C’est la fin de l’année, mes prédictions pour l’année prochaine sont quasi finalisées, il est donc temps de faire le bilan de prédictions que j’avais formulé l’année dernière. Sans vouloir vous spoiler, le bilan est bon par rapport aux tendances identifiées l’an dernier, mais la prise de risque était plutôt faible.

Après deux décennies de croissance ininterrompue et d’optimisme aveugle, l’année 2019 a été marquée par un douloureux retour à la réalité, et ce à plusieurs niveaux :
- Non, l’innovation technologique ne peut pas guérir tous les maux de la Terre (peut-être même que c’est justement la technologie le problème : The Decade Tech Lost Its Way) ;
- Non, les outils numériques ne nous ont pas libérés ou rapprochés (peut-être même qu’ils nous ont rendus esclaves : Alienated, Alone And Angry: What The Digital Revolution Really Did To Us) ;
- Non, le web n’est pas un paradis pour utopistes et bien faiseurs (peut-être même que l’internet est le pire endroit du monde : The Internet Dream Became a Nightmare) ;
- Non, la Silicon Valley n’est pas un lieu sain numérique (peut-être même que le problème vient de la Silicon Valley : The Real Trouble With Silicon Valley) ;
- Non, les médias sociaux ne permettent pas de mieux communiquer ou s’informer (peut-être même que se sont les médias sociaux le problème : Yes, social media is making you miserable) ;
- Non, l’investissement dans les startups ne tire pas le marché vers le haut (peut-être même que ce sont ces levées de fonds et valorisations délirantes qui sont le problème : Fallout from WeWork’s failed IPO shows the folly of excessive valuations).

Je pense ne pas me tromper en disant que le web traverse la pire crise existentielle de son existence : boudé et critiqué de tous, la situation semble tellement grâve que le débat porte maintenant sur la meilleure façon de “réparer l’internet”. Il existe même un plan de sauvetage conçu par son inventeur : Tim Berners-Lee unveils global plan to save the web.
C’est dans ce contexte que je vous propose de revenir sur mes précédentes prédictions.
“Une fuite en avant technologique qui commence à faire tache” : Oui carrément !
Ma première prédiction portait sur le rythme très élevé de l’innovation technologique. S’il ne fait pas de doute que la technologie a énormément progressé en 10 ans (The Most Improved Tech of the Past Ten Years), on se demande si tout ceci n’est pas allé trop vite. Comme le résume très bien cet article du NY Times (Our Brains Are No Match for Our Technology) : “Nous vivons avec des émotions paléolithiques, des institutions médiévales et des technologies quasi-divines“.
Certes, le progrès des technologies mobiles a énormément contribué au développement des pays de l’hémisphère sud (10 years of mobile for development), mais les conséquences dans les pays de l’hémisphère nord sont plus contrastées (First, the Smartphone Changed. Then, Over a Decade, It Changed Us).

Toujours est-il que le rythme d’innovation et de progrès technologiques est plus soutenu que jamais, à tel point que plus personne n’est d’accord sur qui a atteint quel palier de développement. Illustration récente avec l’annonce faite par Google sur l’informatique quantique (Google Claims a Quantum Breakthrough That Could Change Computing), dont personne n’est réellement sûr si c’est une réelle avancée ou non (On “Quantum Supremacy”).
“Un point d’inflexion techno-politico-environnemental et de désordre numérique” ? Oui c’est sûr !
Aviez-vous remarqué à quel point la décennie passée avait été troublée ? Des troubles nés ou amplifiés avec le numérique (The age of perpetual crisis: how the 2010s disrupted everything but resolved nothing). Le bilan qui est fait de cette décennie passée est assez négatif car les problèmes et tensions se sont accumulés, mais sans réel espoir d’amélioration.
De ce sentiment de désespoir, largement amplifié par le phénomène de bulle de filtres, naissent des antagonismes qui s’expriment dans notre quotidien à travers nos usages ou terminaux numériques :
- la guerre commerciale sino-américaine qui aboutit à un embargo (Google pulls Huawei’s Android license, forcing it to use open source version) ;
- les répressions sur les minorités ethniques qui engendrent un boycott des produits chinois (Muslims urged to boycott Chinese products over Uighur ‘abuses’) ;
- un éditeur qui exclut un joueur professionnel d’une compétition de sport électronique suite à un message politique (Esports player banned from tournament after calling for Hong Kong ‘revolution’) et subit les foudres de la communauté (Why Gamers Are Protesting BlizzCon for Hong Kong) ;
- une influenceuse beauté qui se fait censurer son tuto maquillage pour y avoir dénoncé les abus du régime chinois, mais finit par avoir gain de cause (TikTok Apologizes After Banning A Teen Whose Video About Muslims In China Went Viral)…

Je ne sais pas pour vous, mais parfois j’ai vraiment l’impression que tout est devenu politique, du moins que la politique s’invite au sein de médias qui étaient jusque là relativement épargnés (applications sociales, jeux vidéo…). L’explication est toute simple : dans la mesure où se sont justement sur ces nouveaux médias que nous passons le plus de temps, il est (quasi) normal que les débats politiques / sociétaux s’y reportent.
“Crier moins pour parler mieux” : plus que jamais !
Le volume de contenus et de données produit chaque année croît de façon quasi-exponentielle. Ça, vous le saviez déjà. Du coup, pour se faire entendre, il faut soit parler plus fort que les autres, soit trouver d’autres formes de communication, plus efficaces. Ceci explique certainement l’adoption de formats visuels (Emojis, instagram et selfie : cette bascule vers une civilisation de l’image qui nous tombe sur la tête).
Du coup, les professionnels des médias prennent cette tendance à contre-pied et prônent la qualité (Long format : une solution contre la malbouffe de l’info), voir le retour à un nombre limité d’éditeurs de contenus pour pouvoir assainir ce gros bazar (A Better Internet Is Waiting for Us).

Du côté des annonceurs, il y a également un retour de balancier suite à l’apogée de la fast fashion et des prix toujours plus bas pratiqués en ligne pour nous inciter à consommer : Les Français en quête de marques qui ont du sens. Si les consommateurs savent maintenant trouver des produits pas chers qui font à peu près le job (“good enough“), ils attendent des grandes marques qu’elles s’engagent pour quelque chose : de la très bonne qualité, locale, ou la défense d’une cause (ex : Le groupe Yves Rocher devient une entreprise à mission). Tout ceci va bien évidemment demander une adaptation de la stratégie de communication pour pouvoir s’éloigner des promotions et des publicités centrées sur le produit à des prises de parole plus aspirationnelles. D’où la montée en puissance de nouveaux acteurs du brand content (SponCon : la nouvelle offre de contenu éditorial de BuzzFeed).
“Crise de confiance : réparer les dégâts” ? C’était évident, et pourtant…
Cette année a été particulièrement marquée par les failles de sécurité (Fuites de données : rétrospective des pires data leaks de l’année), comme l’année précédente, ou celle d’avant… Du coup, les situations les plus absurdes passent quasi-inaperçues : Hackers steal data for 15 million patients, then sell it back to lab that lost it ou New Orleans has declared a state of emergency after a cyberattack.
De même, nous pensions qu’après le scandale Cambridge Analytica, le pire était derrière nous… c’était sans compter les mauvaises habitudes des annonceurs (What does your car know about you? We hacked a Chevy to find out), des publicitaires (Twelve Million Phones, One Dataset, Zero Privacy) ou même des gouvernements (It Seemed Like a Popular Chat App. It’s Secretly a Spy Tool).

Donc oui, il y a encore d’énormes progrès à faire en matière de sécurisation des données et d’engagements pour la confidentialité.
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Comme précisé au début de l’article, le bilan des mes prédictions 2019 est donc très bon, mais ce n’est pas une très bonne nouvelle pour nous et pour l’internet en général. Et le pire dans cette histoire, c’est que l’année 2020 ne s’annonce pas forcément meilleure, comme nous aurons l’occasion de le voir dans mes prédictions 2020.