Les médias sociaux sont un écosystème décidément extrêmement riche et surtout incroyablement volatile. Il y a quelques années, MySpace régnait en maître sur le web, puis vient le tour de Facebook, et nous commençons maintenant à assister à l’irrésistible ascension de Snapchat. Pour celles et ceux qui ne connaissent pas, Snapchat est une application mobile qui permet de publier et d’envoyer des messages / photos / vidéos de façon éphémères (ils appellent ça un “Temporary Social Media“). Autant Facebook se fait une mission de “protéger vos souvenirs” en mémorisant scrupuleusement le poindre de vos publications et likes, autant le succès de snapchat repose sur ce côté éphémère : les contenus publiés ne sont disponibles que 24h et sont supprimés une fois visionnés. Il existe d’autres applications mobiles proposant ce type de fonctionnalité, mais c’est sur ce principe de publications éphémères que Snapchat a bâti son succès auprès des jeunes, car ces derniers y voient un moyen très efficace de se lâcher sans avoir besoin d’en assumer les conséquences.
Si vous trouvez que cette application est difficile à prendre en main, le créateur propose une explication spartiate, mais limpide :
Le fait que les adultes ne comprennent pas le fonctionnement de cette application, et surtout n’y voient aucun intérêt, a beaucoup participé à son succès (même leur site web est limite incompréhensible). Si l’ouverture d’un compte Facebook est aujourd’hui considéré comme un rite de passage à l’adolescence, les jeunes s’en désintéressent très rapidement car ils y croisent leurs profs, parents et mêmes grands parents ! Du coup, les ados et pré-ados se tournent vers des plateformes sociales moins “grand public” pour pouvoir y faire des trucs de jeunes. Nous en serions resté là si cette application n’avait pas rencontré un succès phénoménal :
- Entre 100 et 200 M d’utilisateurs réguliers (ils laissent planer le doute sur le nombre exact) ;
- 2 MM de vidéos courtes, les fameux “snap”, visionnées tous les jours (Snapchat users watch 2 billion videos every day, about half as many as Facebook) ;
- 75% du trafic des messageries instantanées en Angleterre (Here’s one sign Snapchat is dominating Facebook and Google when it comes to instant messaging) ;
- Près de 50% de taux de pénétration sur les marchés anglophones et plus d’1/4 pour la France (SnapChat séduit les Irlandais, les Français à la traine).
Comme vous pouvez le constater, Snapchat est assurément l’étoile montante des médias sociaux, celle dont tout le monde parle en ce moment. Ce qui fascine le plus chez Snapchat est sa popularité auprès d’un segment de population réputé très volatile. Cette application mobile affiche ainsi une insolente domination sur le segment des moins de 25 ans.
Fort de son audience très homogène, les équipes de Snapchat ont petit à petit procédés à une stratégie de diversification avec le déploiement de nombreux services et fonctionnalités : conversation vidéo, publications ouvertes, publications géolocalisées, échange d’argent, intégration de contenus tiers… Le fait que Snapchat soit la seule plateforme sociale a avoir fait plier des éditeurs de contenus de renommée mondiale comme CNN, cosmopolitan ou le National Geographics n’est as anodin, c’est une authentique démonstration de force. Ils se payent même le luxe d’intégrer les contenus de MTV, comme quoi, la roue tourne !
La question de la monétisation n’a jamais été réellement abordée, si ce n’est à travers des snaps sponsorisés hors de prix (le ticket d’entrée est à 750.000$) : Snapchat’s Newest Money Maker Is A Sponsored Our Story For Samsung And The AMAs. Ils ont ensuite trouvé d’autres leviers de monétisation plutôt malins comme les évènements live sponsorisés (Snapchat Is Making Some Pretty Serious Money From Live Stories) et les filtres locaux sponsorisés (Snapchat turns geofilter digital stickers into revenue source).
Les choses se sont accélérées dernièrement avec un road show parfaitement orchestré du fondateur pour promouvoir les solutions publicitaires natives auprès des marques : How Snapchat’s CEO Plans to Conquer the Advertising World. Cette tournée promotionnelle a atteint son apogée cette semaine avec les annonces faites au Festival de la publicité à Cannes : Snapchat’s Evan Spiegel Goes to France, Asks for Ad Money and Makes a Video.
Les “Vertical Video Views” sont donc le nouveau format publicitaire de référence sur Snapchat avec une belle mécanique de ciblage dont on ne sait pas encore grand chose.
Et comme si ce n’était pas assez, ils poursuivent leur diversification avec la création d’une société de production de contenus : Snapchat, WPP and DailyMail Launch Content Marketing Agency.
C’est donc un quasi-sans faute pour cette startup californienne à laquelle tout réussi et dont personne n’arrive à endiguer la croissance, notamment Facebook qui a lancé plusieurs applications mobiles directement concurrentes sans succès. Snapchat est-il le futur Facebook ? Non, aucune chance. D’une part, car Facebook est 15 fois plus gros (leur audience approche les 1,5 MM d’utilisateurs), d’autres part, car ils n’ont pas le même positionnement : Facebook veut connecter tous les êtres humains entre-eux (c’est donc une sorte d’hypermarché des médias sociaux), alors que Snapchat s’adresse aux jeunes avec une proposition de valeur plutôt faible (faire des grimasse devant une caméra). Dans tous les cas de figure, n’oubliez pas que Facebook possèdent accessoirement Instagram, l’autre application mobile de référence auprès des jeunes.
Au final, comparer Snapchat à Facebook n’est pas réellement pertinent. Facebook est et restera une plateforme sociale, c’est dans ses gènes, tandis que Snapchat essaye de se transformer en média. Pour le moment, ce positionnement se passe plutôt bien, mais dans la mesure où ils n’ont qu’une expérience très limitée en matière de production de contenu, ils devront d’abord faire leurs preuves face à des mastodontes comme BuzzFeed ou Vice.
Pas sûr que l’application soit si systématiquement décriée côté “adulte”, mais cela finit par faire partie du folklore de la marque :)
Cela dit la dichotomie finale entre le Facebook social et le Snapchat média est très intéressante, notamment quand on voit l’usage que Vice a réussi à créer dans l’application. Affaire à suivre…
Colin
Hello Fred, decidemment on n’est pas d’accord en ce moment ! :-)
Je trouve que Snapchat est interessant et important pour voir dans quelle direction les media sociaux evoluent (en l’occurence, vers du “one to one” et des media riches). Mais c’est tout. En termes de publicite, ils vont faire les memes erreurs que Twitter il semble :
– impossibilite de controler le passage de l’utilisateur pour lui proposer une publicite (donc aucun interet pour un annonceur)
– ciblage tres moyen voire inexistant (ce que propose Snapchat est du spam, pur et dur)
– impossiblite de faire des campagnes de publicite a grande echelle (Facebook Power Editor est deja loin derriere Adwords alors 3V…)
Et au bout d’un moment, sans argent et avec des investisseurs lasses (oui oui, comme Twitter), ils deperitont !
Ca sent pas bon pour Snapchat et ils prennent clairement la mauvaise direction…
Remi
Bravo pour le blog et la qualité du contenu. Certes snapchat n’est pas Facebook et oui Facebook offre des possibilités plus larges. Néanmoins, tout l’enjeu sera pour snapchat d’étendre sa palette à la façon d’un Uber qui n’est pas seulement un service de taxi mais bientôt un service de livraison ou cf amazon qui s’est réinventé 3 fois déjà.