À la recherche de l’outil informatique du XXIe siècle

Saviez-vous que le Lisa d’Apple avait été lancé il y a plus de 32 ans ? Considéré comme le premier ordinateur grand public, le Lisa (du prénom de la fille de Steve Jobs) reste le modèle de référence de l’outil informatique : une unité centrale où sont stockés les programmes et fichiers, un clavier et une souris qui exploitent une interface graphique. Nous sommes en 2015, et la majorité d’entre vous utilise un ordinateur proposant grosso modo la même chose. La longévité de l’ordinateur individuel telle que définit par Apple (et Xeros avant eux) est un cas d’école. Ceci étant dit, les ordinateurs ne sont plus les outils de référence pour accéder à des contenus et services numériques, ils ont été remplacés par les smartphones. Est-ce à dire que nous arrivons en fin de cycle de vie ? Non pas tout à fait. Certes, la fin des ordinateurs individuels est programmée, mais ces machines vont encore faire partie de notre quotidien pendant de nombreuses années. La période qui est définitivement révolue est celle où chaque utilisateur était équipé d’un ordinateur. À une époque j’ai cru que les netbooks pourraient relancer l’intérêt, mais ils n’ont pas tout à fait tenu leurs promesses (euphémisme).

La grande désillusion des tablettes

Avec la sortie de l’iPad en 2010, et son incroyable succès, nous avons également cru que nous tenions le successeur de l’ordinateur individuel : L’avenir de l’informatique est-il au mobile ou au tactile ? Les deux (en partie). Dans cet article, rédigé il y a presque 5 ans, j’émettais des doutes quant à la capacité des tablettes à remplacer complètement les ordinateurs. Il semble que mes doutes étaient fondés, car nous constatons maintenant un très net ralentissement des ventes des tablettes (The tablet market is in serious trouble) qui illustre bien les limites de ces machines : Nobody Knows What an iPad Is Good for Anymore. La principale raison de ce retournement de marché est que les tablettes sont un excellent compromis entre la portabilité des smartphones et la versatilité des ordinateurs… mais reste tout de même un compromis.

Évolution des ventes de tablettes
Évolution des ventes de tablettes

Nous verrons bien si la rumeur persistante d’un iPad Pro avec un stylet se concrétise (Is the Stylus Making a Comeback at Apple?), mais l’accueil plutôt froid réservé à la Surface de Microsoft nous prouve que le marché n’est pas très réceptif aux compromis.

Les smartphones et applications mobiles en bout de course

Tout ceci nous laisse donc avec deux outils informatiques de référence : les smartphones pour un accès quotidien aux contenus et services en ligne, et les ordinateurs pour un usage plus intensif orienté sur la productivité. L’air de rien, vous noterez que Apple a été la première société à commercialiser à grande échelle ces deux formats. Tout ceci est très gratifiant pour la firme de Cupertino, mais cet état de grâce ne durera pas indéfiniment. Pas avec des fabricants chinois (Lenovo, Xaomi…) qui sont en capacité de produire des machines quasiment identiques à un prix ultra-compétitif. En résumé : les smartphones et ordinateurs tels que nous les connaissons sont victimes du phénomène de banalisation. Ce phénomène a d’ailleurs commencé il y a quelques années : Les smartphones sont-ils en fin de cycle d’évolution ?.

Pour pouvoir relancer l’intérêt, et les ventes, les concepteurs et fabricants ont besoin de définir un nouveau paradigme pour l’outil informatique. Certes, les smartphones ont révolutionné notre accès aux contenus et services en ligne, mais nous arrivons à la limite du concept d’applications mobiles. Ce n’est ainsi pas un hasard si les usages se concentrent sur une minorité d’applications (5 constats et 5 tendances pour l’Apps Marketing en 2015). Le seul acteur a vouloir bouleverser l’ordre établi par Apple et Google est Ubuntu avec son tout nouveau smartphone, l’Aquaris E4.5, qui propose une interface révolutionnaire reposant sur une contextualisation poussée à l’extrême avec les “scopes” : The first Ubuntu phone won’t rely on apps, here’s why that’s brilliant.

Ubuntu a-t-il les moyens de s’imposer face au duopole iPhone / Android ? Je ne sais pas, en tout cas je constate que tous les systèmes d’exploitation mobiles alternatifs s’éloignent du modèle d’applications natives.

La réalité augmentée de Microsoft plus pragmatique que la réalité virtuelle de Facebook

Mais revenons à nos moutons et à l’évolution de l’ordinateur individuel. HP a bien essayé de trouver un nouveau paradigme ave l’ordinateur tactile et 3D, mais il reste encore trop proche de ce que nous connaissons. Pour réellement provoquer une rupture par rapport à la combinaison écran + souris + clavier, il faut proposer quelque chose d’inédit. Les premiers tests de l’assistant personnel à commande vocale d’Amazon sont plutôt concluants (The Amazon Echo Is More Than a Bluetooth Speaker — It’s a Bedtime Buddy), mais je doute que ce type de produit parvienne à conquérir le grand public.

Pour pouvoir remplacer les ordinateurs traditionnels, il faut un produit qui révolutionne l’affichage et la saisie (La révolution des interfaces est en cours). C’est exactement à ça que pensait Mark Zuckerberg quand il a finalisé le rachat d’Oculus par Facebook : ils ont fait un énorme pari sur l’avenir (Facebook is betting big on virtual reality). Je pense ne pas me tromper en disant que le masque Oculus est en tout point révolutionnaire, mais qu’en l’état, il est très loin d’être un produit destiné au grand public. Certes, les joueurs s’affolent car l’Oculus permet de récréer des environnements incroyablement immersifs, mais tout le monde ne peut pas se payer un tapis Virtuix et une paire d’Hydra. Comprenez par là que si Oculus se positionne comme la Rolls de la réalité virtuelle, ils ne parviendront pas à conquérir le grand public. Cet excès d’ambition laisse donc potentiellement la place à un autre produit annoncé comme révolutionnaire : les Google Glass, mais le programme vient juste de capoter : Why Google Glass Broke.

Google, Apple, Facebook et Amazon n’étant clairement pas prêts, il ne reste plus qu’un prétendant en course : Microsoft. Après plus de 10 ans de traversée du désert, la firme de Redmond a fait sensation en dévoilant son Hololens le mois dernier : Microsoft Is Building Software For The Future Where Interfaces Fade Away. Présentées comme l’avènement de l’informatique holographique, ces lunettes de réalité augmentée (et virtuelle) ont visiblement grandement impressionné les observateurs avertis (I Just Tried Microsoft’s Remarkable Holographic Headset) qui les présentent même comme un tournant dans l’histoire de l’informatique (Could the HoloLens be Microsoft’s iMoment?).

Les Hololens de Microsoft ont-elles réellement la capacité à remplacer les ordinateurs ? Pas les ordinateurs, mais les claviers et souris, oui ! Les quelques cas d’usages présentés sont ainsi parfaitement crédibles et surtout en phase avec des besoins du quotidien.

Exemple d'utilisation des Hololens
Exemple d’utilisation des Hololens

En combinant ces lunettes avec des licences à succès comme Minecraft ou Halo, Microsoft a toutes les cartes en main pour coiffer au poteau les autres acteurs et introduire auprès du grand public un outil informatique révolutionnaire : Minecraft, more than anything else, could make HoloLens a hit.

Démonstration des Hololens associée à un jeu équivalent à Minecraft
Démonstration des Hololens associée à un jeu équivalent à Minecraft

Il y a encore un mois, jamais je n’aurais pensé écrire une chose pareille à propos de Microsoft, mais les Hololens sont ce qui se rapproche le plus d’un paradigme réaliste et viable de l’outil informatique. Si Microsoft parvient à finaliser et commercialiser ce produit d’ici à la fin de l’année, ils réussiront un authentique coup de maitre, et reprendront la place qu’ils ont progressivement perdue.

Je ne sais pas pour vous, mais j’attends la suite avec la plus grande impatiente…

12 commentaires sur “À la recherche de l’outil informatique du XXIe siècle

  1. Dans la recherche de ce que sera demain je décèle un grand nombre d’informations fausses ou tout du moins opposables sur l’existant du marché.

    – Le déclin des tablettes est un déclin en ventes et pas en usage et auquel on peut opposer que l’on a peut-être atteint le taux d’équipement maximum et que le cycle d’obsolescence est plus long que celui des smartphones. Il suffit de voir le nombre de personnes ayant encore un iPad 2 sorti il y a 4 ans déjà.

    – Le déclin des apps ?
    37% d’apps soumises en plus en Janvier 2015 par rapport à 2014 (https://twitter.com/ppstories/status/563296963534540800)
    50% de CA en plus sur les ventes d’apps en 2014 (http://appleinsider.com/articles/15/01/08/apples-app-store-generated-over-10-billion-in-revenue-for-developers-in-record-2014)
    J’aimerais bien être en déclin comme ceci.

    Je ne vais pas rentrer dans le discours d’opinions mais simplement sensibiliser au fait de croiser les sources d’informations et ne pas uniquement chercher des chiffres qui corroborent ses propres opinions. C’est dommage car le reste de l’article est très intéressant mais la première partie m’a presque fait quitter.

  2. @ Jean-François > Il ne me semble pas avoir annoncé la mort des tablettes ou des applications mobiles, j’ai bien précisé dans l’article “des doutes quant à la capacité des tablettes à remplacer complètement les ordinateurs” ainsi que “nous arrivons à la limite du concept d’applications mobiles”. Le but de cet article n’est pas de dénoncer, mais de faire des recoupements entre différents signaux et d’essayer d’en déduire un enseignements ou une prévision. En l’occurence, ce que je dis dans cet article est que les planètes sont alignées pour que Microsoft réussisse son pari avec Hololens.

  3. Je vais faire mon défenseur Apple de base mais pourquoi dire “Les smartphones et applications mobiles en bout de course” ?
    Il n’y a aucun fait pour étayer cette affirmation : au contraire Apple a vendu encore plus d’iPhone avec un prix moyen en hausse et le marché Chinois est maintenant devant les USA, et les applications sont de plus en plus téléchargées.

    Avec 64 millions d’iPads vendus en 2014 je pense que toutes les entreprises du monde voudrait bien être à la place d’Apple sur un marché déclinant.

    Pour Microsoft, j’imagine plein d’utilisations productives mais est-ce que la société civile est prête à accepter ces lunettes qui enregistrent tout et tout le temps ? L’expérience des google glasses a montré que non.

  4. @ Laurent G > Il n’y a jamais eu autant d’applications mobiles disponibles (près d’1,5 M) et pourtant les usages se concentrent sur 4 à 5 applis. N’est-ce pas là le signe que les mobinautes se lassent de cette profusion d’applications natives ? Encore une fois, je ne suis pas en train de dire que l’iPhone est condamné, j’essaye de relier des signaux faibles entre-eux et d’élaborer et début de piste de réflexion (la recherche d’un nouveau paradigme pour l’outil informatique).

  5. Bonjour,
    Merci pour cet article qui nous projette dans un futur proche. L’inconvénient principal des pronostics c’est qu’ils sont comme la météo. On ne sait s’ils sont justes que lorsqu’on a atteint la date fatidique.
    Combien d’inventions intelligentes n’ont pas séduit leur public ?
    En tout cas ce qui m’étonnera toujours c’est la résistance au changement de ceux qui pourtant devraient être ouverts à la réflexion autour de l’innovation. Faire un article pour mettre en cause Google + et on aura tous les afficionados qui se révolteront. Les tablettes, Apple idem.
    En fait, nous sommes d’affreux conservateurs.
    Bonne journée. :)

  6. @Frédéric les usages ne se concentrent sur 4 ou 5 applis pas seulement sur le mobile, sur le web également., l’attention du grand public est forcément limitée à quelques sujets. Le mobile n’est qu’un moyen supplémentaire, pas un but en soit sauf peut être dans les pays émergeants où l’accès mobile est le seul.
    Tirer des conclusions sur un outil qui existe depuis 5 ou 6 ans et dont l’usage peut changer en 6 mois me parait au mieux précipité.
    Je comprends que ce soit ton métier d’interpréter les tendances mais l’exemple de l’ipad est flagrant.
    Les titres des sites web ne parlent que de décroissance alors que c’est un marché de 60 millions d’unités d’un produit qui n’existait pas il y a 4 ans et qui génère un chiffre d’affaire de 20 Md$. La courbe d’évolution présentée au début de l’article est dramatique, les titres des articles sont alarmants mais c’est juste une courbe de croissance, ce n’est pas le nombre des ventes qui reste très correct sur un outil qui se cherche encore.

  7. Bonjour Frédéric,

    Merci pour cette réflexion prospective, aussi intéressante que d’habitude.

    Restent quelques questions :

    – vous ne parlez presque jamais de sécurité/confidentialité/vie privée/anonymat. Or ces problématiques interdépendantes n’ont rien de désuet et n’ont jamais été aussi importantes. Les états nous espionnent en permanence avec la complicité/docillité des MSFT, GOOG, APPL et autres.
    Des alternatives existent ; comme le Blackphone, entre autres, qui me semble être plus qu’un succès d’estime (ruptures de stock, commentaires élogieux, etc.).
    Microsoft n’est absolument pas réputé pour la sécurité de ses produits. Windows est un puits sans fond est le désamour vis-à-vis de ce produit y est pour beaucoup dans la traversée du désert de MSFT.

    – esthétiquement parlant, vous trouvez ces appareils élégants ? Il faudra beaucoup de design touch avant que le grand public ne daigne s’en emparer. Marcher dans la rue avec un HoloLens sur la tête est surtout un bon moyen de se faire remarquer… (Cf. le phénomène des “google glassholes” aux USA). La miniaturisation à la rescousse, comme d’habitude ?

    – quelles fonctionnalités de communication envisagez-vous sur ce type d’appareil ? La commande vocale ? La télépathie ?

    – question-piège : quid de l’intelligence artificielle ?

    Merci d’avance,
    Ludovic

  8. @Ludovic : pour info, le blackphone censé être “le” téléphone hautement sécurisé”, a été hacké en quelques minutes au dernier Defcon… succès d’estime ?

  9. Chez Microsoft, tout est toujours extraordinaire en vidéo-concept. Il n’y a à qu’a repenser au projet « Natal » quand il s’appelait encore comme ça et qui s’est finalement transformé qu’en Kinect.

    Personne ne se demande comment une simple lunette peut embarquer un GPU et un CPU digne d’un XEON couplé à une GTX titan en fonctionnant sur une minuscule batterie ?

    Enfin bon, on est pas à l’abri d’une bonne surprise !

  10. On néglige (à tort) et encore une fois, l’impact des radio fréquences sur les organismes vivants. Ces avancées technologiques, sont certes très fascinantes et vont ouvrir les portes à une fusion toujours plus poussée de l’outil informatique avec nos systèmes biologiques mais, en même temps, elles vont aussi permettre la multiplication des sources de radiation autours de nous, avec des équipements à contact direct avec le corps. Aujourd’hui, nous avons déjà rejoins des niveaux d’exposition 24/24 très élevés que ce soit au travail, à la maison, ou dans les espaces publics. Vraiment difficile d’y échapper. Un autre aspect non négligeable, va être l’impact social que tout cela va engendrer auprès du grand public. Là aussi, nous pouvons déjà constater ces effets autour de nous au quotidien. Technologie oui donc, mais avec responsabilité. Responsabilité qui ne peut exister qu’à partir d’une réelle information sur le sujet accompagnée d’un vrai débat public sur les risques associés aux champs électromagnétiques qui, je rappelle, ont été classifiés par l’OMS comme “possible cancérogènes” en 2011. Et tout le monde est supposé savoir de quel coté penche l’OMS… Mais là, on devrai ouvrir un autre chapitre.

  11. Le point commun que je distingue entre toutes ces tentatives, réussies ou non, est la cohésion. Où que l’on soit l’ordinateur et son interface s’effacent au profit d’une interaction toujours plus fluide avec la machine.

    Rappelons qu’il y a 32 ans, l’arrivée de l’ordinateur personnel (du Lisa en tout cas) signait l’arrivée d’une interface transparente entre l’homme et la machine. L’objectif est aujourd’hui le même : comment rendre cette communication plus fluide et plus transparente.

    Les succès et échecs des technologies qui fluidifient les interactions sont peut-être le fruit d’une autre composante importante de l’univers technologique : les contenus.

    Comme lu dans plusieurs commentaires plus haut, les usages sont peu fragmentés (peu de sites trustent le temps de surf mondial, peu d’app trustent les faveurs du publics) et ce malgré la diversité et le choix. Cela est peut être du à la pauvreté des contenus proposés par la plus grande majorité des sites et app. N’oublions pas que la valorisation de l’analyse, du savoir ou de l’expérience est toujours quelque chose qui n’est pas résolu (pour les journaux en ligne par exemple).

    Bonne soirée à tous,

Les commentaires sont fermés.