Si les utilisateurs et les interactions sociales qui les relient sont la matière première principale du web sur les 5 dernières années (avec l’avènement des médias sociaux), les années suivantes devront composer avec une autre matière première précieuse : les données (cf. Du contenu roi aux données reines). Les données sont la matière première du géo-marketing, elles permettent d’optimiser l’implantation d’un hypermarché. Elles sont également à la base de l’analyse décisionnelle qui permet de piloter une activité commerciale. Elles permettront bientôt d’adapter notre style de vie et notre comportement à un environnement toujours plus hostile (stress, maladies, bactéries tueuses…).
Non seulement les progrès réalisés par les outils de collecte et de partage vont grandement faciliter la constitution de personal data ecosystems, mais les annonceurs, collectivités et organisations vont nous y inciter, car elles apporteront des réponses aux questions que nous ne nous posons pas encore.
Définition et origines du Quantified Self
Il existe déjà un certain nombre d’articles publiés sur le sujet (dont le très bon interview d’Emmanuel Gadenne : Le Quantified Self : doit-on compter sur soi ?), aussi je vais vous la faire courte : Le Quantified Self est une pratique consistant à collecter des données personnelles et à les partager. Pourquoi ? C’est là toute la question… Le QS est en effet une discipline polymorphe où chacun y trouve son compte, donc avec des motivations et des pratiques différentes. La notion communément admise est la suivante : “Mieux se connaitre au travers des données“.
Les origines sont à chercher dans les journaux intimes et les pratiques de self-tracking. Vous connaissiez déjà des systèmes comme Nike+ ou la Wii Fit, le QS va plus loin en proposant une approche systématique et publique. La publication et le partage de ces données personnelles est en effet ce qui différencie le Quantified Self des autres pratiques (notamment le Self-tracking). Plusieurs facteurs favorisent ce phénomène de publication et de partage : des capteurs plus petits (et des smartphones qui peuvent se substituer à ces capteurs) ; des services permettant de facilement collecter, structurer, partager les données ainsi que de créer des interactions sociales avec les personnes partageant les mêmes objectifs que vous (comme par exemple 42Goals) ; des plateformes sociales qui banalisent l’acte social de partager sa vie (sites de partage de photos, de localisation…).
N’essayez pas de trouver des raisons rationnelles à cette pratique, car c’est avant tout une expérience sociale et humaine. Les entreprises sont en quête perpétuelle de performance, pourquoi pas les individus ? Pour une analyse psycho-sociaux-ethno-techno, je vous recommande la lecture de ces articles : Finalement, documentez-moi, Nos vies gérées par les données et Self-tracking, quand les chiffres parlent.
N’allez pas pensez que le Quantified Self est une forme dégénérative de narcissisme social, il s’agit simplement d’un mouvement de fond fédérateur. Les motivations des pratiquants sont multiples et je n’ai pas l’ambition de toutes les lister. Mais bon, force est de constater que l’on vérifie plus facilement le niveau d’huile de sa voiture plutôt que sa pression artérielle, cherchez l’erreur…
Exemples de domaines d’application
Comme précisé plus haut, le QS est une meta-discipline qui regroupe des individus aux motivations très diversifiées. Il est ainsi possible d’en identifier quelques-unes :
- Pour des raisons médicales. Des sites comme CureTogether ou PatientLikeMe permettent ainsi de tisser des liens sociaux entre personnes souffrant des mêmes maladies de longue durée ou suivant le même traitement.
- Pour se comparer à d’autres. Quoi de plus naturel que de chercher à s’auto-évaluer en se comparant aux autres, aussi bien dans le domaine sportif (RunKeeper, Runtastic), que pour votre gestion quotidienne (PearBudget) ou vos ébats sexuels (BedPost).
- Pour chercher un soutien moral. Des systèmes comme Withings ou BodyMedia permettent de faciliter la collecte de votre poids et de votre tension, mais une fois les données agrégées, il manque la plateforme sociale pour pouvoir dévoiler vos objectifs personnels et trouver l’entourage social qui va vous aider à les atteindre. Cela peut concerner une perte de poids, mais aussi la diminution de votre dépendance à la cigarette ou à l’alcool (DrinkingDiary). Il existe en fait une infinité de données personnelles à mesurer, des plateformes comme Quantter, Daytum ou LifeMetric vous aide à organiser la collecte de ses données ainsi que leur partage.
- Par curiosité. Savez-vous combien de musique vous écoutez ou combien de km vous parcourez dans la journée ? Des systèmes comme iTunes ou Google Latitude se proposent de quantifier votre quotidien, juste pour le plaisir.
Cette (petite) liste n’est là que pour illustrer la diversité des motivations de chacun. Vous noterez que les données personnelles collectées peuvent être à la fois des données quantitatives (votre poids) tout comme qualitatives (votre humeur sur Moodscope ou Mappiness). En fait les deux sont utiles pour nous aider à mieux comprendre qui nous sommes et la façon dont nous nous insérons dans notre cercle sociale.
Tout ceci vous paraît abstrait ou psychotique ? C’est normal, la première réaction de celles et ceux qui découvrent cette discipline est invariablement la même : “ces gens ont-ils des problèmes ?“. Pas forcément, et vous ? En faisant un petit travail d’introspection, vous pouvez très facilement identifier des variables d’ajustement dans votre quotidien : Vous avez du sommeil en retard : Combien ? Vous buvez trop de café : Combien ? Vous ne faites pas assez de sport : Combien ?
Quelles applications pour les marques ?
Nous arrivons maintenant à la partie qui fait peur : l’exploitation de toutes ces données personnelles. Plusieurs services existent déjà et proposent une offre complète et bien délimitée, mais nous n’en sommes qu’aux prémices de quelques choses de bien plus ambitieux.
Des plateformes comme Withings ou Zeo apporte un service clé en main avec l’appareil de mesure, le service en ligne d’agrégation et d’archivage des données (cf. How I sleep: random thoughts after using MyZeo to measure my sleep for a few weeks). Jusque-là, rien de très intéressant, si ce n’est pour vous refourguer des pilules du sommeil.
Prenons maintenant le cas de BodyMedia. Ils proposent également une offre similaire avec à la fois les appareils pour collecter les données ainsi que le service pour les archiver. Là où ça devient intéressant, c’est qu’ils travaillent en collaboration avec des coaches sportifs ainsi que des professionnels de santé. Nous ne sommes donc plus dans le cadre d’une expérimentation névro-narcissique, mais dans le cadre plus général d’un programme de santé et bien-être. La vente de capteurs devient donc une activité satellite, l’important pour eux est de stocker les données et de faire l’intermédiaire entre les utilisateurs et les professionnels qui vont pouvoir exploiter ces données.
Avec ce cas de figure, nous voyons bien que l’intérêt ne réside pas dans la vente de capteurs, mais bien dans l’exploitation des données. Certains proposent un système fermé comme Philips avec son DirectLife, d’autres optent pour un système ouvert comme RunKeeper qui permet d’agréger les données : Zeo and Fitbit now integrate with RunKeeper!.
Nous en venons donc au principe de personal data ecosystem. L’idée est de se constituer une base de données personnelles (poids, nombre de cigarettes fumées / de cafés bus, humeur, calories ingurgitées / dépensées, nombre de km parcourus…). Une fois ces données collectées, archivées et mises en forme, vous y autorisez l’accès à des fournisseurs de service qui vont les analyser et vous faire des recommandations et/ou des propositions. Tout comme vous autorisez un site à personnaliser son contenu en fonction de votre graphe social (via Facebook Connect ou autre), il serait possible de personnaliser une offre en fonction de vos données personnelles. Plusieurs éditeurs sont ainsi en compétition pour orchestrer ce partage et faire office de tiers de confiance.
Un acteur comme Quantter s’efforce ainsi de faciliter la collecte des données en proposant des applications pour smartphone, mais également un ingénieux système de collecte via Twitter de type #activity:numberunit (ex: #run:5km). L’intérêt de collecter les données de façon publique via Twitter est d’ouvrir la porte à des annonceurs potentiels (l’éditeur préfère parler de micro-sponsors) qui pourrait très facilement exploiter ça dans le cadre de campagnes avec dotation.
Précisons que la collecte et l’archivage de données personnelles est un très gros marché, d’autant plus avec des données médicales. Microsoft et Google sont d’ailleurs déjà positionnés sur ce créneau (respectivement Google Health et Microsoft HealthVault) avec des offres combinant la gestion de données médicales ainsi que les données personnelles lambda. Le scénario tout à fait probable que j’envisage est le suivant : Des services de développement de photos sont déjà intégrés à votre compte Picasa (qui stocke vos photos), votre médecin ou votre coach “santé” pourrait tout à fait exploiter de la même façon vos données stockées sur Google Health. Google gagnerait ainsi de l’argent dans l’acte d’intermédiation et/ou dans l’accès aux données (qui serait payant pour les pros).
Encore plus fort : en déployant son service à grande échelle, Google pourrait amasser une masse considérable de données personnelles sur les utilisateurs. Ils pourraient alors se servir de ces données d’un point de vue macroscopique. Nous pouvons ainsi envisager un service à destination des agences gouvernementales ou des industries pharmaceutiques qui leur donnerait accès à ces données ainsi qu’aux outils d’analyse (l’équivalent de ce que propose Médiamétrie mais pour des données personnelles). Nous parlons bien ici de Data-as-a-Service : un service d’accès et d’exploitation de grandes quantités de données. L’intérêt pour les industriels serait de disposer d’une base de données déjà constituée et de pouvoir les exploiter pour repérer des signaux faibles : des tendances qui ne sont visibles qu’avec de très grandes quantités de données.
Illustration avec Google Correlate, un service qui permet de comparer des séries de données hétérogènes pour essayer d’identifier des corrélations empiriques. Aujourd’hui ce service est alimenté par des données publiques, mais nous pourrions tout à fait envisager une offre plus sophistiquée avec un accès premium offrant des données personnelles anonymisées et des outils d’analyse plus complexes (agents intelligents). À ce petit jeu là, c’est celui qui possèdera la plus grande quantité de données qui raflera la mise. Correction : c’est celui qui possèdera la plus grande quantité de données, l’infrastructure pour les stocker, les outils pour les manipuler et les offres pour les commercialiser qui remportera la mise. Qui d’autre que Google est mieux placé sur ce terrain là ?
Dernière application pour les marques : la connaissance client. Les annonceurs exploitent aujourd’hui trois types de données concernant les clients : l’historique des achats pour le programme de fidélité, le profil et le comportement pour la personnalisation des offres. Des solutions comme Facebook Connect ou AudienceScience (anciennement Wunderloop) facilitent grandement cette tâche de personnalisation des newsletter ou offres. Avoir accès à des gigantesques bases de données personnelles pourrait représenter un gros avantage pour les marques. Prenons l’exemple d’un fabriquant de vêtements, cette base de données lui permettrait d’ajuster les tailles de ses produits en fonction des tendances qu’il peut constater.
Mais nous pouvons aller beaucoup plus loin et envisager un ajustement des campagnes en fonction de critères jusque-là ignorés : l’humeur, la santé financière, le cycle menstruel… Bien évidement, il serait complètement surréaliste de penser que les prospects vont autoriser volontairement les annonceurs à accéder à leurs données personnelles, par contre nous pourrions l’envisager avec des tiers de confiance. Ces intermédiaires seraient en mesure à partir des données personnelles des utilisateurs de sortir un score de réceptivité en quasi-temps réel. Ce score servirait aux annonceurs à avancer ou décaler le lancement d’une campagne pour s’assurer de son succès. Traduction : Les annonceurs payeraient pour savoir si les conditions sont bonnes pour lancer une promotion aujourd’hui ou s’il faut attendre le lendemain ou la fin de semaine.
Vous trouvez le principe effrayant ? Pas moi. Après tout nous parlons d’utilisateurs consentants qui sont bien contents de bénéficier d’un service gratuit de collecte et d’archivage de données personnelles. À partir du moment où ces données sont anonymisées, leur exploitation ne devrait pas poser trop de problèmes éthiques. Pour vous en convaincre, laissez-moi vous rappeler que c’est que fait Google depuis des années : ils exploitent les données issues des recherches ainsi que les statistiques de fréquentation des sites, mais dans la mesure où Google Search et Google Analytics sont gratuits, ça ne dérange personne.
Les données seront la matière première du web 3.0
Le Quantified Self n’est à mon avis que la partie visible de l’iceberg. Le web est un média proposant une incroyable richesse de par la quantité de contenus qui y est disponible. Avec les médias sociaux, cette richesse a été considérablement accrue avec les contenus générés par les utilisateurs. Les données seront un troisième facteur d’enrichissement, elles donneront plus de sens au contenu (data journalism) et permettront de personnaliser l’expérience des internautes (personal data ecosystem).
Les données seront également source de nouvelles interactions sociales : si vous n’êtes pas à l’aise avec l’écrit (pas le courage ou l’assurance pour rédiger un blog), peut-être pourriez-vous trouver un intérêt à faire parler les données pour vous. Des sites comme 42Goals ou Quantter sont en faite des plateformes sociales qui utilisent les données personnelles plutôt que les billets / tweets / photos / … pour générer des interactions sociales entre les membres. Cela peut se faire dans un cadre complètement informel (par curiosité ou narcissisme) ou de façon plus sérieuse (Mooscope envoie ainsi un email à vos amis si votre humeur change radicalement et que vous avez des idées noires).
Les données seront ensuite un levier d’amélioration de la performance, qu’elle soit individuelle (faire plus d’exercice, arrêter de fumer…) ou collective. Les municipalités pourraient ainsi exploiter les checkins de services comme Foursquare ou Gowalla pour identifier les zones à fort trafic et redimensionner les capacités d’accueil ou les transports en commun pour éviter les goulots d’étranglement ; ou des services comme Asthmapolis pour identifier les zones irritantes pour les personnes souffrant d’asthme.
Les données seront enfin très précieuses pour aider les annonceurs à améliorer leur connaissance client à partir de données anonymisées ou à partir de données personnelles fournies volontairement par les prospects / clients pour bénéficier d’une offre mieux ciblée ou plus compétitive.
Encore une fois, tout ceci peut vous sembler abstrait ou effrayant (ou les deux), mais j’ai l’intime conviction que nous sommes au-devant d’une nouvelle révolution, et les données en seront la clé. Rassurez-vous, nous aurons largement l’occasion d’en reparler.
Merci pour cet article très intéressant !
En effet, sur ce point Google est le mieux disposé pour rafler la mise…
Merci pour cet excellent résumé.
Votre article est super intéressant ! J’étudie la chose depuis quelques temps déjà au travers d’articles comme le vôtre (et encore plus chez nos amis anglosaxons) et en testant différents sites à forte dimension sociale. Aux mêmes titre que les réseaux sociaux de proximité, ce sont les sites spécialisés qui auront le plus de chance de bien s’en sortir notamment grace à des données très ciblés.
D’ailleurs, le concept “Quantified Self” et le principe de “Mieux se connaitre au travers des données” est clairement exploité sur un site spécialisé dans le sport comme http://www.fysiki.com (site FR, je fais partie des bêta testeurs)…
Article intéressent. On peut à mon avis le lier à un article récent de Wired sur les boucles de rétroaction (http://www.wired.com/magazine/2011/06/ff_feedbackloop/all/1) et notamment à l’intérêt qu’il y a à réduire la friction de la collecte de l’information.
J’ai trouvé cet article vraiment intéressant et en cliquant sur le lien “Google health” j’ai appris que Google a récemment annoncé l’arrêt de Google Health pour janvier 2012 … car le service n’avait pas rencontré le succès escompté… Si Google n’y croit pas, que faut-il en penser?
Article archi intéressant, franchement un des plus complets sur le sujet. Je suis la problématique quantified self depuis plus d’un an, notamment toutes les nouveautés en termes de produits (Fitbit, Up de Jawbone, Withings, Zeo, NikeFuel, etc.). Sur mon blog, vous pouvez accéder à l’ensemble des infos sur ces marques : http://www.self-tracking-france.fr/
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