Le marketing est le catalyseur de la transformation digitale

La semaine dernière, comme tous les ans, j’ai eu la chance d’assister au Adobe Digital Summit, le RDV incontournable des CMO (Chief Marketing Officer). Comme à chaque fois, c’est l’occasion pour moi de faire le point sur une profession en pleine mutation et sur les dernières pratiques.

 

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J’attendais avec impatiente cette édition 2015, car j’ai pu observer dernièrement différents signaux faibles qui me font dire que la situation a beaucoup évolué. Il y a d’une part cet article publié par McKinsey : The dawn of marketing’s new golden age. Il y est question du nouveau rôle du marketing dans une société et une économie entièrement remodelée par le numérique. Il y a également différents articles qui placent le marketing (et son représentant le CMO) au coeur d’une nouvelle forme d’organisation : How The CMO And CIO Will Determine The Future Of Business In 2015 et CMOs Are Beginning to Fill CEO Seats.

Suggérer que les directeurs marketing devraient remplacer les directeurs généraux est un propos que l’on pourrait qualifier de quasi blasphématoire. Moi le premier, dans la mesure où j’ai toujours milité pour un recentrage du marketing sur ses domaines d’origine (cf. Le marketing est redevenu une science exacte). Pourtant, le contexte économique difficile que nous traversons me pousse à revoir mes positions. Le directeur général a toujours été le garant de la rentabilité d’une entreprise, c’est avant tout sur la marge opérationnelle qu’il était jugé. Sa préoccupation est logiquement d’augmenter la productivité et de diminuer les coûts de production ou les frais de fonctionnement. Le problème est qu’avec la concurrence exacerbée et la pression sur le pouvoir d’achat des consommateurs, cette poursuite de la rentabilité n’est plus viable : il ne suffit plus de “faire tourner la baraque” pour dégager de la marge. Les entreprises les plus rentables sont aujourd’hui celles qui savent fidéliser leurs clients et séduire les prospects dans le contexte difficile décrit plus haut. En d’autres termes, celles qui savent réenchanter les consommateurs, une notion chère à Guy Kawasaki dans son dernier livre “L’Art de l’enchantement“.

À partir de ce constat, de nombreuses marques et organisations ont décidé de prendre les choses à bras le corps et d’insuffler un nouvel élan à travers une fonction marketing étendue.

Marketing beyond marketing

Comme expliqué plus haut, les recettes qui ont bien fonctionné pendant des décennies ne sont maintenant plus opérantes, ou du moins montrent aujourd’hui leurs limites. Il convient donc d’explorer de nouvelles pratiques et surtout d’adopter de nouvelles mentalités pour pouvoir faire face à un contexte très tendu. Le marketing occupe maintenant de nouvelles responsabilités et se positionne  comme une barrière pour se protéger d’une compétition acharnée et des clients de plus en plus durs à fidéliser (il y a près de 50 % de “switchers” dans l’automobile).

L’ère des cost killers est révolue (le DG en tant que garant de la rentabilité), place à celle des pain killers (le CMO comme garant d’une expérience client optimisée). La première étape sera de limiter les frictions dans le parcours d’achat pour reconquérir des clients blasés et sortir la marque de l’impasse de la commodité (cf. CMO’s Notebook: Adobe Summit Sees Marketing At Center Of Every Business). Dans cette optique, le marketing n’est plus une fonction de support qui se contente de nourrir les autres services en informations et données, mais de les piloter dans une nouvelle dynamique centrée sur les besoins des consommateurs et en phase avec les dernières évolutions du marché.

Je pense ne rien vous apprendre en vous disant que la compétition n’a jamais été aussi rude. Ceci étant dit, nous avons maintenant des chiffres pour le prouver, grâce à l’Adobe Digital Index et son Best of the Best Benchmark. Dans ce rapport, plus de 3.000 sites web ont été audités puis classés selon différents critères. L’édition européenne de cette étude nous montre qu’il y a bien une “élite numérique” au sein des marques et distributeurs, et que l’écart se creuse avec les organisations qui n’ont pas encore développé de fortes compétences numériques : ADI ‘Best Of The Best’ Shows Europe Riding Mobile Wave Faster Than U.S..

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Le problème est que plus nous avançons dans le temps, et plus cet écart va grandir, car les marques bénéficiant d’une longueur d’avance vont capitaliser sur les connaissances déjà acquises pour séduire et fidéliser plus de clients, donc pour générer plus de marges, donc disposer de plus de moyens pour s’améliorer. C’est un cercle vertueux qui se transforme en cercle vicieux pour les organisations qui sont à la traine et ne peuvent compter que sur des promotions pour maintenir les ventes, une tactique qui fonctionne à court terme, mais place une pression encore plus forte sur les marges. Il y a donc urgence pour se sortir de cette impasse et acquérir de nouvelles compétences autour du numérique.

L’important n’est pas d’accélérer sa transformation, mais d’accélérer tous en même temps

Le premier réflexe des organisations souhaitant développer de nouvelles compétences est de recruter de nouveaux profils. Sauf que les nouvelles recrues alourdissent la masse salariale et n’ont un impact significatif qu’au bout de plusieurs mois / trimestre (dans le meilleur des cas). La meilleure solution consiste plutôt à s’appuyer sur les collaborateurs déjà présents dans l’organisation pour développer ces nouvelles compétences : Réforme de la formation professionnelle et transformation digitale.

Nous sommes au milieu de l’année 2015 et je pense ne pas me tromper en disant que toutes les organisations sont maintenant lancées dans une course à la digitalisation. Le CDO, Chief Digital Officer, semble être la nouvelle fonction à la mode. Soit, il est important de donner définir un cap et de nommer un capitaine, mais la transformation digitale n’est en aucun cas le chantier d’un individu (le CDO) ou d’une équipe (ses acolytes les data scientists et autres creative technologists), mais une dynamique d’évolution qui doit concerner tous les collaborateurs : Le futur « vrai » Chief Digital Officer viendra de la Direction des Ressources Humaines.

 

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Vous pourriez croire qu’une équipe de “spécialistes du numérique” est la meilleure solution pour gérer les urgences, mais ensuite ? La pire des configurations serait d’accumuler des connaissances au sein d’une équipe réduite de spécialistes : ces derniers se retrouveraient avec une énorme pression sur les épaules, et cela pourrait générer de très fortes tensions auprès des autres collaborateurs qui se ressentiraient encore plus le sentiment d’être mis sur la touche. J’ai l’impression de me répéter, mais la solution consiste réellement à faire progresser l’ensemble des collaborateurs, de répartir / distribuer la connaissance plutôt que de la concentrer sur certains individus qui ont une capacité de travail limitée (pas plus de 60h / semaine !).

La donnée sera le moteur de la transformation, ou pas !

Autre grand poncif du “nouveau marketing” : la data. Qu’elle soit big ou small, ou smart, quelle que soit la conférence à laquelle j’ai pu assister, tout le monde est d’accord pour dire que la donnée est au coeur de tout. Quel type de données ? Sous quelle forme ? À partir de quelles sources ? Pour faire quoi ? Qui ? Comment ?… sont par contre autant de questions auxquelles personne ne s’embête à trouver des réponses. Ce qui est bien dommage, car la confusion ambiante ne favorise pas l’adoption de pratiques liées à la donnée.

Il y a trois choses qui me semblent importantes à préciser :

  1. La donnée n’est pas le seul ingrédient-clé du “nouveau marketing”, je penche plutôt pour le trio magique contenus / services / données ;
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  2. La technologie n’est qu’une étape, un moyen, un levier, l’important c’est de faire évoluer les mentalités (rien ne sert d’amasser des pétaoctets de données si les décideurs n’en voient pas l’utilité ou ne leur font pas confiance) ;
  3. Les données ne remplacent pas les hommes (ou femmes), les besoins en ressources augmentent avec le volume de données traitées, si personne ne s’intéresse aux données (ou les enseignements que l’on peut en tirer), il ne va pas se passer grand-chose, même avec la DMP la plus sophistiquée du marché.

Moralité : oui, les données jouent un rôle capital dans la transformation digitale, à condition de savoir comment et qui va les manier, et à condition de s’en servir pour produire des éléments plus tangibles : des contenus et des services.

De l’expérience utilisateur à l’expérience consommateur

Un autre terme que j’ai également beaucoup entendu pendant les deux journées de conférences est “User Experience”. Encore un terme fourre-tout que l’on nous agite sous le nez quand ça arrange. J’ai eu une conversation très intéressante à ce sujet avec Ann Lewnes, la CMO d’Adobe, elle définit l’expérience utilisateur comme la somme des points de contact et des interactions entre les consommateurs et une marque. Cette expérience peut être globalement positive ou négative, et est fortement influencée par le numérique, car les supports digitaux accélèrent les échanges et multiplient les points de contact (ordinateurs, smartphones, tablettes…).

Le domaine de l’expérience utilisateur (UXP pour les intimes) n’est pas neuf, en revanche je milite pour que l’on sorte les pratiques qui lui sont généralement associées (tests d’oculométrie, focus groups…) des laboratoires et du dogme scientifique pour permettre aux équipes marketing de se l’approprier. Je suis ainsi persuadé qu’il n’y a pas d’utilisateurs au sens générique du terme, mais des clients, des prospects, des cibles, des prescripteurs… J’ai bien conscience de jouer sur les mots, mais cette rhétorique est primordiale pour placer les clients (ou les prospects) au coeur des décisions et des processus métier.

Une expérience est par définition irrationnelle, immatérielle, mais c’est un actif stratégique pour les marques. D’aucun vous diront “XP is the brand“, et ils n’auront pas tort, car la marque est le lien émotionnel qui relie des clients à une entreprise, c’est le facteur irrationnel qui va orienter une décision d’achat et va pousser les clients à trouver eux-mêmes les arguments pour rationaliser leur choix.

 

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Pour vous aider dans la compréhension de ce que peut être la Customer Experience (CXP), je vous recommande les articles suivants : The five disciplines of customer experience leadersUser experience design is not what you think et To Deliver a Great Customer Experience, Stop Focusing on the Customer You Think You Know.

Le marketing au coeur de l’expérience consommateur et de la transformation digitale

Donc… le marketing est maintenant une meta-fonction qui va piloter les autres fonctions (communication, ventes, fidélisation…) afin d’optimiser l’offre et l’expérience à travers les points de contact (les contenus publiés, les services déployés, le parcours d’achat, les différents échanges avec la fonction support…). Comme nous l’avons vu, le numérique est aujourd’hui au coeur du quotidien des consommateurs (cf. Nous vivons maintenant dans un monde mobile et Comment Google et Apple sont en train de révolutionner la TV), le marketing se doit d’être à la pointe sur ce domaine pour être à la fois le déclencheur de la transformation et le catalyseur des efforts : continuer à nourrir les autres fonctions avec des données marché / clients, leur ouvrir les yeux sur l’impact du numérique sur le modèle économique de l’entreprise et le parcours client, définir une feuille de route d’évolution / de transformation des méthodes et outils de travail, coordonner les efforts et ressources de chacun pour délivrer un maximum de résultat.

Comme toujours, j’ai l’impression d’enfoncer des portes ouvertes et de déblatérer des évidences, mais je constate encore tellement de frictions dans mes expériences quotidiennes en tant que simple consommateur…

 

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J’aimerais conclure cet article avec un message simple, aussi je vous le résume avec ces deux crédos qui devraient être en haut de la liste des priorités des marques :

  1. Concevoir une expérience sans couture en simplifiant le parcours client et en optimisant tous les points de contact pour limiter les frictions (notamment grâce à des outils comme les customer journey) ;
  2. Développer une relation enrichie à travers des contenus et services à valeur ajoutée et des interactions personnalisées.

Selon cette optique, le marketing est résolument la fonction idéale pour initier le changement et catalyser toutes les bonnes volontés pour aider une marque ou une organisation à sortir du lot et ne plus être perçue comme un fournisseur de biens ou services de commodité, un positionnement qui n’est plus viable à moyen terme.

4 commentaires sur “Le marketing est le catalyseur de la transformation digitale

  1. (Suggérer que les directeurs marketing devraient remplacer les directeurs généraux….) Ma question peut paraître naïve mais je la pose comme même. Que fait on du leadership ? Une entreprise comme toute organisation n’a t elle pas besoin d’un leader avant tout ?

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