Compte-rendu Chine #3 : distribution et banque

Après avoir parlé des usages mobiles et du commerce en ligne en Chine, je vous propose un retour terrain sur les pratiques de distribution, et notamment ce qui se fait là-bas en matière de distribution alimentaire et bancaire. Sans vouloir vous spoiler : j’ai vu l’avenir.

Avant toute chose, je tiens à remercier toute l’équipe de l’Institut Français de Chine qui s’est occupé de planifier mon séjour en Chine, et tout particulièrement David Liziard qui m’a gentiment accompagné dans mes pérégrinations pour comprendre la façon dont les Chinois font leurs courses.

Quelques éléments culturels pour bien comprendre le contexte chinois

Avant d’étudier en détail la façon dont les magasins alimentaires sont configurés, il est important de préciser certaines choses, notamment le fait que tous les apparentements n’ont pas de cuisine. Comme vous pouvez le voir sur la photo ci-dessous, de nombreux immeubles ont été fabriqués dans l’objectif d’héberger un maximum de personnes en un minimum de temps et de coûts. Il existe ainsi de nombreux immeubles qui sont en fait un empilement d’unités rectangulaires (on en distingue aisément les contours), qui n’ont pas d’accès à l’eau ni d’évacuation des eaux usées. Les toilettes et salles de bain sont partagées et sont situées au bout des couloirs pour faciliter la construction du bâtiment.

Cela peut vous sembler spartiate, mais les Chinois venus des campagnes pour s’installer dans les grandes villes s’en accommodent parfaitement. Comme il n’y a pas de cuisine, les habitants des grandes villes achètent leur repas tous les jours au coin de la rue : soit auprès de vendeurs itinérants (photo du milieu), de mini-échoppes (photo de droite) ou de vendeurs directement installés dans les halls d’entrée (photo de gauche). Les repas que l’on y achète sont simples, mais très économiques et préparés le jour même.

Autre élément important : le repas est une tradition sociale dans les familles chinoises, comme en France ou en Italie, il n’y a pas la culture du snacking comme aux États-Unis. Ils font donc l’effort de commander ou préparer à manger (quand c’est possible) pour toute la famille. Sinon, ils déjeunent et dînent dans les restaurants de quartier que l’on trouve à tous les coins de rue, l’équivalent de nos troquets. Le plat de nouilles sautées au boeuf que vous voyez ci-après m’a couté 15 yuans, soit à peine 2 €. Et encore, je les soupçonne de m’avoir fait le tarif “touriste”…

En Chine, il n’y a pas non plus de tradition historique de la grande distribution, contrairement à la France où l’on pratique les grands magasins depuis près de 200 ans (ex : Le Bon Marché, les Galeries Lafayette…). Des villes comme Pékin ou Shanghaï se sont beaucoup modernisées et proposent maintenant de grandes avenues piétonnes avec toutes les enseignes occidentales et locales, mais c’est assez récent.

Enfin, dernière précision avant de parler des banques chinoises : les Chinois n’ont jamais réellement accepté les chèques ou les cartes bancaires avec puce, ils sont directement passés au paiement sur smartphone (cf. mon article sur les usages mobiles). De ce fait, il n’ont pas forcément développé d’habitudes ou d’attachement aux agences bancaires.

Alibaba et le “new retail”

C’est dans ce contexte qu’Alibaba, le roi du commerce en ligne a décidé il y a de nombreuses années d’investir dans une infrastructure de distribution de nouvelle génération (le “new retail”). Ils ont commencé par racheter une série de centres commerciaux (Alibaba is buying Chinese mall operator Intime for $2.6B to modernize offline retail), puis par tester les boutiques éphémères (Alibaba tests 60 futuristic pop-up stores across China for Singles Day et Ford and Alibaba unveil car vending machine), les magasins spécialisés (After supermarkets, Alibaba moves into furniture)…

Plus récemment, Alibaba s’est lancé dans l’aventure de la distribution alimentaire. Étant obsédés par Amazon, ils ont lancé un concept novateur de magasins alimentaires très proches de ce que fait Wholefoods, mais avec des spécificités propres au marché chinois. Le résultat se nomme Hema Fresh, se veut être des surfaces alimentaires de haute technologie qui intègrent harmonieusement commerce en et hors ligne, et se trouve dans plusieurs grandes villes de Chine : Experiencing new retail in China: Hema Fresh.

À priori, ces supermarchés ne sont pas très différents de ce que l’on trouve en France : une enseigne au niveau de la rue et une moyenne surface en sous-sol. Un agent de sécurité vous accueille et vous propose gentiment un petit caddy (avec un système de scan intégré).

En revanche, dès que l’on rentre dans le supermarché, on remarque des rails au plafond avec des paniers accrochés dessus :

Ces paniers servent à accueillir des produits frais (poissons, crustacés, fruits, légumes… dont certains sont directement acheminés depuis les producteurs), qui occupent les îlots centraux du supermarché. Chose très surprenante : il y a beaucoup de personnel dans ces supermarchés soi-disant tout automatisés. Les rayons sont effectivement occupés par des salariés qui reçoivent des commandes sur une tablette et les traitent illico en piochant dans les bacs de produits frais. Si vous leur posez une question, ils vous répondent, mais sont avant tout là pour traiter les commandes. Il s’occupent également de préparer des kits de repas frais.

J’ai passé quelques minutes à les observer discrètement, et effectivement, ils reçoivent régulièrement des notifications sur leur tablette, récupèrent un panier sur le présentoir et le remplissent avec les articles de la liste. Une fois tous les articles récupérés, ils accrochent le panier aux rails, puis la commande est acheminée dans une zone spécifique où elle est emballée pour livraison.

Il y a également la possibilité de manger sur place, avec une configuration qui ressemble furieusement à ce que l’on peut trouver chez Wholefoods, mais à la différence près que l’on peut y manger des produits frais (ex : du poisson, des crabes ou fruits de mer pêchés dans les bacs).

Il y a surtout la zone de paiement avec ses nombreuses bornes en self-service et son employé dévoué qui est là pour vous aider à ranger votre caddy, ou récupérer vos courses pour vous les livrer en 1/2 heure :

Le fonctionnement de ces bornes n’est pas très différent de que vous connaissez (il faut scanner soi-même les produits), mais il n’y a pas d’encaissement : le paiement se fait soit à travers l’application mobile Hemma, soit avec Alipay (qui appartient au même groupe que Alibaba).

Si vous n’avez pas l’application mobile, comme moi, et que vous voulez quand même acheter quelque chose (ici une bouteille d’eau), il faut aller au check-out (des caisses vides) et demander quelqu’un au Service Center. Ce comptoir est habituellement utilisé pour fluidifier l’accès aux services (installer l’application mobile, se créer un compte, demander un nouveau mot de passe…), mais si vous insistez, une employée se déplace pour allumer une caisse et vous encaisser.

Il n’y a donc quasiment pas de paiement en espèce dans ces supermarchés. Tout y est fait pour vous inciter à installer leur application mobile qui enregistre vos dépenses et vous confectionne des listes de course en fonction de votre profil (vos préférences, le nombre de personnes dans votre foyer…). Les locaux prennent visiblement très vite leurs habitudes et finissent par commander en ligne et se faire livrer gratuitement.

Dans l’absolu, il n’y a rien que l’on ne trouve pas en France, mais le principe de self-service est ici poussé au maximum. Ce qui permet de libérer du personnel aux caisses et de les ré-allouer aux rayons où ils peuvent traiter les commandes très rapidement et répondre aux questions des clients. Un concept qui a été décliné sous une forme encore plus extrême à Hangzhou : Amazon Go vs Alibaba Tao Cafe: Staffless Shop Showdown.

Face au succès de cette nouvelle chaine de supermarchés, le grand rival de Alibaba (Jing Dong) s’est lancé à son tour avec un concept similaire : JD Introduces 7Fresh After Alibaba’s Hema et We visited JD’s connected grocery store in China. Ce supermarché propose à peu près la même chose, mais y ajoute une couche de service supplémentaire avec la mise à disposition d’assistants shopping (un employé qui vous accompagne dans les rayons) et de l’innovation avec des caddies automatisés :

Rassurez-vous, les distributeurs français ne sont pas en reste puisqu’ils ont noué des partenariats pour lancer des concepts novateurs à l’image du nouveau magasin “Le Marché” inauguré à Shanghai où il est possible de payer grâce à la reconnaissance faciale : Carrefour et Tencent inaugurent leur premier supermarché connecté à Shanghai.

Enfin, il y a ces magasins express qui sont en test en France : Des centaines de magasins automatiques Auchan Minute en Chine.

Comme vous pouvez le constater, les leaders Chinois comme Alibaba ou JD impressionnent par leur rapidité d’exécution et de déploiement, mais les leaders français apprennent vite et commencent déjà à importer ces innovations.

** Interlude culinaire **

** Fin de l’interlude culinaire **

Les banques chinoises, reines du self-service

En ce qui concerne la distribution bancaire, nous sommes sur une démarche similaire, mais à différents niveaux d’avancement. Tout d’abord, un court séjour en Chine suffit pour se rendre compte que toutes les banques chinoises se sont mises d’accord sur le fait que la banque n’est pas un métier de service, mais de self-service ;-)

Il existe ainsi de nombreuses mini-agences qui proposent des distributeurs et automates disponibles 24h/24 :

Sinon, les agences bancaires ne sont pas très différentes de ce que l’on trouve en France, quoi que… J’ai ainsi visité différentes banques tout ce qu’il y a de plus classique, mais une agence à Pékin m’a particulièrement interloqué. L’entrée est tout à fait banale :

Sur la gauche de l’entrée, il y a une cabine téléphonique reconvertie en “cabine de discrétion” pour utiliser un automate extérieur :

En revanche, une fois à l’intérieur, les clients se retrouvent devant un mur de distributeurs et automates, baptisé “Intelligente Service Area” :

Il y a bien une salle derrière la cloison, mais pour y accéder, il faut passer devant une guérite où une hôtesse d’accueil vous renvoie illico vers un des automates (il faut visiblement prendre un RDV). Les automates sont de différentes natures, plus ou moins sophistiqués en fonction des opérations que les clients souhaitent effectuer :

Certains modèles sont particulièrement sophistiqués avec un immense écran tactile et plusieurs fentes qui permettent de collecter différents documents, et notamment d’encaisser de l’argent liquide :

Même en insistant, il n’est pas possible de parler à un des employés derrière la cloison. Un vieux monsieur essayait ainsi de plaider sa cause, mais rien à faire, l’hôtesse a fini par lui prendre son smartphone des mains pour lui installer l’application mobile de force et le lui rendre avec un air suffisant du type : “Vous voyez que c’est possible de le faire vous-même” (NDLR : ceci n’est pas une traduction littérale, mais une traduction approximative de l’auteur de l’article). C’est donc une approche extrême de la banque en libre-service, comme si l’on vous forçait à utiliser les caisses automatiques dans un supermarché.

Sinon, il y a des exemples beaucoup plus classiques, comme cette autre agence bancaire de Pékin avec une entrée parfaitement banale, jusqu’aux affichettes scotchées sur la vitrine.

Une fois dans le sas d’entrée, il y a la zone “self-service” à gauche (plutôt déprimante) :

Et à droite on accède à la salle avec les comptoirs et guichets :

Dernier exemple avec cette agence ICBC de Shenzhen (la même banque que le premier exemple) :

On retrouve cette configuration où les clients pénètrent dans une première salle avec uniquement des automates. Il y a également une borne d’accueil qui permet de prendre un RDV express avec un guichetier (comme chez le boucher) :

Je n’ai malheureusement pas pu photographier la salle de droite, car je me suis fait sortir manu militari par le vigile (malgré mes explications).

Au final, il n’y a rien de très choquant dans ce que j’ai pu voir : l’industrie bancaire a vu l’intérêt que pouvait représenter l’autonomisation des clients (le self-service) et décidé d’investir dans leur accompagnement (mise à disposition de personnel, plutôt que de les maintenir derrière un guichet).

Des robots et des distributeurs de cadeaux

Il me faudrait un livre pour décrire tout ce que j’ai pu voir, mais je partage avec vous trois dernières trouvailles rigolotes. Tout d’abord ces robots d’accueil que l’on trouve dans les halls des hôtels : en se positionnant en face de lui, il est possible d’entamer un dialogue pour commander un taxi, réserver un restaurant dans le quartier ou se faire recommander une boutique. L’interface vocale avait l’air plutôt performante, mais malheureusement, ils ne parlent pas l’anglais.

Autre bizarrerie que l’on ne trouve qu’en Chine, des distributeurs de cadeaux (en fait de pochettes-surprises). C’est un peu comme à la kermesse, on ne sait pas à l’avance ce qu’il y a dans les pochettes, mais le principe semble visiblement plaire aux Chinois. J’ai discrètement pris cette personne en photo qui en a acheté 5 et les ouvrait de façon frénétique avec l’espoir de récupérer un appareil photo flambant neuf (je crois qu’il a été déçu) :

Enfin, il y a ces cabines individuelles pour faire du karaoké sans déranger ses voisins ou proches (souvenez-vous que les appartements sont petits et très mal insonorisés). J’ai bien essayé de m’installer dedans, mais l’interface est en mandarin, et en plus, il n’y a que des chansons chinoises…

Outre ces trois anecdotes, je vous confirme que la Chine est effectivement en avance sur le reste du monde en matière de distribution. Non pas qu’ils ont accès à des technologies non-disponibles en occident, mais ils ont une approche beaucoup plus pragmatique et surtout une incroyable capacité de déploiement à l’échelle.

Mon prochain article, le dernier de la série, traitera de l’intelligence artificielle et de son usage dans le quotidien des Chinois.