AI is the new UI ? Non, je ne pense pas !

En ce moment, il ne se passe pas un jour sans que j’entende parler d’intelligence artificielle, de machine learning, d’algorithmes auto-apprenant… Si les avancées technologiques dans ces domaines sont indéniables, j’ai l’impression que nous atteignons un point de saturation. Je suis tombé récemment sur une citation qui me fait grincer des dents : “AI is the new UI“. Martelé comme des punchlines, ce genre d’assertion est non seulement erroné, mais en plus très néfaste pour l’industrie. J’aurais pu réagir sur Twitter, mais le sujet est complexe et mérite des explications précises. De plus, nous touchons ici du doigt LE gros enjeu de 2017 : la compréhension de toutes ces nouvelles technologies.

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Toutes les interfaces naturelles n’exploitent pas forcément d’intelligence artificielle

Pour bien commencer cette explication, revenons sur cette fameuse citation : “AI is the new UI“. Prononcée la première fois par le CEO de Path lors de l’évènement Techcrunch Disrupt en 2012, cette phrase fait référence à deux concepts très différents : d’un côté les intelligences artificielles qui tournent côté serveur (donc plutôt en back-office) et de l’autre les interfaces graphiques qui servent aux utilisateurs à interagir avec un système informatique (donc carrément en front-office). Opposer les deux n’a aucun sens. Aucun.

À la décharge de celui qui l’a prononcé (souvenez-vous que c’était en 2012), les chatbots, applications transparentes ou même applications de messagerie n’étaient pas du tout à la mode à cette époque. Pourtant, il y avait de l’idée dans son assertion : celle que les interfaces naturelles (textuelles ou vocales) allaient prendre le pas sur les interfaces graphiques des applications mobiles. Effectivement, le phénomène de app fatigue a engendré le succès spectaculaire des chatbots sur les applications de messagerie. Si 6 mois après le soufflet est retombé, le concept d’interface naturelle fait néanmoins son chemin, même s’il est encore employé avec beaucoup de maladresse (ex : No UI Is The New UI).

Le problème de cette formulation est que l’on confond intelligence artificielle et interface utilisateur. Pour vous la faire simple, une intelligence artificielle est un dispositif imitant ou remplaçant l’humain dans ses fonctions cognitives : connaissance, compréhension, raisonnement, dialogue, adaptation, apprentissage… (sources : Wikipedia et Futura Sciences). L’interface utilisateur est un dispositif permettant à un utilisateur d’interagir avec un système informatique. Une interface peut être textuelle, graphique, vocale… elle peut prendre différentes formes, même mécanique aussi bien pour la manipulation (ex : un interrupteur) que pour la restitution (ex : le lapin Nabaztag qui bouge ses oreilles). Mais au bout du compte, il y aura toujours une interface.

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Je constate de plus que l’on associe systématique les intelligences artificielles aux chatbots. Là encore, c’est un raccourci grossier, car la plupart des chatbots ne sont pas dotés d’une intelligence artificielle : ils répondent à des instructions à l’aide d’un ensemble de phrases et fonctions prédéterminées. Les instructions auxquelles un chatbot va réagir lui sont “enseignées” par un linguiste, tandis que les phrases et fonctions qu’il va réaliser sont codées par des développeurs. Ce sont des humains qui font tourner les chatbots, pas des machines. Seule une minorité de chatbots sont réellement propulsés par des intelligences artificielles, à l’image de Watson qu’IBM est petit à petit en train de commercialiser (IBM’s Weather Company employs Watson to boost its updated ad targeting platform et IBM buys Expert Personal Shopper from Fluid to build out Watson’s conversation skills).

AI is the new Flash

À une époque pas si lointaine, tout le monde voulait mettre du Flash dans son site web. La raison était simple : cette technologie permettait de faire des choses très spectaculaires et la courbe d’apprentissage n’était pas très élevée (du moins pour faire des animations simples). Nous sommes dans une situation plus ou moins équivalente dans la mesure où il existe de nombreuses briques technologiques pour faciliter l’exploitation d’intelligences artificielles (ex : TensorFlow de Google ou DeepSpeech 2 de Baidu). Le problème est que l’intelligence artificielle est un domaine très vaste, aussi vaste que le marketing. Du coup, on met dedans  tout et n’importe quoi.

Il existe pourtant des sources fiables et suffisamment accessibles pour que l’on puisse s’y retrouver (An absolute beginner’s guide to machine learning, deep learning, and AI ou Deep Learning vs Machine Learning vs Pattern Recognition) et bien comprendre les enjeux (What will AI make possible that’s impossible today?).

Mais comme à chaque fois qu’un concept ou terme commence à se propager dans la Silicon Valley, les journalistes, investisseurs et autres vendeurs de pioches se jettent dessus pour en faire LE remède miracle à tous vos problèmes. Du coup, on se met à associer des concepts entre eux pour en faire un super domaine que l’on nous présente comme le Next Big Thing (ex : The current state of machine intelligence).

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À vouloir sur-simplifier des innovations technologiques complexes à appréhender, on se retrouve avec un phénomène de sur-médiatisation très néfaste qui génère de la confusion et de la méfiance chez les annonceurs. Effectivement, comment ne pas rester perplexe devant des assertions à la con comme “Robot advisor is the new bank“, “Même Uber peut se faire uberiser“, “il faut blockchainiser les GAFA“…). À la décharge de ceux qui colportent ces punchlines, ils ont des choses à vendre. On ne peut donc pas réellement leur reprocher d’essayer de surfer sur la vague. Quoique, à trop se positionner sur une même vague, personne n’en profite réellement, même les plus légitimes.

L’enjeu de 2017 ne sera pas technologique, mais pédagogique

Revenons à notre phrase du début pour clore le débat : non, les IA ne remplacent pas les interfaces graphiques, ce sont deux couches différentes d’un même système (cf. À quoi va ressembler l’ère post-smartphone ? et Du SoLoMo au VoCloAI). Non, les interfaces naturelles (vocales ou textuelles) ne vont pas remplacer les interfaces traditionnelles (applications, site web…), elles vont les compléter (cf. Vers un marketing 10.0 ?).

J’insiste sur le dernier point : il n’y a pas et n’y aura pas de remplacement, mais une cumulation des usages. Tout comme les consommateurs achètent indifféremment en boutique et en ligne (cf. le baromètre Web-to-Store de Mappy), les utilisateurs vont exploiter indifféremment leur ordinateur, leur tablette, leur smartphone et leur assistant personnel à travers une enceinte, une montre ou un tableau de bord connectés. L’important n’est pas de prendre la concurrence de vitesse en exploitant la toute dernière innovation technologique, mais de proposer une expérience cohérente et sans couture à vos clients. Et de préférence, de le faire tout en maitrisant les coûts (CAPEX et OPEX) pour pouvoir maintenir un certain niveau de marges.

Voilà pourquoi je suis persuadé que LE grand chantier de 2017 ne sera pas de faire des coups d’éclat avec toutes ces nouvelles technologies (chatbots, AR/VR, IA…), mais de comprendre leurs potentiels et limites, et surtout de bien appréhender la façon dont elles vont pouvoir enrichir le parcours client. En synthèse : il faudra éduquer et non innover. Dans la mesure où nous parlons ici du coeur de métier de l’entreprise (son offre, ses services), la mise en application demandera un peu de temps, et surtout l’adhésion des équipes à une vision commune.

Un commentaire sur “AI is the new UI ? Non, je ne pense pas !

  1. Merci pour cet article, et pour bien définir ce qu’est une interface utilisateur.
    Toutefois, je suis surpris par un style un peu trop familier : ” comment ne pas rester perplexe devant des assertions à la c… comme […] “

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