Présentée il y a quelques années comme LA grande révolution du XXIe siècle, l’internet des objets est un sujet passé comme de nombreux autres (one to one, big data, social business… ). Pourtant, le segment des objets connectés et autres wearables continuent d’innover et de séduire toujours plus de particuliers et d’entreprises. Si l’IoT souffre toujours des mêmes problèmes (sécurisation, confidentialité, confiance, standardisation…), les ventes sont conformes aux prévisions et les usages se multiplient. Outre les statistiques, il est important de comprendre que les objets connectés font partie d’un tout et que leur succès est lié à celui d’autres domaines d’innovation comme l’intelligence artificielle ou les interfaces naturelles.
Presque 15 milliards d’objets connectés (connectables ?) en circulation
Il y aura 50 milliards d’objets connectés dans le monde d’ici 2025. J’imagine que vous avez déjà entendu cette prédiction. Au-delà de l’effet incantatoire, saviez-vous qu’il y avait déjà plus de 11 MM d’objets connectés dans le monde en 2017 ? Une statistique tout à fait intéressante du cabinet IDATE DigiWorld qui illustre bien le dynamisme du marché : Internet des objets, une croissance de 10% par an. Même son de cloche chez IDC où l’on nous annonce une très belle croissance et des revenus alléchants : IDC Forecasts Worldwide Mobility Spending to Reach $1.7 Trillion in 2021. Ceci étant dit, n’allez pas vous imaginer que bientôt chaque être humain aura une Apple Watch au poignet. Ces statistiques s’appliquent en effet à la grande famille de l’internet des objets, c’est à dire à la fois les objets connectés, les objets portables (wearables), mais surtout les capteurs passifs qui représentent les 9/10 du marché. Quand on nous annonce 50 MM d’objets connectés en 2025, ça sera plutôt 1 MM d’objets connectés et 49 MM d’objets connectables (des objets du quotidien sur lesquels on aura collé une puce RFID ou équivalent).
Ce n’est pas parce que les capteurs passifs forment l’essentiel du volume qu’il faut minimiser le marché des objets connectés. Le segment des bracelets et montres connectées affiche ainsi une belle croissance (Wearables grew 7.7% in Q4 2017, Apple passes Xiaomi and Fitbit for first place), même si les volumes sont bien inférieurs à ce que l’on espérait à la sortie de l’Apple Watch. Tout ça pour dire que oui, la déferlante n’a jamais eu lieu, mais la croissance est bien réelle (L’IoT progresse lentement, mais l’optimisme reste de mise).
Si l’on ne parle plus trop de l’Internet of Things, c’est parce que l’arbre cache la forêt : tous les regards se portent en effet sur le segment très disputé des enceintes connectées, celles-là mêmes qui ouvrent les portes de dizaines de millions de maisons aux distributeurs et annonceurs (47.3 million U.S. adults have access to a smart speaker, report says). Un segment au sein duquel s’affrontent les GAFAM et BATX. Une bataille d’anthologie pour prendre pied au sein des foyers qui commence déjà à se déporter vers d’autres segments comme celui des verrous connectés : Amazon acquires smart doorbell maker Ring, reportedly for over $1 billion et Nest launches $39 temperature sensor and is now shipping video doorbell and smart lock. La bataille devrait logiquement se déporter dans les prochains mois vers la TV et la voiture…
Pour ce qui est du marché des entreprises, là encore, les chiffres sont très encourageants : 2/3 des entreprises de plus de 200 salariés ont déployé une solution IoT, dont la moitié prévoient une extension d’ici deux ans (Progression de l’IoT en France). Donc oui, les premières expérimentations autour des objets connectés ont été concluantes, et sont même sources de revenus pour certains : Les objets connectés, c’est 440 M € de chiffre d’affaires en 2016 pour Legrand et Quand l’IoT devient source de business, en 3 exemples.
L’internet des objets est donc un marché florissant qui a toutes les chances d’atteindre les prévisions énoncées il y a quelques années (50 MM d’unités en 2025). Mais souvenez-vous que la très large majorité de ces unités seront de simples capteurs.
D’innombrables cas d’usages, surtout dans la santé
Si la croissance du parc installé d’objets connectés est si soutenue, c’est qu’il y a de très nombreux domaines d’application : dans l’industrie, dans l’agriculture, dans la gestion des villes, dans les établissements de soins, dans la distribution, dans les transports… Potentiellement, n’importe quel objet peut à minima capter des données et transmettre son état ou sa localisation, et peut également proposer des interactions beaucoup plus sophistiquées.
Ces innombrables possibilités mettent en appétit les géants du numérique qui n’ont pas attendu très longtemps pour proposer les infrastructures ad hoc : La stratégie atypique d’Amazon dans l’IoT as a Service, Google’s Cloud IoT Core is now generally available et Google to acquire Xively IoT platform from LogMeIn for $50M. Ce marché déjà bien atomisé devra maintenant composer avec les ambitions des GAFAM : Growing Pains, The 2018 Internet of Things Landscape.
Selon Opinionway, Plus d’un français sur deux possède au moins un objet connecté, contre 35% en 2016. Si cette statistique est faussée, car on y mélange objets connectés et smartphones, les consommateurs français démontrent un réel intérêt et une très bonne assimilation de ce qu’ils sont et ce à quoi ils peuvent servir (cf. cette étude d’OpinionWay publiée l’année dernière : Les objets connectés s’invitent de plus en plus dans le quotidien des Français). Les domaines les plus plébiscités sont la santé (73%), la sécurité (55 %), l’énergie et la domotique (52%).
Les usages les plus fréquemment cités sont les suivants :
- être alertés en temps réel en cas d’urgence (50%) ;
- pouvoir surveiller son habitation à distance (41%) ;
- avoir un meilleur contrôle de la consommation d’eau, d’électricité… (40%) ;
- améliorer la sécurité routière (40%) ;
- suivre son état de santé (35%).
Comme vous pouvez le constater, la santé est résolument le domaine de prédilection des objets connectés. Une tendance que l’on retrouve dans les prévisions d’IDATE DigiWorld (les usages Healthcare et Wellness représentent presque la moitié).
Il y a effectivement d’innombrables cas d’usage qu’il est possible d’identifier dans un secteur d’activité très archaïque où l’on travaille essentiellement de visu et sur papier : L’IoT transforme l’industrie de la santé en profondeur. Un énorme marché sur lequel des acteurs institutionnels sont déjà positionnés : La Poste dévoile son offre e-santé et présente ses innovations dans les services connectés. Un secteur dans lequel tout reste à (ré)inventer : What Will Health Care Look Like Once Smart Speakers Are Everywhere?
Mais toutes ces opportunités ne sont pas censées nous faire oublier les erreurs de jeunesse des objets connectés.
Des problèmes récurrents de sécurisation et des sentiments ambivalents
Nous sommes en 2018 et les objets connectés sont régulièrement pointés du doigt pour leurs problèmes de confidentialité (Fitness app Strava exposes the location of military bases), de sécurité (Almost half a million pacemakers need a firmware update to avoid getting hacked) ou de “simples” bugs (Update gone wrong leaves 500 smart locks inoperable). Les spécialistes vous diront que le risque zéro n’existe pas, et que le nombre de failles de sécurité augmente nécessairement avec le nombre d’unités en circulation. Certes, mais toutes ces histoires finissent par semer le doute dans l’esprit des consommateurs.
La conséquence de ces problèmes récurrents est que les utilisateurs nourrissent des sentiments incroyablement contrastés (Objets connectés : la confiance des consommateurs est encore très limitée). D’après une étude de Cisco : 53 % des personnes interrogées estiment que les objets connectés rendent leur vie plus facile (47 % déclarent qu’ils les rendent plus efficaces). Mais dans le même temps, seulement 9 % des sondés déclarent avoir confiance dans la sécurité des données collectées, tandis que 14 % seulement estiment que les entreprises font un bon travail d’information sur les conditions de collecte et d’utilisation de ces données. Tout ceci est très regrettable, d’autant plus que 42 % des utilisateurs interrogés indiquent ne pas être disposés à se passer de leurs objets connectés.
Si les fabricants ne réagissent pas, les objets connectés vont être définitivement considérés comme peu fiables dans l’inconscient collectif. Un consensus négatif qui commence déjà à nuire à des projets d’envergure comme le nouveau compteur connecté d’EDF : Compteur Linky : pétition et polémique autour de son coût. Et le pire dans tout ça, c’est que nous n’avons encore vu que la partie visible de l’iceberg : De plus en plus d’attaques sur les objets connectés selon Kaspersky et C’est officiel, les Russes ciblent les infrastructures stratégiques américaines.
Un maillon indispensable du XXIe siècle numérique
Les premières utilisations des objets connectés remontent à il y a une quinzaine d’années dans le domaine du supply chain management (A World of Smart Objects: The Role of Auto-Identification Technologies). Aujourd’hui, plus aucun logisticien ne voudrait revenir à un traitement manuel, car les gains de temps et de performance ne sont plus à prouver. Mais au-delà des applications logistiques, les objets connectés sont un maillon indispensable de la transformation digitale : sans capteur pour relever et transmettre des données, la chaine numérique est rompue et tous les gains de performance sont caducs.
Plus généralement, les objets connectés sont à la base de toutes les innovations qui font tant de bruit en ce moment :
- IoT = pas d’écran ou de clavier = interfaces naturelles pour pouvoir interagir
- IoT = données = big data = intelligence artificielle pour les traiter
- IoT = données = traçabilité = blockchain pour garantir leur intégrité
Malheureusement tout ceci n’est possible que si les fabricants et éditeurs de solutions sont autorisés à collecter, partager et exploiter les données des utilisateurs. Tous ces beaux cas d’usage deviendront peut-être caducs avec l’entrée en vigueur de la GDPR. Je ne sais pas pour vous, mais j’ai vraiment l’impression que plus la date fatidique approche et moins celles et ceux à qui j’en parle autour de moi se sentent concernés. Au mieux, on me sert un “ha oui je crois bien qu’il y a quelqu’un qui s’en occupe“, comme s’il s’agissait d’un simple formulaire à remplir, l’équivalent d’une déclaration CNIL. Malheureusement toutes ces histoires de faille de sécurité risquent de terriblement complexifier la tâche des éditeurs de solutions qui vont devoir se justifier auprès des utilisateurs pour obtenir leur consentement, une future obligation légale (cf. GDPR And IoT, The Problem Of Consent).
Idéalement, et pour ne pas provoquer de situation de blocage, il faudrait que les fabricants et éditeurs de solutions se mobilisent pour définir un cadre de travail commun afin de faire avancer les choses plus vite, l’équivalent de ce qui a été fait dans l’industrie publicitaire (IAB Europe unveils its GDPR Transparency & Consent Framework). Ce cadre de travail permettrait aux industriels du monde entier, et de l’Asie en particulier, d’éviter de s’empêtrer dans des textes obscurs avec de nombreuses subtilités à saisir. Il ne reste plus que deux mois, et j’espère sincèrement que la RGPD ne va pas entraver la progression des objets connectés, car comme expliqué plus haut, ils sont un maillon indispensable.
ne pas passer sous silence que si les objets connectés en matière de santé et sécurité au travail recèlent de nombreuses potentialités opportunes, ils engendrent aussi des risques professionnels nouveaux plus difficiles à appréhender dont la gestion est complexe et encore incertaine… : http://www.officiel-prevention.com/sante-hygiene-medecine-du-travail-sst/appareils-de-mesure/detail_dossier_CHSCT.php?rub=37&ssrub=152&dossid=576
Oui effectivement, les smartphones sont par exemple des nids à microbes, il faudrait les désinfecter toutes les semaines. Idem pour les bracelets connectés…