais trouvé le chantier sémantique de Facebook très naïf, son arrivée sur le créneau de la géolocalisation sociale me laisse sceptique car il y a bien trop d’approximations dans leurs plans et dans la façon de la monétiser.
Partir à la conquête du monde réel semble donc être un défi très complexe pour Facebook qui va devoir sortir de sa zone de confiance (la sphère sociale) et devoir se confronter à des problèmes qu’il ne saura pas gérer avant un petit bout de temps. Ce qui pose à nouveau le problème de la viabilité de la plateforme qui investit toujours plus d’énergie et d’argent dans de nouvelles fonctionnalités sans avoir rentabilisé les précédentes.
La solution de facilité serait de racheter une ou deux start-ups pour rapidement monter en compétence (au hasard : DisMoiOù), mais qui va financer ces acquisitions ? Et comment vont-ils les rentabiliser dans la mesure où ils pratiquent toujours la fuite en avant ? Retour à la case départ…
“les membres de Facebook ne souhaitent pas réellement s’ancrer dans la vie réelle (exposition quotidienne) mais plutôt qu’ils cherchent à la fuir au travers de profils-avatars”
=> Réflexion intéressante qui montre bien l’énorme défi de Facebook pour gérer ses nouvelles applications. Sa vraie force consiste en sa base de données de ses utilisateurs, et Facebook prévoit de multiplier son CA dès 2011 en publicité. Quid des autres services ? Que lui manque-t’il pour être un “Google killer” ?
@ 1975… > “Sa vraie force consiste en sa base de données de ses utilisateurs”, oui mais c’est aussi sa faiblesse : Quand ceux-ci se révoltent contre une nouvelle fonctionnalité comme Beacon, ou quand les gouvernements de pays s’inquiètent de cette situation de monopole (ex en Allemagne où un projet de loi déposé le ministre de l’Intérieur vise à interdire aux patrons et autres recruteurs de consulter les profils des candidats à l’embauche sur Facebook).
Je me rappelle d’un bulletin de Tristan Nitot qui indiquait que de plus en plus de cambrioleurs préparaient leurs méfaits en utilisant les informations de géolocalisation postées sur Twitter ou des plateformes équivalentes. Même si les informations de géolocalisation sur Facebook ne seront disponibles que pour le “réseau” d’une personne, j’ai bien peur que ça permette de plus en plus de dérives.
Superbe article. Cette “fuite en avant” pratiquée par facebook n’est pas viable à mon avis. J’ai énormément cru en la réussite de facebook sur le long terme à ses débuts, mais désormais j’en doute.
Et je pense que de manière générale, l’aspect communautaire reprendra le dessus sur l’aspect social dans le futur du Web.
Si on met de côté les contraintes techniques, dès le départ les “early adopters” du Web ont préféré en faire un outil communautaire plutôt que social (IRC, forums…). Désormais, la masse y voit quelque chose de “fun” à travers les réseaux sociaux, mais quand on aura compris son réel intérêt dans les inter-connexions humaines, le grand public reviendra au communautaire. Enfin, peut-être aussi suis-je complètement à côté de la plaque :D
BOnjour Frédéric,
La question que tu soulèves est intéressante.Il me semble que les fameux “apéros géants” dont a entendu parlés récemment sont une belle illustration du relai réalisé entre le monde virtuel facebookien et le monde réel. Je pense que ce genre d’évènements va se développer et rompre l’isolement de certaines personnes.
… que cette génération est pauvre d’être obligée de se montrer pour exister… comme les petits à la maternelle qui toutes les 2 secondes disent “maman, regarde !”…. mais oui tu existe même quand les autres ne te regardent pas… et les autres existeront aussi quand tu ne seras plus là.
Communautaire ? Je rigole ! Attrape-couillon, oui : continuez à dire tout de vous, on ne vous vendra que plus de daubes en échange….
Très bon article.
Effectivement les apéros récents (malheureusement conclu par 1 mort ) est un bon exemple de connexion
Salut Fred, merci pour cette analyse. Que facebook ignorait la dimension locale me paraissait anachronique ( et ma residence.fr devrait y songer aussi ;-) ) La, j’ai hate de voir la façon dont les gens vont s’approprier cette possibilité qu’offre facebook avec Places. J’attend de voir les usages qui vont en sortir. Si les gens sur facebook aiment partager leurs interets, leur gouts, pourquoi pas leurs lieux ? Je pense notamment à ces premiers utilisateurs de facebook sur smartphone et leur créativité autour des usages liés à l’évenementiel, que ce soit un event marco, comme le concert de U2 au stade de France par exemple, ou plus confidentiel, intimiste comme une expo, un restau, une place de café, bref des lieux d’expérience quotidien et moins perçu comme moments et lieux de consommation… Et si la mécanique des filtres d’intimités prend et se démocratise , avec la gestion des listes paramétrables, on pourra espérer alors etre agréablement surpris.Et les annonceurs dans tout ca ? Qu’ils investissent les lieux de manière appropriée, en se faisant animateur de quartier, pour ne pas dire “Placemaster” ;-)