Facebook en pleine crise de croissance

Facebook a publié la semaine dernière ses résultats trimestriels, et les chiffres sont très impressionnants : Facebook passes 1.19 billion monthly active users, 874 million mobile users, and 728 million daily users. Non seulement le rythme de croissance de Facebook est maintenu, mais la rentabilité est en hausse :

  • Presque 1,2 milliard d’utilisateurs mensuels (728 M d’utilisateurs journaliers et 874 M d’utilisateurs mobiles)
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  • 2 milliards de $ de C.A. trimestriel (dont 49% grâce à la publicité mobile) et un bénéfice de 425 M$ pour une marge opérationnelle de 37% (Facebook revenue hits $2B in Q3, now has 507M mobile DAUs)
    Évolution du C.A. de Facebook
    Évolution du C.A. de Facebook

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Rien à redire, ces chiffres sont très bons, voir excellents. En développant de façon spectaculaire ses revenus publicitaires mobiles, Facebook est devenu une véritable machine à cash : Facebook Mobile Ad Revenue Rockets 478% Year-Over-Year.

L’efficacité des campagnes publicitaires en question

Nous pourrions logiquement croire que tous les indicateurs sont au vert, et pourtant, satisfaire les investisseurs ne veut pas forcément dire satisfaire les annonceurs. Un rapport publié par Forrester la veille des résultats est ainsi venu semer le trouble : Why Facebook Is Failing Marketers. Dans un article accompagnant ce rapport (an Open Letter to Mark Zuckerberg), l’auteur y explique les raisons de cette déception :

  • Facebook a réussi à se bâtir la plus grosse audience de l’histoire du web, avec une base de données de profils d’utilisateurs très détaillés, mais ils ne parviennent pas à transformer la promesse initialement faite (mettre en relation des annonceurs et des clients) ;
  • Facebook a fait évoluer son offre publicitaire vers une logique de display traditionnelle au détriment de l’aspect social ;
  • L’efficacité ressentie par les directeurs marketing (CMOs en anglais) est plus faible que sur d’autres supports.forrester_FB_survey

Des révélations qui font tache, surtout au regard des chiffres publiés. L’auteur va plus loin et recommande aux marques de se concentrer sur la socialisation de leur site et d’explorer d’autres plateformes sociales. La publication de ce rapport a naturellement été accompagnée de nombreuses réactions d’indignation : An open letter to Forrester (about Facebook ads)Forrester Is Failing Marketers With BS Data About Facebook et Forrester says Facebook is failing marketers. Here’s why I disagree.

Force est de constater que les conclusions avancées par Forrester sont biaisées, d’une part, car l’échantillon est trop restreint, d’autre part, car l’efficacité ressentie est un indicateur empirique, d’autant plus que les écarts sont très réduits. Il est ainsi difficile de ne pas penser que les équipes de Forrester à l’origine du rapport ont pêché par opportunisme et espéraient visiblement faire parler d’elles. Ceci étant dit, je ne peux pas non plus m’empêcher de penser que les auteurs des articles précités ne sont pas non plus parfaitement objectifs, car ils sont soit investisseurs dans Facebook, soit fournisseurs de prestations. D’aucuns pourraient donc logiquement soupçonner qu’ils essayent de protéger leur investissement.

Qui a raison ou tort dans cette histoire ? Difficile de faire la part des choses dans la mesure où chacun y va de ses statistiques pour rajouter à la confusion ambiante : Adobe Social Media Report: Huge Gains for Facebook, Twitter Ads et Hey Twitter, Your Ads Are Even Worse Than Facebook’s, Here’s The Data.

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Je pense néanmoins ne pas me tromper en réitérant mon scepticisme : Facebook est actuellement la plus grosse plateforme sociale, celle où la compétition pour l’attention est la plus forte, et où tout le monde ne peut pas performer. J’ai déjà eu de nombreuses occasions de vous expliquer qu’accumuler des fans sur Facebook ne permettait pas forcément de se constituer une communauté viable, ni de développer des conversations à valeur ajoutée. D’ailleurs je ne suis pas le seul à le reconnaître : Non, Facebook n’est pas le principal responsable de la baisse de votre portée.

Toute la perfidie de l’offre publicitaire de Facebook repose sur un racket à grande échelle des annonceurs. Sous couvert de vouloir “préserver l’expérience des utilisateurs”, l’accès aux fans est bridé et l’algorithme qui régit l’affichage ou non d’un message force les marques à mendier pour des commentaires ou des likes. J’ai toujours trouvé aberrante l’idée qu’une marque doive endosser un costume de saltimbanque pour ne pas voir son potentiel de reach s’effondrer du jour au lendemain. Que vous l’admettiez ou non, la réalité du community management sur Facebook est que les marques en sont réduites à faire l’équivalent de jeux-apéro où elles rivalisent de blagues et photos rigolotes. Je ne vois pas bien en quoi récolter des likes pour un message humoristique permet d’augmenter le chiffre d’affaires de façon incrémentale. Certes, vous pourriez me dire que les tactiques d’engagement utilisées sur Facebook permettent de créer un lien émotionnel, mais je ne suis pas persuadé qu’elles permettent d’améliorer durablement la valeur perçue des produits. Au mieux, votre marque est considérée comme rigolote, ou “fun” dans le cas d’Oasis qui semble être la référence en la matière. Au pire, la crédibilité de votre marque est fortement endommagée par des campagnes très discutables, comme celle orchestrée en ce moment par une marque française d’habits qui demande à ses fans de publier des photos de leurs enfants et de solliciter leurs “amis” pour qu’ils votent pour eux (le vote n’étant bien évidemment possible que si l’on est “fan” de la page). Pensez-vous sincèrement que c’est comme ça que l’on se bâtit une communauté de clients ? Je doute…

Les perspectives de croissance en Asie et la défection des jeunes inquiètent également

En étudiant de plus près les données publiées lors de l’annonce de la semaine dernière, et en les rapprochant d’autres sources, on se rend rapidement compte que d’autres facteurs viennent assombrir le tableau :

C’est très certainement ce dernier point qui semble le plus problématique, et même les dirigeants de Facebook reconnaissent qu’il y a un certain déclin des usages. Entendons-nous bien : posséder un profil sur Facebook est un rite initiatique obligatoire pour les ados, mais ils préfèrent passer du temps sur des plateformes sociales mobiles, celles qui laissent moins de traces et favorisent les interactions sociales éphémères. Dans ce contexte, les annonceurs ont le plus grand mal à faire passer leurs messages et à séduire cette population très volatile.

Une récente étude de SocialChorus nous apprend ainsi que les 2/3 des ados n’ont jamais cliqué sur une sponsored story et que 83% pensent que les publicités sur les réseaux sociaux nuisent à l’expérience : Is advertising to millennials on Facebook, Instagram a lost cause?. Le rachat d’Instagram juste avant l’introduction en bourse a été une remarquable stratégie pour diversifier l’activité et séduire une population différente, mais ces deux plateformes restent pour le moment dissociées l’une de l’autre. Si les premiers résultats de publicités sur Instagram sont encourageants (3 Key Metrics About The First Instagram Ad), je vois mal comment les marques lambda , celles qui n’ont pas forcément les ressources pour produire des photos inspirationnelles, vont réussir à attirer le chaland. Ceci est d’autant plus vrai que d’autres plateformes comme Pinterest délivrent un impact supérieur sur l’acte d’achat : Pinterest Refers More Traffic to Retail Sites Than Reddit, Twitter and YouTube Combined et Pinterest Is Powering A Huge Amount Of Social Commerce, And Twitter Isn’t Too Shabby Either.

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Facebook n’est pas la plateforme sociale ultime, mais vous le saviez déjà

La conclusion de cette histoire est que la situation n’est pas aussi rose que l’on voudrait nous le faire croire. Certes, la rentabilité est là, mais est-ce que les annonceurs y trouvent leur compte ? La question avait déjà été posée en début d’année : Facebook publie ses résultats 2012, les investisseurs sont contents, quid des annonceurs ?

L’histoire du web nous a démontré que les plateformes les plus populaires bénéficient d’une croissance fulgurante et peuvent accumuler des audiences considérables en quelques années, mais qu’au-delà d’une taille critique, l’effet réseau s’inverse : le fait que tout le monde soit sur une plateforme la rend moins attractive auprès des populations les plus sélectives (ados, hipsters…).Friendster et MySpace en ont été victimes. Certes, Facebook a repoussé le seuil de cette taille critique, mais commence à fortement ressentir le contrecoup de son succès : compétition acharnée, évolution plus lente que la concurrence, baisse d’intérêt des jeunes utilisateurs…

J’ai déjà eu de nombreuses occasions de vous mettre en garde contre le miroir aux alouettes que certains prestataires ou éditeurs promettent : toutes les marques ne peuvent pas être cools sur Facebook. Les annonceurs les plus réactifs et cohérents parviennent à maintenir un niveau d’activité élevé sur leur page, mais est-ce suffisant pour impacter durablement l’image de marque et/ou la valeur perçue des produits ? La triste réalité est la suivante : en focalisant l’attention sur le taux d’engagement, Facebook est parvenu à imposer son modèle économique à des annonceurs qui se retrouvent pris à leur propre jeu. Dans cette logique, Facebook est le seul à s’enrichir, et ça n’a l’air de choquer personne. Il faut donc faire avec, et accepter les règles imposées selon la loi du plus fort. Soit, le meilleur conseil que je puisse vous donner est de revoir vos objectifs à la baisse (pour ne pas vous forcer à prendre des raccourcis dangereux et adopter des tactiques d’animation / recrutement discutables) et de diversifier votre présence. Parfois j’ai vraiment l’impression de me répéter…

7 commentaires sur “Facebook en pleine crise de croissance

  1. J’adhère totalement à cet article extrêmement bien argumenté. Ca fait déjà 2 ans que je dis à mes clients que Facebook ne présente que peu d’intérêt si on n’y met pas un budget marketing conséquent. Or on s’aperçoit aujourd’hui que même avec les moyens, le ROI n’est pas au rendez-vous. Pour ma part, et dans mon secteur d’activité, je n’y vois que 2 intérêts (ou objectifs) d’y être encore présent : l’e-reputation et le SEO !
    Ce n’est peut être pas le cas pour tous les secteurs comme le e-commerce ou les produits massmarket BtoC ??

  2. @ Pascalf49 > Le SEO ? Facebook a un impact sur le SEO ? Heu… vous voulez plutôt parler de la notoriété ou de la visibilité, non ? Sinon nous sommes bien d’accord sur le fait que performer sur Facebook est un chantier complexe : il faut du contenu de qualité et beaucoup de cohérence dans la gestion de la marque et du service client.

  3. Bien sûr que Facebook a un impact sur le SEO : il suffit de taper Fred Cavazza sur Google pour s’en rendre compte ;-) Avoir une page Facebook est une position de plus pour un professionnel ou une marque sur les 1ers résultats.
    Maintenant, on sait tous que les publications Facebook ne sont pas positionnées sur des mots clés. Mais dans une stratégie SEO, avoir une page Facebook, même très peu animée, c’est incontournable.

  4. Bonjour
    Merci pour cet article très clair et riche en information .
    A propos de ROI , avez-vous des données comparatives entre les ROI sur les différents médias? Je sais que cette information n’est pas facile à obtenir (les annonceurs sont peu loquaces sur le sujet ) .
    Merci

  5. Je suis très surpris par les chiffres annoncés et la croissance actuelle de Facebook. Je trouve pourtant que Facebook est de moins en moins utilisé, mais c’est vrai qu’il leur reste des relais de croissance avec l’Asie notamment..

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