Saviez-vous que la première bannière publicitaire avait été affichée il y presque 20 ans ? C’est en effet le 27 octobre 1994 que la publicité en ligne a commencé à être utilisée sur le portail Wired.
Avec cette première bannière, le magazine Wired ne se doutait pas qu’il allait poser les bases du principal levier de monétisation des contenus en ligne. Aujourd’hui les bannières publicitaires sont omniprésentes. Elles agacent, mais elles restent le modèle économique de référence. Autant les autres médias bénéficient d’un peu plus de diversité, notamment avec les chaînes TV payantes ou les journaux par abonnement, autant les bannières sont quasi-incontournables pour ceux qui souhaitent monétiser leur audience et leurs contenus.
L’article qui suit a pour ambition de vous expliquer les dernières évolutions et les enjeux du display, il m’a été inspiré par une conversation très enrichissante que j’ai eu avec Patrick et Andrès, les fondateurs de Viuz.
Un contexte économique difficile
Les bannières publicitaires ont permis au web de devenir ce qu’il est aujourd’hui : une source inépuisable de contenus. Je pense ne pas me tromper en disant que les bannières (et plus généralement les revenus publicitaires) sont le poumon des contenus, car ce sont elles qui ont poussé les éditeurs à investir massivement. Ceci étant dit, ce système, qui bien fonctionné ces deux dernières décennies, commence à montrer ses limites :
- Les taux de clic sont de plus en plus bas (problème de transformation) ;
- Les bloqueurs de bannières se généralisent (La guerre aux logiciels bloqueurs de publicité sur Internet est déclarée) de même que les terminaux mobiles (problème de portée) ;
- L’audience s’éparpillent et s’agrège sur des supports où il n’y a pas de bannières (notamment les grandes plateformes sociales et applications mobiles).
Rajoutez à cela une concurrence acharnée et vous aurez un marché très tendu avec des éditeurs qui ont du mal à valoriser leur inventaire et de annonceurs qui ont désespérément besoin d’améliorer le ROI de leurs campagnes display (baisser les coûts et augmenter la performance). C’est là où les publicités natives et le programmatic buying rentrent en scène.
La bannière est morte, ou pas, vive la publicité native, ou pas !
Le publi-rédactionnel existe depuis de nombreuses années dans les publications papier et même à la télévision à travers les formats ultra-courts sponsorisés. Mais ce n’est qu’avec l’avènement de plateformes sociales comme Facebook ou Twitter que les annonceurs ont compris l’intérêt d’utiliser des formats publicitaires moins perturbants reposant sur une logique d’intégration (à l’opposer des bannières qui sont conçues pour attirer le regard). La publicité native est donc la nouvelle coqueluche du web, elle se décline en différentes versions : publications sponsorisées (Facebook, Twitter, Pinterest, Instagram…), articles sponsorisés (Buzzfeed, Forbes)… pour le moment nous n’avons vu que la partie visible de l’iceberg, car il reste d’innombrables déclinaisons à trouver (Bazaarvoice Brings Native Advertising to eCommerce).
Sur la papier, les publicités natives ont tout pour plaire : une intégration élégante qui ne perturbe pas la lecture (The Mystique of Native Advertising), une parfaite adaptation aux terminaux mobiles et à leurs contraintes d’affichage et de morcellement de l’attention à travers d’innombrables applications (Appsfire’s native ad network seduces app publishers worldwide), de nombreuses possibilités de formats premium (Native advertising: the Guardian Labs way)…
Tout ceci est parfait, sauf que la publicité native présente trois principaux désavantages :
- L’impossibilité de faire des campagnes automatisées, car il faut traiter chacun des supports de façon distincte en fonction des contraintes de format ;
- Le coût de production élevé qui empêche les petits annonceurs d’en profiter ;
- L’absence de garantie du nombre d’impressions (un élément important pour les annonceurs qui ont besoin d’une très forte exposition sur une courte période).
Tout ceci fait que les publicités natives sont une excellente alternative, mais dans une logique artisanale plutôt qu’industrielle. Je n’ai personnellement pas grand-chose à reprocher aux publicités natives, mais elles ne couvrent qu’une partie des besoins des annonceurs. L’IAB est donc en train de travailler à l’élaboration de nouveaux formats de bannières censés relancer l’intérêt tout en diminuant les nuisances (Bye, Bye Banner: Emerging Display Formats & What Marketers Need To Know). En parallèle, les différents acteurs de la chaine de valeur publicitaire ont travaillé de concert pour révolutionner les méthodes d’achat et traiter la partie “industrielle”.
Moins de pollution, plus de pertinence
Le meilleur moyen d’améliorer la rentabilité des campagnes est de diminuer le coût d’achat et d’augmenter la performance. C’est pour tenir cette promesse que l’industrie publicitaire s’est petit à petit transformée en incluant une composante technologique toujours plus grande. Les adtech (“advertising technologies“) s’imposent logiquement comme LA solution pour réduire le gaspillage (bombarder les grands sites avec des millions de bannières) et améliorer le ciblage. Pour ce faire, les impressions publicitaires sont traitées de façon individuelle grâce à des algorithmes, c’est ce que l’on appelle le programmatic buying. Tout comme le monde de la finance a été bouleversé par le recours aux algorithmes et aux micro-transactions, le monde publicitaire a connu une authentique révolution ces deux dernières années avec la maturation des technologies d’achat programmatique (The Future is Programmatic et Programmatic now accounts for 28% of UK display ads and could exceed 65% in 2017). Les machines remplacent donc les opérateurs humains pour acheter des emplacements et afficher des bannières selon deux technologies : les enchères en temps réel et le retargeting.
Jusqu’à présent, les emplacements publicitaires étaient négociés et achetés à la pelle : si vous souhaitiez toucher une audience féminine, vous achetiez des centaines de milliers d’impressions sur un portail avec une audience largement féminine. Le problème est que vous n’aviez pas l’assurance de réellement toucher des femmes, et que vous payiez un prix relativement élevé pour des conditions d’affichage qui n’étaient pas nécessairement optimale. Avec les enchères en temps réel (“Real-Time Bidding” en anglais, ou RTB), chaque impression est négociée et délivrée de façon unitaire en quelques fractions de secondes. Ceci est rendu possible grâce à des systèmes informatiques ultra-performant capables de traiter d’immense volume de données et d’effectuer des enchères en temps réel (5 Ways Real-Time Bidding Differs From Direct Buys). Au final, comme chaque bannière est achetée dans des conditions optimisées, le coût moyen d’achat est inférieur. On parle dans ce cas de eCPM ou de DCPM (“Dynamic Cost Per Mille“).
Les robots chargés de faire ces achats individuels exploitent des critères centrés sur l’utilisateur en fonction de son profil (genre, âge, pays…), mais également sur son comportement. Le retargeting désigne ainsi les mécanismes permettant de cibler un internaute en fonction des sites qu’il a visités, des recherches qu’il a effectuées ou des actions qu’il a menées (Retargeting secrets: the 7 types of effective retargeting). Grâce au retargeting, vous pouvez cibler un internaute ayant transité par votre site pour consulter telle ou telle page.
Comme vous pouvez l’imaginer, le RTB et le retargeting sont des bouleversements majeurs dans les méthodes d’achat des espaces publicitaires. Le problème est que ces méthodes induisent des systèmes informatiques très sophistiqués et des processus d’achat incroyablement complexes.
Cette complexité peut représenter un frein pour les annonceurs qui n’y voient plus très clair dans cet écosystème très opaque. Vous seriez ainsi extrêmement surpris du nombre d’intermédiaires entre un annonceur et un éditeur. Pour illustrer cette complexité, je vous propose le schéma suivant :
Sur ce schéma, on retrouve la plupart des acteurs qui composent la chaine de valeur de la (nouvelle) publicité en ligne :
- Les éditeurs de contenus, qui exploitent des SSP (“Supply-Side Platform“) pour gérer leur inventaire et se connecter aux plateformes d’échange (“Ad exchanges“) qui sont elles-mêmes reliées à des réseaux publicitaires (“Ad networks“) ;
- Les annonceurs qui passent par des agences et leurs comptoirs (“trading desk“) pour gérer leurs campagnes de façon centralisée au sein de DSP (“Demand-Side Platform“).
- Éditeurs, agences et annonceurs ont généralement recours à des DMP (“Data Management Platform“) pour centraliser, gérer et exploiter leurs données ou celles de sources tierces, ainsi qu’à des plateformes de vérification pour s’assurer qu’il n’y a pas de déperdition et garantir la véracité des factures ;
- Annonceurs et agences peuvent également exploiter des DCOP (“Dynamic Creative Optimization Platform“) pour personnaliser de façon dynamique les bannières affichées ;
- Éditeurs, agences et annonceurs peuvent enfin nouer des partenariats directs pour bénéficier de conditions plus avantageuses (remises sur volume) ou accéder à des inventaires de meilleure qualité (ce sont les fameuses offres premium).
Comme vous pouvez le constater, l’écosystème des ad tech est extrêmement complexe (cf .Get With The Programmatic: A Primer On Programmatic Advertising et The beginner’s glossary of programmatic advertising). Nous assistons à un authentique choc des cultures entre les populations créatives, les mad men, et les ingénieurs / marketers, les math men (For Today’s Mad Men, It’s Nerds Who Rule, Not Drapers). Ce choc des cultures ainsi que la complexification croissante des technologies et pratiques publicitaires créés des tensions qui au final nous font relativiser leur intérêt.
Dans la ruée vers l’or, seuls les vendeurs de pioches se sont enrichis
Certes, la complexification du millefeuille publicitaire peut en rebuter plus d’un, mais l’attrait des mécaniques de ciblage toujours plus pointues font saliver les plus réticents (Facebook’s ad platform will know who you are, what you buy, even offline). Au final, un peu de pédagogie et de transparence pourrait grandement bénéficier au secteur (Real-Time Myth-Busting: 5 RTB Mysteries, Solved!). Il n’empêche que les gains de performance annoncés sont bien trop souvent vampirisés par de nombreux intermédiaires.
Avec tous ces éléments en tête, on comprend mieux pourquoi le programmatic buying, annoncé comme LA grande révolution, ne va néanmoins pas remplacer les méthodes d’achat traditionnelles (18 quotes on programmatic advertising). Nous pouvons ainsi lister plusieurs enjeux :
- Des technologies toujours plus sophistiquées qui demandent des talents de très haut niveau, pas forcément faciles à recruter / motiver ;
- L’impossibilité de garantir une exposition minimum, car plus on ajoute de critères de ciblage et plus on réduit le nombre de cibles potentielles ;
- La compréhension des besoins et comportements réels des consommateurs, car à trop faire confiance aux algorithmes, ont fini par perdre de vue le client (la pression publicitaire générée par les techniques de retargeting nous fait parfois regretter d’avoir visité tel ou tel site) ;
- L’attribution des gains de performance qui est quasi-impossible avec une chaine de prestataires aussi complexe.
Au final, ce qui peut le plus inquiéter les annonceurs, est que toutes ces technologies fassent passer au second plan la recherche de créativité ou d’émotion dans une campagne. Avec une telle force de frappe technologique, il est tentant de penser que la clé du succès d’une campagne repose sur la finesse du ciblage. Certes, il existe des technologies de personnalisation à la volée (les DCOP), mais leur coût de mise en oeuvre augmente de façon exponentielle avec la largeur de la population-cible et le nombre de données individuelles disponibles.
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En résumé : moins de bannières, des publicités mieux intégrées, des messages plus ciblés, des inventaires revalorisés… Sur le papier, tout le monde y gagne, car le but de l’opération est de minimiser le recours à la force brute (des bannières par millions). Dans la pratique, les ad tech ont engendré un monstre que l’on essaye tant bien que mal de contrôler.
Espérons que cette course à l’armement ne détruise pas plus de valeur qu’elle est censée en créer… J’arrête là cet article, et je laisse la parole à Patrick et ses acolytes pour une prise de parole plus pointue : Où va la pub ? 5 réflexions sur la grande hybridation.
Bonjour,
Je rajouterai sur le contexte que l’un des problèmes majeurs de la publicité aujourd’hui est vraiment l’intrusivité. Face à la baisse du taux de clic, le nombre d’interstitiels vidéos ou display a été décuplé de manière sauvage et agressive pour l’internaute.
A titre personnel il m’arrive même aujourd’hui de quitter la lecture de dossiers intéressants à cause de ces formats publicitaires qui apparaissent à chaque changement de page avec visionnage obligatoire de 20s de vidéo. La publicité est en train de tuer la publicité. J’en viens même à comprendre l’utilisation d’adblockers… et pourtant je vis de la publicité. C’est dire.
merci pour cette didactique synthèse du RTB.
Et totalement ok avec ton commentaire sur la créativité. au royaume des maths men, on en fait bien peu de cas…
Et tout ce merveilleux modèle est caduque avec un simple ad-blocker. Trop léger, le modèle. Et tellement agaçant.
Je navigue donc sans pub depuis des années. Et attends avec impatience que l’on me propose autre chose… Mais la part des navigateurs avec ad-blocker ne cesse d’augmenter et dépasse les 25% . Trop de pub tue la pub et les marketeux ont bientôt terminé de scier une belle branche, celle sur laquelle ils s’étaient assis sans vergogne.
Je ne vais pas les plaindre.
@ Charles-E > Les ad-bkockers ne peuvent pas bloquer les publicités natives, et ces dernières peuvent être ciblées grâce à des technologies programmatiques et achetées en RTB.
Mais sinon oui, je suis bien d’accord avec vous, avec un et elle pression publicitaire, j’anticipe un taux d’installation des ad-blockers supérieur à 50% dd’iciqq années.
Merci pour cette synthèse d’un système très complexe qui arriver à créer des intermédiaires plus vite que son ombre. Quelques éléments pour réagir :
– j’interviens dans des formations de Licence à Master 2. J’ai dans ces classes, des taux d’installation de AdBlock qui atteint déjà les 50% voir un peu plus dans l’une. En formation pro, donc public plus âgé, le taux est bien plus bas mais la saturation publicitaire est tout aussi réelle.
– en tant que petit éditeur de contenu, d’un blog hyperlocal, je ne peux que constater la difficulté à tirer un profit important du système publicitaire. Des commerçants et entreprises qui préfèrent mettre 800 euros dans un magazine qui tire à 16.000 exemplaires papier plutôt que 100 euros dans un site lu par 70.000 personnes. D’autres qui préfèrent l’achat Facebook plutôt que la bannière sur site. D’autres encore qui profitent de la complexité et des possibilités d’acheter moins cher le stock invendu pour profiter des vides et s’inclure dans le remplissage. De plus les revenus pour l’éditeur sont en chute libre alors que beaucoup trouvent que la pub leur coûte de plus en plus cher, don certains se gavent sans créer plus de valeur.
– Au final il faut faire beaucoup plus de volume pour un même revenu ce qui encourage fortement à faire du buzz ou Top 10… Mais pour un annonceur je doute de la pertinence d’apparaitre sur certains de ces contenus… mais faute de mieux elles préfèrent la quantité à la qualité et l’adéquation. Elles en reviendront bien un jour.
– en tant qu’internaute et bien que vivant en partie de cette pub sur mes supports je sature aussi quand je vois la quantité de publicités qui s’affichent sur certains sites. Je peste contre les pré-rolls de plus en plus long…
Je suis donc globalement d’accord sur cette destruction de valeur engendrée par le système publicitaire actuel et le système ne fait qu’accélérer les choses. La pub ne tue pas que la pub, elle tue aussi un web riche et varié.
Personnellement je ne trouve pas les genres de publicité actuels dérangeants, que ce soit dans les vidéos, ou les petites fenêtres qui apparaissent dans les sites web ou n’importe quel autre méthode du moment que ça soit modéré, dans Youtube par exemple, la pub n’apparait qu’une seule fois par visite.
Merci encore pour ces réflexions.
Je rajouterai un element sur toutes les politiques de native ad et sa relation sur la valeur de marque: Les clients ont pris l habitude d avoir des comportements d achat orientés vers la performance (en clics ou en conversion), cela leur permet une meilleurs optimisation des budgets et placent les problèmes de taux de clics et de qualité de visite sur les plateforme dans un second plan. Le vrai problème c est sur le brand euqity, en achetant en performance les messages sont tres orientés sur des communications de compétitivité de prix, promotions, offres exceptionnelles: bref, du volume au détriment de la valeur de marque. Les solutions plus natives permettent de travailler sur des cycles de conversions beaucoup plus lents mais beaucoup plus rentables par produit, en présentant une valeur de produit plus pertinent pour les cibles. C est une tache difficile, les marques évoluent plus lentement que l écosystème digitale et les solutions de native ad sont encore tres dispersées, Celle qui veulent l automatiser se plante dans la pertinence et la quatlié des ses supports et ceux qui le travaillent au cas par cas sont trop cher pour les clients.
Super article d’un blog (que j’oublie beaucoup trop souvent de lire), très clair et qui remet bien les choses à plat!
Une petite remarque cependant : si aujourd’hui le marché du display est très tendu, il ne faut pas oublier la responsabilité des agences média dans l’affaire (en tout cas de certaines d’entre elles). En affichant une rare hypocrisie sur leur mode de fonctionnement, masqué par d’innombrables frais fantômes (frais d’achats, d’adserving…), et en étant incapable d’estimer le ROI de leurs campagnes, leur job se limite souvent à des deals avec les grosses régies, au détriment de l’apport de valeur réelle pour les clients. Ceux-ci, qui sont souvent habitués à acheter du média off-line (télé, presse…) se contentent du nombre d’impressions / clics, et analysent ça de la même manière que leurs bon vieux GRP. Le problème, c’est que cet équilibre, déjà très précaire, est en train de s’effondrer à mesure que ces annonceurs mettent vraiment les mains dans la data, et se rendent compte de la vacuité du trafic apporté par ces campagnes (quand ils ont les données pour l’analyser, ce qui n’est pas toujours gagné!).
De super formats, innovants et performants, existent et peuvent profiter à tous. Mais tant que les agences média ne seront pas en mesure de jouer la transparence et d’arbitrer sur des critères de performance (et non sur les déjeuners payés par leurs copains des régies, humhum…), ça ne pourra pas marcher…
Je sais que je suis (volontairement) un peu provocateur et radical, mais en tant que web analyste, je ne vois que trop ce genre de mode de fonctionnement depuis quelques années.
Pour contrer les Ad-bloqueurs, la solution consiste à encrypter les adresses destinées à faire de la pub. Le but étant de rendre la création de règles filtrantes impossible