Facebook tente de séduire les jeunes et les pays émergents avec son propre smartphone

Normalement vous devriez déjà être au courant du lancement de Facebook Home, son interface pour smartphones Android. Si l’annonce est plus ou moins conforme à ce que le marché attendait (un produit novateur et un smartphone avec le logo Facebook), ce lancement nous prouve surtout que Mark Zuckerberg voit loin : conquérir son deuxième milliards d’utilisateurs.

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Avant de nous lancer dans une analyse de l’impact de ce lancement, quelques éléments de contexte sur Facebook et la mobilité :

  • 680 M d’utilisateurs actifs par mois dans le monde (+ 57% sur un an), dont 157 M n’utilisent que la version mobile ;
  • Facebook représente 23% du temps consacré à l’utilisation d’applications sur mobile, le fil d’actualité est à l’origine de 65% des Likes et 45% des commentaires ;
  • 185.000 applications iOS et Android intègrent Facebook ;
  • 33% des utilisateurs mobiles envoient tous les jours des messages Facebook à leurs amis, 46% des personnes consultent Facebook pendant leur shopping…

Comme vous pouvez le constater, la mobilité est une caractéristique essentielle de Facebook, d’autant plus si l’on tient compte d’Instagram. Il était donc tout naturel que les équipes proposent une stratégie plus sophistiquée que la mise à disposition de quelques applications. C’est maintenant chose faite avec Home, le nouveau fer de lance de Facebook en matière de mobilité.

Une interface séduisante et un smartphone cohérent

Ce tout nouveau Facebook Home se présente donc sous la forme d’une interface pour smartphones Android, au même titre que les interfaces TouchWiz chez Samsung, Sense chez HTC ou Optimus UI chez LG. Concrètement, Home est une application que vous pourrez installer sur votre smartphone Android et qui viendra modifier l’écran d’accueil et vous donnera accès à des fonctionnalités permanentes comme le Cover Feed, les Chat Heads, le app launcher et les notifications : Hands-on with Facebook Home.

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Si l’omniprésence de Facebook sur votre smartphone ne vous gêne pas, alors il y a fort à parier que vous serez séduit par ce Home, car son fonctionnement est plaisant et plutôt intuitif : Watch Videos Of How To Use Cover Feed, Notifications And Chat Heads On Facebook Home. Même si Home s’installera comme une “simple” application, il est donc plus proche de nombreux lanceurs d’applications, ce qui risque de relancer l’intérêt pour ce segment et de donner des idées aux autres plateformes sociales (Android Launchers Are A Small Market, Can Facebook Home Change That?).

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Dans un premier temps, Facebook Home ne sera disponible que pour un nombre restreint de smartphones (dont les HTC One et Samsung Galaxy), mais d’autres modèles devraient être rajoutés au fur et à mesure. De même, une version pour tablettes devrait être proposée d’ici à quelques mois.

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Autre grande annonce, le lancement du HTC First, le premier smartphone officiellement conçu pour Home : Meet The HTC First, The First Android Phone To Come Preloaded With Facebook Home. Rien de révolutionnaire dans cette annonce, si ce n’est que cet appareil rassemble toutes les caractéristiques d’un bon smartphone et qu’il sera proposé sous la barre symbolique des 100$, avec une disponibilité prévue pour cet été en Europe : Orange France, EE In The UK Will Get First Facebook Home HTC First Phones In Europe In Summer 2013.

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Force est de constater qu’ils ont donc bien préparé leur coup et que l’offre est sacrément bien ficelée avec un appareil parfaitement bien positionné en terme de qualité / prix. Difficile de dire pour le moment si HTC parviendra à écouler des dizaines de millions de son appareil, car d’autres constructeurs devraient logiquement lui emboiter le pas, mais je pense que la tâche va tout de même être ardue. Rappelons ainsi que d’autres s’y sont risqués avant (Facebook Home: A prettier Motoblur) et que placer l’utilisateur au centre n’est pas réellement une nouveauté (Microsoft Tells Facebook It Already Made A People-First Phone, Calling The Whole Concept Into Question).

Une mine d’or pour les annonceurs

Lors de l’annonce, Mark Zuckerberg a dû se justifier quant au choix de lancer une interface reposant sur Android et non un système d’exploitation ou un smartphone en son nom. La réponse est équivoque : lancer son propre produit n’aurait permis à Facebook que de toucher 0,1 à 0,5% de sa base d’utilisateurs. Ceci est d’autant plus vrai que Facebook est déjà intégré de façon native à Android et iOS, inutile de concevoir leur propre OS, d’autant plus que c’est un chantier colossal (Palm en a fait les frais avec Web OS). En ce qui concerne la conception d’un terminal, c’est encore pire puisque même Google et Microsoft ont délégué cette tâche à des partenaires techniques (respectivement LG et Nokia). Bref, ce Facebook Home est donc le meilleur compromis pour permettre à Facebook d’arriver à ses fins : contenter les announcers.

Il n’est un secret pour personne que Facebook a beaucoup de mal à trouver un produit publicitaire convainquant. Face à l’impatiente des marchés financiers, ils se devaient de réagir. La solution qu’ils ont trouvée est donc de placer Facebook au coeur de l’utilisation du smartphone et d’augmenter ainsi le temps d’exposition des membres. Avec Home et les notifications, les mobinautes sont donc en permanence connectés à Facebook, c’est à dire aux messages de leurs amis, mais également des sponsors et annonceurs (The Real Reason Advertisers Will Love Facebook Home Phones: Permanent Logins). Vous vous doutez bien que cette éventualité a de quoi inquiéter, et les réponses apportées par Facebook ne sont qu’à moitié convaincantes : Facebook details Home privacy: It won’t collect info from inside apps and it can be shut off completely.

Je veux bien admettre avoir une nette tendance à la paranoïa, mais ils avaient également juré qu’ils ne revendraient jamais les données personnelles des membres aux annonceurs, et ils se sont fait prendre la main dans la sac. Non pas qu’ils soient malveillants, mais la tentation est trop grande. Par contre, concernant la tentation de mettre des bannières de pub sur tous les écrans, ils ont déjà annoncé la couleur : Facebook will put ads in Home for Android, just not at launch (ça c’est fait !).

Donc si l’on résume le but de la manoeuvre : augmenter la fréquence d’utilisation et l’inventaire publicitaire, éloigner la concurrence (la barre de recherche de Google n’est pas présente dans l’écran de lancement des applications) et intensifier la collecte de données d’utilisation. Dans l’absolu, rien de réellement choquant pour un service gratuit, car il faut bien qu’ils gagnent de l’argent.

Les jeunes et les pays émergents sont les vrais marchés-cibles

S’il est très difficile d’anticiper le rythme d’adoption auprès des membres de Facebook, il y a visiblement consensus pour dire qu’avec Home, Facebook cherche à séduire d’autres cibles, à commencer par les jeunes. Nous savions déjà que les jeunes étaient accros aux SMS, ils le sont encore plus des applications de tchat mobiles : Millions Of Teens Are Skipping Facebook And Using A New Breed Of Flirty Mobile Messaging Apps.Plutôt que Facebook, où ils risquent de croiser leurs parents ou profs, les jeunes préfèrent ainsi utiliser des services mobiles de conversation et de partage de photos comme Snapchat, Kik ou WhatsApp. Cette tendance se confirme d’ailleurs sur d’autres zones géographiques comme l’Asie avec des services extrêmement populaires qui tentent de s’exporter comme WeChat ou Kakao.

C’est donc pour séduire ce segment de la population que Facebook a imaginé cette interface qui met en avant les photos et les conversations. Un peu comme Microsoft l’avait fait il y a quelques années avec son Kin, issu du rachat de Danger en 2008 (RIP, Danger, 2002 – 2011: Microsoft axing service on May 31st).

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Signalons de plus que le segment des jeunes a par ailleurs été fortement prospecté par BlackBerry qui y voyait un relais de croissance pour diversifier sa clientèle essentiellement captée dans le monde de l’entreprise. Le concurrent direct de Home sur le créneau des jeunes semble donc être BlackBerry plutôt qu’Android.

Outre les jeunes, ce Facebook Home est destiné à tous les adeptes du mobile first, ceux qui en ont fait le choix, et ce qui n’ont pas d’autres choix, comme dans les pays émergents. Je pense naturellement à la Chine, le Brésil, l’Afrique ou encore l’Inde (Facebook Home does have a market, it’s India). En ciblant ces marchés, Facebook entame donc un vaste de chantier de conquête des pays émergents, une décision plutôt maline, mais où la concurrence va être très rude.

En lançant une variante d’Android (HTC And Facebook Confirm They Modified Android To Optimize The “First” Phone For Home) Facebook se retrouve en concurrence avec des acteurs surpuissants comme Amazon ou Alibaba qui ont lancé leur propre instance d’Android (cf. La domination d’Android menacée par les cloudphones et Aliyun ?), et contre des éditeurs alternatifs comme Mozilla avec son Firefox OS.

Mais avant tout, c’est à Google que Facebook s’attaque en interposant son Home entre Android et les utilisateurs mobiles (Facebook dares Google to take control of Android with Home). J’attends avec impatience la réponse du géant californien, qui sera très certainement présentée le mois prochain lors de la conférence Google I/O. Déjà que l’affrontement entre Apple, Google, Microsoft, BlackBerry et cie était particulièrement spectaculaire, l’arrivée de Facebook dans l’équation va encore compliquer la donne. Affaire à suivre…