Compte-rendu Chine #2 : commerce en ligne

Je poursuis ma série de comptes-rendus sur mon voyage en Chine avec un focus sur le commerce en ligne. La Chine est le plus gros marché en termes de e-commerce, vous le saviez déjà. Dans cet article, je vous propose d’étudier en détail les raisons de ce succès, les grands acteurs, leur stratégie de développement ainsi que le rôle des influenceurs.

Le plus gros marché pour le commerce en ligne

Avec plus de 800 M d’internautes, il est normal que la Chine soit le plus gros marché pour le commerce en ligne, du moins en termes de volume (Global Ecommerce Marketplaces: The Complete List by Region and Sales) :

Si l’on rapporte les chiffres du commerce en ligne au nombre d’habitants, le Royaume-Unis et les États-Unis sont en tête, mais la Chine n’est pas très loin, en cinquième position, juste derrière la France (Top 10 countries by Ecommerce Spend) :

En revanche, la part du e-commerce vis-à-vis du commerce traditionnel est largement supérieure en Chine : près d’1/4 des achats en 2017 étaient effectués en ligne, elle se situe entre 8 et 10% en France (E-commerce sales as percentage of total retail sales in selected countries in 2017) :

Tous ces chiffres démontrent une grande maturité dans les pratiques de commerce en ligne. Pour vous en convaincre, il suffit de regarder les chiffres records des ventes le 11 novembre dernier (le jour des célibataires) : Alibaba sets new Singles’ Day record with $31B in sales et JD sees Singles’ Day revenue jump 27% thanks to offline push.

Pour comprendre les raisons de ce succès, il faut remonter en 2010, aux débuts de plan décennal décidé par le gouvernement pour sortir les habitants des campagnes de la pauvreté et faire migrer l’économie du secteur primaire (agriculture) vers le secondaire (fabrication) : Once poverty-stricken, China’s “Taobao villages” have found a lifeline making trinkets for the internet. Concrètement, l’État a investi massivement pour aider des dizaines de milliers de villages à construire des infrastructures de production et de distribution : les fameux “villages Taobao”. Il en résulte un maillage très dense de villages où les agriculteurs ont été reconvertis en ouvriers qualifiés pour produire au sein de mini-usines locales tous les biens que nous achetons en ligne et qui sont sourcés sur Alibaba (LA plateforme de commerce BtoB de référence). Si vous vous demandez d’où viennent les produits qui vous entourent et où ils ont été fabriqués, cet article est pour vous : China hits roadblocks as it spends billions to help farmers sell online.

Le commerce en ligne est donc parfaitement rentré dans les moeurs, et l’on croise régulièrement des scooters de livraison débordant de cartons de produits achetés en ligne :

De même, il y a un certain nombre de casiers automatiques répartis dans la ville, soit sur des parkings, soit dans les ruelles adjacentes aux grands boulevards :

Je pense ne rien vous apprendre en écrivant que le marché du commerce en ligne chinois est trusté par Alibaba et JD qui se partagent les 3/4 des ventes (Alibaba continues to lead retail e-commerce sales in China in 2018) :

Alibaba est un groupe tentaculaire, qui a fait fortune dans le commerce en ligne, mais calque sa croissance sur celle d’Amazon et propose maintenant un ensemble de services dans le cloud, les médias ou la publicité. En ce qui concerne la vente en ligne, le groupe opère différents sites web :

  • Alibaba, la plateforme BtoB qui relie les fabricants chinois aux distributeurs du monde entier ;
  • Tmall, le portail marchand équivalent à Amazon, réservé aux marques chinoises ;
  • Tmall Global, la version internationale de Tmall, domiciliée à Hong-kong, sur laquelle les marques étrangères peuvent vendre leurs produits (accessible aux Chinois, mais sur une autre URL) ;
  • Taobao, le portail de vente entre particuliers, mais avec énormément de semi-pros, semblable à Ebay ;
  • AliExpress, le réseau de sites marchands internationaux pour conquérir le reste du monde

Mais l’empire d’Alibaba ne se limite pas à la Chine puisque le groupe a racheté Lazada en 2016, le leader du commerce en ligne en Asie du Sud-est : Alibaba’s Southeast Asia empire.

Bien évidemment, tout ceci se passe sur le mobile, il est ainsi très fréquent de voir des utilisateurs chinois dans le métro faire du “lèche-vitrine” sur leur smartphone : incités par les publicités diffusées sur les écrans, ils passent en revue les boutiques virtuelles de leurs marques préférées à l’affut de soldes ou bons plans.

Anecdote intéressante : certains tunnels du métro sont équipés de panneaux verticaux de LED qui diffusent des spots publicitaires entre deux stations (un système installé dès 2011 : What is this advertising technology in Beijing’s subway?). J’ai bien essayé de prendre ça en photo, mais ça ne rend rien… Du coup je vous propose cette vidéo d’explications :

Les relais-colis et drones de livraison à l’assaut des campagnes

Dans les faits, ce sont plutôt les habitants des grandes villes qui commandent sur Tmall, les habitants des petites ou moyennes villes régionales n’ont pas forcément confiance en cette enseigne, ils commandent plus volontiers sur Jing Dong, l’autre grand site de commerce en ligne qui a su se démarquer avec une politique très stricte de lutte contre la contrefaçon et qui a surtout mis sur pied un réseau très dense de points de livraison qui agissent comme des tiers de confiance : How e-commerce is transforming rural China.

Ils ont également investi très tôt dans les drones de livraison, qui sont actifs depuis 2017 : One of China’s largest online retailers is adding dozens of drone delivery routes to rural villages et What Do China’s Delivery Drones Look Like?. Si vous pensiez qu’Amazon était le pionnier de la livraison par drone, c’est le moment de regarder ce qui se passe à l’Est !

Je reviens sur ce principe de tiers de confiance et de point de livraison, car il est essentiel pour comprendre le comportement des acheteurs : En région, il est impensable pour un consommateur de passer commande à un inconnu. D’où l’importance de ce réseau de relais-colis dont le gérant est une figure locale connue de tous, généralement l’ancien patron de l’épicerie du quartier. Capitalisant sur ce succès, JD s’est lancé dans une phase d’expansion nationale de ses relais-colis et propose maintenant un principe de franchise aux commerçants des grandes villes qui convertissent leur boutique en point de retrait :

Il n’en fallait pas moins pour énerver le leader historique qui a rapidement contrecarré les plans de JD avec un programme très agressif de conversion des vieilles boutiques en “Tmall Shops”, des magasins de proximité flambant neuf offrant une sélection de produits du quotidien, mais aussi en ensemble de services : Alibaba veut s’allier aux 6 000 000 de magasins indépendants de proximité.

Ces Tmall Shops servent à la fois de point de retrait, mais aussi de centres de services pour populariser les différentes applications mobiles du groupe : paiement mobile (Alipay), crédit à la consommation (1 in 4 China post-90s consumers use Alipay credit service et Ant Financial Consumer Lending Reaches $95 Billion), banque en ligne pour particuliers et pros (Ant Financial’s MYbank to open up tech suite to other banks)…

Comme vous pouvez le constater, la frontière entre commerce en ligne et commerce traditionnel a quasiment complètement disparu. Un phénomène que l’on observe de plus en plus en France, mais qui est nettement facilité en Chine par la concentration des usages et capitaux sur deux acteurs (Alibaba et JD). Il est donc logique de voir des pure-players adopter des modèles hybrides : Food delivery app Deliveroo opens its first brick-and-mortar restaurant in Hong Kong. Je reviendrais sur les pratiques de distribution hybride (en/hors ligne) dans mon prochain article.

** Interlude récréatif **

** Fin de l’interlude récréatif **

Les influenceurs en force

Dernier sujet en rapport avec le commerce en ligne en Chine, et pas des moindres : le formidable business généré par les influenceurs, autrement appelés KOL (“Key Opinion Leaders“) ou Wǎnghóng (“Internet celebrities“). En Chine, le recours aux influenceurs est une pratique établie depuis de nombreuses années (cf. ces deux articles publiés en 2015 : Why China has a five-year lead in social media & ecommerce et Brands turn to WeChat influencers to reach Chinese consumers).

Plusieurs facteurs expliquent ce succès :

  • L’absence de standards publicitaires (comme il n’y a pas d’équivalent de l’IAB, chaque plateforme exploite ses propres formats) ;
  • Le rapport avec l’argent qui est très décomplexé (les Chinois ont une très grande tradition du négoce) ;
  • Le besoin d’appartenance qui est plus prononcé chez les Chinois que dans d’autres sociétés plus individualistes (rappelons que la Chine est un pays avec 1,4 milliard d’habitants unifiés de force, notamment à travers le langage écrit et parlé qui ont été simplifiés après la seconde guerre mondiale) ;
  • Enfin, un autre facteur culturel qui est la recherche d’harmonie sociale (ne pas faire de vague, se conformer).

Oui je sais, c’est de la psychologie de comptoir, mais tous ces facteurs expliquent le terreau qui a permis à la Wǎnghóng Economy de se développer : Chinese Influencer Marketing, Why Chinese bloggers sell so well on social media. Les influenceurs locaux ont donc systématiquement une boutique à leur nom sur TaoBao ou Weixin où ils commercialisent une sélection de produits qu’ils endossent (Overview of WeChat KOL Promotion). Ici, l’exemple d’une campagne de promotion de la nouvelle collection de sacs Burberry qui s’est appuyé sur l’audience de Mr Bags (vous remarquerez le QR code en bas à droite qui permet d’accéder directement à la boutique en ligne) : 1,2 M sold on WeChat in just 12 minutes.

Face à succès, et à la demande pressante des annonceurs, le marché s’est rapidement structuré autour d’agences spécialisées : China’s crazy influencer industry. Il est difficile de dresser une liste des influenceurs tant ils sont nombreux et diversifiés, mais vous pouvez toujours lire ces deux articles : Who are China’s top influencers and key opinion leaders by commercial value? et Meet The Chinese Influencers Making Waves In The Fashion World. Certains parviennent même à s’exporter : Bloggers Without Borders – 7 of the New Breed of Chinese Global Influencer. Et comme si ça ne suffisait pas, il y a même des formations pour devenir influenceur !

De même, les grandes plateformes ont monté des offres pour faciliter / contrôler la mise en relation entre marques et influenceurs : What is Tmall and Taobao Influencer Marketing?.

Bien évidemment, il y a un logique retour de balancier avec de nombreuses dérives et une certaine lassitude : China’s Influencer Fatigue is Real. What Should Brands Do?. De ce point de vue là, le marché chinois n’est pas très différent des marchés occidentaux, les annonceurs se tournent donc logiquement vers les micro-influenceurs pour retrouver de l’authenticité et de la proximité avec leurs cibles.

La prochaine étape pour les KOL devrait être le développement de points de vente physiques éphémères (pop-up stores) pour pouvoir accélérer la monétisation de leur audience. Ceci me fait une parfaite transition vers mon prochain article sur le rapprochement entre distribution en et hors-ligne qui sera publié dans les prochains jours…

Un commentaire sur “Compte-rendu Chine #2 : commerce en ligne

  1. Bravo Fred pour cet excellent travail de terrain. En te lisant je mesure la distorsion de l’information que j’ai ressenti a mon retour de Shanghai. Rien ne remplace l’expérience du terrain particulièrement dans un siècle de grands changements où circulent trop de clichés, préjugés et croyances issues d’un passé devenu obsolète. Je partage dans mon blog tes articles pour aider à ce que cette information de terrain profite au plus grand nombre 😉

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