Cette semaine, je suis à Cologne dans le cadre du salon dmexco, l’un des plus gros évènements de l’année pour tout ce qui touche au marketing digital. Le thème de cette année est “Bridging World” : faire converger les pratiques traditionnelles (sur les médias historiques) avec les nouvelles pratiques induites par le numérique (programmatic buying, native advertising…).
Avant tout chose, je tiens à préciser qu’au vu de l’affluence sur ce salon (ils prévoient 32.000 visiteurs) et la taille des stands (réparties dans 3 halls), on peut largement dire que le secteur des médias et de la publicité numérique est très prospère.
Ceci étant dit, il y a un sujet qui revient systématiquement dans toutes les conférences auxquelles j’ai pu assister : les bloqueurs de publicité. Certes, le sujet n’est pas neuf (ils existent depuis plus de 10 ans), mais le phénomène commence à prendre une ampleur inquiétante : Menace ou opportunité ? Ad blocking et anti-adblocking, 20 chiffres à connaitre. Il y aurait entre 200 et 300 M d’utilisateurs de bloqueurs de bannières (41% des internautes entre 16 et 29 ans), avec un manque à gagner de près de 22MM$. Le taux d’adoption pourrait varier de 1/3 à 2/3 des internautes entre les différents pays européens.
Et comme si ça ne suffisait pas, ce phénomène va s’étendre aux smartphones avec le portage des fameux plugins (Adblock Plus officially lands on Android and iOS today) et la mise à disposition d’applis dédiées aux iPhones (Hands On With Three iOS 9 Content Blockers: 1Blocker, Blockr And Crystal).
En un mot comme en cent : la situation est grave. D’autant plus grave que ces fameux plugins ne bloquent pas que les bannières, ils empêchent également la diffusion des publicités vidéos, des publicités natives et perturbent le tracking des internautes (Adblockers Hit Another Market: Video). La situation est devenue tellement tendue que certains portails n’hésitent pas à bloquer l’accès aux contenus pour les utilisateurs de bloqueurs : Washington Post Declares War On Ad Blockers et Hey news sites, Blocking adblockers is dumb.
Très clairement cette décision du Washington Post démontre à quel point l’industrie est dépassée par le phénomène et surtout ne comprend pas bien ce qui est en train de se passer (Blocage des publicités : Et si les éditeurs de contenus se posaient les bonnes questions ?). Loin de moi l’idée de jouer les donneurs de leçons, mais depuis le temps que les éditeurs pratiquent la surenchère publicitaire, il ne faut pas s’étonner que les internautes cherchent à se protéger des agressions perpétuelles qu’ils subissent.
Du coup, le marché s’organise pour trouver une riposte intelligente sous la forme de solutions anti bloqueurs de publicités comme SecretMedia, SourcePoint, PageFair ou ClarityRay (racheté par Yahoo! l’année dernière). Le principe de fonctionnement des bloqueurs de publicités est d’empêcher les requêtes aux serveurs publicitaires, c’est bourrin, mais ça fonctionne très bien. Les solutions citées plus haut proposent une solution de contournement reposant sur le cryptage de ces requêtes pour qu’elles ne soient pas détectées et que les bloqueurs les laissent passer. L’avenir de la publicité en ligne reside-t-il dans ce jeu du chat et de la souris ? Non je ne pense pas : les internautes n’aiment pas les bannières, ils ne les ont jamais aimés, et ils apprennent maintenant à s’en débarrasser dé-fi-ni-ti-ve-ment. Que cela plaise ou non aux éditeurs / régies / annonceurs, il va falloir faire avec.
Signalons au passage qu’il existe des solutions de contournement nettement plus élégantes comme le programme Contribtor de Google qui permet de compenser la perte de revenues publicitaires pour les éditeurs. Une solution particulièrement transparente, un faire trade comme disent les Américains, mais qui n’est pas viable à grande échelle (il faudrait s’abonner à toutes les grandes régies publicitaires pour pouvoir surfer dans de bonnes conditions).
Les bannières sont donc condamnées parce que les internautes ont atteint leur seuil de saturation. Rien de très neuf, nous nous doutions tous que ce moment arriverait. Les publicités vidéo sont également condamnées. Là c’est un peu plus embêtant, même s’il faut reconnaitre que 35 secondes de publicité pour voir une séquence vidéo de 20 secondes, c’est carrément abusé ! Reste la question délicate des publicités natives. Si tout le monde s’accorde à dire que c’est aujourd’hui le produit publicitaire le moins intrusif et le plus élégant, la frontière entre contenu “légitime” et sponsorisé est très fine : Article or Ad? When It Comes to Native, No One Knows.
Au final, la publicité native est-elle la solution ultime ? Oui et non. Oui, car si elle est correctement employée, comme sur Forbes avec leur BrandVoice, elle n’altère pas l’image de l’éditeur et ne trompe pas les lecteurs (ex : Four Reasons Why Companies Should Embrace An IoT Strategy). Oui, si elle est exploitée avec légèreté comme sur BuzzFeed (ex : 14 Times Fat Amy Had All The Answers). Non si elle est utilisée de façon insidieuse (masquée) et cherche à tromper les lecteurs. Dans ces conditions, effectivement, les résultats sont très décevants et les lecteurs peuvent (légitimement) se sentir trahis.
Je suis persuadé que la clé pour bien appréhender le débat autour de la publicité native est de s’adapter à la ligne éditoriale :
- pour les publications sérieuses, celles qui font du journalisme d’investigation et de l’analyse, les articles sponsorisés sont tout à fait tolérables du moment qu’ils sont identifiés en tant que tels, et qu’ils correspondent au niveau d’exigence de la rédaction (nous nous rapprochons plus ici des pratiques de lobbying) ;
- pour les publications orientées “lifestyle”, le publi-rédactionel n’est pas non plus un tabou puisqu’il est pratiqué depuis des décennies dans la presse papier, et que les marques sont les mieux placées pour argumenter sur les bénéfices de leurs produits (à condition de bien le préciser) ;
- pour les publications très divertissantes (LOLcats, listicles…), il n’y a aucune raison pour que les marques qui acceptent de s’aligner sur la tonalité des supports (humour, détente, dérision…) se fassent rejeter, car c’est d’autant plus drôle quand ce sont elles qui s’y collent (ex : “Les 10 perles des courriers aux assurances” ou “les 5 meilleures photos de chats qui ont apprécié leur Sheba”…) (je vous recommande à ce sujet l’interview du patron de TrufflePig : We found out what’s going on with Truffle Pig, the ad agency Snapchat, WPP, and The Daily Mail launched at Cannes) ;
- pour les médias sociaux, les semi-pros qui publient leurs séquences vidéo peuvent tout à fait avoir recours au placement produit (Snapchat superstars are inking deals directly with advertisers and making 6-figure salaries), car après tout, les films en abusent alors que vous payez votre place de cinéma.
Du point de vue de l’éditeur : soit vous visez une audience de niche sur un thème bien précis, auquel cas vous devez diffuser moins de publicité, mais les facturer à un tarif beaucoup plus élevé (ceci se justifie par la confiance que les lecteurs vous accordent, de même que la connaissance que vous avez de ces derniers) ; soit vous visez la plus large audience possible, auquel cas vous pouvez vous permettre d’augmenter le nombre d’articles sponsorisés, ils seront noyés dans la masse, et offrir une plus large liberté aux annonceurs (du moment qu’ils restent dans un ton léger). Pour ceux qui ne parviennent pas à résoudre cette équation, il y a toujours la solution des articles natifs qui sont monétisés par d’autres (ex : Discover dans Snapchat ou les Instant Articles de Facebook).
N’oublions pas également qu’il y a d’autres formes de publicités natives, comme l’habillage de sites ou d’applis, ou les blocs de recommandations (ex : “You might also like” ou “Elsewhere from around the web“) qui sont des sources de revenus alternatives.
Donc, si l’on récapitule, les bloqueurs de publicités sont :
- une menace pour les bannières (un produit publicitaire qui n’a pas évolué depuis 15 ans) ;
- une opportunité pour les annonceurs souhaitant expérimenter de nouvelles pratiques plus respectueuses et plus sophistiquées d’un point de vue éditorial ;
- un salut pour les internautes qui ont largement atteint leur seuil de tolérance, mais qui ne sont toujours pas prêts à payer pour du contenu.
Le mot de la fin pour les éditeurs, agences et annonceurs : ne sciez pas la branche sur laquelle vous êtes assis et adoptez des pratiques publicitaires qui tirent le marché vers le haut et rendent votre travail nettement plus intéressant au quotidien.
Avec Privoxy—en utilisant sa configuration en mode avancé—plus l’utilisation de mes propres filtres (modification des pages web, blocage de noms de domaine indésirables (près de 400,000 bloqués), blocage des « paths » URL contenant des mot-clés types de marketing), j’arrive à les embêter un petit peu sur le Washington Post. Je navigue sans problème et je vois pas de pub. Désolé pour mon intervention arrogante. À cause de l’excès de pistage des utilisateurs, je suis devenu un obsédé de l’anti-pistage. Chaque soir, je jette un œil à mon log de connexion—j’ai créé des « scripts » pour m’aider à débusquer ces destructeurs de vie privée. Je suis devenu un spécialiste de l’anti-pub. Au lieu d’utiliser la passoire AdBlock Plus, j’utilise Privoxy. Hélas, pour le configurer au maximum de ses possibilités et créer ses propres filtres, il faut apprendre… Aller voir le forum prxbx, rubrique Privoxy. Si tout le monde utilisait Privoxy au maximum de sa force, le monde de la pub serait par terre et l’on comprendrai enfin qu’il existe autre chose que cette vérité universelle caduque “il faut de la pub pour faire vivre un site” ; il existe d’autres façons de financer des sites (notamment via le protocole Bitcoin, mais tué dans l’œuf par un certain lobby). Hélas, le monde actuel est rempli d’intermédiaires qui se sucrent sur les utilisateurs : banques (heureusement, il y a la monnaie virtuelle), pub, ad tech, agents immobiliers, etc. Le nombre de raisons pour lutter contre la pub est sans fin.
Merci Faxopita pour l’astuce.
Je plussoie Faxopita concernant le protocole Bitcoin qui ouvre la porte à un web distribué de façon autonome. Bitcoin à ouvert la voie à de nouveau protocole comme ZeroNet ou IPFS avec FileCoin. Le mouvement du P2P n’en n’est qu’au début. L’argument du, il faut bien de la publicité pour payer l’hébergement est déjà obsolète.