Compte-rendu Chine #1 : usages mobiles

J’entame une série de comptes-rendus sur mon voyage en Chine. Un voyage fabuleux, qui m’a donné l’occasion d’avoir un aperçu sur le futur, notamment en matière d’usages mobiles, de distribution et d’intelligence artificielle. Je vous livre dans cet article mes observations de la façon dont le smartphone a révolutionné la vie quotidienne de centaines de millions de Chinois.

850 millions d’utilisateurs mobiles

Comme vous le savez, la Chine est le pays le plus peuplé au monde (1,42 MM de personnes), c’est donc logiquement le plus gros marché pour les utilisateurs de smartphones : on estime entre 800 et 850 millions le nombre d’utilisateurs actifs de smartphones, plus que la totalité de la population en Europe. C’est un marché colossal, aussi bien pour la vente d’unités que pour les applications mobiles (China accounted for nearly half of app downloads in 2018, 40% of consumer spend). Colossal, mais distinct, puisque je vous rappelle que de nombreux sites et services en ligne occidentaux ne passent pas là-bas : Google, Facebook, Twitter… Du coup, il n’y a ni Gmail, ni Google Maps, ni Google Play (c’est très frustrant, d’autant plus que même avec un VPN, la connexion est très aléatoire).

Qu’à cela ne tienne, pour eux ce n’est qu’un détail, car les Chinois sont très fiers de leur suprématie mondiale sur le marché des smartphones. C’est pour le pays un très gros enjeu économique et industriel : dépasser Apple et rattraper Samsung (Global Smartphone Production Volume May Decline by Up to 5% in 2019, Huawei Would Overtake Apple to Become World’s Second Largest Smartphone Maker).

Au quotidien, il suffit de quelques jours passés sur place pour se rendre compte que les Chinois sont complètement accrocs à leur smartphone : ils ne le quittent jamais, sont tout le temps scotchés sur leur écran et délaissent même leur TV (In China, Mobile Usage Will Overtake TV This Year). Vous pourriez me dire que c’est la même chose partout dans le monde, mais je peux vous garantir que l’addiction est bien plus palpable en Chine, notamment pour trois raisons : le taux d’équipement en ordinateurs est assez faible (la plupart n’ont connu que le smartphone pour se connecter à l’internet), la pratique des jeux est bien plus développée (quel que soit l’âge du joueur), et surtout, ils peuvent faire beaucoup plus de choses avec leur smartphone. Du coup, ils commencent à réaménager l’espace urbain pour s’adapter à l’omniprésence des smartphones : For Chinese Pedestrians Glued to Their Phones, a Middle Path Emerges.

Une remontada spectaculaire des constructeurs chinois

Hier “simples” sous-traitants, les constructeurs chinois ont mis 10 ans pour rattraper leur retard, mais ils y sont parvenus. Personne ne peut retirer à Apple la paternité des smartphones, mais la société de Cupertino semble clairement à bout de souffle face aux moyens colossaux engagés par les industriels chinois ainsi que leur capacité d’innovation. Chose notable, les fabricants chinois de smartphones ont tous fait le choix d’Android, mais ils se sont petit à petit démarqués du système d’exploitation mobile de Google et proposent maintenant chacun un OS qui leur est quasiment propre : How China rips off the iPhone and reinvents Android. Pour simplifier les explications de l’article : ils n’utilisent que le noyau Android et proposent deux versions “repackagées” pour les utilisateurs chinois et étrangers (ex : chez OnePlus il y a OxygenOS pour les marchés occidentaux et HydrogenOS pour le marché chinois).

De nombreux fabricants comptent d’ailleurs sur les exportations pour se développer, à commencer par le reste de l’Asie. Également en Inde, mais c’est visiblement un marché difficile : Why India’s Smartphone Revolution Is a Double-edged Sword.

Il existe une dizaine de fabricants chinois, plus ou moins connus en France (The Chinese Smartphone Manufacturers That Will Make Your Next Next Phone) :

La particularité de ces constructeurs est qu’ils sont quasiment tous originaires de Shenzhen, une ville nouvelle qui n’existait pas il y a 30 ans, coincée entre Canton et Hong-kong. Pour bien se rendre compte de l’apport de l’industrie du smartphone dans l’économie chinoise, il faut survoler la ville et ses innombrables tours d’habitations (il y a aujourd’hui 12 M d’habitants et ils comptent passer à 20 M d’ici 2025). Le centre-ville est à l’image de succès de ces industriels avec une immense avenue piétonne entourée de buildings.

Ça, c’est la vision policée que la ville veut donner aux investisseurs étrangers, mais il suffit de se perdre dans les rues voisines pour découvrir une véritable fourmilière grouillante d’activité jour et nuit, 7 j. / 7.

De même, en entrant dans les nombreux centres commerciaux, on se rend compte qu’il s’agit en fait d’un mélange entre boutiques, entrepôts, lieu de vie… chaque building ayant sa spécialité (smartphones, ordinateurs, TV, lecteurs DVD…) et propose plusieurs étages de minuscules échoppes où chacun est spécialisé dans un seul composant (ex : bouton, écran, antenne…). Le tout dans un brouhaha permanent et une chaleur étouffante (J’ai visité la bourse du smartphone à Shenzhen, et c’est un beau bazar) :

Cette concentration unique d’énergie, de talents et de capitaux a permis à la Chine de reprendre le leadership sur le marché des smartphones et de proposer maintenant de nombreuses innovations :

Il est très difficile de se rendre compte de l’effervescence de la ville sans y mettre les pieds. La meilleure comparaison que je puisse faire est avec la rue Mongallet à Paris, mais à l’échelle d’une ville de 12 M d’habitants, l’équivalent de la région parisienne.

Donc oui, les constructeurs chinois sont très forts pour fabriquer des smartphones, mais ils ont également énormément progressé en ce qui concerne les services et les aspects logiciel.

Des assistants personnels monolingue, mais potentiellement plus en avance

Comme précisé en début d’article, la Chine est un marché à part où Google n’est pas présent, genre pas du tout. De ce fait, les acteurs locaux ont dû créer leurs propres services de messagerie, de cartographie, de place de marché d’applications, assistants vocaux… il en résulte un bon gros bordel avec un marché hyper fragmenté : Top 20 Chinese Android app stores.

Tencent, l’éditeur de WeChat (de son vrai nom Weixin), l’application incontournable en Chine, essaye de contourner ce problème de fragmentation en supportant le principe de mini-apps, des applications web qui s’exécutent dans leur application : What are WeChat Mini-Programs? A Simple Introduction, WeChat hosting over 1 million mobile apps with 200 million DAU in Nov 2018 et 81% of WeChat users playing Mini-Games in 2018.

Mais ce qui devrait définitivement mettre de l’ordre et concentrer l’activité autour des acteurs majeurs du numérique chinois, les fameux BATHX (Baidu, Alibaba, Tencent, Huawei, Xiaomi), c’est la généralisation des assistants vocaux. À ce sujet, des progrès spectaculaires ont visiblement été réalisés :

Force est de constater que les BATHX chinois progressent plus vite que les GAFAM dans la mesure où ils n’ont qu’un seul marché et une seule langue à prendre en compte. Bon OK, deux langues avec le cantonnais, mais c’est nettement moins problématique que pour Amazon ou Google qui s’arrachent les cheveux à déployer leur assistant vocal en Europe.

Le smartphone est lié à de nombreux usages du quotidien

Au risque de me répéter : un court séjour en Chine est comme un voyage dans le futur en ce qui concerne les usages mobiles : un aperçu de ce à quoi pourrait ressembler notre quotidien si nous passions à la vitesse supérieure. Certes, tous les services mobiles proposés en Chine existent en France ou en Europe (des équivalents), mais en termes de taux d’adoption, c’est sans commune mesure. Je ne saurais vous expliquer les raisons qui expliquent l’avance de la Chine en matière d’usages mobiles. Peut-être est-ce dû au fait que les Chinois sont des gens pragmatiques, qui n’ont pas beaucoup de temps à perdre, et qui adoptent volontiers tout ce qui peut lui faire gagner du temps et de l’argent.

J’ai donc passé 10 jours à étudier de près tout ce que les Chinois peuvent faire et font avec leur smartphone, et c’est très impressionnant : ils s’en servent à tout moment pour communiquer, s’informer, appeler un taxi, commander des produits frais à se faire livrer, débloquer un vélo… il est même possible de louer des parapluies grâce à des bornes disposées judicieusement à la sortie des bouches de métro :

Oui je sais, tout ceci existe déjà en France, le taux d’adoption est ici bien plus élevé, ce qui permet de mutualiser plus de ressources, de déployer plus de services… Je pense que le plus impressionnant est la rapidité à laquelle ils ont fait disparaitre l’argent liquide : In China, cash is no longer king. C’est simple : tous les achats du quotidien sont réalisés avec le smartphone, même le paiement de sa place de parking ! Il suffit pour cela de scanner le QR code affiché à côté de l’emplacement et de rentrer sa plaque d’immatriculation.

Cette dépendance au smartphone peut être inquiétante, et vous pouvez légitimement vous demander ce qui peut bien arriver si l’on tombe en panne de batterie, mais figurez-vous qu’ils y ont pensé : Il existe ainsi des bornes de batteries de recharge en libre service dans tous les lieux publics pour ne jamais tomber à court de batterie.

Ces bornes fonctionnent sur le principe du paiement à l’utilisation : il y a des frais de mise en service, et après ça, vous êtes libre de prendre une batterie, de l’utiliser pendant 1 minute ou 10 jours, puis de la remettre dans une borne (vous ne payez que l’électricité que vous avez consommée). C’est une bonne façon de ne pas avoir à se trimballer une batterie externe avec vous, et surtout d’éviter la prolifération de ces batteries qui ne sont pas simples à recycler.

Le paiement mobile est LA killer-app chinoise

Pour l’avoir vu de mes yeux, je vous confirme que la généralisation du paiement par smartphone est un incroyable gain de temps, à la fois pour les utilisateurs (qui n’ont plus besoin de trimballer de l’argent liquide) et pour les commerçants (qui n’ont plus besoin de caisse). N’importe qui peut lancer un commerce ambulant et encaisser des paiements, il suffit pour cela d’afficher le QR code associé au compte bancaire. Généralement, il y a deux systèmes proposés (Alipay et Wechat Pay), il existe aussi d’autres systèmes comme UnionPay, mais ils sont loin derrière.

Le paiement mobile est tellement répandu en Chine qu’il commence à s’exporter : De nombreux pays acceptent maintenant WeChat Pay ou Alipay. La rapidité avec laquelle le paiement mobile a été adopté en Chine est liée principalement à deux facteurs : le peu de cartes de crédit en circulation et la volonté du gouvernement de supprimer l’argent liquide pour pouvoir récupérer plus de taxes (je vous rappelle qu’1/4 des achats en France se font en cash, donc ne sont potentiellement pas déclarés ni taxés). Il en résulte une généralisation du paiement et surtout de l’encaissement par smartphone : Even prisons accept mobile payments in China’s cashless society. Pour en savoir plus : Using WeChat or Alipay in China to Pay et The foreigner’s guide to WeChat payments in China.

Dans les faits, cela permet de grandement fluidifier l’acte d’achat, et notamment le paiement dans les restaurants. Dans les photos prises ci-dessous, les clients se lèvent, scannent le QR code, saisissent le montant qu’ils doivent régler, montrent la confirmation de paiement au restaurateur et s’en vont. Le patron a également la possibilité de contrôler tous les encaissements sur un smartphone ou une tablette grâce à une interface dédiée.

Autant j’ai été impressionné par la fluidité du processus, autant je me dis que tout ceci n’est possible que si les clients et commerçants se font confiance. Renseignement pris auprès de plusieurs interlocuteurs locaux, il est effectivement impensable pour un chinois de ne pas rémunérer quelqu’un pour son travail. Il y a donc un facteur culturel à prendre en compte pour que ce système puisse être déployé massivement en France. Ceci étant dit, le “système” en question est une simple affiche collée à l’entrée du restaurant, c’est donc très minimaliste. Sinon, il existe des systèmes plus sophistiqués, et donc bien mieux cadrés.

La première solution est d’équiper chaque table d’un QR code spécifique qui dirige les clients vers une mini-app pour passer commande et régler l’addition.

La deuxième solution est d’équiper le comptoir d’un appareil avec un écran qui génère un QR code spécifique à chaque paiement. Ceci évite aux clients de saisir eux-mêmes le montant et permet au restaurateur de mieux contrôler les encaissements.

Et n’allez pas penser qu’il n’est question que de payer l’addition au restaurant, car il est également possible de faire des dons dans les temples :

Nous avons en France un système partagé par de nombreuses banques (Paylib), mais qui ne semble pas décoller (Paiement mobile : Apple Pay, Paylib et les autres très peu utilisées). Ceci est surement dû à la longue tradition de la carte bancaire en France, ainsi qu’à la généralisation du paiement sans contact. Peut-être faudra-t-il l’impulsion d’un géant du numérique (comme c’est le cas avec Alibaba ou WeChat en Chine) pour que les usages décollent réellement. En tout cas, le paiement mobile est officiellement disponible en France, aussi bien chez Apple que chez Google (depuis le mois dernier) : Google Pay est disponible en France, tout ce qu’il faut savoir sur le service de paiement sans contact.

*** Interlude culinaire ***

😛

*** Fin de l’interlude culinaire ***

Panorama des applications mobiles chinoises

Rentrons dans le vif du sujet et dans les usages mobiles des mobinautes chinois. Rappelons que les grands acteurs du numérique occidentaux sont bloqués en Chine (Google, Facebook, Twitter, WordPress, YouTube…), du coup, la Chine est comme un univers (numérique) parallèle où les services en ligne et applications mobiles que nous connaissons ont toutes un équivalent. Jusqu’à récemment, les grands éditeurs chinois se contentaient de copier, mais la tendance s’inverse avec des applications comme Tik Tok qui ont su conquérir les marchés occidentaux (cf. le China Social Media Landscape 2018 de Kantar).

L’oligopole que nous connaissons en occident est reproduit en Chine avec une nette domination d’une poignée d’éditeurs qui concentrent toute l’audience : Top mobile apps in China by total downloads & earnings.

Au sein de l’écosystème d’applications mobiles, nous distinguons trois acteurs majeurs :

Je vous propose ici un rapide tour d’horizon des principales applications mobiles dans chacune des catégories d’usage, ainsi que leurs équivalents occidentaux :

Comme vous pouvez le constater, l’écosystème numérique chinois est très vaste, et il est en grande partie détenu ou financé par une poignée d’acteurs (Alibaba, Tencent, Baidu, JD, ByteDance). La particularité que l’on ne retrouve pas en France ou en règle générale en occident, est l’omniprésence de Weixin (WeChat) qui est au coeur de cet écosystème : toutes ces applications peuvent être appelées depuis Weixin ou propose un équivalent sous forme de mini-app : WeChat , The One App That Rules Them All.

Facebook Messenger ambitionne de répliquer la position centrale de WeChat (une meta-application qui couvre tous les besoins, notamment grâce aux chatbots), mais nous en sommes encore très loin. D’autant plus que Facebook subit les foudres de critiques ces derniers mois, ce qui n’est pas le cas de Tencent.

Les clés de l’adoption : confiance et pragmatisme

Comme expliqué en début d’article, quasiment tous les services mobiles exploités en Chine sont également proposés en France. La différence se situe au niveau de l’équipement : il y a en proportion bien moins d’ordinateurs en Chine, car les moyens et l’espace sont plus limités. Le smartphone est donc le seul écran à leur disposition, contrairement à la France où les internautes utilisent aussi leur ordinateur et tablette. Mais la différence se situe à mon sens à un autre niveau : les utilisateurs chinois ont confiance en Tencent, car c’est une société locale. En France (et en Europe), les acteurs numériques dominants sont américains (Google, Amazon, Facebook, Apple), il y a donc certainement une forme de défiance naturelle (justifiée ou non, là n’est pas la question).

Cette confiance en Tencent a permis à Weixin de s’imposer et de devenir la plateforme numérique incontournable. Une position dominante qui facilite grandement l’adoption des mini-apps. En Europe, nous n’avons de système de messagerie mobile équivalent. Peut-être WhatsApp, mais cette application ne propose pas de mini-applications. En revanche, nous avons un principe équivalent, de mini applications mobiles qui fonctionnent de façon indépendante de toute application et qui sont compatibles avec les standards web : les progressive web apps ! (désolé, mais je ne pouvais pas m’en empêcher, mais vous savez que c’est un sujet qui me tient à coeur)

En bonus, je partage avec vous le diaporama d’une intervention donnée à Shenzhen au centre culturel du groupe OCT sur le thème de la transformation numérique :

Un second compte-rendu sera publié la semaine prochaine, il abordera les innovations en matière de distribution.

8 commentaires sur “Compte-rendu Chine #1 : usages mobiles

  1. Merci beaucoup pour cet état des lieux; c’est vraiment passionnant. Il est perturbant pour un occidental habitué aux GAFAM de réaliser qu’il existe un autre monde avec d’autres monopoles et surtout des habitudes encore plus digitalisés que les nôtres. J’attend avec impatiente la suite et en tant que passionné des assistants personnels je vais lire avec grande attention les liens de l’article sur ce sujet.

    1. Ce qui est surtout perturbant, c’est de se retrouver dans un pays où il n’y a ni Google, ni Facebook, ni Twitter, ni WordPress… comme quoi, la déconnexion forcée peut être très anxiogène !

  2. Merci pour ce panorama Fred, toujours très sympa de te lire.
    J’étais allé a Shenzhen et j’avais pu constater le dynamisme de cette immense ville chaotique. C’est bien de voir qu’il est possible de challenger les gafa et d’innover. A nous de jouer :)

    1. Oui effectivement, à nous (Français) de jouer de la cours des grands (GAFAM ou BATHX), ou alors de créer notre propre cours en harmonisant les lois et fiscalités européennes.

      1. Je pense qu’il serait utopique de penser que la France a la possibilité et les capacités de developper un eco-syst équivalent. L’Europe peut aider à concrétiser ce rêve. Et malheureusement, je vois peu de programme Européen qui permettrait de construire cela d’ici à 2030/2050

  3. Le concept de « confiance » dans les acteurs du numérique qui semble exister en Chine est effectivement clé. Ne faudrait-il pas aussi y ajouter la maitrise de l’état centralisé sur l’éco-systéme qui « rassure » ? Là où en France nous avons du mal à adopter des lois ou règlements efficaces pour maitriser ce qui se passe (cf droit à l’oubli, RGPD, hadopi, …) la situation en Chine semble bien différente.

  4. Merci M. Cavazza pour cet article plutot “comprehensive” et qui à le mérite d’aller plus loin que le simple ébahissement de nos entrepreneurs revenant de voyages dans l’Empire du Milieu en mode “délégation de la CCI” (même si j’approuve ce type de voyage-découverte, et si je regrette que vous n’ayez pas écrit ce sujet plus tôt).

    Je vous rejoins, ainsi que M. Hennin sur certains aspects.
    BATX et GAFA ont des similarités, mais elles ne sont pas directement liées à la “confiance dans les entreprises du numérique” que soulève M. Maumet. Cette confiance s’est construite et n’est pas le fruit d’un Deus Ex Machina. On ne nait pas décacorne, on le devient.

    1/ Des éléments de contexte ou d’environnement socio economique ont aidé le développement de ces entreprises. Ces élements, nous ne les avons pas en Europe :

    1.1 Le terrain/contexte de développement des GAFA et BATX, c’est celui d’un large marché intérieur. Il y a d’ailleurs des similarités en Russie
    1.2 Ces larges marchés intérieurs sont unis par plusieurs homogénéité
    1.2.1 de langue, ce dont on ne dispose pas en Europe (et gérer du contenu et des produits en 24 langues, c’est moins facile que de ne gérer que de l’anglais ou du “chinois simplifié”)
    1.2.2 de culture ou d’écosystème marketing . Les média sont atomisés par pays, au mieux par région (DACH/Benelux, scandinavie) On a beau être chauvins, en “Europe”, un spot TV après le JT de TF1 n’apportera guère plus d’audience que la population de Nanning ou du Minnesota tout en restant concentré sur un très petit territoire.
    1.2.3 Ca n’est pas la bienveillance gouvernementale qui a aidé au développement des BATX et encore moins des GAFA, au contraire, leur développement s’est fait dans un contexte très libéral. Certains pourront alors dire que c’est justement la sur-régulation et fiscalisation dont on fait preuve en France qui freinent le développements (il faudrait alors être cohérent dans son discours) mais :
    1.2.3.1 La régulation est mise en place en raison
    – soit des des dérives des acteurs/opérateurs économiques parce qu’ils font n’imp’ (rgpd, y’en a ni en Chine, ni aux USA)
    – soit pour préserver la rentabilité économique du plus petit nombre qui fait le plus de revenus (hadopi. on peut écouter et copier n’importe quoi en Chine, et pourtant, c’est un des marchés les plus dynamique dans la musique ou le streaming video)
    1.2.3.2 La fiscalisation est renforcée quand ces mêmes acteurs ne font aucun effort pour contribuer à la société (qui leur apporte pourtant son soutient) dans laquelle ils s’épanouissent et puisent leur clientèle
    1.2.3.3 En Chine, les salariés bénéficient aussi de sécurité sociale et de retraite, aux US aussi d’ailleurs. Les entreprises sont également taxées. Certe à moindre niveau, et avec une plus grande flexibilité de l’emploi, mais cette flexibilité et cette fiscalité modérée n’est elle pas le fruit d’une promesse (exécutée) de richesse partagée (bourses universitaires, formations, stocks, intéressement qui ne sont proposées en France que par les grands groupes ou grosses PME, soit forcées par les syndicats, soit par la règlementation)

    2/ Des élements de culture, de sens du service et d’innovation, l’influence socio-culturelle dont parle M. Richard dans les commentaires LinkedIn de M. Cavazza. Dans quelle mesure la culture du service, de la valeur ajoutée, n’est elle pas différente de ce que l’on fait en France ? Je crée un service, de la valeur ajoutée et je crée l’écosystème ou le modèle qui me permettra de pérenniser et rentabiliser cette aventure. Oui, mais je le fais avec une vision stratégique puis tactique (et pas l’inverse). Nos Licornes françaises existent grâce à cette approche. Je ne cherche pas à saigner mon client, et mon collaborateur, je construis sur le long terme, et je ne gâche pas mon investissement à vouloir traire trop vite mes vaches à lait. Au contraire, j’innove et recherche constamment de nouveaux axes de service pour mes clients, et pas à faire du réchauffer avec de vieux pots (je viens de voir une pub pour une solution de ecommerce vendue par le crédit agricole… franchement ca fait peur… On est en 2019 les gars….). C’est par une vraie proposition de valeur, un adn d’apporter un service de qualité, et un business model orienté long terme que les decacornes se sont forgées, pas sur du réchauffé ou des expériences client décevantes. C’est comme cela que l’on construit de la confiance.

    Ma conclusion est qu’avant de changer les lois, les gouvernements ou les clients, il faut déja changer notre état d’esprit. Et là, je rejoins M. de Geyer, à nous de jouer, allons challenger les GAFA, innovons, mais cette innovation ca doit être une innovation culturelle et sociale avant d’être technologique, règlementaire ou fiscale, arrêtons la complainte des entrepreneurs-automate au pays du secrétariat au numérique. Cessons nos reflexions bourgeoises et corporatistes et créeons l’environnement culturel qui permettra notre essor. Nos pépites s’en sortent parce qu’elles sont dans un état d’esprit de service, d’innovation et de développement, pas dans une recherche du profit immédiat. Il y a quinze ans, les constructeurs automobiles jugeaient impossible le développement de véhicules électriques, ils en font tous aujourd’hui; C’est bien la preuve qu’on peut changer d’état d’esprit….

    Merci pour votre lecture et/ou pour avoir alimenté le débat ! :)

    1. Merci pour ce long article. Il y a effectivement une constante dans les entreprises du numérique qui réussissent : la qualité du service et l’excellence opérationnelle, pas le montant des subventions ou la hauteur de barrières à l’entrée.

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