Tout autant que la musique, le cinéma ou les jeux vidéo, l’industrie de la presse a été fortement bousculée par le web (euphémisme). Un lent processus de transformation qui a amené les titres les plus réputés à proposer du tout gratuit (The evolution of newspapers and the internet through the years). Je n’ai pas la prétention de dire aux patrons de presse ce qu’ils doivent faire, car je n’ai malheureusement pas la formule magique. Par contre, je me place dans la position de l’observateur averti, et je me propose de partager avec vous quelques réflexions et trouvailles pour essayer d’y voir plus clair dans le paysage de l’industrie de l’information et surtout d’essayer de comprendre l’impact des médias sociaux, de la mobilité et des données sur les métiers de l’édition.
Un panorama écartelé entre agrégation, LOLcats et long form journalism
Social + Mobile + Data (SoMoDa), semble donc être la formule qui permet à une nouvelle génération d’éditeurs d’émerger et de capter une part d’audience toujours plus importante. Cette formule est-elle le reflet des usages de la génération Y ? Je ne suis pas certain, ça serait prendre un raccourci grossier. Je pense qu’il s’agit plus d’une évolution globale des comportements et des attentes en matière d’information et de divertissement. Hé oui, car si tout va plus vite, tout va plus mal également. D’où ce besoin de micro-consommation de “contenus légers” pour se détendre à toute heure de la journée. Je ne serais dire si les LOLcats sont un remède efficace à la crise, mais je constate que les médias d’information qui fonctionnent le mieux sont celles qui parviennent à faire un savant mélange d’informations sérieuses et de contenus divertissants plus ou moins recyclés.
Ces dernières années, nous avons ainsi pu constater l’avènement de sites d’information très sérieux comme le Huffington Post qui a décroché le Saint Graal l’année dernière (Huffington Post Awarded Pulitzer Prize) ou Mediapart qui a remis au goût du jour le journalisme d’investigation. Certes, les publications historiques comme Le Monde ou le New York Times sont encore des titres qui font référence, mais ils n’ont plus le monopole du long form journalism. Et ce n’est qu’un début, car de nouveaux entrants débordant d’ambitions comme Quartz grignotent des parts de marché.

Dans un autre style, je suis un grand fan de Vox Media, l’éditeur des digital natives comme ils aiment à se présenter. Toujours est-il que les trois sites qu’ils éditent (The Verge, Polygon et SB Nation) sont des modèles en matière de qualité éditoriale et de mise en page.
À l’autre bout du spectre éditorial, nous avons toute une série de sites à la ligne éditoriale beaucoup moins légère qui se sont fait une spécialité des LOLcats et autre vidéos de fail, dont Cheezburger Network est très certainement le plus digne représentant. Si vous aimez les GIFs animés, les chutes, les gens mal habillés, les bricolos du dimanche et autres phénomènes viraux, vous trouverez forcément votre bonheur là-bas. Vous pourriez me dire que ce sont plus des sites de partage de photos et vidéos, mais bon… ils drainent une audience colossale et ont même fait l’objet d’une émission de télé-réalité (LOLWork dont la saison 2 a été annulée).

Dans un style pas très éloigné, nous avons également les nouveaux champions des gossips et autres articles racoleurs : Gawker, TMZ, PerezHilton ou encore Dlisted. Je n’ai pas grand-chose à dire sur ces sites, si ce n’est qu’ils ont une incroyable faculté à générer du contenu à partir de pas grand-chose.

Le seul point commun de ces nouveaux entrants est qu’ils cassent les codes et ne respectent aucune règle. Visiblement cette recette fait succès, car ils ont tous enregistré des croissances d’audience spectaculaire.
Et nous avons enfin les rois de l’agrégation, Yahoo! News et Google News, dont on ne sait plus trop s’ils génèrent ou s’ils captent le trafic des sites dont ils indexent les contenus…
Des modèles hybrides qui combinent le meilleur des deux approches éditoriales
Nous avons donc d’un côté les publications sérieuses qui soignent leurs articles et leur mise en page, et de l’autre les mercenaires du ragot qui privilégie la quantité à la qualité. Et entre les deux, on trouve des modèles hybrides tout à fait intéressants.
Le premier exemple que je citerais est Business Insider, une publication initialement tournée autour de l’économie numérique, mais qui depuis s’est diversifiée sur des thèmes liés à la finance, à la politique, à la vie quotidienne… Une stratégie de diversification et surtout une très grande liberté éditoriale qui leur ont permis de se constituer une très belle audience. Visiblement il n’y a pas réellement de secret de fabrication, simplement la volonté de réussir et surtout de bouleverser les codes éditoriaux : Business Insider Secrets Revealed: An Inside Look At Our Readership And Financial Performance.

Lecteur de longue date de BI, je ne serais pas trop vous dire si j’apprécie encore ce site. Le fait est que ce site ne vous “nourrit” pas réellement : on y lit beaucoup de chose, sans rien retenir de spécial. C’est un peu comme de manger un menu maxi bigMac, mais de ressortir en ayant encore faim. Ceci étant dit, je ne suis pas là pour juger leur stratégie éditoriale. De plus, ils semblent parfaitement assumer les astuces qu’ils mettent en oeuvre pour augmenter artificiellement le nombre de pages vues, comme les diaporamas. Mais encore une fois, je ne suis pas là pour critiquer et je dois bien avouer être un fan inconditionnel des visites de maison des stars et patrons de la Silicon Valley (House of the Day).
Autre modèle hybride très intéressant, celui de Upworthy, un site de curation qui donne la part belle au partage sur les médias sociaux. Aussi surprenant que cela puisse paraître, ça fonctionne puisque l’on partage plus la page qui contient la vidéo que la vidéo en elle-même : 6 leçons à tirer d’Upworthy, le média phénomène que tout journaliste devrait connaître.

Là encore, je ne sais pas trop quoi penser d’un site comme celui-ci : Gé,ère-t-il plus de trafic qu’il n’en détruit ? Difficile à évaluer…
Dernier exemple avec BuzzFeed, LE site d’information hybride par excellence qui parvient à faire un incroyable grand écart éditorial entre des articles très racoleurs (Rihanna Spilled Popcorn At The VMAs And Blamed It On Someone Else) et des authentiques perles journalistiques (Exclusive: How Ukraine Wooed Conservative Websites).

Le cas de BuzzFeed est unique, car ils ont su développer une stratégie publicitaire très rentable qui repose sur les formats natifs (du publi-rédactionnel). Le résultat est bluffant, car on ne distingue pas les “vrais” articles des “faux” et, car il n’y a pas de bannière sur ce site. Le résultat est plaisant pour les lecteurs et très lucratif : BuzzFeed is the media industry’s worst nightmare : profitable, growing and investing in news. Rien ne semble pouvoir arrêter la progression de la nouvelle coqueluche des médias digitaux, d’autant plus que le fondateur affiche une ambition débordante : Memo To The BuzzFeed Team.
Comme précisé au début de l’article, il est difficile d’extraire de ces sites une formule magique. Nous savons par contre avec certitude qu’ils ont en commun une exploitation maline des médias sociaux (pour augmenter la portée de publications), des terminaux mobiles (pour fidéliser les lecteurs nomades) et des données (pour optimiser la ligne éditoriale). Vous noterez à ce sujet que ces ingrédients sont également à l’origine du succès de Melty, grande réussite nationale dont j’avais déjà parlé en 2010 : Melty capitalise sur le contenu pour fidéliser sa communauté.
Au final, ces nouveaux acteurs de la publication en ligne vont-ils remplacer les dinosaures de la publication ? La réponse n’est pas évidente tant la situation est complexe en France (la presse française est fortement subventionnée par l’État français et les compagnies aériennes). Toujours est-il que ces nouveaux entrants sont la preuve éclatante que les lecteurs ont évolué dans leurs attentes et leurs usages.
La presse traditionnelle succombera-t-elle à la génération MP3 ? Je ne pense pas. Par contre, j’ai la certitude que les grands médias d’hier deviendront les médias de niche de demain. Non, le journal papier ne va pas disparaître, mais il sera destiné à une minorité d’irréductibles qui devront payer le prix fort pour ne pas changer d’habitudes. Je serais bien incapable de prédire la date de basculement où il y aura plus de lecteurs digitaux que de lecteurs papier, mais quand je regarde la chute des revenus publicitaires des titres publiés sur le papier, je me dis qu’ils ont intérêt à accélérer leur transformation !
La formule magique n’existe peut-être pas, mais on peut voir malgré tout qu’en ratissant large (en faisant le grand écart éditorial comme vous dites), les quelques sites cités dans votre article augmentent confortablement leur audience (du coup, c’est fait pour).
Un choix que ne peuvent pas faire les webzine de niche (comme le mien) souhaitant être pris au sérieux par leur lectorat. On peut concevoir la diffusion de vidéos amusantes ou surprenantes, mais pas du racolage people. Ce pourrait être perçu par les lecteurs comme une trahison (c’est ce que je ressent pour ma part quand je voir Rue89 parler de sexe).
En tout cas, article très intéressant poussant à la réflexion sur le devenir de plateforme de niche souhaitant resté “en vie”.
Un grand merci.