Pourquoi supprimer l’email n’est pas la solution à l’infobésité

Ce matin j’ai entendu à la radio l’annonce faite par une grande SSII qui va interdire les emails internes : Atos Origin, objectif zéro mail en interne d’ici 3 ans. Cette annonce est accompagnée d’un argumentaire autour de l’infobésité : les collaborateurs reçoivent en moyenne 200 emails par jours et y consacrent entre 10 et 20 H par semaine). L’idée derrière cette révolution de l’email est d’utiliser à la place les “outils internes qui sont ceux des jeunes d’aujourd’hui” (messagerie instantanée, la visioconférence et surtout, les réseaux sociaux d’entreprise). Là encore le PDG (et ex-ministre de L’Économie) y va de sa statistique farfelue : seuls 10% des nouveaux entrants utilisent encore l’email.

Supprimer les emails internes d’ici à 3 ans est une décision courageuse qui part d’un bon sentiment, mais la solution de substitution proposée est d’une terrible naïveté. Dans ce cas de figure, l’email n’est pas le problème, mais l’utilisation que les collaborateurs en font. Faire le procès de l’email est une démarche plutôt saine, mais interdire les emails internes ne règlera en aucun cas le problème : si vous supprimez les emails internes sans accompagner les collaborateurs dans un réapprentissage des outils de communication, ils utiliseront d’autres supports en remplacement sans changer leurs habitudes (cf. Et si on ressuscitait le no email friday ?).

Il existe en effet de nombreux outils de gestion de projet et de collaboration en ligne qui permettent de soulager la messagerie (cf. Ne confondez plus gestion de projet et collaboration en ligne), mais si vos collaborateurs ne sont pas rééduqués pour les exploiter, les dérives continueront (multiples A/R pour fixer un RDV, partage de fichiers, consolidation des données chiffrées…).

Les sociétés de prestations sont, de par leur activité, les candidates idéales pour ce type de transformation (cf. Peut-on envisager une entreprise sans email ?), mais il ne faut pas non plus en attendre des miracles. Les 10 à 20 H par semaine passées à lire et traiter ces emails ne vont pas être récupérées suite à l’interdiction des emails internes, elles seront simplement dépensées ailleurs. La différence va par contre se faire dans les formats de communication / collaboration : un blog interne de gestion de projet ou un wiki sont des supports bien plus performants pour stocker l’information ou les connaissances (qui étaient auparavant piégées dans des emails nominatifs).

Il ne faut pas oublier non plus l’aspect asynchrone des emails qui est particulièrement adapté à des ressources dispersées géographiquement (donc qui ne sont pas forcément disponibles pour faire de la visio-conférence). Il convient alors de doter les collaborateurs d’un système de notification suffisamment puissant pour qu’aucune information importante ne passe inaperçue et pour conserver un minimum de réactivité (cf. De l’importance du système de notification pour combattre l’email). De même, l’idée de substituer l’email par de la vio-conférence n’est pas sans soulever des problèmes de confidentialité : est-ce que vous vous imaginez utiliser la visio-conférence en open-space pour faire un rapport à votre hiérarchie sur les difficultés rencontrées sur un projet ? Là encore il y a beaucoup de naïveté dans cette annonce, mais j’imagine qu’ils ont un peu réfléchi à ces questions là (du moins je l’espère).

Comme vous l’aurez donc compris, tuer l’email n’est pas une tâche aisée. L’idée n’est pas tant de le tuer, mais plutôt de lui trouver un substitut efficace. Les solutions citées plus haut sont toutes valables, mais je reste profondément convaincu que l’email ne doit pas disparaitre, mais évoluer. Selon cette idée, Google Wave était un projet réellement novateur. Quel dommage que ce nouveau produit n’est pas reçut l’accueil qu’il méritait… Ce projet n’est pas tout à fait mort (cf. Google Wave Is Now an Apache Project), mais j’espère sincèrement que Google va réussir à ressusciter son concept (cf. Google Wave Morphs Itself into New Offerings). Qui sait, il peut s’en passer des choses en 3 ans…

17 commentaires sur “Pourquoi supprimer l’email n’est pas la solution à l’infobésité

  1. Certes, c’est très ambitieux et on peut douter du résultat dans une société aussi importante, mais je n’ai lu nulle part que le management ne prévoyait pas de former leurs salariés à ces nouveaux outils.

    Les outils collaboratifs sont clairement plus adaptés que l’email dans la majorité des cas (archivage, partage, gestion de projet,…), et annoncer une mesure aussi forte aura au moins comme intérêt de forcer les gens à franchir le pas et à utiliser ces outils de façon plus régulière.

  2. J’ai aussi entendu l’info reprise sur Europe 1 ce matin. Première analyse de ma part à chaud, entre la tartine et l’expresso : “c’est courageux”. Plus tard, je suis passé au “c’est idiot” car, sans conduite du changement, ce genre d’initiative est vouée à l’échec ou simplement contre-productive. Affaire à suivre donc. Merci pour ce billet d’éclairage d’actualité qui est, comme d’habitude, fort pertinent.

  3. je suis aussi d’accord avec vous : réduire le mail c’est bien, le supprimer c’est idiot… je serai plutôt pour limiter les mails internes puis externe : chaque salarié aurai un crédit de mail à envoyer chaque jour et ne pourrai pas dépasser cette limite quotidienne :) ainsi on réfléchirai à 2 fois avant de cliquer sur envoyer et on pourrait décrocher son téléphone !

  4. Google Wave a(vait) un potentiel fédérateur très intéressant.
    A voir également : asana.com

  5. Fred – Ça ressemble à un bon coup de comm! Voyez mes chers clients comme nous sommes dans le vent… Confiez-nous vos projets à tendance collaborative :-)

  6. Pour travailler dans une très grosse entreprise, je peux dire que l’email est devenu au fil des années une vraie plaie et un outil mal adapté à nos usages (surtout avec un logiciel comme Outlook!). Je trouve donc que la décision d’Atos est à la fois saine et courageuse. Je suis naturellement méfiant par rapport à la façon dont cette information est relayée dans les médias, elle est forcément simplifiée et caricaturée, je pense que ce n’est pas une annonce en l’air de la part d’Atos et qu’ils ont un plan d’action pour accompagner ce changement majeur dans les outils et dans les mentalités de leurs employés.
    Je fondais beaucoup d’espoir sur Google Wave qui me semblait avoir toute sa pertinence pour les professionnels encore plus que pour les particuliers, j’espère que de nouvelles solutions basées sur ce protocole génial verront le jour.

  7. Certes il y a de la pub de la part d’un Thierry Breton qui, en 1992, avait pondu un rapport sur le télétravail mais qui, Président de Bull quelques années plus tard en décourageait le développement dans l’entreprise qui avait pourtant été pionnière en la matière…
    Pour en revenir aux e-mails, force est de constater qu’ils sont devenus une véritable plaie en communication interne, et je m’appuie là sur le témoignage unanime des responsables de com’ qui suivent mes formations ! D’accord avec Fred Cavazza pour dire que c’est faute d’avoir éduqué les salariés à leur emploi, mais on sait que c’est avant tout, comme le reste, un enjeu de management, plus que de com’.
    La solution Atos- belle société que j’ai quitté en 99- est sans doute réfléchie, elle a le mérite d’être radicale,je doute toutefois que Thierry Breton et son staff soient prêts à généraliser le Web 2.0 et sa logique participative dans une organisation fondamentalement très pyramidale, une espèce de géant aux pieds d’argile, à moins que cela ne deviennent des pieds agiles ? Wait and see !

  8. @ Jean > Oui tout à fait, l’annonce médiatique force les salariés à changer les habitudes (“si le patron l’a annoncé…”).

    @ Dialectique > Vous remportez la palme du meilleur jeu de mot !

  9. Parce que l’email n’est pas l’unique cause de l’infobésité !!!
    Je pense que la SSII essaie de se faire une pub en démontrant ses capacités d’innovation qu’elle n’hésite pas à mettre en oeuvre pour elle tellement elle est confiante dans les outils, ses capacités d’intégration et sa stratégie.
    Du buzzzzzzz !

  10. Le mail participe certainement à l’infobésité, et le remplacer par la messagerie instantanée changerait certainement la donne vu que le nombre d’interlocuteurs possible est largement réduit, et la nécessité d’une présence simultanée. Néanmoins on a la même chose avec les réunions et on en est venu à la réunionite. Sinon concernant les réseaux sociaux si c’est pour se retrouver comme avec Facebook ou Twitter avec tellement d’infos qu’on ne peut pas tout lire, ça ne changera pas grand chose au problème !
    Donc les nouveaux outils pourquoi pas, mais ça ne résoudra pas le problème et c’est également mon avis que cela semble une approche naïve… et donc ressemble bien à du buzz !
    En plus en tant que SSII, beaucoup de leurs échanges se font avec leurs clients, qui ne vont probablement pas lâcher le mail demain…

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