L’année 2020 restera dans les annales de l’histoire comme une incroyable parenthèse dans un quotidien qui n’en finissait plus de s’accélérer. Le monde est donc à l’arrêt forcé, et nous ne savons pas quand il va redémarrer. Ce qui est certain, c’est que ce redémarrage sera à la fois conditionné par un encadrement strict des déplacements et interactions sociales, mais également stimulé par un recours massif aux outils et supports numériques pour doper la productivité. Le smartphone se situe donc à la croisée de ces deux impératifs, à la fois pour les salariés, les étudiants, les séniors et plus généralement tous les citoyens. Si vous pensiez que ce virus allait nous aider à ralentir et apprécier la “vraie vie”, il va falloir vous habituer à l’idée d’une nouvelle vie : un nouveau quotidien au sein duquel le smartphone jouera un rôle essentiel.

Alors que nous entamons notre cinquième semaine de confinement, les esprits s’échauffent entre les partisans d’un déconfinement rapide pour relancer la machine économique et ceux qui prônent une prolongation du confinement pour désengorger les hôpitaux et éviter une seconde vague de propagation massive du virus. Si pour le moment il est trop tôt pour connaitre les effets réels de ces quatre premières semaines de confinement, les signes sont encourageants, non pas pour procéder à un déconfinement anticipé, mais au contraire pour intensifier les efforts !
Ce qui est certain, c’est que cette question du confinement est un authentique casse-tête pour les gouvernements des différents pays qui sont tiraillés entre l’urgence de la reprise économique et la garantie de la santé publique. Quoi qu’il en soit, la seule certitude sur laquelle nous pouvons nous appuyer est qu’il n’y aura pas de déconfinement total. Le scénario le plus probable est qu‘il n’y aura pas à un jour d’après, mais plutôt DES jours d’après : différents stades de déconfinement sélectif qui nécessiteront de passer outre nos habitudes et dogmes.
Le smartphone est le seul outil de déconfinement à notre disposition
Passé l’urgence de la crise, le déconfinement est aujourd’hui le sujet sur lequel tout le monde planche (experts, politiques, journalistes…). Un consensus semble néanmoins émerger autour de l’idée de déconfinement sélectif : en fonction de la région, de l’âge, de l’activité professionnelle, voir du sexe comme en Italie où il y a des jours de sortie pour les hommes et les femmes.
Comme vous pouvez le deviner, la gestion du déconfinement sélectif va être problématique, le genre de problème qu’il est impossible de gérer à l’échelle d’un pays ou même d’un continent (Espace Schengen) simplement avec des moyens humains. Voilà pourquoi il faut avoir recours à des moyens numériques pour pouvoir systématiser et automatiser la contrôle des déplacements et des interactions de proximité. L’objectif recherché étant de pouvoir accélérer la reprise de l’activité économique sans mettre en danger la population ou surcharger à nouveau les hôpitaux.

Il y a vingt ans, ce problème aurait été très difficilement surmontable avec les moyens numériques de l’époque (les ordinateurs) mais heureusement, nous sommes en 2020 et les 4/5 des adultes sont équipés d’un smartphone. Les terminaux mobiles tombent à point nommé, car ils sont non seulement personnels (on ne partage pas son smartphone), mais en plus connectés en permanence.
En 2017, j’écrivais que les smartphones étaient la télécommande de notre quotidien numérique (Le smartphone est la pierre angulaire de la civilisation du XXIème siècle). Il y a quelques semaines, je vous confirmai que le smartphone est l’icône du 21e siècle, pour le meilleur et pour le pire. En ce qui concerne la crise du COVID-19 et la gestion de l’après-confinement, ça sera pour le meilleur, du moins je l’espère…
La surveillance numérique est une étape obligatoire
Comme l’opinion publique a pu le découvrir le mois dernier, les smartphones sont des outils particulièrement efficaces pour observer les déplacements des individus (Coronavirus : la géolocalisation des téléphones confirme l’exode de Parisiens). Sur la base de cette étude et en s’appuyant sur les exemples asiatiques, le gouvernement souhaite passer à la vitesse supérieure et a officiellement annoncé la disponibilité prochaine d’une application mobile dédiée à cet effet : Les pistes du gouvernement pour le traçage numérique des malades.
Dans le doute, j’insiste sur le fait que l’objectif n’est pas de surveiller les faits et gestes des dissidents politiques, mais d’éviter une nouvelle phase de propagation massive du virus, de maintenir la courbe sous la limite de capacité d’accueil des patients nécessitant des soins intensifs. Problème : les données des opérateurs ne sont pas suffisantes pour pouvoir assurer ce traçage à un niveau individuel. Du moins si, en théorie elles le sont, mais la reconstruction des itinéraires et contacts de chacun demanderait de très grosses ressources informatiques.
Voilà pourquoi l’idée d’une application mobile dédiée est très intéressante : car elle permet non seulement de faire une très grosse partie du travail en local (enregistrer les contacts) tout en assurant une meilleure confidentialité (les données sont cryptées avant d’être transmises à qui de droit). De grandes précautions sont donc prises pour ne pas heurter la sensibilité des citoyens (Coronavirus et traçage numérique en France : “Des garde-fous s’imposent”) et se conformer aux recommandations des grandes instances comme Amnesty International (Le recours aux technologies de surveillance numérique pour combattre la pandémie doit se faire dans le respect des droits humains).
Depuis l’annonce du gouvernement, tout a quasiment été dit sur le principe de traçage numérique, aussi je me contenterai de ne citer que trois articles : We need mass surveillance to fight covid-19, but it doesn’t have to be creepy, Cell phone tracking for post-COVID-19 must be radical to be efficient et The Challenge of Proximity Apps For COVID-19 Contact Tracing. En synthèse : ce n’est pas simple, mais c’est faisable ; et oui, ça peut se faire sans trop rogner sur les libertés individuelles. Ce dernier point est important, car je vous rappelle que nous sommes en guerre (sanitaire), les préoccupations sur la vie privée passent donc très clairement après la protection de la population et des plus fragiles.
Certes, nous avons tous en tête les systèmes de surveillance massifs exploités en Chine, en Russie ou au Venezuela, mais nous avons également des exemples très intéressants de systèmes de surveillance temporairement exploités par des pays comme Singapour avec l’application Trace Together :
Encore une fois, ce débat sur la confidentialité n’est pas le sujet central de l’article. D’autant plus que des applications comme celle utilisée à Singapour le sont sur le principe du volontariat (moins de 15% de la population aurait téléchargé cette application, ce qui en limite fortement l’intérêt).
Le smartphone est la clé de la réussite de l’auto-confinement
Dans le scénario d’un déconfinement partiel, il est tout à fait envisageable d’avoir recours aux smartphones pour le suivi des malades, tout comme pour assurer la protection des non-malades. L’idée est ici de conditionner le déconfinement à l’utilisation de l’application : ne sortent que ceux qui sont prêts à jouer le jeu, sinon ils ont le choix de rester chez eux comme les autres.
Ce principe remettrait au goût du jour le carnet de santé électronique, du moins sa version minimaliste : le carnet de vaccination électronique. L’exemple de la Corée du Sud est ici tout à fait intéressant, car ce pays est unanimement plébiscité pour sa gestion de la crise alors qu’il n’y a pas eu de confinement : La Corée du Sud au temps du covid-19. Contrairement à ce que pense l’opinion publique, il n’y a pas de traçage systématique des citoyens : l’itinéraire de ceux qui sont testés positifs est récréé à partir des données des opérateurs de téléphonie mobile (pour prévenir ceux avec qui ils ont été en contact sur les deux dernières semaines). Mais sinon, l’application mobile ne sert qu’à assurer le suivi à distance de l’état de santé des malades : température, toux, difficultés respiratoires…

Certes, il y a une option de traçage qui est activable, mais elle ne l’est pas par défaut. Nous sommes donc bien dans le cadre d’une démarche active des citoyens.
Ce système ayant fait ses preuves à l’échelle d’un grand pays (plus de 50 M d’habitants), les géants du numérique se sont alliés pour poser les bases d’un système équivalent : COVID‑19 : Apple et Google travaillent ensemble à une technologie de traçage des contacts (signalons que Facebook a également proposé son aide : Facebook starts prompting US users to fill out a COVID-19 survey to help track the virus). L’idée serait d’enregistrer toutes les interactions de proximité entre les personnes via leur smartphone, et de rendre cette donnée accessible aux instances officielles si elles souhaitent l’utiliser. Le tout reposant à la fois sur le volontariat et surtout sur la conscience citoyenne des malades qui pratiqueraient une forme d’auto-confinement.

Avec un tel principe, nous pourrions envisager de façon beaucoup plus sereine le déconfinement partiel grâce au déploiement à grande échelle d’un système d’alerte permettant de prévenir les utilisateurs ayant été en contact avec des malades ou patients à risque. Nous pourrions même aller plus loin et envisager le déploiement de ce système à l’échelle européenne pour autoriser à nouveau les déplacements entre les pays sous certaines conditions. D’ailleurs, un groupe de travail a été monté pour accélérer ce déploiement : Pan-European Privacy-Preserving Proximity Tracing.
Oui, je suis d’accord avec vous pour dire qu’il y a un risque d’accoutumance à ce type de système de traçage qui pourrait être étendu à d’autres cas : les séropositifs, les prédateurs sexuels récidivistes…Nous pourrions néanmoins limiter ce risque en confiant le stockage et l’exploitation de ces données à des organismes tiers (ex : l’équivalent du CDC aux États-Unis).
Vous pourriez également me dire que le smartphone n’est pas le remède universel et que le modèle sud-coréen repose aussi sur une disponibilité de grandes quantités de masques et de tests, aussi je me permets d’insister : cet article ne traite pas de la surveillance électronique des malades, mais plutôt du rôle central que vont jouer les smartphones dans la période post-confinement. Ce qui me fait une parfaite transition pour aborder les autres points de mon argumentation…
L’après confinement sera rythmé par les smartphones
Comme nous venons de le voir, le smartphone est un support numérique particulièrement bien adapté pour une gestion à grande échelle du déconfinement partiel. Pour être exact, c’est le seul ! Mais nous pouvons nous réjouir du fait qu’il est en train de se préciser, car la dure réalité à laquelle nous devons nous habituer est qu’il n’y aura pas de période post-COVID. Ce virus existait certainement avant l’apparition des premiers hommes et il nous survivra. Ce dont nous sommes en train de parler c’est bien de la période après-confinement, cette fameuse nouvelle réalité à laquelle il va falloir nous préparer : Accélérer sa transformation digitale pour s’adapter au jour d’après.
En effet, il ne faut pas être devin pour comprendre que la crise du coronavirus va profondément et irrémédiablement modifier nos habitudes de déplacement, de consommation et de socialisation. La conséquence de ces changements d’habitudes sera un report des activités courantes sur les supports numériques et plus particulièrement les smartphones :
- la limitation des déplacements dans les lieux publics va mécaniquement augmenter les usages des services en ligne (notamment pour les démarches administratives) ainsi que le commerce en ligne (Coronavirus: insights from the second wave of our multinational study), de même que le commerce mobile, notamment grâce aux super apps qui concentrent une large offre comme c’est le cas en Asie (Meituan is selling Huawei smartphones and cosmetics from Sephora) ;
- la baisse de fréquentation des restaurants, bars et autres réunions de famille / amis va nécessairement se traduire par une augmentation des interactions sur les plateformes sociales et notamment les systèmes de messagerie (Keeping Our Services Stable and Reliable During the COVID-19 Outbreak) ;
- la fermeture des écoles et universités va forcer les jeunes à se prendre en main pour poursuivre leur programme, ou du moins à avoir recours à des applications mobiles pour les aider à ne pas décrocher (College Is Hard. Iggy, Pounce, Cowboy Joe and Sunny are Here to Help) ou à améliorer leurs résultats (Yuanfudao is now one of China’s most valuable ed-tech startups) ;
- le renforcement de la surveillance à distance des séniors et personnes à risque va également se faire grâce aux smartphones (Application Covidom : un télésuivi des patients porteurs ou suspectés de Covid-19)…
Inutile d’en rajouter, je pense que vous avez compris là où je voulais en venir : quel que soit le contexte, le smartphone est la clé d’une nouvelle organisation au quotidien pour pouvoir intensifier les usages distants, optimiser la gestion des ressources (humaines et matérielles) et améliorer la productivité.
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Productivité. Le mot est lâché. Autant l’urgence sanitaire a favorisé une sorte d’auto-censure, autant la perspective du déconfinement délie les langues et incite les premiers concernés à sortir de leur réserve (Coronavirus : après le confinement, le Medef veut que les Français travaillent plus).
Données et outils numériques seront vos nouveaux meilleurs amis
Effectivement, le confinement a un impact dramatique sur de nombreuses entreprises qui vont accumuler les dettes dues à un manque à gagner. À partir de ce constat, deux options s’offrent aux dirigeants :
- continuer à travailler comme avant et exiger des salariés qu’ils fassent plus d’heures en espérant que ça suffise (j’ai déjà abordé cette hypothèse ici : De l’incapacité des entreprises traditionnelles à s’adapter à l’accélération numérique) ;
- revoir l’organisation et les modes de collaboration pour ne pas travailler plus, mais travailler mieux (faire plus avec moins en s’appuyant sur les outils et supports numériques : 40 ans de progression des usages digitaux pour atteindre une forme de résilience numérique).

Cette notion de résilience est plus que jamais d’actualité, car la situation est critique pour la majeure partie des entreprises. Une résilience qui passera nécessairement par une intensification de l’exploitation des canaux numériques, le smartphone étant le premier d’entre eux (6 chantiers de transformation prioritaires pour l’après-confinement). Cette résilience passera également par une meilleure compréhension d’un marché qui sera encore plus volatile et complexe à appréhender, donc par une meilleure maitrise de la principale source de données de marché : le smartphone.
Ce dernier point est particulièrement important à saisir, car il sera impossible de réussir la reprise en se concentrant sur ce que l’on fait de mieux dans la mesure où nous serons dans un contexte de marché radicalement différent : les clients seront les mêmes, mais leurs préoccupations seront très différentes. Attendez-vous à un changement radical dans les comportements d’achat, mais un changement qu’il est très complexe de connaitre à l’avance. Comme il ne sera plus possible de fonctionner à l’instinct ou grâce à une longue l’expérience, les entreprises devront plus que jamais s’appuyer sur la donnée et faire preuve de réactivité / souplesse : Decision making in uncertain times.
J’aurai l’occasion d’aborder ce point dans un prochain article…
J’ai beaucoup apprécié votre article. Les smartphones seront en effet non seulement une des clés du déconfinement, mais aussi LA clé du suivi de son évolution (résurgence du virus, ..). Petite Poucette peut-être rassurée: nous allons enfin entrer dans un monde où l’adresse IP prévaudra sur l’adresse postale.
Merci pour la clarté.
On a le droit d’être critique car cela va se traduire par la généralisation du harcèlement numérique à jet continu.
Comment aller au-delà ?
Je refuse que mon smartphone, à supposer que j’en ai un, soit garant de ma citoyenneté.