L’avenir du commerce en ligne est au commerce, et inversement

Là je n’ai plus le produit en stock, mais je vais être livré samedi matin“. J’imagine que vous avez déjà dû entendre cette phrase des dizaines de fois dans divers magasins. Je ne sais pas pour vous, mais à chaque fois je me retiens de dire “Mais bien sûr… vous me prenez pour un pigeon ?“. La dure réalité du commerce de distribution est que ce modèle ne fonctionne plus. Du moins il ne fonctionne beaucoup moins bien au XXIe siècle. Certes, il y aura toujours des inconditionnels du commerce de proximité, mais force est de constater qu’il y a une fracture entre des clients et produits qui sont passés à l’ère numérique et des boutiques et vendeurs qui sont encore coincés à l’ère analogique :

  • D’un côté nous avons des consommateurs qui sont équipés de smartphones, comparent les prix et achètent en ligne depuis des années ; des produits qui sont distribués par tous les grands sites de vente en ligne grâce aux marketplaces, dont les caractéristiques sont parfaitement détaillées, avec des tonnes de photos et avis…
  • De l’autre nous avons des boutiques avec un stock très limité, des cabines d’essayage pas forcément pratiques, ou à défaut des conditions de manipulation du produit quasi inexistantes (souvent derrière une vitrine) et des vendeurs sous-payés et débordés, donc pas forcément motivés, compétents ou disponibles.

Il en résulte des tensions dans le processus d’achat et des producteurs / distributeurs qui s’efforcent de trouver le bon modèle. Et si nous faisions fausse route depuis toutes ces années ? Je pense qu’il est urgent de remettre en cause ce que nous tenions pour acquis (cf. The Case for Continuous Commerce).

Il n’y a plus de e / mobile / social commerce, simplement du commerce

Pendant des années, on nous a expliqué que le commerce en ligne était un modèle plus performant que le commerce traditionnel. On nous a ensuite dit que le social commerce était mieux. Puis finalement que le mobile commerce était vraiment mieux. J’entends les arguments des uns et des autres, mais qui a raison dans cette histoire ? N’est-il pas plus simple de se dire que toutes ces pratiques appartiennent à la grande famille du commerce et que le reste n’est qu’une question de compromis ?

Personne e peut aujourd’hui affirmer qu’il détient la formule magique. Ce dont nous sommes certains, c’est que les habitudes et attentes des clients ont changé : Enjeux et opportunités du web-to-store, Les cyberacheteurs veulent du web-to-store à Noël. ROPO, showrooming… sont des termes complexes qui servent à décrire l’évolution du comportement des acheteurs. Si le commerce en ligne connaît une croissance spectaculaire sur les dix dernières années, je doute que ce modèle de distribution soit LA solution universelle. L’acte d’achat est un processus psychologique qui ne peut se résumer à la mise au manier d’une image et la saisie d’un N° de carte bancaire.

Nous sommes maintenant dans une configuration de marché bien plus complexe qu’aux débuts de l’internet :

Que ce soit dans les prédictions (What’s Next in Commerce, Five Global Retail Trends That Will Shape 2014) ou dans les statistiques (70% des visiteurs du site de Boulanger se rendent en magasin), tout le monde s’accorde à dire que le cross-canal n’est plus un levier compétitif, mais un prérequis : Le Cross canal, une évidence pour les marques.

Il est donc grand temps de mettre à jour notre discours et de gommer le “e” de “e-commerce“. Et tant qu’on y est, autant gommer également le “m” et le “social“. Après tout, il n’y a pas de “TV-commerce” et pourtant personne ne remet en question les émissions de TV achat.

Bref, tout ça pour dire que le marché évolue (clients, prospects…) et qu’il faut maintenant envisager une activité commerciale comme ou tout : une boutique en ligne avec livraison gratuite, une boutique physique avec des vendeurs compétents, une présence diversifiée sur les médias sociaux et les terminaux mobiles… Dans cette optique, je suis particulièrement séduit par des projets comme iShoes.

iShoes

Le renouveau du point de vente

Il n’aura fallu qu’une pomme pour que Newton échafaude la théorie de la gravité. De même, il aura fallu que la célèbre marque à la pomme triomphe avec ses Apple Stores pour que l’on s’intéresse à nouveau aux points de vente. Au final, la recette était connue de tous (bon emplacement, belle boutique, beaux produits, vendeurs agréables…), mais elle s’était perdue en route.

Boardriders

Le point de vente peur donc être à la fois rentable et générateur de valeur pour une marque ou un distributeur. Soit, mais toutes les enseignes ne peuvent implanter des showrooms de la même qualité que ceux d’Apple, Nespresso ou Quiksilver (je suis fan de leur nouvelle boutique Boardriders à Bercy Village). Certains ont donc tenté d’expérimenter de nouveaux concepts : Tesco transforme la grande surface en centre-villeHarry’s Is Opening A Barbershop, Or, A Bridge For Online And Offline Customer Behavior.

Sans aller dans ces exemples particulièrement ambitieux, je constate ces derniers mois une tendance très forte autour du magasin connecté et du concept de commerce “phygital (physique + digital). Nous avons tous en tête l’exemple de ce supermarché “virtuel” dans le métro de Séoul, une belle arnaque, car c’était une opération éphémère uniquement destinée à rafler des Lions d’Or au festival de la publicité de Cannes. Il existe cependant des exemples beaucoup plus proches de magasins mariant parfaitement commerce physique et commerce en ligne (à l’image de Woodbrass ou Hawaii Surf) sans en faire des tonnes sur la “révolution” du commerce de distribution.

En fait tout est question de bon sens :

  • Être présent là où sont les prospects (sur les médias sociaux, sur les terminaux mobiles) ;
  • Proposer des scénarios de vente en fonction de l’humeur des clients (pas le temps + pas cher = commerce en ligne, découverte + manipulation des produits = magasin) ;
  • Assurer le même niveau de service, quel que soit le canal (magasin, site web, téléphone…).

Comme précisé en début d’article, je suis convaincu qu’il y aura toujours un noyau dur de techno-réfractaires, mais je suis persuadé que nous entrons maintenant dans l’ère du “client savant” : celui qui compare les prix (sur son ordinateur et son smartphone), celui qui s’informe sur les produits et services avant d’acheter (caractéristiques, comparaisons et avis), celui qui sollicite et contribue à la communauté (questions / réponses, conseils…), celui qui ne se satisfait plus des réponses laconiques de vendeurs rendus amorphes par des conditions de travail dégradées. J’ai bien conscience de jouer les démagogues, mais pourquoi s’acharner à ouvrir et maintenir des points de vente si cela se fait dans de mauvaises conditions ?

Le triptyque du commerce du XXIe siècle

Nous sommes dans une situation économique tendue. L’heure n’est plus aux économies, mais aux paradigmes : il est grand temps de passer à autre chose et refermer la page de modèles de distribution qui montrent leurs limites, aussi hors qu’en ligne. Pour être déjà intervenu auprès de grands acteurs de la distribution, j’ai élaboré en toute modestie un modèle de distribution moderne qui repose sur trois piliers : le magasin connecté, le vendeur augmenté et l’expérience d’achat enrichie.

J’ai déjà évoqué la tendance du magasin connecté. Il existe quantité d’exemples que vous pouvez trouver sur des blogs comme Connected-Stores. Sachez néanmoins que les technologies permettant de numériser un point de vente ne sons pas neuves et évoluent à très grande vitesse :

  • Vitrines et bornes interactives (ex : King Jouet) ;
  • Tables tactiles (ex : Empreinte) ;
  • Murs interactifs (ex : Carrefour) ;
  • Cabines sensorielles (ex : Gomus) ;
  • Cintres et mobiliers intelligents (ex : C&A et Kiabi)
  • Réalité augmentée (ex : IBM) ;
  • Capteurs de micro-géolocalisation (ex : Macy’s) ;
  • Vitrines à écran transparent (ex : Sublimeeze)…

Le deuxième élément crucial de ce triptyque est le vendeur. Véritables interfaces entre les clients et les produits, les vendeurs peuvent faciliter ou ruiner une vente. Voilà pourquoi je suis intimement convaincu que le personnel visible en point de vente (ceux que l’on peut solliciter dans les rayons) doit être équipé d’outil leur permettant de sublimer leur fonction, de les transformer en vendeurs augmentés qui seraient omniscients et omnipotents : qu’ils puissent être en mesure de répondre à toutes les questions (sur les produits, la disponibilité…) et de pouvoir satisfaire tous les besoins des clients (personnaliser un produit, résoudre un problème…). Là encore il existe de nombreux exemples de magasins mettant à disposition des bornes ou des tablettes pour faciliter le travail des vendeurs (ex : Milonga ou Mango) ou de véritables outils de configuration comme c’est le cas chez Biretco avec les Bike Specialists.

BIK5908I01

Le dernier pilier de mon triptyque concerne l’expérience d’achat. Certes, les enseignes de distribution ont accès maintenant à d’innombrables gadgets technologiques pour créer de l’animation en point de vente (et attirer les curieux), mais je pense que la principale évolution doit se faire au niveau de la relation entre le client et le vendeur : ne pas se contenter d’aider le client à trouver un produit en rayon et à l’encaisser, mais l’impliquer dans une relation différente et proposer une expérience d’achat enrichie. C’est notamment ce que proposent des enseignes comme Apple avec les Genius Bar ou Jc Penney avec les Mini-Stores : le personnel n’est pas là pour vous refourguer le maximum de produits, mais pour vous conseiller et optimiser votre expérience avec la marque.

genius-bar

Dernier exemple tout à fait représentatif de cette nouvelle façon d’aborder la relation client-vendeur : l’enseigne de produits cosmétiques Kiehl’s où il n’y a pas de vendeurs, mais des customer representatives qui travaillent POUR le client.

Les clients ont changé, les pratiques commerciales doivent évoluer

J’espère vous avoir convaincu que les habitudes, attentes et pratiques autour de l’acte commercial ont beaucoup évolué ces dernières années. Si vous en êtes encore à hésiter pour savoir si vous devez lancer une boutique en ligne, alors les prochaines années vont être très douloureuses…

Pour les autres, ceux qui ont déjà mené des premières expérimentations de magasin connecté, sachez néanmoins que l’évolution des pratiques de commerce de distribution ne repose pas toujours sur les nouvelles technologies. Il est ainsi possible d’identifier un certain nombre de tendances et expériences non-technophiles :

Bref, tout n’est pas aussi simple que d’installer une vitrine interactive. Comme je l’ai déjà mentionné, l’acte d’achat est complexe : le parcours client se densifie, les prospects sont exigeants et se lassent très vite. Il faut donc redoubler d’efforts pour rester compétitifs. Et ne vous y trompez pas : baisser vos prix pour attirer du monde n’a jamais été une tactique rentable. Pour pouvoir durablement augmenter vos résultats et vos marges, il va falloir innover sur plusieurs fronts et ne pas se laisser enfermer dans des dogmes du XXe siècle.

4 commentaires sur “L’avenir du commerce en ligne est au commerce, et inversement

  1. moi je pense que l’on reviendra aux magasins classiques a force de se faire gruger par des soit disant 1er site du ecommerce cdiscount qui a un service clients impotant et meprisant, a force de fausses promos, operations bidons, non remboursement des commandes non executees, sav defaillant les gens vont se detourner et se rapprocheront de leurs commerces de proximite ou il est plus facile de resoudre les problemes, il est domage qu’un grand groupe comme casino puisse casser la dynamique du commerce en ligne

  2. Salut Fred,

    De retour du salon Ecommerce1to1 à Monaco, je peux te confirmer que tous les grands acteurs du retail et même les pures players sont dans la logique que tu décris : le buzzword de ces 3 jours étaient clairement “stratégie omnicanal”.

    Il n’y a pas eu une conférence, pas une discussion sans que la convergence du commerce physique et de la vente en ligne soit incluse dans le postulat de base.

    Il faut admettre que les sites e-commerce n’ont pas encore réussi (et n’arriveront sûrement jamais) à supplanter l’approche/ l’expérience émotionnelle de la vente en magasin. A l’inverse, l’e-commerce apporte des améliorations techniques qui permettent de réduire les points de ruptures en magasin (information produit enrichie, comparaison, bon plans, disponibilité, exhaustivité de l’offre). La technologie sert à valoriser les avantages du magasin et il y a un pont entre le monde de la vente en ligne et le commerce physique : le smartphone.

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