En ce moment, Facebook est dans la tourmente, car on l’accuse d’avoir influencé les élections américaines avec de faux articles (Fake stories outperformed real political news over the election’s final months). Si l’accusation a dans un premier temps amusé le fondateur, Mark Zuckerberg prend maintenant la chose beaucoup plus au sérieux et a annoncé une série de mesures pour lutter contre ce phénomène (Here’s how Facebook plans to fix its fake-news problem). Malgré ces annonces, le débat persiste, car le génie est sorti de sa boite et nous aurons beaucoup de mal à l’y faire rentrer (Fake news is just the beginning, there is much more ahead).
Avant toute chose, ne pensez pas que les électeurs Américains sont plus bêtes que les Français, car ces pratiques existent aussi chez nous (Nordactu, Breizh Info, Info-Bordeaux… Les vrais faux sites d’infos locales des militants identitaires). Ces pratiques de publication de faux articles sont donc plus répandues que nous ne le pensons. Le problème n’est pas l’existence de faux sites d’information, mais le relais de leurs articles à grande échelle. Le coeur du problème est donc de savoir si Facebook doit ou non endosser la responsabilité de la propagation de ces faux articles. En clair : Facebook est-il un média (qui diffuse de l’information) ou une plateforme sociale (qui héberge des contenus) ? Si on écoute son fondateur, Facebook n’est officiellement pas un média (Facebook won’t call itself a media company. Is it time to reimagine journalism for the digital age?). Cette posture les arrange, car comme ça ils n’ont pas à subir les contraintes des médias (responsabilité du directeur de la publication en cas de diffamation…), mais bénéficient quand même d’une très large audience qu’ils peuvent monétiser auprès des annonceurs. Donc en gros : le beurre et l’argent du beurre. Mais ça serait oublier que depuis 2 ans ils travaillent très dur pour faire de Facebook la première source d’information, notamment en draguant les éditeurs de sites d’informations pour héberger leurs articles grâce à la fonction Instant Articles. En témoignent ces deux articles publiés l’année dernière par le Guardian et Fortune : Facebook Top Source for Political News Among Millennials et Facebook has taken over from Google as a traffic source for news.
Les choses se sont accélérées cet été avec le scandale du bloc “Trending News” : une petite équipe de modérateurs humains étaient en charge de la modération des actualités (‘A petri dish of bullshit’: Confessions of ex-Facebook news curators). Certains observateurs se sont rendu compte que cette équipe ne relayait que très peu d’articles sur les candidats républicains (et Trump en particulier), ils s’en sont plaint et l’équipe a été remplacée par un algorithme (Facebook is trying to get rid of bias in Trending news by getting rid of humans). Vous noterez que cela s’applique également à Twitter où le bloc “Trending topics” peut être facilement détourné en mettant à contribution un certain nombre de personnes pendant un court laps de temps, mais il se trouve que c’est à Facebook qu’on le reproche, car la portée est plus grande.
La solution serait de réglementer les publications sur Facebook en supprimant celles qui sont jugées fausses. Le problème est que c’est un jeu dangereux, car la frontière avec une forme de censure est très fine. Quoique ça ne les dérange pas réellement, car ils sont prêts à le faire en Chine (Facebook Said to Create Censorship Tool to Get Back Into China).
Idéalement, il serait plus simple de scinder en deux le news feed avec d’un côté ce qui relève du divertissement, et de l’autre les actualités plus sérieuses, mais ça voudrait dire diminuer la puissance de Facebook, donc ses revenus. Inutile de dire que ce n’est pas envisageable pour eux. Il y a bien des solutions algorithmiques qui sont proposées, mais ce n’est qu’un pansement sur une jambe de bois (Facebook chose to fight fake news with AI, not just user reports), car une équipe d’activistes malveillants parviendra toujours à tromper le système.
En fait, quand on y réfléchit bien, on se dit qu’au départ, l’idée de mélanger actualités sérieuses, contenus divertissants et partages de vos proches, le tout en respectant l’étique et la rigueur journalistique est une promesse impossible à tenir. Nous en avons maintenant la preuve. Pour remédier à cette situation, il faudrait que tous les utilisateurs de Facebook réinitialisent leur profil, voir en créé un deuxième dont ils se serviraient uniquement pour s’informer. Autan dire que c’est impossible. Mais est-ce pour autant la faute de Facebook ? Non je doute, car les équipes de Facebook ne décident pas de ce qui va être publié sur votre fil d’actus, ils ne l’ont jamais fait. Le filtrage des publications sur le news feed est régit par un ensemble de règles qui reposent sur les choix des utilisateurs eux-mêmes (les articles qu’ils ont aimés ou relayés précédemment). Donc non, Facebook ne peut pas être tenu comme directement responsable des informations affichées au sein des fils d’actus de ses membres. Si cela devait être le cas, nous assisterions à la fin des médias sociaux.
Et si le vrai coupable dans cette histoire était tout simplement l’infobésité ? (It’s time to get rid of the Facebook “news feed,” because it’s not news) Il faut dire que les internautes sont maintenant exposés à un nombre ahurissant de sources et à une somme toujours plus importante d’unités d’information (des articles jusqu’aux tweets en passant par les photos et vidéos, sans oublier les infographies, les diaporamas…). Le vrai problème est que les internautes ont une attention limitée, ils privilégient donc les sources d’informations qui leur apportent le plus de satisfaction avec un minimum d’effort : Facebook avec son flot ininterrompu de listicles, de photos rigolotes, de frasques de stars, de vidéos piquées sur YouTube et de temps en temps, d’articles (à priori) un peu plus sérieux. Puisque les utilisateurs peuvent avoir tout ça auprès d’une source unique, gratuite, qui tient dans la poche (leur smartphone) et qu’en plus ils peuvent retrouver dessus leurs amis d’enfance et avoir des nouvelles du petit cousin, alors pourquoi continuer à payer un abonnement pour un journal papier qui déblatère toujours les mêmes histoires (les réactions aux réactions des politiques) et des journalistes qui ne savent même plus anticiper les résultats des élections ?
Avec ce raisonnement, on se retrouve avec l’outil de communication le plus puissant de l’histoire de l’humanité, mais sans aucun mode d’emploi ou précaution d’utilisation. Entendons-nous bien : je ne suis pas en train de faire le procès de Facebook. Ce qui est décrit ici n’est ni plus ni moins que les conséquences d’une uberisation des médias : un outil numérique (Facebook) qui remplace un support analogique (les journaux papier) avec des utilisateurs qui ne changent pas leurs habitudes (“je me nourris tous les jours avec de l’info“) et ne savent pas prendre un minimum de recul (“si c’est écrit, c’est que c’est vrai“).
Au final, la seule véritable solution durable à ce problème de faux articles serait d’éduquer les utilisateurs : vérifier la source (l’origine de la publication), ne pas se laisser influencer (vérifier celui ou celle qui relaie), ne pas relayer sans avoir lu ou vérifié… (How to avoid getting fooled by fake news on Facebook). Voilà la solution : il faut éduquer, les jeunes comme les vieux, surtout les jeunes en fait (Most students can’t tell the difference between sponsored content and real news). Et n’oubliez pas que le premier filtre, c’est vous, pas un algorithme auto-apprenant conçu à l’autre bout du monde.
Conclusion : le média idéal n’existe pas. Vous pouvez faire confiance à Facebook pour vous divertir (de même qu’à Instagram ou Youtube), mais vous ne pouvez pas leur faire confiance pour vous informer ou vous instruire (c’est le pré carré des professionnels de l’information). Feriez-vous confiance à LinkedIn pour gérer votre carrière professionnelle ? Et bien c’est la même chose pour Facebook ou Twitter : ce sont des outils extrêmement puissants dont il faut apprendre à se servir, et surtout dont il faut bien appréhender les limites.
PS : Ce discours s’applique également à ce blog. Certains de vous me font confiance, car ils me lisent depuis fort longtemps (plus de 10 ans), mais je ne suis pas pour autant une source parfaitement fiable (j’ai déjà prédit à plusieurs reprises le déclin de Facebook, quelle ironie !). Ce blog est un support dont je me sers pour partager mes idées et mes convictions, mais je vous encourage à lire d’autres sources pour vous forger votre propre opinion.
Je suis tombé récemment sur cette étude, qui, résumée, statue que les Digital Natives sont surtout très naïfs quand il s’agit d’information en ligne https://sheg.stanford.edu/upload/V3LessonPlans/Executive%20Summary%2011.21.16.pdf
Malheureusement, j’ai du mal à évaluer si la tendance est nouvelle ou si c’est un constat qui aurait pu être fait sur les générations précédentes. Peut-être que lorsque l’information était plus rare, nous avions davantage le temps d’en douter et que désormais, arrosés d’informations toute la journée, nous perdons tout esprit critique… ça serait intéressant à creuser.
Effectivement, la question est : “la naïveté des Digital Natives est-elle due à un manque d’esprit critique (tout court) ou à l’infobésité (qui étouffe toute tentative de discernement) ?”
Depuis près de 10 ans, de nombreux enseignants poussent en faveur d’une “éducation aux médias” pour les enfants et adolescents.
Quant au problème de l’infobésité, une solution pourrait être d’inverser la situation : c’est au lecteur de vendre son temps d’attention à l’annonceur / publicitaire. Puisque l’annonceur “cherche” toujours à “capter” notre attention, notre temps de cerveau disponible : pourquoi ne pas le monnayer ?
Être payé pour être gavé ?
Oui, comme à l’époque des cash bar