La transformation digitale accélère la quatrième révolution industrielle

La semaine dernière se tenait à Davos le Forum Économique Mondial, le rendez-vous des grands de ce monde (patrons, entrepreneurs, politiques…). Plus que jamais la transformation digitale et les bouleversements qu’elle engendre étaient au coeur des débats. En ouverture de cet évènement, les participants ont tous reçu le dernier livre de Klaus Schwab, le patron de la société organisatrice (The Fourth Industrial Revolution: what it means, how to respond). Dans ce livre, il est question de la quatrième révolution industrielle, un sujet complexe, voire nébuleux, mais qui mérite que l’on s’y attarde. Si j’ai choisi d’en parler dans cet article, c’est parce que cette quatrième révolution est intimement liée à la transition numérique.

Et 1, et 2 et 3 ré-vo !

Avant d’aborder la quatrième, essayons dans un premier temps de définir les trois précédentes révolutions, une précision qui nous permettra d’y voir plus clair pour pouvoir poser une ligne de démarcation :

  • La première révolution industrielle correspond à la mise en oeuvre des premières machines, propulsées par la vapeur. Ces machines ont été l’élément fondateur de l’industrie, c’est à dire de la production à l’échelle industrielle. Cette première révolution touchait donc essentiellement à l’outil de production.
  • La deuxième révolution correspond à la généralisation de l’électricité et du pétrole. Ces nouvelles énergies ont permis d’augmenter le rendement et surtout de réduire les distances, facilitant ainsi la circulation des matières premières et marchandises, ainsi que des hommes (en tant que main-d’oeuvre ou consommateurs). C’était donc une révolution du transport.
  • La troisième révolution correspond à la généralisation de l’informatique, aussi bien dans l’industrie (PAO, usines automatisées…), que dans les services (systèmes de réservation centralisés dans le tourisme), que dans la banque et la finance (transactions électroniques…). Cette révolution a eu un gros impact dans le secteur tertiaire et sur tous les métiers où l’information est un élément critique.

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L’outil informatique étant aujourd’hui généralisé, aussi bien en entreprise que dans notre quotidien, nous pouvons partir du principe que cette troisième révolution est achevée depuis une bonne décennie (cf. Nous vivons maintenant dans un monde mobile publié en 2014). Certes, l’artisanat subsiste, mais personne ne peut nier l’omniprésence des ordinateurs et le rôle essentiel qu’ils jouent dans notre mode de vie (les smartphones sont devenus la télécommande de notre quotidien numérique).

La quatrième révolution industrielle est une meta-révolution

Si les trois premières révolutions reposaient sur une avancée technologique majeure (vapeur, électricité et NTIC), la quatrième révolution est en revanche plus subtile dans la mesure où elle est amorcée par un agrégat de mini-révolutions dont le numérique est le catalyseur. En ce sens, il n’y aura pas de rupture nette (comme il a pu y avoir avec l’arrivée de l’ordinateur), mais une série d’avancées dans différents domaines qui mises bout à bout transforme l’outil de production et le quotidien des consommateurs. Formulé autrement : tous les ingrédients de la quatrième révolution industrielle sont déjà là, charge aux entreprises et organisations d’en bénéficier.

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Si je devais résumer cette quatrième révolution industrielle, je dirais qu’elle correspond à la généralisation des robots, aussi bien les robots physiques (automates, drones…) que les robots logiques (logiciels, algorithmes…). Vous pourriez me dire que les robots existent depuis des décennies, mais le véritable saut incrémental va s’opérer avec des robots opérant avec un bien plus grand niveau d’autonomie.

Les robots sont nos meilleurs amis pour la vie

Nous sommes tous d’accord pour dire que les robots font peur et qu’ils ont très mauvaise presse en ce moment. Pas forcément à cause du film Terminator, mais avec cette idée persistante que les robots vont détruire des millions d’emplois. J’ai conscience du fait que ce débat sur les robots est loin d’être clôt, comme en témoigne les nombreux articles qui en parlent : Les robots et l’AI détruiront 5 millions d’emplois en 5 ansRobot revolution: rise of ‘thinking’ machines could exacerbate inequality ou Le robot au service de l’homme ou l’homme au service du robot ?. Le cabinet McKinsey a même publié une projection très précise sur les métiers “à risque” (How Soon Before Your Job Is Done By A Robot? This Handy Chart Will Tell You) :

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Je n’ai pas la prétention d’apporter LA preuve ultime qui va clore le débat, néanmoins je vous propose de méditer sur ce sujet avec les trois éléments suivants :

  • Les robots sont là pour nous faciliter le quotidien. La gamme de robots domestiques d’iRobot est un bel exemple de robots ménagers qui nous soulagent de cette très ingrate corvée. De même, le service Inbox de Gmail nous aide à être beaucoup plus productifs dans la gestion des messages.
  • Les emplois qui peuvent être automatisés ne sont pas des emplois viables. Je n’ai pas de grief particulier envers les balayeurs, mais j’estime que nous devrions chercher à élever la race humaine plutôt que la faire stagner. Certes, il n’y a pas de sot métiers, mais on sent bien que les philosophes et démagogues qui prônent le maintien des métiers “traditionnels” n’ont jamais passé une journée à balayer ou à bêcher la terre. Je précise qu’il n’est pas ici question de complètement remplacer les hommes par des robots, mais de leur confier un rôle de supervisation pour les 80% des tâches qui peuvent être automatisées, les 20% restant étant réalisé “à la main”.
  • Les robots peuvent faire ce qu’un humain ne peut pas ou ne devraient pas faire. Nous n’en avons pas forcément conscience, mais les produits que nous consommons / utilisons au quotidien nécessitent des matières premières qui commencent à manquer et dont l’extraction se fait dans des conditions indignes pour l’homme. En Australie, la compagnie d’exploitation Rio Tinto utilise par exemple des camions semi-autonomes pour éviter à des chauffeurs de descendre dans des mines de souffre par 45° (Driverless trucks move all iron ore at Rio Tinto’s Pilbara mines).

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Encore une fois, les robots ne sont pas à considérer comme une menace, mais plutôt comme une opportunité pour améliorer les rendements et les conditions de travail. J’invite celles et ceux qui ne sont pas d’accord avec ça à postuler à des emplois de mineur, manutentionnaire, chauffeur routier, opérateur de saisie, téléconseiller ou caissier. Parfois, j’ai vraiment l’impression que nos politiques et journalistes prennent plaisir à célébrer l’esclavagisme (comme si nous pouvions nous réjouir que nos semblables bougent des caisses ou vissent des boulons à longueur de journée).

Je referme cet aparté pour revenir au sujet de cet article : la quatrième révolution industrielle et ses composantes.

De nombreux facteurs de transformation

Évoquer la quatrième révolution industrielle fait nécessairement naitre dans les esprits les fantasmes autour de l’usine 4.0, la fameuse usine du futur qui s’auto-gère et se régule d’elle-même en fonction de facteurs externes (évolution des commandes, du prix des matières premières…).

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Au-delà de ce concept très nébuleux (qui a déjà été abordé ici : Les objets connectés et agents intelligents amorcent la quatrième révolution industrielle), il est tout à fait possible d’identifier un certain nombre d’innovations ou d’agents de transformation qui peuvent potentiellement révolutionner tel ou tel domaine d’activité :

  • les objets connectés, qui permettent d’augmenter la productivité (automatisation de tâches), de baisser les coûts (meilleure gestion des ressources) et d’améliorer la réactivité (pilotage à distance) ;
  • les big data, encore un concept nébuleux, mais néanmoins fédérateur pour désigner les nombreuses innovations technologiques permettant d’améliorer de façon drastique les capacités de collecte, stockage et traitement des données (pour une meilleure surveillance d’une activité, compréhension des dynamiques à l’oeuvre et anticipation des évolutions) ;
  • les micro-usines et fablabs, qui permettent de démocratiser l’accès à des machines réservées auparavant aux industriels (ex : découpe numérique) et à faciliter le prototypage rapide (notamment grâce aux imprimantes 3D) ;
  • les nouveaux outils de production exploitant des servo-moteurs miniaturisés ou les nanotechnologies pour une plus grande précision et des coûts de production bien plus bas ;
  • les nouveaux matériaux comme le graphène ou les nanotubes de carbone ;
  • les intelligences artificielles capables de piloter des véhicules, drones… ou d’améliorer des algorithmes grâce au machine learning (“apprentissage automatique” en français).

Cette liste n’est pas exhaustive, il existe de nombreux autres facteurs, mais je ne voulais pas verser dans la futurologie (ex : biotechnologie…). Comme vous pouvez le constater, il y a donc de nombreux facteurs de transformation. Le secret pour bien appréhender ce qu’est la quatrième révolution industrielle, c’est d’étudier le bénéfice cumulé de l’ensemble de ces avancées technologiques. Pris individuellement, ces facteurs de transformation ne représentent qu’une partie de la solution (quoiqu’il n’y a pas réellement de problème). La mise en oeuvre de tous ces facteurs de façon incrémentale représente en revanche un énorme bond en avant.

Ne pensez pas que les innovations listées plus haut sont cantonnées aux laboratoires de recherche, car ils sont déjà disponibles. Watson, la gigantesque intelligence artificielle d’IBM est ainsi accessible aux développeurs via une API depuis plus de deux ans. Et ne pensez pas non plus que toutes ces innovations (et celles qui n’ont pas été listées) ne profitent qu’à l’industrie. Le numérique est ainsi le catalyseur de nombreuses pratiques et modèles économiques qui bouleversent tous les secteurs dd’activité. Nous parlons beaucoup en ce moment de l’uberisation, mais je vous invite à vous intéresser au principe d’Exponential Organizations, très bien décrit dans un livre éponyme : Exponential Organizations Are The Future Of Global Business And Innovation. Ceci fera l’objet de mon prochain article.

La quatrième révolution industrielle et sociétale

Nous utilisons le terme “révolution industrielle”, mais la généralisation des machines à vapeur, de l’électricité, du pétrole ou des NTIC a eu un impact très fort sur l’industrie, mais également sur tous les domaines de notre quotidien : économie, consommation… Il en sera de même pour cette quatrième révolution qui touche à la fois les industriels, mais également :

  • les médias (publicité programmatique) ;
  • les produits de consommation courante (food tech) ;
  • la distribution (automatisation des entrepôts, drones de livraison…) ;
  • la finance (high-frequency trading, algorithmes de recommandation patrimoniale, crypto-monnaies…) ;
  • l’emploi (freelance economy) ;
  • l’éducation (MOOCs) ;
  • l’agriculture (culture automatisée)…

Bref, les outils, services et contenus numériques bouleversent notre quotidien, pour le meilleur (baisse des coûts, optimisation de la productivité…) ou pour le pire (retargeting). Mais n’oublions pas que le numérique n’est pas une fin en soi (tout sera bientôt numérisé), mais un moyen ou une opportunité pour travailler, s’informer, se divertir, s’instruire différemment (Digital is the Transformation Agent, Not the Transformation).

Ceci étant dit, et comme c’est souvent le cas, les révolutions apportent autant de solutions qu’elles ne créent de nouveaux problèmes. Pour bâtir une nouvelle civilisation numérique, il nous faudra réfléchir à de nombreux enjeux :

  • Sécurité et confidentialité (notamment avec la prolifération des objets connectés) ;
  • Fracture sociale (quid des techno-réfractaires ? Quelle protection sociale pour les millions de travailleurs freelance qui exploitent les plateformes de service ?) ;
  • Gouvernance (régulation des plateformes de service, normalisation des technologies) ;
  • Souveraineté (les GAFA, BATX et NATUS concentrent énormément de richesses et de pouvoir)…

En ce qui concerne le sujet chaud bouillant de l’impact sur les emplois, je vous recommande le rapport Nouvelles trajectoires du CNNum. Pour le reste, je suis persuadé que nous aurons tous un rôle à jouer en tant que citoyen dans le façonnage de cette nouvelle société numérique. Encore faut-il s’y intéresser et ne pas tout rejeter par peur du changement (un facteur bien trop souvent négligé). Commencez donc par vous poser la question suivante : de quelle société ai-je envie et comment y contribuer ?