Est-ce la fin des conversations sur les médias sociaux ?

Les médias sociaux ne sont pas des supports très stables dans la durée, ça vous le saviez (contrairement aux grands portails qui changent de look, mais proposent toujours la même chose). En revanche, aviez-vous remarqué à quel point les pratiques des internautes sur les médias sociaux avaient changés ? Je vos propose de faire le point sur cette très regrettable tendance à la non-conversation.

Des médias sociaux devenus plus “médias” que “sociaux”

À l’origine, les médias sociaux étaient décrits comme des supports de publication et de conversation ouverts à toutes et à tous (cf. ma définition). Or, nous constatons qu’au fil des années les conversations se sont faites de plus en plus rares. Deux facteurs peuvent expliquer cette évolution :

Ces deux facteurs combinés accélèrent l’évolution des usages et notamment la prédominance des contenus visuels au détriment des contenus textuels (Snapchat Is Exploding In Popularity — It’s Even Hotter Than Twitter). Ne pensez pas que cette tendance est nouvelle et qu’elle affecte principalement les jeunes de la côte ouest des États-Unis, car elle a déjà été largement constatée en France, notamment dans l’observatoire des réseaux sociaux de l’IFOP :

observatoire-rs-ifop

Comme vous pouvez le constater sur le graphique précédent, les utilisateurs passent plus de temps à consulter et s’envoyer des messages privés plutôt qu’à discuter et publier. Cette tendance est corroborée par la perte de vitesse de la blogosphère, qui n’est plus que l’ombre de ce qu’elle était il y a encore quelques années. Conséquence : les grandes plateformes sociales comme Facebook ou Twitter sont majoritairement utilisées comme des médias de diffusion de contenus en masse plutôt que de conversation (Facebook est le premier portail du XXIe siècle).

Garde tes opinions pour toi si tu veux rester populaire

Non seulement il y a moins de conversations, mais la surexposition inhibe les utilisateurs comme le démontre cette étude du cabinet Pew : Social Media and the ‘Spiral of Silence’. Près de 2.000 adultes ont été interrogés pour savoir s’ils étaient plus ou moins enclins à parler d’un sujet sensible en fonction du contexte :

pew-silence

Les personnes interrogées avouent avoir des réticences à dévoiler leur opinion sur Facebook ou Twitter, ce qui n’est pas forcément le cas en famille ou avec des amis. J’avais déjà anticipé ce comportement il y a des années (Comment les nouvelles règles de Facebook vont modifier le comportement des utilisateurs) et mes craintes se sont révélées exactes : la surexposition volontaire des membres et leur recherche du paraitre les poussent à se conformer à l’opinion générale plutôt que de sortir du lot et de s’exprimer librement. Je constate avec beaucoup d’amertume que les médias sociaux qui étaient censés libérer la prise de parole nous imposent au bout du compte la loi du silence (Est-il vraiment possible de dialoguer de manière intelligente et constructive sur les médias sociaux ?). Pour résumer : on s’exhibe pour ne rien dire.

Il est plus facile de se confier à un voisin ou à un inconnu

Les désagréments de la surexposition sur les grandes plateformes sociales engendrent naturellement un phénomène de report sur d’autres supports. Le réseau social de proximité NextDoor bénéficien ainsi d’une très forte croissance (The anti-Facebook: one in four American neighborhoods are now using this private social network). Signalons qu’il existe un concept équivalent en France, Ma Résidence, qui est en activité depuis de nombreuses années.

De même, les applications mobiles reposant sur l’anonymat des publications font un tabac, à l’image de Whisper ou de Secret.

secret

Ceci n’a rien d’étonnant, il s’agit simplement d’un retour du balancier : trop d’exposition nous poussent à redevenir anonymes. Il est même possible de faire des dîners entre anonymes pour pouvoir partager ses secrets les plus intimes sans avoir à assumer les conséquences de ces révélations : Secret Users Have Started Hosting Secret Dinner Parties, and They Are Brutal.

Les conversations à valeur ajoutée sont devenues une denrée rare

Le règne de la superficialité a donc petit à petit eu raison des conversations en ligne. Même s’il reste des irréductibles des blogs et forums, la norme est aux micro-publications (partage de photos, commentaires de quelques mots…) et aux interactions de surface (Like, RT…). Dans ce contexte, la présence des marques et l’exploitation des médias sociaux deviennent plus complexes, car il y a une authentique surenchère à la publication de contenus toujours plus racoleurs (cf. le succès de BuzzFeed ou Vice) et de visuels toujours spectaculaires (Full Speed Ahead: Brands Immediately Hop on Board Instagram’s Hyperlapse).

Ceci étant dit, le marketing conversationnel n’est pas condamné pour autant. J’ai déjà eu de nombreuses occasions de vous expliquer que la course à l’engagement sur Facebook est une bataille perdue d’avance (Il est plus rentable de créer des conversations chez vous que sur Facebook), et je persiste en vous disant que seule une très faible minorité des marques ont la capacité à produire des contenus susceptibles d’intéresser les utilisateurs dans ce contexte de superficialité. Cette nouvelle configuration de marché ne doit néanmoins pas être considérée comme une contrainte, mais comme une opportunité : celle de travailler différemment, mais de travailler mieux. L’idée est de perdre moins de temps à essayer d’amuser les foules avec des chatons, et d’investir dans la construction de plateformes conversationnelles à plus faible visibilité, soit, mais qui généreront bien plus de valeur (conversations à valeur ajoutée,  données comportementales fiables…).

29 commentaires sur “Est-ce la fin des conversations sur les médias sociaux ?

  1. Très intéressant, merci Fred !! Ce qui me surprend c’est le cas Reddit ou c’est le contraire si je ne m’abuse dans le sens ou débat et discussions vont bon terme …

    Pourquoi un tel engouement à commenter, débattre sur Reddit justement ?

    Pour qu’ils prennent position sur tel ou tel sujet ne faut t’il pas que les utilisateurs soit en dehors de leurs cercles familiaux, ‘amis’ qui est le cas sur Reddit ..?

    Il est vrai que cette peur de se faire “lyncher”, “critiquer” sur Facebook par son cercle d’amis par une opinion qui n’est pas dans la norme fait que tu ne commente pas, certainement….

  2. Beaucoup se sentent plus libres d’exprimer publiquement leurs opinions sur certains services, des produits, etc. mais quand il s’agit de sujet sérieux comme la politique, alors là, on tombe dans le spirale du silence.
    Bref, avoir une conversation constructive sur les réseaux sociaux n’est pas du tout facile.

  3. Le sondage sur l’engagement dans une conversation selon le contexte est plutôt biaisé, la question oriente forcément la réponse en défaveur d’une réponse sur Internet. En effet, on demande aux gens s’ils participeraient à une conversation sur les programmes de surveillance gouvernementaux… Il est bien possible que les répondants évitent de diffuser leurs opinions non pas auprès de leurs contacts, mais plutôt auprès de la NSA… La question leur rappelant opportunément que tout ce qu’ils disent online est écouté par le gouvernement.

  4. Il faut garder espoir, le nom de domaine clickandbuzz.com n’est pas (encore) réservé.

    Concernant l’augmentation du volume de contenu visuel (image, vidéo), ok, mais ce n’est bien souvent qu’un appel à la conversation, que ce soit pour les particuliers ou les marques.

    Enfin, une conversation, même privée, même par SMS, reste une conversation ; mais difficilement ou pas exploitable pour les marques.

  5. Bon article Fred mais je suis contre plusieurs aspects :

    – primo, en tant qu’entreprise, on peut tout à fait avoir de vrais discussions avec ses clients / fans en privé. Je le vois tous les jours dans les messages privés des pages/comptes que je gère. Donc si cette dynamique conversationnelle intéressante est effectivement sorti de l’espace public en majorité (on est d’accord là-dessus), on la retrouve en privé et tous les média sociaux majeurs ont les fonctionnalités nécessaires à cette dualité public/privé.

    – deuxièmement, les plate-formes comme Facebook sont toujours très intéressantes, au moins pour faire de la pub grâce aux données des utilisateurs. On tombe certes très vite dans ce marketing non-conversationnel dont tu parles mais ça reste un outil très efficace et qui donne des insights très intéressantes sur sa population.

    – troisièmement, le ROI d’une plate-forme dédiée à l’entreprise et construite par ses soins sera toujours trop élevé par rapport aux plate-formes publiques (Facebook entre autres) qui auront pour elles des audiences massives et actives, ainsi que les outils nécessaires inclus de base (rien que pour cette dualité public / privé dont je parlais).

    Bref si je suis d’accord que le marketing de contenu et le marketing conversationnel ont du plomb dans l’aile (on pouvait s’y attendre puisque tout le monde allait s’engouffrer dans la brèche et qu’il y aurait surenchère constamment, notamment avec les algorithmes du genre EdgeRank qui pousse vers cette dynamique du superficiellement viral) mais les média sociaux ont encore toute leur utilité.

    Maintenant, si les entreprises préfèrent le superficiel, le viral… c’est sans doute qu’elles ne veulent pas (pour la majorité) s’engager dans du concret et des conversations à valeur ajoutée car ça demanderait trop de ressources et d’organisation pour des données trop peu exploitables, voire inintéressantes. Et donc on en revient à mon point numéro 2 : la pub sur les média sociaux est la solution la plus directe, la plus facile pour les entreprises. Et c’est clairement ce qui est poussé par les plate-formes comme Facebook donc… la boucle est bouclée ! :-)

    Qu’en dis-tu ?

    Rémi

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