Dans mes prédictions 2016 j’ai dit que la réalité virtuelle allait franchir un seuil de maturité. Une prédiction que je réitère, car au cours de cette année, les premiers casques vont enfin être commercialisés et, car les outils de production se démocratisent (des moteurs graphiques aux caméras à 180° / 360°. En revanche, j’ai pu lire ces dernières semaines des articles très contrastés sur ce sujet. Je constate ainsi un emballement médiatique autour de la réalité virtuelle, un phénomène surprenant dans la mesure où le sujet n’est pas vraiment neuf, je l’avais déjà abordé il y a deux ans (La réalité virtuelle sera-t-elle le prochain eldorado des annonceurs ?).

Dans cette frénésie médiatique, il y a les hyper-enthousiastes qui annoncent le triomphe de la réalité virtuelle (Goldman Sachs: VR and AR “Will Be the Next Generation Computing Platform”) ou l’annonce comme la révolution du e-commerce. Je suis le premier à dire que le potentiel de cette technologie est énorme, mais je doute qu’elle puisse révolutionner le commerce en ligne. En revanche, certains usages de niche sont très prometteurs, à l’image de ce que propose la CAMIF (La réalité virtuelle au service du E-commerce), mais nous parlons bien ici d’un usage de niche.
Et pourtant, le sujet reste très à la mode (It’s Going to Be a Virtual Reality World at TED), un peu comme le blockchain. Encore une fois, je ne me positionne pas comme un détracteur, je suis très enthousiaste vis-à-vis des expérimentations que je peux voir à droite et à gauche, mais de là à nous dire que d’ici à 2020 les utilisateurs passeront la majeure partie de leur temps éveillé dans la réalité virtuelle, il y a un fossé que je me refuse à franchir (25 virtual reality use cases and their leading innovators).

Et nous avons de l’autre côté du spectre médiatique les autres, qui sont plus sceptiques (Tapping the Brakes On the Virtual Reality Hype Machine) et surtout plus pragmatiques (Fewer than 1% of computers in the world can run virtual reality programs).
Comme toujours, je vous invite à vous méfier des prévisions ultra-optimistes (la banque Goldman Sachs anticipe un marché à 80 MM$ en 2025), car la réalité virtuelle n’est en aucun cas une technologie grand public, au même titre que la réalité augmentée. Pour mémoire, la TV 3D a fait un gros flop, car les utilisateurs trouvaient trop contraignante l’idée de chausser des lunettes 3D, alors vous imaginez un casque !
La réalité virtuelle est une technologie de niche
La meilleure façon de correctement appréhender le potentiel de la réalité virtuelle est de considérer que c’est une technologie de niche qui ne devrait pas toucher plus d’une dizaine de millions de personnes dans le monde. La principale raison est économique : non seulement il faut acheter un casque et des contenus (films ou jeux), mais il faut avant tout posséder une machine suffisamment puissante.
Mettons-nous également d’accord sur un point : les solutions reposant sur l’utilisation de smartphones ne sont que des ersatz de la réalité virtuelle, des produits low-cost. Celles et ceux qui ont pu essayer un casque indépendant (Oculus ou Vive) pourront témoigner du fait que ce sont deux expériences très différentes. Pour plus d’équité, j’ajoute que ces solutions de substitutions sont néanmoins un excellent moyen pour démontrer le potentiel et donner envie. Visiblement cette approche a plutôt bien fonctionné pour Google et son Cardboard qui s’est écoulé à plus de 5 M d’exemplaires (Unfolding a virtual journey with Google Cardboard). Idem pour le Gear VR de Samsung qui mériterait un peu plus de considération. J’ai fait l’acquisition l’année dernière d’un casque Homido qui apporte un vrai confort par rapport au Cardboard, mais qui se révèle très compliqué à manier, car la petite télécommande fournie avec le casque ne permet pas de naviguer et d’interagir dans de bonnes conditions. Idéalement, ces casques devraient être compatibles avec les manettes dédiées aux smarpthones comme celles proposées par Moga ou Nyko.
Bref, tout ça pour dire que si je suis si circonspect sur le sujet de la réalité virtuelle, c’est que jusqu’à preuve du contraire, il n’y a pas de marché, car les produits ne sont pas encore disponibles. Les trois produits les plus avancés, proposés par Oculus, HTC et Sony, ne seront pas commercialisés avant plusieurs mois (cf. The complete guide to virtual reality 2016). Certes, les commandes pour l’Oculus Rift ont débuté il y a plusieurs semaines, mais plus nous avançons dans le temps et plus la date de livraison est repoussée, un mauvais signe…
Plusieurs obstacles restent à franchir
Outre ce “petit” problème de disponibilité des produits, en vous intéressant réellement au sujet, vous allez vite vous rendre compte que la réalité virtuelle se heurte à plusieurs freins.
En tout premier lieu, il y a le prix. Comptez 600$ pour un casque Oculus et 1.500$ pour une machine capable de faire tourner les jeux ou applications dans de bonnes conditions. Pour le Rift de HTC, le prix de vente est évalué entre 800 et 1.200$, juste pour le casque ! La solution la moins couteuse sera vraisemblablement celle de Sony avec un casque à 400$, mais une clientèle potentielle plutôt réduite (les dernières estimations parlent de 35M de PS4 vendues dans le monde).
Deuxième obstacle : Les produits doivent encore être améliorés pour complètement éliminer la sensation de nausée. Certains sont moins sensibles que d’autres (Man survives 48 straight hours in VR with no reported nausea), mais le problème est bien réel. Il provient visiblement du temps de rafraichissement de l’image : votre cerveau est extrêmement sensible, et s’il existe un décalage entre ce que vous voyez et ce que vous ressentez, vous allez être très rapidement pris de vertige (moins d’une minute). Pour y remédier, il faut augmenter la puissance de calcul et la qualité de l’affichage, donc augmenter le prix de vente en attendant les économies d’échelle.
Une solution possible pour lutter contre le tournis serait de pouvoir fournir aux utilisateurs un point ancrage “physique”, vos mains. Il est possible de coupler un capteur gestuel à un masque pour pouvoir reproduire de façon fidèle les mains de l’utilisateur. Pour l’avoir testé, je peux vous garantir que la sensation est d’une part bluffante, mais que cela permet de se projeter beaucoup plus facilement dans l’espace et de réduire considérablement la sensation de nausée. Voilà pourquoi le masque Vive d’HTC est équipé par défaut d’une caméra, et pourquoi Oculus a réalisé plusieurs acquisitions dans la reconnaissance gestuelle (Oculus acquires yet another VR hand-tracking company).
Dernier problème : l’absence de standards technologiques et ergonomiques. Chaque masque utilisant sa propre technologie, les jeux et contenus devront être déclinés en plusieurs versions pour pouvoir toucher le plus grand nombre. Dans l’absolu, rien de surprenant et surtout rien de très gênant, les éditeurs et développeurs sont déjà habitués à gérer plusieurs environnements technologiques. Le fait qu’il n’existe pas réellement de standard pour les interfaces en réalité augmentée est plus embêtant. Nous sommes habitués à des IHM très homogènes sur les ordinateurs et smartphones (merci Apple), aussi la déception risque d’être grande si les éditeurs de contenus et jeux ne parviennent pas à s’accorder sur des conventions ou bonnes pratiques (lire à ce sujet 4 Design Problems for VR Tracking And How to Solve Them).
Rome ne s’est pas faite en un jour
Pour mémoire, les premiers produits grand public de réalité virtuelle sont apparus au début des années 90, avec le succès que nous leur connaissons. Il aura fallu attendre près de 20 ans avant de franchir un véritable saut technologique. Maintenant que nous y sommes presque, pourquoi chercher à précipiter les choses et générer des attentes qui ne seront pas comblées. La dernière fois que l’on nous a annoncé une technologie révolutionnaire qui allait bouleverser le marché, c’était il y a moins d’un an avec l’Apple Watch (hum hum).
Conclusion : la réalité virtuelle n’est pas encore une réalité de marché. Il faudra attendre plusieurs années avant de pouvoir considérer que le segment est économiquement viable et statistiquement significatif. Nous pouvons même allez plus loin et dire qu’il faudra certainement plusieurs décennies avant de considérer la réalité virtuelle comme la “next computing platform”. Dans l’immédiat, le seul créneau viable semble être celui de salles d’arcade de nouvelle génération intégrant les derniers équipements : Why the arcade is about to make a comeback et The VOID: Using VR Magic to Create Astonishment.
La question est de savoir ce que vont faire Apple et Google, car ils ont visiblement décidé de combler leur retard : Apple reportedly has a ‘secret’ team with hundreds of employees working on VR et Google Gets Serious, Beefs Up VR Division.