Google ambitionne-t-il de devenir notre système d’exploitation personnel ?

Voici un extrait d’un article publié en 2005 par le Time Magazine (On the Frontier of Search) : “Vous atterrissez tard dans la soirée dans une ville où vous ne connaissez personne. Vous n’avez pas eu le temps de réserver un hôtel, votre bagage ne s’est pas présenté dans le carrousel et l’air conditionné de l’avion vous a donné un petit mal de gorge. Que faire ? Avec votre téléphone mobile, vous Googlez votre valise – elle est équipée d’une petite puce qui vous permet de la localiser – pour constater qu’elle a été déposée 200 mètres plus loin, au terminal suivant. En allant la chercher, vous en profitez pour chercher une chambre d’hôtel. L’écran de votre téléphone vous montre des images de plusieurs hôtels dans votre gamme de prix, avec des vues depuis la fenêtre de votre chambre. Votre moteur de recherche vous donne la liste des pharmacies qui sont encore ouvertes à cette heure et vous annonce que votre groupe de blues favori jouera au festival de la ville durant le week-end. Le moteur, qui peut chercher sur votre ordinateur resté à domicile, vous rappelle qu’un ami de collège vous a envoyé un mail il y a un an pour vous dire que lui et sa femme avaient déménagé dans cette ville (ce que vous aviez oublié). Vous décidez de les inviter au festival.” (traduction extraite d’Internet Actu : L’avenir de la recherche).

À l’époque, cet article m’avait paru complètement surréaliste, et les différents commentaires tournaient essentiellement autour de la confidentialité et de l’utilisation abusive des données personnelles. Huit ans plus tard, la situation a bien changé, car Facebook a réussi à nous faire admettre que la confidentialité est un truc de ringard (“We live in an open world“) et car Google a déjà livré la plupart des services décrits dans cet article (Google Now, le nouveau Google Maps, Google+…). En prenant un minimum de recul, on se rend compte que le pas franchit par Google en moins de dix ans est gigantesque, et qu’au cours des dix prochaines années ils vont nous livrer des services encore plus incroyables sur la base du Knowledge Graph ou des Glass (cf. Quels usages pour les lunettes Google Glass).

Google Now sur votre smartphone
Google Now sur votre smartphone

Si le Siri d’Apple avait fait beaucoup (trop ?) de bruit à sa sortie, je pense que nous ne mesurons pas bien le potentiel derrière Google Now. Le plus impressionnant avec cet assistant est sa capacité à anticiper vos besoins. Par exemple, il regarde dans votre agenda l’heure et le lieu de votre prochain RDV, calcul le temps de trajet en fonction des données en temps réel de la circulation ou de l’état des transports en commun, vous signale quand il est temps de partir et vous propose de notifier vos interlocuteurs par SMS de votre retard éventuel. Tout ceci est rendu possible grâce à la stratégie de diversification de Google dont les services concernent maintenant quasiment l’ensemble de nos activités quotidiennes :

Tous ces services étant bien évidemment liés par le biais d’Android et/ou Chrome. Le dernier domaine sur lequel Google n’a que peut d’emprise est la télévision, mais les choses pourraient changer avec les micro-consoles. Donc oui, effectivement, Google sait énormément de choses sur vous et votre quotidien : toutes vos données personnelles sont stockées, analysées, recoupées… dans le but de vous proposer des services à valeur ajoutée comme Google Now ou les très impressionnants Gmail Action Buttons : Take action right from the inbox.

Initiez des actions directement depuis vos emails
Initiez des actions directement depuis vos emails

Loin de moi l’idée de relancer le débat sur la confidentialité et les dérives potentielles de l’exploitation des données personnelles. Je pense ne pas me tromper en disant que notre économie et la société dans laquelle nous vivons reposent sur des systèmes d’information qui exploitent les données personnelles à très grande échelle, et ce depuis des décennies. Mais si vous ne voulez pas être fiché, débarrassez-vous de votre téléphone, de votre carte de crédit, de votre carte de transport, votre passeport… et adoptez le mode de vie d’après-guerre (la seconde guerre mondiale, pas la guerre du Golf).

Bref, le débat ne porte pas sur la confidentialité, mais plutôt sur notre dépendance à  l’internet et à Google en particulier puisqu’il occupe une place centrale sur la toile. Signalons que les premiers écrits sur ce sujet remontent à 2008 (Is Google Making Us Stupid?) et que l’on nous ressort la question régulièrement (Does the Internet Make You Dumber?Does the Internet Make You Smarter?) et à toutes les sauces (Les objets intelligents nous rendent-ils bêtes ?). Je ne me risquerais pas à vous livrer une analyse sur ce thème, simplement je pense que nous sommes autant dépendant de notre smartphone, que d’une calculatrice : nous pourrions nous débrouiller sans, mais c’est quand même nettement plus pratique avec. Ceci étant dit, je constate qu’il y a vingt ans je connaissais le N° de téléphone de mes amis par coeur, alors que je n’en connais plus aucun maintenant. Suis-je devenu plus stupide entre-temps ? Non pas pas réellement, car l’intelligence ne se mesure pas à la capacité de mémorisation ou à la rapidité de calcul (les ordinateurs seront toujours bien plus performants que nous dans ce domaine).

Donc non, notre dépendance à Google (ou par extension à l’internet) n’est pas forcément à craindre. D’une part, car nous sommes également dépendants au quotidien d’une infinité de choses que nous sommes incapables de produire nous-mêmes (pétrole, plastique, Nutella…). D’autre part, car l’intelligence de l’homme, celle qui en a fait l’espèce dominante de la planète, est plus liée à sa sensibilité (ses émotions), ses intuitions (déductions empiriques), sa capacité de discernement (sa conscience), sa créativité… Oui j’ai entendu parler de ce projet de drone qui peut prendre la décision de tirer tout seul sur ses cibles, mais ça relève plus de la science-fiction que de la réalité opérationnelle (je vous rappelle qu’un de nos soldats s’est fait récemment sanctionner pour avoir porté un foulard “non réglementaire”).

Nous en revenons donc à Google et à la place centrale qu’il occupe maintenant dans notre quotidien. J’ai eu l’occasion de lire ces derniers jours un certain nombre d’articles plus ou moins alarmistes (Welcome to Google IslandIt’s Google’s world, and we’re just living in itGoogle Glass in 10 years: The view from dystopia…), mais je reste confiant sur la capacité d’une société quôtée en bourse de se fixer ses propres limites. Certes, je ne vois pas de limite à l’ambition de Google, mais en tant qu’utilisateur j’aurais toujours la possibilité de me déconnecter, même si c’est une expérience… compliquée (I’m still here: back online after a year without the internet).

Oui j’ai volontairement confié une masse considérable de données personnelles à Google, dont les équipes les exploitent à des fins statistiques et comportementales. En contrepartie, ils me fournissent des services gratuits qui facilitent grandement mon quotidien. Cet arrangement tacite fonctionne plutôt bien et je n’ai pas l’intention de le dénoncer, car les bénéfices sont supérieurs aux désagréments. De plus, j’estime que les services et innovations que me propose Google (et par extension d’autres acteurs de l’internet) s’inscrivent dans une dynamique d’évolution sociétale : la société évolue et j’évolue avec elle grâce (en partie) aux nouvelles technologies. Ma vie serait-elle meilleure sans Google, Twitter, Amazon, mon smartphone, ma tablette… ? Difficile de répondre objectivement à cette question. Par contre, je serais très nettement en décalage avec mon entourage. J’imagine que Google n’occupe qu’une place très mineure dans le quotidien de moines tibétains, mais dans mon quotidien, c’est un incontournable.

Google_Copernic
Il y a un message caché dans cette illustration…

Pour conclure, je vais répondre à la question posée dans le titre : oui, je pense que Google ambitionne de devenir notre système d’exploitation personnel, au même titre que Microsoft a dû l’ambitionner à sa grande époque ou qu’Alibaba ou Rakuten ambitionnent de le devenir sur leur marché. Tout est une question d’ambition, de moyens et de temps. Ils finiront par y arriver, j’en ai la certitude. Après ça, la grande question est de savoir qui fixe le rythme d’innovation / d’adoption : les entreprises privées ? Les institutions ? Les gouvernements ? Début de réponse chez Erwann Gaucher : Ces fétichistes du papier qui sont au pouvoir.

17 commentaires sur “Google ambitionne-t-il de devenir notre système d’exploitation personnel ?

  1. Je partage l’idée de “donner” des informations personnelles contre un service pratique et gratuit est bon deal, c’est ce que je fait actuellement avec Google. Agenda, mail, contact, drive, reader, mobile androïd, tout est chez eux.
    Mais si je ne veux plus ? Comment être certain que tout est effacé ?

  2. C’est assez impressionnant de voir la rapidité d’une modification d’un usage utilisateur et d’un comportement de consommateur. Il y a quelques années dire qu’on allait se géolocaliser et dire à nos amis où nous sommes à tout moment nous paraissait être une atteinte profonde à nos libertés individuels. Maintenant tout le monde laisse tourner des dizaines d’applications dans sa poche en se moquant de toutes les données qu’elles peuvent transmettre à leurs développeurs…

  3. “Oui j’ai volontairement confié une masse considérable de données personnelles à Google, dont les équipes les exploitent à des fins statistiques et comportementales. En contrepartie, ils me fournissent des services gratuits qui facilitent grandement mon quotidien. ”

    C’est tout à fait ça.

    Je suis d’accord avec vous pour dire que le potentiel de Google Now est énorme et que l’on en a pas parlé à sa juste mesure. Dernière action en date, je me rend à un RDV en voiture, je ne sais pas le chemin en fin de trajet… J’ouvre Google Now qui me propose directement le trajet sans besoin de recherche, bien utile, en temps réel et gratuit !

  4. @ bazaro > Il y a effectivement un besoin de contrôle / régulation à ce niveau là. Des organismes publics comme la CNIL devrait mener des enquêtes à l’aveugle régulièrement pour vérifier que toute demande de suppression de données personnelles est correctement exécutée.

    @ Easy > Oui le potentiel de Google Now dans le tourisme ou les loisirs est gigantesque. À Google de s’assurer qu’ils ne vont pas “franchir la ligne” avec de la publicité intrusive. Idem pour les Google Glass qui peuvent faire des miracles dans les musées ou les sites historiques.

  5. “Cet arrangement tacite fonctionne plutôt bien et je n’ai pas l’intention de le dénoncer, car les bénéfices sont supérieurs aux désagréments.” C’est exactement ça.

    Dans un autre domaine, j’ai vu quelqu’un récemment se révolter des techniques de Google pour le développement de Google Maps. Le plaignant disait qu’il était honteux de se servir de leur système de captcha pour rendre plus précis Google Maps, puisque c’était exploiter le travail de millions/milliards de gens sans les payer.

    Ce à quoi j’ai répondu, est-ce que Google ne paye pas déjà par ses nombreux outils gratuits ? N’utilise-tu aucun des services Google, de gmail à Android en passant par le moteur de recherche ?

    De nos jours les gens se plaignent avant de réfléchir. Certes il faut rester prudent et conscient de ce qu’on dévoile, mais comme tu le dis si bien nous sommes depuis bien longtemps dans cette logique d’exploitation des données personnelles.

    Je suis une Google Addict qui s’assume, ça me simplifie la vie !

  6. Je pense que nous pouvons également pratiquer nous même un auto-contrôle sur ce que nous donnons à Google ou pas, en évitant par exemple de faire circuler des données trop personnelle sur la toile et les réseaux (pour ma part, j’évite au maximum de mettre des informations sur mes enfant et ma vie perso sur les réseaux… c’est déjà cela de moins pour Google, Facebook et les autres) . Dans le travail, tout ces services instantanés vont apporter un gain de temps impressionnant, et bien que ce soit tout de même très intrusif, le jeu en vaut la chandelle,et l’expérience utilisateur risque d’être hallucinante. Pour ce qui est de la confidentialité des données, comme cela est précisé dans l’article cela fait des lustres que des data sont récupérées et analysées en masse. Le législateur aura beau poser des limites, la machine avance tellement vite qu’il me semble évident que les limites seront dépassée bien avant. Si ce n’est pas déjà fait…
    Big brother is watching you!

  7. Il y a cinq ans, je pensais que Facebook deviendrait une sorte de système d’exploitation centré sur la personne. C’était sans doute trop tôt. Il semblerait que Google prenne à présent ce chemin. On n’échange plus des documents entre ordinateurs (et tant pis si vous n’avez pas la bonne application) mais entre personnes (un modèle où l’application “suit” le document). Good, bad ? Probablement incontournable surtout. Ce qui pose et repose la sempiternelle question d’une bonne gestion de son e-identité.

  8. L’ambition de google à toujours été de créer une super AI capable de remplacer l’homme. En contrôlant et en connaissant tout sur tout de l’humanité, j’imagine que c’est une bonne façon de commencer.

    L’article cité au début était encore gentil, car maintenant on sait aussi notre compte en banque et nos goûts donc on peut faire toutes les réservations pour toi et te sortir ta fiche de route .. voir t’appeler un taxi qui s’arrêtera pour toi à la pharmacie où ta commande sera prête.. et payée.

  9. Je suis d’accord avec vous pour dire que le potentiel de Google Now est énorme et que l’on en a pas parlé à sa juste mesure. Dernière action en date, je me rend à un RDV en voiture, je ne sais pas le chemin en fin de trajet… J’ouvre Google Now qui me propose directement le trajet sans besoin de recherche, bien utile, en temps réel et gratuit ! – See more at: http://fredcavazza.wordpress.com/2013/05/30/google-ambitionne-t-il-de-devenir-notre-systeme-dexploitation-personnel/#sthash.gESH4YxG.dpuf

  10. Tout est marketing! alors pourquoi google n’ambitionnerais pas plus?il est sur une bonne lancé donc autant en profité. N’oublions pas que google monopolise 90% le marché en terme de moteur de recherche. Il serait plus facile de faire la transition pour les utilisateurs habitué à google (moteur de recherche) à google (système d’exploitation) mais ce ne sera pas évident car ses concurrents ne se laisseront pas faire et ils y a des campagnes de marketing énormes pour réussir le coup. Wait and see!

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