Hier s’est tenu à Los Angeles la grand-messe annuelle d’Amazon où Jeff Bezos est venu présenter les nouveaux terminaux de la marque, mettant ainsi fin à de nombreuses semaines de spéculations : Everything you need to know about today’s Amazon Kindle event in LA. Les gammes Kindle et Fire sont ainsi renouvelées pour permettre au géant de Seattle de combattre à armes égales avec Google et Apple. Si les nouvelles machines présentées impressionnent par le rapport qualité / prix / services, le nombrilisme traditionnel des américains risque de les faire passer à côté d’un concurrent qu’ils vont amèrement regretter d’avoir négligé.
Un nouveau Kindle avec rétro-éclairage
Comme tous les ans, la liseuse électronique Kindle est encore améliorée avec un cadre encore plus fin et un nouvelle écran à rétro-éclairage (Paper white) qui permet à Amazon de se remettre à niveau vis-à-vis des Nook de B&N.
Comme toujours également, c’est sur le prix que les liseuses d’Amazon frappent fort avec un modèle haut de gamme à 179$ (Paperwhite + 3G) et un modèle d’entrée de gamme à 69$ (avec publicité), qui dit mieux ? Si Amazon est en mesure de vendre ses terminaux à prix coutant, c’est que le créneau du livre électronique se porte bien, à merveille même car les perspectives de croissance sont mirobolantes.
Non seulement Amazon reprend le leadership d’un point de vue matériel, mais il se permet en plus le luxe de bousculer le modèle économique de l’édition avec une nouvelle offre à mi-chemin entre l’abonnement et le try & buy : Amazon Confirms The Launch Of New, Episodic Publishing Format, Kindle Serials. Je pense ne pas me tromper en disant qu’Amazon est le leader incontesté du livre électronique aux US. Par contre, en Europe, les choses ne sont pas si simples. Surtout en France où le législateur s’obstine à maintenir le prix de vente bien au-dessus de la limite psychologique des français : un ebook est vendu le double d’un livre de poche, aberrant !
Une nouvelle tablette HD pour concurrencer l’iPad
Autre grande annonce : la sortie du Kindle Fire HD, le nouveau fleuron de la gamme de tablettes d’Amazon. Suite à une première version qui a beaucoup déçu (Before We All Get Too Crazy Over Amazon’s New Tablets), ils sortent donc une seconde version revue et corrigée avec des caractéristiques techniques très alléchantes et deux versions pour plaire au plus grand nombre (7 et 9 pouces). Certes, cette tablette Kindle Fire HD n’est pas aussi sexy que l’iPad3, mais elle est moins chère et bénéficie d’un atout de poids : une version 4G (ou plutôt LTE).
Non seulement Amazon aligne trois tablettes à un prix très compétitif, mais il se permet en plus le luxe d’apporter des innovations logicielles tout à fait intéressantes : Free Time pour limiter l’utilisation de vos enfants, la gestion de profiles multiples, un nouveau gestionnaire d’email… (New Kindle Fire Software: Multiple Profiles, New Email, Custom Facebook And Skype Apps).
Amazon propose également des services exclusifs à forte valeur ajoutée : Wispersync pour télécharger de façon silencieuse les contenus et sauvegarder dans les nuages votre progression, et surtout X-Ray pour ajouter une couche d’informations et données aux contenus culturels. Déjà disponible pour les Kindle, la fonction X-Ray est maintenant proposée pour les films et permet de lier des données de IMDb.
Les journalistes présents lors de l’événement ayant pu mettre la main sur ces terminaux ne sont visiblement pas déçus, il y a donc toutes les chances pour qu’Amazon acquière enfin ses lettres de noblesse sur le créneau des tablettes. Il y a cependant un petit bémol à ces très (trop ?) belles annonces : toutes ces tablettes devraient être livrées avec l’affichage de publicité sur l’écran d’accueil par défaut, une astuce pour réduire le prix de vente qu’Amazon pratique déjà sur la liseuse d’entrée de gamme. Ceci reste à confirmer car ces nouvelles tablettes ne sont pas encore commercialisées, mais ces pratiques risquent d’énerver plus d’un utilisateur.
Des produits d’appel pour le plus grand distributeur du monde
Jeff Bezos, le fondateur et CEO d’Amazon a été on ne peut plus explicite : “People wants service, not gadgets“. L’emphase est donc très clairement mise sur la complémentarité avec l’écosystème Amazon et non sur les caractéristiques techniques. Un choix judicieux, car Amazon ne peut délibérément pas espérer gagner face à Asus. Il se permet même d’envoyer un pic à Apple : “We want to make money when our customers use our devices, not when they buy our devices“. Il reconnait donc ouvertement la stratégie d’Amazon : proposer des terminaux à prix coûtant pour apporter le dernier maillon d’une chaine de distribution intégrée de bout en bout.
En achetant une tablette Kindle Fire, vous exploitez votre compte Amazon, celui avec lequel vous achetez depuis des années, celui où vous avez donné votre numéro de carte bancaire. Le Kindle n’est donc qu’une interface de vente améliorée pour les contenus numériques (films, musiques, applications, livres, journaux, revues…) mais également pour les produits physiques (What The New Kindle Means To Amazon). Diabolique !
Nous avons donc maintenant une vision très claire de la stratégie d’Amazon (If Apple is all about the devices, Amazon is all about the services). Le moins que l’on puisse dire est qu’il ne leur a pas fallu beaucoup de temps pour mettre au point une riposte tout à fait crédible face à Google et Apple. Même si la force de frappe de ces derniers est supérieure (attendez donc les annonces de la semaine prochaine chez Apple), j’ai l’impression qu’Amazon se sent parfaitement à l’aise dans sa stratégie de suiveur réactif, et ils sont très très réactifs ! Il reste cependant à Google et Apple une carte très importante à jouer : la complémentarité avec les autres types de terminaux (smartphones et TV), mais le tableau n’est pas encore tout à fait complet.
Kobo, le grain de sable que tous veulent ignorer
Si l’on s’en tient aux analystes US, Apple, Google et Amazon vont donc se répartir le marché et ne laisser que quelques miettes à Microsoft (Asus étant relayé au rang de vulgaire sous-traitant). Une vision très réductrice du marché, car ils oublient un concurrent de taille : Kobo. L’ex petite firme canadienne a dévoilé avant-hier une gamme de liseuses et tablettes tout aussi compétitives et parfaitement cohérente : Kobo announces 7-inch Android tablet and two new e-readers ahead of Amazon’s Kindle event.
Si vous avez le temps, je vous recommande de comparer les caractéristiques techniques de ces machines pour vous rendre compte qu’elles sont égales sinon supérieures à celles d’Amazon. Soit, mais est-ce vraiment dérangeant pour un mastodonte comme Amazon ? Oui, car non seulement Kobo dispose d’un catalogue de livres très étendu et d’un circuit de distribution solide, cette société est maintenant la propriété du géant japonais Rakuten, le plus grand site de commerce en ligne du Japon (3700 employés pour 5 MM€ de capitalisation boursière).
Pour résumer : Amazon + Kindle = Rakuten + Kobo. Je doute que Rakuten souhaite affronter Amazon sur le sol US, par contre, le géant japonais à de très grosses ambitions pour l’Europe et notamment pour la France où il ne possède pas moins que PriceMinister (oups !). La vision trop centrée sur les US d’Amazon risque donc de faire capoter sa stratégie de conquête de parts de marché en Europe.
Comme toujours, il est très délicat de faire une prévision fiable sur l’évolution du marché, toujours est-il que cette concurrence acharnée va mécaniquement profiter aux utilisateurs. Une très bonnes choses, car il reste encore tellement de places à prendre !