Plus rien ne sera comme avant pour Facebook et ses annonceurs

100 MM$, c’est grosso modo la valorisation actuelle de Facebook suite à son introduction au Nasdaq en fin de semaine dernière. Une belle réussite, même si le titre se fait chahuter, car toute la blogosphère était mobilisée pour cet événement, presque autant que pour une Keynote Apple, c’est dire ! Mais n’allez pas penser que cet afflux d’argent frais sera comme une bouffée d’oxygène pour Facebook : si les capitaux levés vont leur permettre d’accélérer l’acquisition d’autres sociétés, ils s’accompagnent d’un ensemble de contraintes qui va immanquablement ralentir l’innovation et faire perdre aux équipes de Facebook ce qu’elles avaient de plus précieux : la gniak. Maintenant que Facebook est un business passé à la phase adulte, restera-t-il une destination aussi attractive pour les annonceurs ? J’ai des doutes, laissez-moi vous expliquer pourquoi.

16 milliards et après ?

Avec cette opération, Facebook a donc réussi à lever 16 MM$. OK, très bien, et maintenant ? Que vont-ils pouvoir faire avec 16 MM$ qu’ils ne pouvaient faire avant ? Il y a certes la tentation de racheter d’autres startups après Instagram (d’ailleurs ils n’ont pas entendu très longtemps en absorbant Karma dès samedi), mais Facebook a déjà racheté près d’une vingtaine de startups sur ces trois dernières années (Facebook Acquisitions Timeline), ces dernières ont-elles participé à un saut qualitatif de la plateforme ?

Napo-Zuck

Dans l’absolu, News Corp est également doté de moyens colossaux, mais ont-ils été efficaces pour sauver MySpace de la dégringolade ?

Nouvelle priorité : satisfaire les actionnaires

Il ne vous aura pas échappé qu’au fil des ans, Facebook a beaucoup évolué. Sans trop rentrer dans les détails, il serait possible de résumer les différents stades d’évolution de Facebook à ces cinq étapes :

  1. Le lancement du réseau, réservé aux universités américaines
  2. L’ouverture du service à l’ensemble des internautes
  3. Implémentation de la plateforme d’applications
  4. Refonte des profils (Timeline) et du moteur (le social graph)
  5. Lancement des offres payantes de visibilité

Nous en sommes donc au cinquième stade de maturité de Facebook, une étape bien plus importante que vous le pensez, car Facebook est passé d’une logique de earned media à celui de paid media. Comprenez par là que pour exister sur Facebook, il faut avoir de l’argent. Le modèle économique de Facebook, tout comme celui d’autres médias, est donc de placer des publicités à proximité de contenus (Facebook’s biggest problem is that it’s a media company). Ceci n’est pas sans poser problème, car la fameuse offre de visibilité payante (reach generator) semble ne pas convenir à tous les annonceurs : GM stops advertising on Facebook days before social network’s IPO. Certes, la nouvelle a fait sensation, mais il est difficile de savoir si cette annonce n’est en fait qu’une ville manoeuvre pour renégocier les tarifs à la baisse… (une pratique courante chez les gros annonceurs). Le désistement de GM fati de pus écho à une constatation récente du cabinet Forrester : Facebook Needs To Take Marketing Seriously.

Cette offre concerne les annonceurs (marques et institutions), mais il existe un équivalent pour les particuliers déjà en test en Nouvelle-Zélande : Facebook running test for highlighted posts. Pour 2$, les membres vont ainsi avoir la possibilité de mettre  leur status updates en avant auprès de leurs amis, la belle affaire ! Je me garderais bien de commenter le côté éthique de cette offre (après tout, Badoo ou Doof la pratique depuis des années sans que cela ne choque personne), mais elle illustre bien la nouvelle orientation stratégique de Facebook pour s’aligner sur les exigences de rentabilité des actionnaires.

Pour être certain que tout le monde ai bien compris ce qui est en train de se passer, je récapitule : le modèle économique de Facebook consiste donc à monétiser le contenu produit par les autres avec des bannières. Ça ne vous rappelle personne ? Petit indice : Facebook sera-t-il le nouveau Yahoo ?. Quand on sait que 80% des revenus de Facebook proviennent des revenus publicitaires, les actionnaires font donc un sacré gros pari sur le bon vouloir des membres de se faire monétiser leurs contenus.

D’aucuns diraient que Facebook ce n’est plus comme avant, et que le sweat à capuche de son fondateur n’est plus qu’un accessoire d’apparat. Il ne manquerait plus que le jeune homme se marie… (oups !).

Le plus facile étant fait, reste le plus dur

L’annonce de l’annulation du budget de 10M$ de GM a donc fait couler beaucoup d’encre (électronique), mais je pense ne pas me tromper en disant que le support n’est qu’un outil, il faut savoir l’exploiter. De ce point de vue, je rejoins tout à fait l’avis du patron de Buddy Media : The Truth About Facebook Advertising. En un mot comme en cent : If you can’t dance, blame the DJ.

Ceci étant dit, la quasi-totalité des annonceurs s’étant précipitée sur Facebook pour y chasser le fan, la compétition pour l’attention y est devenue presque insoutenable : toutes les marques et institutions ont fait le plus simple (ouvrir des pages, publier des contenus et lancer des opérations de recrutement…), reste donc le plus complexe : engager ces fans. La triste réalité que l’on a du mal à admettre est que Facebook est devenu comme Google : tout le monde achète des mots-clés (en l’occurrence des social ads), c’est le plus gros enchérisseur qui remporte les meilleures places. Ce qui explique pourquoi certains annonceurs vivent mal le passage à l’échelle industrielle : la sauce ne prend plus, car les membres sont devenus exigeants (à force de se faire éblouir par Lady Gaga, Red Bull ou Burberry’s, ils font la fine bouche quand il s’agit de configurer une bagnole et de la partager avec ses amis).

SN_cycle

Quel est l’enseignement que vous pouvons tirer de la “mésaventure” de GM ? Tout simplement qu’il n’y a pas de recette miracle : le simple fait d’être présent ne suffit plus, Facebook (tout comme les autres médias sociaux) n’est qu’un levier pour viraliser du contenu et amplifier des interactions sociales. Dans le cas particulier de Facebook, ce levier va être de plus en plus dur et coûteux à actionner.

Moralité : plus rien ne sera comme avant pour Facebook et pour les annonceurs qui y sont présents (d’où le titre de l’article).

9 commentaires sur “Plus rien ne sera comme avant pour Facebook et ses annonceurs

  1. J’aime beaucoup la dernière partie !

    juste un point technique, j’ai des difficultés à lire les lettres avec accent, rien à voir avec l’article mais c’est tout le temps le cas.

    Bonne continuation

  2. Paid Media (achat de publicité), Owned Media (visibilté de ses posts auprès de sa base de fans actifs) et Earned Media (visibilité obtenue via l’engagement des utilisateurs sur ses posts ou dans ses applications) sont déjà depuis longtemps étroitement liés dans Facebook. Cette monétisation n’est donc pas nouvelle.

    Je ne crois sincèrement pas que l’IPO change énormément la philospohie de l’entreprise : Facebook ne cherche pas à gagner de l’argent dans un but d’enrichissement, mais pour conserver les moyens de ses ambitions de rendre le monde plus ouvert et connecté.

    Si ils parviennent à devenir le fournisseur universel de connexion et d’interaction qu’ils espèrent devenir (et dont ils ne connaissent certainement pas encore la forme), il y a fort à parier que ceux qui auront investi sur une valorisation de 100 milliards retrouveront leur petits, bien grandit.

    Enfin, si la perte d’un compte représentant 0,25% du chiffre d’affaire de Facebook semble assez anecdotique, il faut bien admettre que la perpétuelle évolution des fonctionnalités du site, de la plate-forme et des options publicitaires représente un vrai défi pour les marques. Heureusement, il y a des spécialistes pour les accompagner ;)

    PS : Ceci n’est pas un troll !

  3. @ Patrice > J’ai un peu de mal avec le “monde plus ouvert”. Est-ce que c’est bien ouvert de limiter la visibilité des publications des annonceurs à 12% ? Je ne critique pas le procédé, car d’autres le font aussi, mais je soutiens ma théorie que le Facebook post-IPO est très différent de ce qu’il était l’année dernière. Et cette différence va s’accentuer…

  4. Pour réagir à la conclusion de ton article, je pense que l’entreprise qui souhaite se positionner sur Facebook doit considérer une double approche, à court et moyen terme.
    L’approche court terme est la plus simple et la plus immédiate, c’est la publicité. Facebook est un media comme un autre On y applique un modèle connu.
    En tant que support social, Facebook présente une valeur pour l’entreprise à moyen terme qui mérite d’être explorée : elles sont toutes confrontées à la nécessaire digitalisation de leur offre et à ce titre doivent explorer de nouvelles propositions d’expérience utilisateur autour de la marque. A ce titre et à ce stade, Facebook constitue un bon laboratoire pour interagir avec sa cible et tester de nouvelles opportunités de services.

  5. Un problème que l’on peut se poser alors. S’il ne reste que quelques grosses entreprises et que les petites s’en vont faute d’avoir pu communiquer efficacement, n’y a-t-il pas un risque pour Facebook de perdre beaucoup ? Je pense notamment à la longue traine où l’on pourrait penser qu’un ensemble de petites entreprises pourraient rapporter plus qu’une seule grosse. Ce n’est qu’une idée mais je m’interroge quand même. De même, Facebook va devoir faire du chiffre, de manière conséquente, c’est un fait. Mais jusqu’où peuvent ils aller une fois le dos au mur ? S’ils n’arrivent pas à leurs objectifs, que pourront-ils faire ? Vendre leurs données au risque de perdre leurs utilisateurs ? Plein d’interrogations :(

  6. Il n’y a qu’un chiffre à relever en ce début de journée : -11%
    Pas étonnant au vu des 2 milliards de dollars dépensé par la banque de Facebook en 20 minutes pour soutenir le cours en fin de cotation ce Lundi…

  7. Facebook n’est qu’un service de diffusion comme les autres. Un peu plus grand certes. Et comme tout le monde y est présent aujourd’hui et bien ça devient de plus en plus difficile d’y faire sa place.

    Pour rester devant les autres, une seule règle: innovation, innovation, innovation

  8. Article très pertinent encore une fois. J’ai notamment apprécié le cycle de maturité des réseaux sociaux.

    Je parlais avec un de nos stagiaires récemment et était étonné du désintérêt croissant de sa génération pour Facebook, même s’ils ont tous un compte.

    A vouloir trop en faire Facebook a perdu de son coté fun. Je pense que ce qui a fait le succès de ce réseau c’était la spontanéité des messages. Chose qu’a su garder Twitter par exemple. Imaginons que l’option payante de statut soit confirmée, mieux vaut ne pas se louper sur le message et bien réfléchir avant d’écrire. Pourra t’on se faire rembourser? Que vont penser les membres de notre réseau “Ah tu as acheté un statut hier pour dire que tu mangeais une pomme? Intéressant…” Quid de la promesse faite en page d’accueil “C’est gratuit (et ça le restera toujours)” y’aura t’il une mention spécifiant que c’est gratuit mais un peu payant quand même, des fois, si on a envie…

    Enfin Facebook a un taux d’engagement sans précédent, tout est arrivé très vite et cela ne disparaîtra pas du jour au lendemain mais des signes d’essoufflement sont flagrant, il y a un vrai challenge stratégique devant eux afin de donner un second souffle d’intérêt aux utilisateurs et leur permettre de rentabiliser le service.

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