Croyez-le ou non, mais ça fait 10 ans que je me prête au jeu des prédictions (2006, 2007, 2008, 2009, 2010, 2011, 2012, 2013 et 2014). Il n’y aura pas de prédictions farfelues pour 2015 dans la mesure où j’anticipe une intensification / confirmation de ce que nous avons déjà observé cette année. Cet exercice de prédiction est néanmoins important, car il permet de récapituler les grandes tendances et mettre au point une feuille de route d’innovations pour l’année prochaine, du moins pour les plus motivés. Je vous propose donc une sélection des tendances fortes de l’année prochaine.
1/ Des Big Data aux Smart Data
Je pense ne rien vous apprendre en disant que les Data ont été LE gros sujet de cette année, de préférence “Big” pour faire plaisir aux éditeurs de solutions informatiques qui s’en sont donné à coeur joie pour nous prédire une révolution sans précédent. Nous sommes tous d’accord pour dire que les données sont une matière première très intéressante à travailler (cf. mon article publié en 2010 : Du contenu roi aux données reines). Ceci étant dit, les entreprises n’ont pas attendu les éditeurs de solutions Big Data pour exploiter les données. J’enrageais déjà l’année dernière face au discours très enthousiaste des éditeurs (Les big data sont le meilleur et le pire ennemi de votre marque), et force est de constater que les choses ne se sont pas calmées puisque les prises de parole sont toujours aussi confuses. Pour vous résumer une longue histoire : non, les big data ne remplacent en rien les outils de B.I. ou de data mining, ils sont simplement complémentaires.
Nous arrivons maintenant dans une phase de maturation du marché où les entreprises doivent avant tout chercher à rationaliser les données dont elles disposent plutôt que d’en amasser toujours plus (“Stop collecting data and start connecting data“). La généralisation des DMP (“Data Management Platform“) chez les annonceurs devrait permettre de réconcilier les données existantes et les sources externes pour pouvoir les exploiter de façon simple et efficace, ou du moins de fournir aux décideurs des outils d’analyse et de prise de décision plus simples (ex : L’indicateur “Store Visits” de Google). Il est donc réellement temps de se documenter sur le sujet et de bien comprendre les enjeux et usages de la donnée, qu’elle soit “big” ou non.
2/ Vers un programmatic buying raisonné
2014 a également été l’année du programmatic buying : l’arrivée à maturité des technologies publicitaires (“adtech” en anglais) bouleverse la façon dont les éditeurs valorisent leur inventaire, et dont les annonceurs achètent leurs espaces publicitaires. Grâce aux données, le marketing est redevenu une science exacte, grâce aux données les bannières publicitaires sont achetées, ciblées et personnalisées en temps réel… ou pas ! À une époque, on nous annonçait que les adtechs allaient entièrement révolutionner le secteur, mais nous constatons maintenant que la réalité est plus mesurée. En cause : l’opacité de ce mille-feuille technologique, le manque de compétences chez l’annonceur, l’arrivée de spéculateurs et l’attrait des inventaires premium (Évolution, tendances et enjeux de la publicité en ligne). J’anticipe une année 2015 en droite ligne de ce que nous avons connu : une lente montée en puissance avec des annonceurs encore perplexes face à une telle débauche d’acronymes et de technologies toutes plus sophistiquées les unes que les autres. Et les choses ne vont faire qu’empirer avec l’arrivée de l’achat programmatique à la TV (Programmatic ad-buying is finally coming to television). Là encore, je vous recommande fortement de vous familiariser avec le jargon et les différentes technologies pour les exploiter à leur plein potentiel.
3/ L’avènement des interactions sociales de surface
Il y a quelques mois, je me lamentais de la disparition progressive des conversations sur les médias sociaux. Non pas que les utilisateurs n’ont plus rien à se dire, mais qu’il y a tellement de choses à voir, que l’on se contente du strict minimum pour ne pas perdre son temps et rater quelque chose. Le FOMO (“Fear of missing out” en anglais) est un des facteurs participant à l’érosion des discussions au profit des interactions sociales de surface : on like, on RT, on publie une photo prise en vitesse avec son smartphone (les nombreux filtres disponibles compenseront la faible qualité), on se parle par émoticônes ou stickers interposés (comme le propose la toute dernière version de Facebook Messenger). Dans ce contexte, difficile de faire passer un message publicitaire, à moins de se plier à l’exercice et de réduire au strict minimum la taille des messages.
4/ Une portée naturelle proche du néant pour les médias sociaux
J’espère ne rien vous apprendre en vous disant que les grandes plateformes sociales comme Facebook ou Twitter sont officiellement saturées. Le nombre de publications étant toujours plus important sur ces plateformes, les annonceurs voient leurs chances de toucher leurs fans diminuer au fil du temps, jusqu’à s’approcher du seuil fatidique. Autant pour Facebook la situation commence à se clarifier (Facebook est un support publicitaire de précision, pas un média de masse), autant le marché reste dans l’illusion la plus totale pour les autres grandes plateformes sociales comme Twitter, Instagram, LinkedIn ou Pinterest. Pourtant personne n’est dupe quant à la saturation de ces plateformes et le recours obligatoire à des algorithmes de filtrage (Et si Twitter diminuait la portée naturelle de vos tweets ?). Je n’insiste pas sur ce sujet, car je me suis déjà exprimé (Privilégiez vos clients, pas vos fans), restez néanmoins attentif à votre score d’engagement et surtout à l’évolution de la portée naturelle de vos publications.
5/ De la vidéo partout et tout le temps
Encore une fois, j’espère ne rien vous apprendre en disant que les contenus visuels sont la matière première des médias sociaux. Si nous approchons du point de saturation des images (notamment avec des filtres comme sur Instagram, sous forme de cartes comme sur Pinterest, ou sous forme de diaporamas / listes comme sur BuzzFeed), il reste encore des places à prendre avec la vidéo. Je pense que tout le monde est d’accord pour reconnaitre la supériorité des vidéos en terme de captation de l’attention. Mais le problème est que les vidéos coûtent cher et requiert un certain savoir-faire. Pour sortir du lot, les annonceurs vont donc devoir apprendre à faire plus avec moins, c’est-à-dire à publier plus de vidéos avec des moyens limités. J’anticipe pour 2015 une forte augmentation du nombre de vidéos, menant à une probable saturation. Ma recommandation sur ce point est la suivante : produire des vidéos de bonne qualité est un chantier complexe et couteux, il ne doit en aucun cas se faire au détriment des contenus textuels.
6/ La montée en puissance du commerce total
Au fil des ans, nous avons assisté à la mode du commerce multi-canal, puis omni-canal. Le principe étant de pratiquer une activité de vente et de satisfaction des clients, quel que soit le canal. La 2ème édition du baromètre Mappy / BVA sur le Web-to-Store abonde en ce sens et nous montre que les consommateurs achètent maintenant indifféremment en magasin ou en ligne en fonction des opportunités, de leurs envies ou contraintes. 2015 sera l’année de la consécration pour une forme parfaitement décloisonnée de commerce. J’aime bien l’analogie avec le football total pratiqué par les clubs d’Amsterdam ou de Barcelone dans les années 70 : un jeu ultra-offensif reposant sur la permutation des postes en cours de match. C’est l’idée que je me fais du commerce total, et celle avec laquelle vous devez vous familiariser : oublier les notions de silos ou de cyber-acheteurs, et se concentrer sur la satisfaction.
7/ Du mobile first au mobile only
Nous vivons maintenant dans un monde mobile. Pour vous en convaincre, il vous suffit de constater le rôle prépondérant des smartphones dans votre quotidien, ou de vous pencher sur les dernières statistiques (État des lieux de la mobilité à fin 2014). Les plus grands noms de l’industrie, de Facebook à Yahoo, ont adopté une approche mobile first. Certains sont allés encore plus loin et concentrent tous leurs efforts sur les terminaux mobiles comme Hello Bank et Soon dans les services bancaires ou Egencia dans le tourisme d’affaires. Au vu des taux de croissance et de l’intensité concurrentielle sur les ordinateurs, vous êtes en droit de vous dire qu’un arbitrage en faveur des smartphones est une approche parfaitement viable.Attendez-vous à une forte augmentation de nombre de services uniquement accessibles sur les terminaux mobiles, et surtout agissez en conséquence pour vous préparer à cette nouvelle forme de concurrence (cf. le point suivant).
8/ Le renouveau des interfaces web mobiles
Ça fait des années que je vous bassine avec le débat applications natives vs. web mobile. Ceci étant dit, les basculements technologiques majeurs des deux écosystèmes mobiles de référence (Material design et web components pour Android 5, Swift pour iOS) abondent dans mon sens : Les applications mobiles coûtent trop cher, misez plutôt sur le web. Même si j’ai déjà fait cette prédiction à de nombreuses reprises, je persiste pour dire que les annonceurs ont une vision déformée de la réalité du marché et des usages mobiles. J’envisage plus les applications mobiles comme des outils de fidélisation que des outils de conquête. Pour cela, il existe des technologies standardisées pour proposer une expérience équivalente à celle des applications natives (Le web est mort, vive le web), le tout étant de passer un minimum de temps à les étudier, et ne pas se laisser berner par le discours des agences spécialisées (comme le dit le proverbe : “Quand on vend des marteaux, on s’arrange pour que tous les problèmes des autres ressemblent à de clous“).
9/ Le DRH est le nouveau DSI
Avec l’avènement des solutions hébergées et du cloud computing, certains disaient que le budget du directeur marketing devenait plus important que celui du DSI et que ces derniers devenaient plus ou moins obsolètes (“CMOs are the new CTOs“). Avec la mode de la transformation digitale, tout le monde y va de sa révolution interne pour mettre le client au coeur des préoccupations, à grand renfort de technologies web. Sur ce point-là, je ne peux que saluer les initiatives visant à dépoussiérer les mentalités et assouplir les processus. Mais si l’impact du numérique sur le parcours client n’est plus à prouver, qu’en est-il de l’impact sur le parcours employé ? La transition numérique ne doit pas se focaliser uniquement sur l’externe (les prospects / clients), mais également sur l’interne (les collaborateurs). Il est ainsi grand temps de se soucier de l’assouplissement des procédures internes et des conditions de travail des collaborateurs. De même, nous sommes à l’aube d’une grande réforme de la formation professionnelle, une occasion unique pour faire un bilan interne et fournir aux collaborateurs les outils dont ils vont avoir besoin pour assurer cette transition numérique. Tout ceci nécessite des moyens, d’où mon titre un peu racoleur (“faute avouée est à moitié pardonnée“). Personne n’échappera à la transformation digitale, autant l’aborder sereinement plutôt que la subir.
10/ De nouveaux rapports de force
Les grandes sociétés technologiques ont une telle capacité financière, et telle emprise sur notre quotidien qu’on les compare aux superpuissances du siècle dernier (cf. GAFAnomics, new economy, new rules). Le bras de fer récent entre Google et le gouvernement espagnol au sujet de la presse (Spanish newspapers beg for help as Google News closure looms) nous démontre la capacité des géants du web à négocier de façon quasi-paritaire avec les gouvernements. Plus inquiétant, le chantage opéré par un groupe de hackers auprès de Sony au sujet de The Interview (Sony cède aux hackers et annule la sortie du film) nous prouve à quel point une poignée d’individus peuvent faire pression sur de grandes multi-nationales. J’anticipe pour l’année prochaine une série d’actions crapuleuses de ce type (chantage, vol de N° de cartes bancaires en grand nombre, divulgation de documents confidentiels…). Il est plus que temps pour vous de mener un audit de sécurité de grande envergure et de préparer des scénarios de crise pour être prêt quand ça vous arrivera.
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Voilà, je vous donne rendez-vous en fin d’année prochaine pour faire le point sur ces prédictions.
merci. toujours aussi perspicace!
Salut Fred,
De très bons points. Il faut aussi ajouter la massification de la personnalisation avec l’impression 3D comme tendances lourdes! ;-)
Bonne année.
En ce qui me concerne, je pense que je ne vais pas changer de stratégie. Ma communauté m’a toujours suivi et je privilégie d’avantage à suivre ce qui me semble le mieux plutôt que le trending. Mon nouveau site sur le moba de Blizzard, Heroes of the Storm confirmera sans doute tout cela.
A noter sur Facebook, au détriment des pages, l’immense succès qui sévit dans les groupes.
une analyse à laquelle je souscris en grande partie. Effectivement le smart data et la prochaine étape à franchir pour des réseaux sociaux utiles
Vos prédictions sont toutes fondées et surtout bien expliquées. Le dernier point est particulièrement vrai. Vous l’illustrez avec le cas Sony qui a annulé la sortie d’un film sur Pyongyang mais les événements de janvier confirment aussi votre point de vue.
Le 4 avec le FOMO ne m’étonne guère et se retranscrit avec l’explosion des SNS tels que Instagram, Vine, Youtube, …