Facebook sera-t-il le nouveau Yahoo ?

Le Facebook que nous connaissons aujourd’hui (en 2012) est très différent de celui que nous avons connu en 2010, et encore plus de ce qu’il était en 2007 (cf. L’impact des changements de Facebook pour les utilisateurs, les annonceurs et les fournisseurs de contenu et Pourquoi les Timeline Applications vont vous forcer à repenser votre présence sur Facebook). Bref, c’est une plateforme sociale en permanente évolution qui, non content d’avoir une position dominante, cherche à accroitre encore cette domination. Puisqu’ils vont très prochainement récolter plusieurs milliards de $ en bourse pour financer cette évolution, la grande question est maintenant de savoir dans quelle direction va se faire cette évolution. Je pense que le plus simple pour trouver une réponse à cette question est de s’intéresser au modèle dont ils souhaitent s’éloigner et de comparer les options à ce qui a été fait par le passé.

Du réseau d’étudiant à la plateforme sociale

Si l’on revient aux débuts de Facebook, le service était donc un réseau social servant à mettre en relation les étudiants entre eux. Puis ils ont ouvert le réseau aux internautes, lancé la plateforme pour héberger des applications et mettre à disposition les social widgets et autres boutons Like. Jusqu’à l’année dernière, Facebook était donc une plateforme social pour retrouver et interagir avec ses amis, ainsi qu’une plateforme pour les jeux et applications. Le trésor de guerre de Facebook était les profils des membres, son objectif était de personnaliser l’expérience des internautes en fonction de leur profil (sur et en dehors de Facebook).

FB_Nike

Avoir une page sur cette plateforme et/ou y faire héberger des applications est gratuit. Facebook était considéré comme un Earned Media, un espace d’expression où la visibilité était fonction de l’intérêt que les utilisateurs portaient à vos contenus. L’essentiel du travail des annonceurs était de gagner l’attention des internautes sur Facebook ou ailleurs, notamment au travers des boutons Like.

Earn_Bought_Owned

Le modèle économique de Facebook était de vendre des espaces publicitaires (des bannières au CPM ou CPC) pour générer du trafic sur les pages ou applications des annonceurs. Ces derniers exploitaient ces bannières pour grossir le nombre de fans et en convertir le plus possible pour alimenter leurs bases. La priorité de Facebook était donc d’augmenter le nombre d’utilisateurs pour générer plus de pages vues et placer ainsi plus de bannières (les pros appellent ça “augmenter le stock“). Le problème est que ce modèle fonctionnait bien, peut-être trop bien, et que la plateforme était devenue un gros foutoir où les annonceurs utilisaient tous les moyens à leur disposition pour ramener du membre sur leur page et les convertir à tout prix.

De la plateforme sociale au portail

Avec les changements récents, et notamment le remplacement des pages de marque par des timelines, Facebook est en train de se transformer en portail : une destination de référence pour les internautes, le premier endroit qu’ils visitent quand ils se connectent. Le trésor de guerre de Facebook n’est plus trop les profils, mais les fans (ou plutôt l’accès aux fans). Ils ambitionnent ainsi d’égayer l’expérience des internautes avec des contenus de qualité et des interactions sociales plus riches. Cette réévaluation qualitative passe notamment par la mise à disposition de nouveaux formats publicitaires : les bannières sont ainsi remplacées par du sponsoring de citations (les marques n’existent qu’au travers des citations des membres).

FB_LaRedoute

Je pense ne pas me tromper en disant qu’avec cette refonte, Facebook cherche à rendre sa plateforme plus confortable pour que les membres y passent plus de temps. Ils mettent ainsi l’accent sur le qualité des contenus fournis par les annonceurs et éditeurs de pages. De plus, pour éviter les dérives du passé, ils verrouillent l’accès aux fans avec un nouveau modèle d’engagement (Reach Generator) qui garantit un bon niveau de visibilité aux annonceurs les plus fortunés. Selon ce schéma, Facebook ce déplace donc de la catégorie Earned Media vers Paid Media : celle où il faut payer pour exister. Les profils ne servant plus ici à personnaliser l’expérience, mais à améliorer la connaissance client et la segmentation. Nous sommes donc très loin du modèle conversationnel des débuts : avec cette nouvelle version, Facebook stimule avant tout les interactions rapides (un message => des commentaires et likes) et s’assure une rente en monnayant la visibilité de ces interactions sur les profils des membres (Peut-on réellement construire une communauté sur Facebook ?).

Nous en venons donc à la comparaison entre Facebook et les portails : avec cette nouvelle version, Facebook ambitionne donc de devenir LA destination de référence des internautes, celle où ils vont trouver tous les contenus et services dont ils ont besoin, leur évitant ainsi de devoir s’approvisionner à plusieurs sites. En théorie, ils y sont bien partis pour réussir ce paris, mais ne risquent-ils pas chuter là où d’autres sont tombés avant eux ?

Yahoo! et AOL sont-ils des exemples à suivre ?

Les plus “expérimentés” d’entre vous se souviennent peut-être d’une époque au siècle dernier où le web était dominé par les portails (Yahoo!, MSN et AOL aux États-Unis, Spray en Europe…). À cette époque, les portails avaient la même ambition que Facebook : être la destination première et unique des internautes pour les contenus (News, Météo, Sport…) et les services (Mail, Photos, Rencontre…). Ils étaient également en position largement dominante avec une audience colossale et une base d’utilisateurs gigantesque. Le problème est qu’ils n’ont pas su gérer leur croissance et surtout leurs ambitions : AOL qui voulait croquer Hollywood et a échoué dans l’absorption de Time Warner, Spray a explosé en vol et Yahoo! n’est plus que l’ombre de lui-même.

Quelles ont été les erreurs de ces acteurs que l’on croyait insubmersibles :

  • Vouloir sortir du cadre de l’internet et se prendre pour un média à part entière ;
  • Ne pas proposer de moteur de recherche performant (une fonction pourtant essentielle au web) ;
  • Ne pas chercher à lutter contre le phénomène de banalisation (plus il y a de monde et moins c’est hype, donc attractif pour les annonceurs exigeants) ;
  • Ne pas capitaliser sur le profils des membres.

Si l’on y réfléchit bien, Facebook souffre exactement des mêmes problèmes : Boulimie, pas de moteur de recherche, banalisation et des profils dont l’exploitation va devenir de plus en plus compliquée (Nous faudra-t-il payer pour préserver notre vie privée ?). Je ne me risquerais pas à prédire le même avenir (malheureux) pour Facebook que pour Yahoo!, mais je suis en droit de me poser des questions.

Une orientation stratégique très rentable, mais qui implique des concessions

J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur les derniers changements(Avec les nouvelles pages et formats publicitaires, Facebook privilégie les marques fortes), et je ne peux que constater l’efficacité de l’écosystème Facebook : très forte croissance et rentabilité exceptionnelle. Je ne doute pas que les équipes vont réussir à lever beaucoup d’argent en bourse et qu’ils sauront consolider les acquis et faire de Facebook le roi incontesté des médias sociaux. Cependant, pour y parvenir, ils devront privilégier des usages (consommation / viralisation de contenus) au détriment d’autres (conversations à valeur ajoutée). De ce fait, toutes les marques ne pourront pas assumer la cadence imposée par les annonceurs les plus puissants, et Facebook devra partager son règne avec d’autres plateformes sociales qui vivront dans son ombre (Twitter, Youtube, Tumblr…).

Je ne suis pas devin, et je sais que je donne l’impression de vouloir m’acharner (Rétrospective sur les 3 dernières années de Facebook), mais j’ai tout de même un mauvais pressentiment pour l’avenir de Facebook. Vous avez le droit de vous moquer et de prétendre y avoir crû dès le premier jour, mais vous ne pourrez pas me reprocher d’avoir essayé de prendre du recul par rapport à la poule aux oeufs d’or. Suis-je en train de dire que Facebook va fermer ses portes d’ici à la fin de l’année ? Non pas du tout, simplement qu’en tant qu’annonceur, vous devriez vous méfiez de votre dépendance à Facebook, car elle risque de vous coûter cher (littéralement).

Mon rôle n’est pas de jouer les oiseaux de mauvais augure ou de donner des leçons aux autres, mais en tant qu’observateur privilégié, les conseils que je peux vous donner est toujours le même : Construisez une présence durable sur les médias sociaux en capitalisant sur du contenu de qualité et en diversifiant les canaux d’interaction avec vos cibles.

21 commentaires sur “Facebook sera-t-il le nouveau Yahoo ?

  1. Pas d’accord Yahoo a(vait) bel et bien son propre moteur de recherche avant sa descente aux enfers (un des seuls concurrents de Google valable d’ailleurs).

  2. Petite remarque bien que je ne sois pas rentré dans les articles que tu cites au fur et à mesure du développement de ta réflexion…
    L’orientation que prend Facebook est finalement naturelle quand on regarde l’évolution de cette plateforme sociale : un outil initialement orienté utilisateur qui a atteint un volume d’internautes quasiment maximum en quelques années… Pour continuer à faire évoluer leur réseau social, et surtout le rentabiliser (puisqu’il est rare de voir des sites entièrement fondés sur le crowdsourcing devenir rentable), ils se sont naturellement tournés vers le marché des professionnels et des entreprises…
    Finalement, est-ce qu’on peut leur reprocher d’avoir séduit et conquis une bonne partie des internautes dans le monde et d’avoir ensuite modifié leur positionnement pour continuer à être attractif… C’est simplement l’histoire d’une belle entreprise qui cherche son modèle économique tout en essayant de conserver une qualité de service !

  3. C’est drôle comme tous les 2 nous ne sommes pas très positifs sur l’évolution de Facebook.
    La bataille avec Google se fait bien sur la connaissance client clairement et la marge de revenus publicitaire entre Facebook et Google (6% Vs 46% du marché) est gigantesque…à vouloir aller trop vite, ils risquent de se bruler les ailes.
    J’aime bien ton idée de portail, je résume cela en expliquant qu’aujourd’hui Google est un outil (utile) quand Facebook est en endroit à la mode (qui nécessairement risque de ne plus l’être comme d’autres avant lui). Cette image est évidemment réductrice.
    Ce qui manque (pour moi) dans ton analyse, c’est le fait qu’ils essaient de devenir un outil pour les marques via le social graph et donc de tisser une toile qui les empechera de tomber malgré tout trop vite.

  4. Je partage en partie ton point de vue. Si Facebook est bien différent de ses origines, qu’il est différent de jour en jour, il sera vraisemblablement différent demain.

    Je ne pense pas qu’il disparaîtra, mais il ne sera peut-être plus sous la même forme qu’il est aujourd’hui. En effet, quand on voit l’intégration de Facebook dans Windows 8 ainsi que le développement du Cloud aujourd’hui, Facebook ne sera peut-être pas un portail mais plus un moyen de connexion à Internet… et qui sait, peut-être qu’il sera notre futur ID unique pour internet.

  5. @ Greg > “drôle” n’est pas l’adjectif que j’emploierais pour décrire la situation. Je suis en effet très surpris de constater que personne je juge “inquiétant” ou “préoccupant” le monopole de Facebook et le racket à grande échelle qu’ils sont en train de mettre en place. Toute société commerciale a le droit de chercher à faire des bénéfices, mais dans le cas de Facebook (et encore plus pour Apple), la recherche du surprofit est un peu inquiétante. La métaphore de l’outil est intéressante, et de ce point de vue, Google est également un outil indispensable pour les marques (webmaster tools, ad words, maps…).

    @ Kurgans > Facebook notre ID unique pour internet ? Je te rassure ça n’arrivera pas car les gouvernements ne le tolèreront pas. L’Allemagne, le Japon et la Canada sont d’ailleurs les premiers pays de G7 à avoir pris des mesures pour calmer les ambitions de Facebook, je me demande quand les autres vont suivre…

  6. Très bon article, ça fait du sens. Et je crois qu’une manière simple de l’observer est par notre feed, qui est de plus en plus pollué de contenu placé par des annonceurs.

    Par contre, je pense que Facebook a calqué son modèle sur celui de la conversation que prenait déjà place entre les gens, offline, et les a amené à l’avoir en ligne. Pour devenir de plus en plus rentable, ils ont dû être de plus en plus créatif sur la manière de garder l’expérience épurée. La grandes plateformes de contenus à la Yahoo et AOL à l’inverse ont plutôt calqué le modèle du journal imprimé, où le contenu a toujours été placé avec des visiteurs habitués à voir un environnement garni de pub.

    Selon moi, il y a vraiment beaucoup de chemin à faire avant qu’on voit réellement Facebook s’éteindre à cause de ça. Mais qui sait ce que peut devenir une compagnie après un IPO. Les intérêts évoluent et sont de plus en plus mercantiles. Ce n’est pas mauvais en soi mais juste l’évolution naturelle d’une entreprise d’immature à mature.

  7. Je suis plutôt d’accord avec l’analyse, et rajouterais la cotation boursière à la liste des éléments entraînant la chute d’une entreprise du web.

    Les volumes publicitaires offerts par Facebook sont déjà monstrueux sans parler de Google ne risque t’on pas de voir une pénurie d’annonceurs sur ces gros réseaux ?
    Plusieurs réseaux importants serrait déjà en relation pour combler les vides (Yahoo Google et Microsoft) selon certaines sources sur le web…

    Il est évident aujourd’hui que tant que je gagne 2€ en n’en dépensant qu’un je garde l’intérêt d’acheter des espace publicitaires. Mais si mon budget dans cette optique est à priori illimité le budget des clients potentiel ne l’est pas. Ne risque t’on pas de constater dans une échéance relativement proche une chute de la rentabilité de la publicité ?

    Qu’est-ce qui génère le plus de revenus pour l’annonceur :
    Un grand nombre de visites ?
    Un grand de visiteurs uniques ?

    Dans le premier cas nous n’aurions aucune limite de progression.
    Dans le deuxième cas Facebook serait peut-être déjà proche de la saturation, qu’est ce que les investisseurs peuvent en attendre de plus ?

    Bref quelques réflexions sur lesquelles je serais ravi de débattre.

  8. Je n’ai pas retrouvé les sources évoqués mais il me semble que cela concerne uniquement le display pour le moment.

  9. Parallèle intéressant entre Yahoo! et Facebook. Pour ma part, je pense qu’il faudrait plus aller voir du côté de Friendster et MySpace qui eurent été pendant 3 ou 4 ans les indétronables (et pourtant…) plus gros réseaux sociaux (comme quoi les numéros 1 peuvent vite s’effacer).

    Concernant le futur de Facebook, quelques pistes à travers 3 questions :
    – quelle est la répartition des membres de Facebook dans les pays Européens?
    – où se fait l’acquisition des nouveaux membres?
    – quel est le taux de perte des membres aux US ?

    Sans compter évidemment la presse US qui n’est pas tendre à l’égard de Google et Facebook.

    Les temps changent et les comportements aussi. Le modèle gratuit vit-il ses dernières heures ? (et là, vous comprendrez qu’il ne s’agit pas uniquement de Facebook…). Tout cela finira-t’il dans la seconde explosion que beaucoup semblent prédire (voir tous les posts à ce sujet et notamment concernant la valorisation délirante de Facebook) ?

    Mathieu Destrian
    CEO d’Intellinium

  10. “drôle” je faisais référence à notre desaccord (relatif et amical) sur Pinterest.
    Facebook me fait peur, je l’ai écris de manière littérale dans le Journal du Net ce qui m’a valu les foudres de l’équipe parisienne – bien que tout cela se soit calmé rapidement.
    Ce qui m’échappe le plus, c’est de constater que des marques comme Nike, Vuitton ou même Chanel sont prêtes à se mettre en seconde position derrière facebook (l’url d’une page reste facebook.com/marque)

  11. > Facebook ce déplace donc de la catégorie Earned Media vers Paid Media

    Facebook SE déplace…

  12. N’est-il pas temps de s’investir un peu dans des alternatives ? la dépendance à un réseau social n’est elle pas trop risquée ?

  13. Cet article sonne plus comme l’expression d’un ressenti que d’une véritable analyse…
    Les pistes de réflexions et données servant à appuyer le discours sont intéressantes mais ne sont soumises qu’à l’interprétation subjective de l’auteur qui “fabrique” sa propre signification.

    A peine dissimulé sous quelques tirades généralistes auxquelles l’auteur ne croit
    vraisemblablement pas “[…] je sais que je donne l’impression de vouloir m’acharner”
    l’auteur peine à masquer son manque évident de recul et d’objectivité.

  14. @ Maxime > Vous ne travailleriez pas dans l’éducation nationale dès fois ? J’ai l’impression de lire le corrigé d’une copie ;-) Pour votre information, ce site est un blog, il sert à véhiculer l’opinion personelle de l’auteur (son ressenti…). Si ce que vous cherchez c’est une analyse structurée, argumentée avec des chiffres, adressez-vous à Forrester (par contre, c’est 1.500$ l’étude).

Les commentaires sont fermés.