Quand les tablettes grignotent les liseuses électroniques

J’ai déjà eu l’occasion de vous expliquer que les tablettes et les liseuses étaient deux types de terminaux que l’on ne pouvait pas comparer, car conçus pour des usages différents. Et pourtant… les constructeurs font le forcing pour imposer les usages de lecture sur les tablettes, à commencer par Apple qui nous fait l’article sur la finesse des détails de son écran (mais omets de préciser qu’il génère naturellement une plus grande fatigue visuelle et surtout beaucoup de chaleur).

 

iPad3

Si pour le moment, les liseuses ont encore le dessus (il s’est vendu 720 M de ebooks en 2011 pour 130 M de iBooks), le fait qu’Amazon propose maintenant une tablette ne fait que renforcer l’amalgame entre ces deux formats. Avec un Kindle Fire à 200$, les utilisateurs s’équipent naturellement d’un terminal offrant plus de capacité et se forcent à lire des livres électroniques dessus (malgré l’inconfort de l’écran LCD qui n’est pas conçu pour ça). Une étude récente de RBC Capital démontre ainsi que la lecture de livres électroniques est de loin le premier usage du Kindle Fire :

 

Kindle_Fire_Use

La confusion est d’autant plus aggravée que les liseuses tentent également de grignoter des parts de marché aux tablettes avec des portages de jeux : Tetris Ported to the Kobo Touch. Résultat : des clients potentiels qui hésitent entre tablettes et liseuses et se rabattent vers le produit offrant la plus grande proposition de valeur. D’autant plus à mesure que l’on nous promet une expérience de lecture toujours plus spectaculaire : KAIST ITC Demonstrates a New Smart E-Book Interface.

 

iPad_KAIST

Comme vous pouvez le constater sur la vidéo ci-dessous, cette interface expérimentale permet de reproduire le feuilleter d’un livre. Je ne sais pas trop quel est son intérêt réel, mais ça reste très impressionnant.

Mais outre ses problèmes de positionnement et de produits qui se cannibalisent, c’est bel et bien le contexte légal français qui complique la donne (Pourquoi l’ebook ne décolle pas en France). La loi sur le prix unique étouffe ainsi le marché et fixe un seuil de vente à près de 15€ pour les livres électroniques alors que les livres de poche en valent 6 à 8. Rajoutez à cela le lobbying très fort des éditeurs / distributeurs, les restrictions imposées par les constructeurs (It’s time for a unified ebook format and the end of DRM) et vous aurez des conditions de marché exécrables.

Nous avons donc d’un côté les liseuses et livres électroniques qui sont chers et austères ; et de l’autre, les tablettes et les applications éditoriales qui sont nettement plus agréables et bien mieux valorisées. Car l’astuce est la suivante : les ouvrages vendus dans les librairies électroniques (incluant l’iBooks Store) sont soumis à la loi du prix unique, alors que les livres enrichis vendus dans l’App Store ne le sont pas. Le résultat des cette situation est un terrible paradoxe : des ouvrages bien plus spectaculaires à un prix très inférieur.

Et la situation ne risque pas de changer avec les récentes évolutions des formats comme Epub3 ou KF8 : le marché se dirige inexorablement vers une domination des livres électroniques enrichis et donc des tablettes. Est-ce la fin des liseuses à encre électronique ? Non, car de gros progrès sont réalisés autour d’écrans à encre électronique couleur et car ces terminaux resterons toujours bien plus compétitifs en terme de prix de vente / encombrement / autonomie. J’anticipe donc un marché où les liseuses vont devenir une niche face à la domination de tablettes plus versatiles (2012 sera l’année des tablettes).

Ceci étant dit, n’oubliions pas un facteur important à prendre en compte : le coût de fabrication. Une fois qu’un livre est sorti en librairie, sa version numérique ne coûte rien à produire, alors qu’une version enrichie implique nécessairement des investissements plus conséquents (sans compter le fait que cela peut altérer l’ouvrage en lui-même).

Donc au final, les livres numériques enrichis et applications éditoriales sont-ils mieux que les livres électroniques traditionnels ? Là n’est pas la question, ce sont deux catégories de produit différent. Le problème vient plus des supports pour lire ces contenus. En cherchant à vendre des tablettes aux prix des liseuses, les constructeurs se tirent une balle dans le pied et déstabilisent le marché. Des pratiques tout à fait regrettables, car il existe déjà un précédent avec les netbooks : en cherchant à inonder le marché avec des machines low-cost, les constructeurs ont fortement dégradé l’image du produit et fait chuter les ventes des PC traditionnels.

Entendons-nous bien : je ne suis pas en train de faire le procès des tablettes low-cost (auxquelles je crois beaucoup), mais de condamner la gourmandise les constructeurs qui veulent s’imposer sur le marché des tablettes ET des liseuses avec un produit unique. Ce qui, nous le savons tous, est une hérésie. Au final, qui va gagner ? Certainement les tablettes, charge aux acteurs de l’écosystème du livre électronique (constructeurs, éditeurs, distributeurs…) d’anticiper cette orientation de marché.

3 commentaires sur “Quand les tablettes grignotent les liseuses électroniques

  1. Bonjour
    Il y a un problème que vous ne soulevez pas . Il faudrait pouvoir lire tous les livres sur une même liseuse , mais ce n’est pas le cas aujourd’hui , il faut plusieurs appareils car chacun a son application non compatible avec les autres et c’est vraiment dommage . Il y a aussi le fait que nos éditeurs ne nous proposent pas d’éditer nos livres en numérique
    Georges Daniel Surleau , membre de la Société des Gens de Lettres ( SGDL )

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