Les années passent et les terminaux et outils numériques occupent une place toujours plus importante dans le quotidien des utilisateurs, aussi bien en France qu’ailleurs dans le monde. Il est d’ailleurs intéressant de constater que si les usages numériques progressent de façon globale, la progression ralentie dans les pays occidentaux où nous approchons du point de saturation, tandis que la croissance est assurée par les pays émergents. Une situation asymétrique qui se traduit par un déséquilibre dans la répartition des richesses et des déchets (numériques). L’avènement de l’intelligence artificielle va-t-elle se confronter aux impératifs d’un numérique plus responsable ? Certainement, et les statistiques récentes nous le prouvent.

En synthèse :
- Les usages numériques et équipements semblent avoir atteint un plafond en France, même s’il reste des leviers de croissance (intensification du commerce en ligne, équipement en objets connectés et casques de réalité virtuelle) ;
- La transformation numérique de l’Europe progresse avec des infrastructures de pointe et de nombreux services publics en ligne, mais un certain retard sur le cloud computing et l’adoption de l’IA ;
- L’IA est assurément un levier de croissance pour de nombreux constructeurs qui l’intègrent à leurs nouveaux smartphones et ordinateurs en espérant accélérer le rythme de renouvellement ;
- L’IA génère des sentiments très ambivalents avec des patrons qui y voient un facteur d’accroissement de la productivité, mais également une source grandissante de préoccupations ;
- L’IA participe à une hausse de l’activité des data centers, donc des besoins accrus en énergie et en ressources (eau, minerais…).
Les usages numériques progressent de façon immuable, tandis que l’adoption des terminaux et outils numériques est toujours plus forte. Ça, vous n’aviez pas besoin de moi pour vous en douter. Néanmoins, de quels progression et niveau d’adoption parlons-nous exactement ? Les statistiques du numérique sont parfois trompeuses, car elles ne reflètent qu’une moyenne, mais l’évolution de ces statistiques est généralement riche en enseignement, à la fois sur les usages et les niveaux d’adoption ou le rythme de transformation. Compiler les différentes sources est donc un exercice auquel je me prête régulièrement (cf. Statistiques 2023 sur la transformation numérique de l’Europe et de la France).
Des usages numériques gourmands en ressources et facteurs d’inégalités
Commençons notre tournée des statistiques avec le Rapport sur l’économie numérique 2024 de l’ONU. Celui-ci met en évidence plusieurs tendances, à commencer par l’impact croissant des activités numériques sur l’environnement :
- Les usages numériques représentaient en 2020 entre 1,5% et 3,2% des émissions de gaz à effets de serre ;
- Les data centers consommaient en 2022 460 TWh d’électricité, avec un doublement prévu d’ici à 2026 ;
- Les déchets provenant de terminaux numériques ont augmentés de 30% entre 2010 et 2022 (doublement du nombre de smartphones en 15 ans, triplement du nombre d’objets connectés en depuis 2022 pour atteindre 39 MM en 2029) ;
Mais ce ne sont là qu’une partie des mauvaises nouvelles, car les usages numériques contribuent également à un accroissement des inégalités : les pays en développement supportent les coûts écologiques des usages numériques (déchets) tout en en retirant moins d’avantages (richesses). Ces deux facteurs combinés poussent l’ONU à publier un certain nombre de recommandations pour ré-équilibrer les échanges et prône une approche circulaire et inclusive des usages numériques.

Un bilan global qui n’est donc pas très folichon, mais qui n’est que la réplique de l’asymétrie des échanges Nord / Sud. Si l’on commence à remettre ça en cause, c’est toute la dynamique de mondialisation qu’il faut revoir. Ceci étant dit, nombreux sont ceux qui sont conscients de l’impact environnemental des activités numériques et oeuvrent pour le réduire.
À ce sujet, je rappelle la publication récente de la nouvelle version du Référentiel général d’éco-conception de services numériques par la Mission Interministérielle pour l’Économie Numérique, de même que la publication récente du Référentiel général pour l’IA frugale par l’AFNOR.
Intéressons-nous maintenant aux usages et technologies numériques dans le vieux continent.
Une Europe globalement forte sur les infrastructures et services publics en ligne, mais en retard sur le cloud et l’IA
Autre publication de référence pour avoir des indicateurs globaux, la mise à jour de l’état d’avancement de la transformation numérique de l’Europe : Second report on the State of the Digital Decade calls for strengthened collective action to propel the EU’s digital transformation. Vous ne le saviez probablement pas, mais l’Union Européenne a défini il y a quelques années une série d’indicateurs pour mesurer la transformation numérique des différents pays-membres avec un horizon de réalisation en 2030. Il en résulte un tableau de bord et des rapports d’avancement édités tous les ans : State of the Digital Decade 2024.

Nous apprenons ainsi dans cette mise à jour que les pays-membres de l’UE sont en avance sur la numérisation des services publics ainsi que les infrastructures de télécommunication (5G et fibre optique). Il y a en revanche du retard dans la transformation numérique des entreprises, notamment sur l’adoption de cloud et de l’IA, ainsi que sur l’emploi de spécialistes du numérique.
Nous parlons ici de moyenne pour l’ensemble des pays-membres, mais nous disposons également de statistiques an niveau national avec un état d’avancement qui est sensiblement le même que dans la moyenne européenne : France 2024 Digital Decade Country Report.

Si le sujet vous intéresse, je vous rappelle que le Gouvernement a défini en début d’année une feuille de route pour les six prochaines années afin de s’inscrire dans cette dynamique de transformation digitale européenne : La décennie numérique de la France (2024-2030).
Ceci me fait une parfaite transition avec plusieurs publications qui concernent la France.
Des usages et technologies numériques qui se stabilisent en France
Pour le marché français, il existe un certain nombre de sources sur les usages numériques, mais les plus complètes sont les publications annuelles de l’Acep, de l’Arcom et du CreDoc (mais je ne sais plus qui fait quoi) :
- Baromètre du numérique 2024
- Référentiel des usages numériques 2024
- État de l’internet en France en 2024
Commençons avec le Baromètre du numérique qui commence avec une grosse surprise puisqu’on y apprend que la proportion des utilisateurs d’internet est en déclin pour les 3 dernières années sur les tranches 18-24 ans et 25-39 ans. Je ne sais pas trop comment interpréter cette évolution, très certainement une mécompréhension due à la formulation des questions (de nombreux utilisateurs confondent web et applications mobiles : pour eux, ce sont deux choses différentes).

Autre surprise, le renforcement des freins à l’utilisation d’internet pour cause de méconnaissance, d’équipement obsolète ou d’absence de connexion ou équipement. Là encore, je suis très surpris, car je ne sais pas expliquer cette régression, j’aurai naïvement pensé que ces freins s’estomperaient avec le temps. Je présuppose également une question ambigüe ou mal comprise par les sondés.

Cette mécompréhension est, je pense, confirmée par la très belle progression de la connexion par fibre optique : près d’1/4 des foyers sont reliés à l’internet avec du très haut débit.

Concernant les équipements, là encore nous constatons une baisse inexpliquée du taux de possession en smartphone ou ordinateur. S’il y a eu un rebond dans les ventes d’ordinateurs pendant la COVID (nécessité de s’équiper pour travailler / étudier à distance), je ne parviens pas à expliquer ce repli des smartphones.

Pourtant, le nombre et la part d’utilisateurs des réseaux mobiles 4G et 5G sont en hausse : 87% des utilisateurs mobiles sont connectés en 4G et 17% en 5G.

Concernant les usages mobiles, ce sont la consultation de sites web et la messagerie qui sont plébiscitées.

Et puisque l’on parle de messagerie mobile : plus de la moitié des Français s’y connectent tous les jours.

En ce qui concerne les équipements : les smartphones représentent presque les 2/3 des ventes de terminaux.

Les smartphones qui sont logiquement les terminaux numériques les plus utilisés.

Cette suprématie des smartphones va de pair avec la prédominance des plateformes sociales dans les usages : si Google reste la première destination des internautes, seuls Amazon et Wikipedia parviennent à se positionner dans le Top10 aux côtés de Facebook, YouTube, WhatsApp, Instagram, Messenger, TikTok ou Snapchat.

Sans surprise également, le temps de visionnage de la TV est en baisse sur l’ensemble des tranches d’âges (DEI = « Durée d’Écoute Individuelle »).

Il en résulte une baisse de la durée moyenne de visionnage de la TV : 3h19 par jour.

La TV qui reste le terminal de référence pour regarder des vidéos, mais qui se fait progressivement grignoter par les smartphones et ordinateurs.

Vous noterez au passage le plafonnement du taux d’abonnement aux services de streaming après la très forte progression de la période COVID.

Pas étonnant que Netflix représente le plus gros du trafic en France.

Les objets connectés sont sur une lente courbe d’adoption, mais qui ne faiblit pas ur l’ensemble des créneaux (santé, électroménager, sécurité et domotique).

Idem pour la réalité virtuelle avec 1/5 de la population qui a déjà essayé et un taux de possession moyen de 13% pour les moins de 40 ans.

Concernant les nouveaux usages, si plus d’1/3 des Français savent ce qu’est l’IA, seul 1/5 dit l’utiliser.

Dernière statistique éclairante : la prise de conscience de l’impact écologique des usages numériques avec un certain nombre d’actions qui sont menées par les utilisateurs :

Revenons rapidement sur les usages et notamment les médias sociaux avec cette statistique récente qui confirme le succès d’Instagram et surtout la préférence de Snapchat à TikTok pour la génération Z : Les réseaux sociaux préférés des jeunes français.

Intéressons-nous maintenant au commerce en ligne avec les Chiffres-clés 2024 du e-commerce en France publié par la FEVAD :
- presque 160 MM€ de C.A. en 2023 (+10,5% par rapport à l’année dernière) ;
- presque 39,5 M d’acheteurs (+500.000) pour en moyenne 60 commandes / an ;
- 152.000 sites marchands et 213.000 emplois.

La France est le deuxième plus grand marché du commerce en ligne en Europe (160 MM€) derrière le Royaume-Uni (480 MM€), mais devant l’Allemagne (93,6 MM€). Cet écart hallucinant s’explique très certainement par la grande tradition du commerce physique en France et en Allemagne (deux pays avec un réseau très dense d’enseignes de grande distribution et de distribution spécialisée).
Des chiffres qui viennent contredire ceux de l’Arcep sur la proportion des acheteurs en ligne, en baisse depuis 2020. Si je veux bien croire en un alignement des usages post-COVID, je reste persuadé que cette divergence provient de la façon dont la question a été posée, ou a été interprétée par les sondés.

Poursuivons sur le thème du commerce en ligne avec le Baromètre Croissance & Digital 2024 de l’ACSEL, un sondage mené auprès de 350 PME et TPE du commerce qui confirme la place prépondérante du commerce en ligne dans l’activité et la croissance des petites entreprises :

S’il y existe bien des militants qui sont contre, plus de la moitié des petits commerçants voit le commerce en ligne comme une opportunité, contre 40% qui en font, mais à contre-coeur.

À ce sujet, 2/3 des commerçants disposent de compétences numériques, tandis que la moitié a recours à la formation pour ses employés.

L’intelligence artificielle est toujours comme une opportunité par 2/3 des petits commerçants, tandis que les 3/4 des gros commerçants pensent qu’elle va leur faire gagner du temps.

D’ailleurs, presque 30% des petits commerçants utilisent déjà l’IA, 41% pour les commerces de plus de 20 salariés.

En termes d’usages, nous avons un mélange d’IA « modernes » utilisées pour de la création de contenus (modèles génératifs) et d’IA « traditionnelles » pour réaliser des gains de performances (modèles statistiques).

Ceci conclut notre tour d’horizon des statistiques sur le marché français, avec une nette tendance à la consolidation des usages : le numérique s’installe durablement dans le quotidien des entreprises et des consommateurs.
Autres statistiques mondiales sur les terminaux, les cryptos, les jeux et l’IA
Je ne saurai pas vous expliquer pourquoi, mais la fin du mois de juin est une période faste pour les rapports et statistiques, aussi je vous partage les plus pertinents, à commencer par ces rapports trimestriels d’IDC sur le marché des smartphones qui devrait repartir à la hausse pour les prochaines années grâce aux pays émergents : Worldwide Smartphone Shipments Forecast to Recover with 4.0% Growth in 2024, Fueled by Android Growth in Emerging Markets.

La contribution des pays émergents à la croissance du marché des smartphones explique la progression des marques de milieu de gamme (Xiaomi et Oppo) dans le cassement des constructeurs au détriment des leaders historiques (Samsung et Apple avec respectivement 19% et 16% de parts de marché) : Worldwide Smartphone Market Grew 6.5% in the Second Quarter of 2024 as Momentum Continues to Build.

Concernant les PC, nous sommes également sur une tendance haussière avec une dynamique de renouvellement des ordinateurs pour pouvoir bénéficier des processeurs neuronaux capables de faire tourner des IA en local : Device Refresh Cycles and the Emergence of AI PCs are Forecast to Drive Modest PC Growth in 2024. À priori, il n’y aura pas de changement dans le classement des constructeurs, car tous ont déjà sauté dans le train de l’IA : PC Recovery Continues as the Market Grows 3% in the Second Quarter.

Pour ceux qui s’intéressent au marché des cryptomonnaies, sachez que la revalorisation du Bitcoin et de l’Ethereum bénéficie à l’ensemble du marché, avec des pays particulièrement friands comme les Émirats Arabes Unis ou Singapour où 1/4 de la population possède des cryptomonnaies : Global Crypto Ownership Reaches 562 Million People in 2024.

Autre statistique éclairante : la réévaluation à la baisse du marché global des jeux vidéo (184 MM$ pour 2023) avec un phénomène de contraction qui va venir pénaliser la croissance (estimée à 1,4% pour les 3 prochaines années pour arriver à 207 MM$ en 2026) : The global games market in 2023.

Pour une analyse plus détaillée du secteur : Global Insights: Gaming Industry Report. Et pour les nostalgiques : Pinball is cool again, and these stunning machines are why.
Terminons avec ce sondage à contre-courant sur la progression spectaculaire des préoccupations vis-à-vis de l’intelligence artificielle : Business Leaders’ Top Concerns About Generative AI.

Il y a non seulement ces préoccupations grandissantes dans la tête des patrons, mis également des retours d’expérience plutôt négatifs sur les différentes expérimentations menées autour de l’IA avec des taux de succès très faibles :

Un son de cloche complètement dissonant par rapport au reste du marché qui continue à nous servir le discours de la révolution disruptive comme jamais l’humanité n’en a connu auparavant. Ceci étant dit, d’autres signaux faibles m’amènent à penser que l’immense vague d’enthousiasme pour l’IA générative vient s’échouer sur les rivages de la réalité du marché, notamment avec ce rapport de Goldman Sachs qui doute fortement de la viabilité de tous ces investissements (Gen AI: too much spend, too little benefit?). De même que des doutes sur la capacité des éditeurs à créer des modèles toujours plus gros et performants (AI’s $100bn question: The scaling ceiling). Et enfin le spectre de la régulation qui approche puisque l’AI Act européen entrera en vigueur dès le 1er août prochain avec un délai de mise en conformité deux ans : The AI Act compliance countdown begins.
Oui je sais, cet article devais mettre en valeur la transformation digitale et les usages numériques, mais la technologie n’est jamais très loin et l’intelligence artificielle occupe plus que jamais une place prépondérante. Voilà pourquoi il est très difficile de ne pas aborder ce sujet très chaud.
Et puisque l’on parle de chaleur estivale, attendez-vous à un été particulièrement prolifique pour le domaine de l’IA avec la publication imminente chez Meta d’un modèle open source de premier ordre (Meta Platforms To Release Largest Llama 3 Model on July 23) ainsi que la sortie probable de GPT 5 chez OpenAI, ou d’un modèle spécifiquement conçu pour le raisonnement (OpenAI working on new reasoning technology under code name ‘Strawberry’). Ce n’est réellement pas le moment de partir en séminaire de digital detox !