Je ne sais pas pour vous, mais en ce moment je fais une overdose de big data. Il semble qu’il n’y ai en ce moment aucun superlatif assez fort pour louer les mérites des big data : elles vont nous sortir de la crise, elles ont remporté Rolland-Garros et vont gagner le Tour de France, elles vont nous démontrer que les enfants qui chaussent du 38 en CM2 ont plus de chance de préférer un milk shake à la banane qu’un deck Magic “Faucheur de mort“. Génial, j’en parlerais à mon pote Krenko le caïd…
Ça fait un petit bout de temps que je cherche un angle d’attaque pour parler des big data. L’approche du point de saturation me semble être un bon timing, d’autant plus que nous avons très certainement besoin d’un débat animé pour nous sortir de cette langueur estivale. Je vous propose donc de prendre un peu de recul par rapport au sujet le plus chaud du moment.
Mais commençons par le commencement avec une petite définition. Il existe quantité de définitions pour les big data, mais j’apprécie grandement celle d’IBM : “Un large volume de données que l’on ne peut plus travailler avec les outils traditionnels“. Il n’est donc pas ici question de découvrir l’intérêt d’exploiter des données, les métiers du décisionnel s’y emploient depuis des années, mais plutôt de le faire différemment et à plus grande échelle. Plusieurs critères sont ainsi à prendre en compte :
- le volume, nous parlons de téraoctets de données à analyser quotidiennement ;
- la vélocité, ces analyses doivent se faire en un minimum de temps pour représenter un levier compétitif ;
- la variété, car les données se présentent sous de nombreuses formes ;
- la véracité, car des données compromises peuvent biaiser une interprétation.
Je ne prétends pas détenir LA définition ultime, mais celle-ci me convient bien, car elle n’est pas trop complexe. Si l’envie vous prend, vous pouvez rajouter d’autres V (The Missing V’s in Big Data: Viability and Value).
Big data = Web 3.0 + Marketing 1to1
Aviez-vous remarqué que l’on nous sort un terme magique tous les 4 à 5 ans : Marketing 1to1, Web 2.0 et maintenant Big data. Certes, il y a de véritables évolutions et/ou ruptures derrière ces termes, mais le déficit de pédagogie entraîne des tensions de marché réellement palpables. À force d’avoir été trituré dans tous les sens, Big data est devenu une notion fourre-tout pour l’on nous ressort à toutes les sauces pour nous vendre tout et n’importe quoi.
Comme à chaque fois, je pense ne pas me tromper en disant que les éditeurs sont les principaux fautifs de cette dérive. Ces derniers pratiquent en effet la technique du tapis de bombe pour essayer d’écraser la concurrence et d’attirer l’attention à eux. Je ne suis pas opposé à l’idée d’assurer sa promotion, mais pas quand ça se fait au détriment de l’ensemble des acteurs. Traduction : ils sont en train de scier la branche sur laquelle ils sont assis.
Loin de moi l’idée de vouloir jouer les démagogues, mais il est temps de mettre fin à ce flou artistique et de calmer les esprits. Il y a effectivement beaucoup (trop) d’attentes et de fantasmes autour des big data et je redoute un phénomène de retour de flammes succédant à une première phase d’euphorie. Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain et essayons de poser le débat de façon méthodique. Eh oui, car il y a un débat, mais j’y viendrais plus tard dans l’article.
Big data et retargeting ne vont pas remplacer le marketing
Comme c’est malheureusement trop souvent le cas, on essaye de substituer les anciennes pratiques aux nouvelles. Sur la même lancée que “green is the new black“, j’entends à droite et à gauche des aberrations du type : “les big data, sont l’évolution naturelle du marketing“. Ha bon ? Dois-je vous rappeler que les métiers du marketing sont ceux qui se sont historiquement intéressés aux données du marché et des consommateurs. Il y a une vingtaine d’années, quand le web grand public n’existait pas encore, mes profs de marketing s’époumonaient à nous inculquer les notions de DN/DV, de taux de rotation et de ratio de saisonnalité. Déjà à l’époque, les marketeurs avaient la tête dans les chiffres et justifiaient toutes les décisions par une utilisation méthodique des données.
Comme toujours, le problème est que l’on confond marketing et display advertising. De ce point de vue là, effectivement, les big data sont en train de révolutionner l’achat d’espace (Le RTB représentera 25% des investissements publicitaires dans le Display en 2016 en France). Mais je vous rappelle que le but du marketing est d’améliorer la connaissance client et l’optimisation de l’expérience (Du recentrage nécessaire du marketing sur la connaissance client et la compréhension du marché).
Ceci étant dit, puisque l’on aborde le sujet, il y a également beaucoup d’abus au sujet du retargeting. Enfant terrible des big data, le retargeting consiste à optimiser l’achat de bannières en ciblant de façon individuelle les internautes en fonction de leur parcours d’achat. Certains prophétisent déjà la mort du planning stratégique au profit d’algorithmes de ciblage chirurgical. Si je ne peux que reconnaître l’efficacité des technologies déployées (ça fonctionne très bien), je me pose des questions sur l’intérêt de harceler un internaute et de le suivre partout sous prétexte qu’il a eu le malheur de consulter une fiche produit. Comme le résume superbement bien Christophe Lauer : “Le retargeting, c’est cette espèce d’horrible chewing-gum collé à votre semelle et qui vous fait couiner à chacun de nos pas“. Et visiblement je ne suis pas le seul à ressentir la même chose, comme en témoigne la dernière tribune de Geneviève Petit.
Donc non, les big data ne vont pas remplacer le marketing, au contraire, elles en seront la principale composante. De même, les techniques de retargeting ne vont pas supplanter les planneurs stratégiques, car le pilotage d’une marque ne se résume pas à l’achat de bannières, aussi ciblées qu’elles puissent l’être. Si les performances sont effectivement là (Des résultats spectaculaires pour le retargeting sur Facebook), cette technique pose quand même de sacrées interrogations sur son impact sur la relation marque / cible.
De la causalité aux corrélations à la compréhension
Un autre grand adage des big data est de dire que les algorithmes ne sont pas sectaires : ils livrent des corrélations brutes, sans inhibitions. Subitement, celles et ceux qui cherchent à analyser et comprendre le comportement des consommateurs sont des irresponsables qui ne font que gaspiller la marge de l’entreprise. Et les spécialistes du domaine de nous expliquer que les marketeurs sont des ringards qui vous font perdre du temps et de l’argent : les algorithmes travaillent 24/7/365 sans se plaindre ni faire la grève, ils ne sont pas perturbés par un référentiel culturel ou par ces affreuses convictions (beurk). En un tour de baguette magique, la causalité est donc devenue une notion du XXe siècle, il faut maintenant passer aux corrélations : ces enseignements que l’on ne comprend pas forcément, mais qu’il faut impérativement exploiter parce que la machine l’a dit.
Nous touchons là au coeur du débat : sous prétexte de vouloir mieux connaître les cibles, on délègue le travail d’analyse et d’interprétation à des machines qui vont nous dire où et quand placer les bannières. Avant, on ne savait pas ce que l’on achetait, mais maintenant c’est mieux, parce que la machine le sait. Cool, mais la promesse n’est pas transformée pour autant. Il y a en effet beaucoup d’opacité dans les mécaniques d’insertion des ad exchange (cf. Météo France jette un pavé dans la mare des Adex) et la recherche de la performance immédiate nous fait perdre de vue l’objectif premier : mieux comprendre les besoins, contraintes, motivations et freins des consommateurs.
Entendons-nous bien : je ne suis pas en train de faire le procès des corrélations, je suis simplement en train de vous mettre en garde contre la tentation d’en abuser, au risque de vous rendre dépendant de solutions technologiques que vous ne maîtrisez pas. C’est un peu comme si vous confiiez l’animation de votre page Facebook à des stagiaires d’un prestataire ! (ha… on me fait signe au micro que… enfin bref, ce n’est pas l’endroit pour aborder cet autre débat).
Il est donc essentiel de ne pas se laisser aveugler par les données qui peuvent potentiellement vous embarquer sur la mauvaise voie si elles sont mal exploitées. Les enquêtes de terrain et les études qualitatives sont des outils d’aide à la décision qu’il ne faut surtout pas négliger, même si leur ROI est plus complexe à calculer.
Depuis quand les segments posent-ils problème ?
Dernier argument massue en faveur des big data : la mort des segments. Comme expliqué plus haut, les moyens informatiques aujourd’hui disponibles à tout un chacun permettent de cibler des consommateurs de façon individuelle. Soit et alors ? Devons-nous pour autant oublier les segments et ne plus faire que du nano-marketing ? Pour mémoire, les segments sont des sous-groupes homogènes et contrastés d’une population cible. Ils servent à adapter une stratégie ou des tactiques en fonction des segments à privilégier ou à délaisser. Une bonne maîtrise des segments est indispensable pour positionner l’offre, cela vous permet de donner du caractère à votre marque. Non, vous ne pouvez pas plaire à tous les consommateurs et adresser de façon optimale l’ensemble des segments. Une bonne marque est une marque clivante, celle que certains adorent et d’autres détestent. Vous pourriez citer LA marque universelle par excellence (Coca-cola), et je vous répondrais qu’elle est justement en train de subir les assauts de marques plus puissantes comme Red Bull qui ont choisis de se concentrer sur certains segments.
Je ne comprends pas bien en quoi l’abandon des segments est une libération… La dernière grosse marque à avoir voulu faire du marketing unitaire est Dell : un client = un ordinateur. Regardez où ils en sont aujourd’hui par rapport à Apple, LA marque qui n’écoute pas ses clients et leur impose une gamme très restreinte de produits. Pour moi l’équation est très simple : si vous essayez de parler à tout le monde, vous ne vous adressez à personne en particulier. C’est tout le problème des marques “moyennes” qui tombent dans le fossé de la commodité : les consommateurs finissent toujours par acheter la moins chère.
Votre marque a besoin de plus
Nous en arrivons donc à la conclusion de cet article : Oui, les big data sont une révolution, car les technologies qui y sont associées permettent de faire des choses que l’on ne pouvait pas faire avant. Mais il convient de ne pas se brûler les ailes, car les données peuvent vous rendre feignant : leur impartialité vous évite à prendre des décisions et à assumer vos convictions. On nous explique que les CMO sont les nouveaux CIO, que dans quelques années leur boulot va principalement consister à choisir les solutions technologiques les plus performantes. Soit, admettons qu’une part toujours plus importante du budget va être alloué à l’acquisition de solutions big data, je reste convaincu qu’elles ne doivent être qu’une partie de la solution. Je suis ainsi un fervent adepte des customer journey, ces modélisations du parcours d’achat et des différentes interactions entre un client et une marque (La conception d’expérience utilisateur est une discipline, pas une notion). Idéalement, les big data viennent nourrir une customer journey, elles ne la remplacent pas (cf. corrélation vs. causalité).
J’ai déjà eu de nombreuses occasions de vous expliquer l’intérêt pour une marque d’investir dans du contenu à valeur ajoutée (Le retour de la revanche du contenu). Plus que jamais, en cette période de flottement où les pratiques et métiers du marketing sont en train de se reconfigurer, il me semble essentiel pour une marque de se doter d’une identité forte, de la légitimer avec une histoire cohérente et d’en démultiplier la portée avec une utilisation conjointe et synchronisée des médias traditionnels et des médias sociaux. Ceci est d’autant plus vrai avec l’avènement des native ads qui vont prendre une place toujours plus importante dans l’inventaire des éditeurs, car ils en ont la totale maîtrise et, car elles perturbent moins l’expérience des internautes.
Et comme toujours depuis que j’ai ouvert ce blog, je vous livre une conclusion digne d’un normand du Cap de l’Écamet : les Big data ne sont qu’un outil, elles peuvent grandement améliorer la performance de vos campagnes si utilisées à bon escient, mais risquent de le faire au détriment de votre marque si vous ne prenez pas les bonnes précautions pédagogiques. Peut-être qu’un Chief Data Officer pourrait se révéler très utile dans ce rôle de garde-fou.