Et c’est parti pour une nouvelle décennie de prédictions. J’ai beaucoup de mal à croire que c’est déjà ma onzième série (cf. 2006, 2007, 2008, 2009, 2010, 2011, 2012, 2013, 2014 et 2015), comme quoi, le temps passe plus vite sur le web ! Pour ces prédictions 2016, ne vous attendez pas à des incroyables révélations sur telle ou telle technologie révolutionnaire, car il n’y en aura pas. Nous avons en effet connu ces 2 ou 3 dernières années une avalanche d’innovations, à tel point que le marché est aujourd’hui saturé : les annonceurs n’arrivent pas à suivre la cadence et se replient sur ce qu’ils savent faire de mieux. Bien évidemment, nous ne sommes pas à l’abri d’une percée technologique, mais l’essentiel des innovations technologiques est déjà là. 2016 va donc être placé sous le signe de la rationalisation : mieux appréhender ces différentes innovations et en tirer des améliorations concrètes pour augmenter la visibilité de la marque, les ventes ou la fidélité des clients.
La montée en puissance des sites statiques
Il y a quelques années, je m’interrogeais sur l’aberrante dérive du poids des pages d’accueil. Si de gros progrès ont été réalisés en matière de compression, afficher une page web est une opération de plus en plus compliquée. Certes, les pages HTML et fichiers CSS sont optimisés, mais ils sont généralement accompagnés d’un certain nombre de fichiers complémentaires (Normalize, jQuery…), de nombreuses images, bannières, pixels de contrôle, cookies, trackeurs… Il n’est pas rare d’avoir près d’une centaine d’appels différents pour n’afficher qu’une seule page. Ceci n’est pas vraiment un problème sur un ordinateur connecté à la fibre ou une liaison ADSL2+, mais sur un smartphone, c’est devenu un chemin de croix. Ce n’est pas tant le poids de la page HTML qui pose problème, mais le nombre de requêtes pour “personnaliser” la page qui ralentit l’affichage. Malgré une connexion 4G, une page web met en moyenne 3 à 5 secondes à s’afficher sur un smartphone, c’est inacceptable. Pour y remédier, il faut trancher et faire le ménage dans ce gros bordel. De plus en plus de développeurs se convertissent aux pages statiques. Oui vous avez bien lu : ils abandonnent les outils de gestion de contenus traditionnels (qui se sont généralisés : WordPress powers 25% of all websites) et créent des pages “en dur”. Le but de la manoeuvre est de proposer un site avec des pages qui s’affichent 2 à 3 fois plus vite que celles des concurrents.
Impact potentiel : Énorme, car il faut entièrement revoir le processus de création / modification des pages et former les équipes à une nouvelle génération d’outils (Why Static Website Generators Are The Next Big Thing).
Action à prévoir : Renseignez-vous sur les différentes technologies existantes (Static Website Generators Reviewed: Jekyll, Middleman, Roots, Hugo) et essayez de mesurer le gain de performance (n’oubliez pas que chaque seconde compte).
La templatisation du web
Je pense ne rien vous apprendre en vous disant que les smartphones sont devenus les premiers terminaux de consultation (Internet mobile n’est plus l’exception, mais la norme), une tendance qui va s’accélérer dans les années à venir (2/3 of people living in top digital markets will own a smartphone by 2018). Comme il est impossible d’ignorer ce fait, les éditeurs de sites et services en ligne ont logiquement adopté des mises en page qui s’adaptent à la largeur de l’écran et drastiquement allégé les pages de toutes fioritures graphiques. Il en résulte des sites qui finissent tous par se ressembler : Is Responsive the End Game of Web Design, Is Web design becoming irrelevant? et Why Web Design is Dead. Au final, est-ce vraiment grave ? Non, car l’important est de proposer du contenu et des services de qualité, la couche graphique n’est plus réellement différenciante. Vous remarquerez au passage que le design de ce blog s’est considérablement simplifié au fil des versions (la prochaine sera radicale). Les templates HTML ultra-optimisés vont logiquement devenir la norme, car ils sont une base de travail réellement précieuse pour ceux qui se soucient des performances de leur site.
Impact potentiel : Non négligeable, car il va falloir redoubler d’efforts pour proposer une expérience différenciante, notamment à travers des contenus et services plus pertinents ou personnalisés.
Action à prévoir : Intéressez-vous de très près aux dernières versions de Foundation et Boostrap.
La fin des applications mobiles de marque
Il existe plus d’1,5 M d’applications mobiles sur les app stores. Non seulement les applications mobiles coutent cher à développer et maintenir, mais il est très difficile de les référencer dans de bonnes conditions (le Top 10 des téléchargements est réservé à Facebook, Google ou aux éditeurs de jeux). À partir de ce constat, pourquoi continuer de fantasmer sur des mobinautes qui vont fidèlement installer votre application mobile sur l’écran d’accueil de leur smartphone ? En comparaison, ça serait comme de leur demander d’installer sur leur ordinateur un logiciel uniquement pour lire vos news ou accéder à la liste de vos produits. L’important n’est pas de forcer les mobinautes à installer et ouvrir votre application, mais bien de les exposer à vos offres ou contenus. Et pour cela, il y a d’autres façons de procéder que de passer par iTunes ou Google Play (cf. Vous n’avez pas besoin d’une application mobile, mais d’une feuille de route mobile). Je ne pense pas que les annonceurs vont retirer leur application des app stores, mais plutôt que le besoin de proposer sa propre application va se faire beaucoup moins ressentir (la ruée vers l’iPhone ou l’iWatch sont loin derrière nous).
Impact potentiel : Fort, car les canaux alternatifs pour promouvoir des offres ou exposer des services ailleurs que sur les app stores sont rares, et nous savons tous que la rareté à un prix.
Action à prévoir : Renseignez-vous sur les offres de publicités natives sur les plateformes de distributions de contenus et sur les possibilités d’intégration de vos services sur des applications comme Facebook Messenger, WeChat, Google Now, Siri, Cortana et tous les concurrents qui vont arriver sur ce créneau (Google will reportedly challenge Facebook with an intelligent messaging app).
La revanche des SMS
En relation directe avec le point précédent, nous faisons le constat suivant : les applications de marque ne permettent de toucher qu’un nombre extrêmement limité de mobinautes, l’attention de ces derniers étant accaparée par des services de messagerie comme WhatsApp, SnapChat… Comment faire pour toucher des millions de cibles de façon simple et efficace ? Tout simplement en s’appuyant sur une technologie universelle qui a fait ses preuves : le SMS (ils n’ont pas besoin de la 4G et fonctionnent même sur des téléphones basiques). Attendez-vous à un retour en force du SMS en tant que canal publicitaire et relationnel (cf. Des services de conciergerie mobiles aux applications transparentes).
Impact potentiel : Fort, car nous sommes à contre-pied de la tendance “une application pour chaque chose”.
Action à prévoir : Renseignez-vous immédiatement sur des intermédiaires techniques permettant de faire le pont avec votre système d’information (ex : Twilio, Sinch, Plivo, OctoPush ou MessageBird).
L’arrivée à maturité de la réalité virtuelle
Après trois ans de perfectionnement, la réalité virtuelle devient enfin plus… palpable. D’un côté nous avons des solutions de création de contenus beaucoup plus abordables (ex : Unity3D pour les environnements virtuels ou des systèmes de captation vidéo à 360° comme la Ozo de Nokia ou l’Odyssey de GoPro); de l’autre, nous avons de nombreux masques déjà disponibles (ex : le Gear VR de Samsung ou les cardboard de Google distribués à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires par le NY Times ou Paris Match). Certes, il y a encore de nombreux problèmes à solutionner (Here’s what you need to do to get VR to take off), mais les conditions de marché seront réunies dès l’année prochaine : Exploring Future Reality. Et là, nous ne parlons même pas de la réalité augmentée…
Impact potentiel : Les premiers arrivés seront les premiers servis. Bon d’un autre côté, si vous avez déjà du retard sur les smartphones, ne vous dispersez pas pour autant.
Action à prévoir : Explorer les différents outils de création de contenus VR ou 360° ainsi que les différentes solutions de distribution.
L’avènement des Datex
Si tout le monde s’accorde à dire que les données sont l’avenir de tout (véridique !), personne n’a trouvé de solution concrète à l’épineux problème de la collecte des données. Les internautes génèrent bien de trilliards de données personnelles avec leur ordinateur, leur smartphone ou leurs profils sur les médias sociaux, mais ces données ne sont pas en libre service : soit elles sont jalousement gardées par Facebook, Google & Cie, soit leur collecte, exploitation et conservation est fortement limitée par la CNIL. Résultat : tous les grands annonceurs se sont équipés avec des DMP (Data Management Platform), mais ils peinent encore à les alimenter. Le problème est le suivant : les 1st party data sont essentiellement transactionnelles ou relationnelles (pas comportementales), les 2nd party data sont simplement prêtées par les partenaires, il ne reste donc que les 3rd prty data. En attendant d’avoir collecté suffisamment de données par vos propres moyens (ce qui peut prendre plusieurs années), vous allez donc devoir passez par des Data Exchange Platforms (Datex) pour pouvoir faire du ciblage et des segmentations avec un minimum de précisions.
Impact potentiel : Non négligeable, car les abonnements aux jeux de données (data set) peuvent rapidement représenter un certain montant.
Action à prévoir : Rapprochez-vous d’un data broker “local” comme Weborama pour initier un partenariat.
La généralisation de l’achat programmatique (TV et outdoor)
L’achat programmatique a complètement révolutionné la façon d’acheter des emplacements publicitaires en passant d’une logique CPM (Coup pour Mille) à CPI (Coup par Individu). Réservées dans un premier temps aux supports numériques (ordinateurs et smartphones), les offres publicitaires de ciblage individuel et de retargeting arrivent maintenant sur la TV. Certes, il y a encore des détails à régler (Programmatique TV : pourquoi le chemin est encore long), mais la promesse est trop belle pour qu’ils reculent devant ces difficultés : This AOL-owned product can track the ads you watch on TV and target your phone. De même, nous commençons à voir des choses très intéressantes avec les nouvelles générations de panneaux d’affichage numérique (Outdoor Advertising Is The New Black), notamment dans des villes comme Birmingham (Keeping you all in The Loop).
Impact potentiel : Énorme, car nous sommes encore bloqués au XXe siècle pour la publicité TV et l’affichage. L’achat programmatique autorise un ciblage contextuel et des coûts bien plus faibles (grâce à des “frappes publicitaires chirurgicales”).
Action à prévoir : Commencez à réfléchir aux micro-segments que vous pourriez cibler de façon contextuelle à la TV ou à la meilleure façon d’exploiter les innovations en matière de ciblage micro-local reposant sur les smartphones (cf. Les ambitions de JCDecaux Explore).
L’émergence de réflexions sur le parcours employé
Cette année, il y a avait un consensus général sur l’obligation de mettre le client au centre de tout, ce qui est une très bonne chose. En revanche, nous n’avons pas beaucoup parlé des salariés. Grands oubliés de la transformation digitale, les employés sont pourtant des relais très intéressants sur lesquels il est possible de s’appuyer pour vanter les mérites d’une société, notamment à travers les nombreux avantages (“employee perks” en anglais) ou les initiatives de Chief People Officer. Au-delà du côté “double-emploi” des collaborateurs (en tant que ressource et relais), se posent également les questions de la productivité individuelle et collective, du bien-être (pour lutter contre la désimplication), du fort taux de renouvellement des équipes lié au Papy Boom, de l’intégration prochaine des générations Z… Comme vous pouvez le constater, le chantier RH a longtemps été considéré comme non prioritaire, mais les choses sont en train de changer, d’autant plus avec l’avènement de la freelance economy (Le futur du travail, vu de la Silicon Valley).
Impact potentiel : Fort, car accumuler des trilliards de données ne sert pas à grand-chose si vos employés sont démoralisés (ils rentrent alors en résistance passive) ou s’ils n’ont pas de bonnes conditions de travail (nous parlons ici des travailleurs du savoir, des cols blancs, pas des manutentionnaires).
Action à prévoir : Mettez-vous dans la peau d’un collaborateur lambda pour dresser une cartographie exhaustive de ses journées de travail afin d’identifier les zones de friction et les axes d’amélioration possibles.
Plus d’ambition dans la ligne éditoriale et la Brand Experience
L’année 2015 a été très riche en bouleversements, notamment dans l’exploitation des médias sociaux par les annonceurs. Il est maintenant acquis que la portée naturelle des publications est quasi nulle sur des plateformes comme Facebook, Twitter, Instagram ou YouTube. Initialement pensés comme des lieux d’échanges, les médias sociaux ont remplacé les portails d’hier (cf. Personne n’échappera à l’uberisation des médias). Il convient donc d’adopter une approche différente, car le but pour un annonceur n’est plus de générer des conversations, mais d’augmenter au maximum sa visibilité. Ceci implique une grosse remise à niveau éditoriale, car non, les GIF animés vite bricolés par votre stagiaire community manager n’ont qu’une portée très limitée. Cela ne veut pas dire qu’il faut abandonner toutes les initiatives tactiques (la mode est au “real-time marketing“), mais que pour réellement grossir et fidéliser votre audience, vous allez devoir définir une stratégie éditoriale bien plus ambitieuse. J’aime bien cette notion de “Brand Experience“, l’idée de maximiser l’expérience de marque et d’apporter autant de soins aux emails de confirmation de commande qu’aux pubs TV.
Impact potentiel : Fort, car si vous voulez internaliser la production de contenus, il va falloir bâtir une équipe en conséquence.
Action à prévoir : Faite un audit de vos contenus pour en vérifier la cohérence et détecter des faiblesses (l’ensemble de vos contenus : du rapport annuel aux tickets de caisse). Renseignez-vous également sur des rôles devenus clés comme le Chief Content Officer ou les platform managers.
Un recentrage sur le client et la Customer Experience
Nous avons entendu beaucoup de choses et de théories sur la CXP au cours de l’année. Pour résumer une longue explication : l’expérience est la nouvelle carte de fidélité (Why It’s Better To Give Experiences, Not Things). Un annonceur ne peut plus se contenter de proposer un produit ou un service moyen et compenser avec des promos ou du matraquage publicitaire, il faut viser l’excellence pour pouvoir sortir du lot (cf. L’expérience au coeur de la révolution du marketing dans un contexte de transformation digitale). Nous parlons ici d’une excellence à plusieurs niveaux : des produits d’excellente qualité, des services simples et réactifs (j’adore le nouveau portail Gov.uk de l’administration anglaise), une relation transparente et sincère, des campagnes de publicité élégantes et non-intrusives… Bref, il faut exceller sur tous les tableaux pour éviter un phénomène de banalisation de votre offre (se faire relayer au simple statut de fournisseur).
Impact potentiel : Fort, car une expérience client optimisée est le garant de l’attachement à la marque (préférence d’achat) et d’une bonne rentabilité (valeur perçue des produits et services), mais elle demande une profonde remise en question.
Action à prévoir : Familiarisez-vous avec des outils comme les customer journey et les cartes d’empathie, avec des techniques comme le design thinking et des organisations remaniées autour de feature teams.
Pragmatisme, ambition et expérience seront donc les maitres-mots de l’année 2016. Encore une fois, ne vous attendez pas à une innovation miracle ou à une nouvelle plateforme sociale révolutionnaire, il va falloir faire avec ce que l’on a : se poser pour prendre du recul, se réorganiser et surtout planifier les évolutions nécessaires.
Si vous en voulez encore, je peux vous recommander les prévisions suivantes : 10 hot consumer trends for 2016 de Ericsson, 2016 Trends de Fjord et The Future 100 de JWT.
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