Saviez-vous qu’il y a 2,5 MM de smartphones en circulation dans le monde ? Ce chiffre est impressionnant, mais il est à relativiser par rapport aux nombres de terminaux mobiles (7 MM). Plus de la moitié des téléphones mobiles ne sont pas des smartphones, ça représente un sacré marché de renouvellement, qui concerne surtout des zones géographiques comme l’Asie, l’Amérique du Sud ou l’Afrique. Je ne doute pas que la croissance du taux de pénétration des smartphones dans ces zones à très fort potentiel en fait saliver plus d’un. Les constructeurs (de Samsung à Xiaomi) mettent les bouchées doubles pour séduire ces marchés de l’hémisphère sud. En revanche, pour les marchés de l’hémisphère nord, il ne se passe pas grand-chose. Comprenez par là que ça fait des années que les constructeurs tentent de nous appâter avec des caractéristiques techniques toujours plus impressionnantes, sans réellement chercher à mettre en avant les innovations d’usage (cf. Les smartphones sont-ils en fin de cycle d’évolution ?, un article publié il y a 4 ans).
Force est de constater que les nouveaux modèles de smartphones proposent toujours plus de pixels, de Go, de mAh et autres GHz, mais que les usages n’ont quasiment pas évolué depuis de nombreuses années : emails, messagerie et médias sociaux, cartographie, musique, jeux, navigation web…
A-t-on réellement besoin d’autant de puissance pour lire ses emails ou s’échanger des messages dans WhatsApp ? La question ne se pose pas en ces termes, nous ne sommes pas là pour juger. Toujours est-il qu’à mesure que les composants internes des smartphones gagnent en sophistication, le prix de vente final augmente pour atteindre des sommets (plus de 1.000 € pour le dernier iPhone). Pourtant, je ne pense pas qu’un smartphone équipé d’un écran 4K ou d’un processeur octo-coeur m’apportera plus de satisfaction… Certes, la loi de Moore est toujours opérante, mais je pense que nous allons rapidement atteindre un plafond en termes de caractéristiques techniques pour de simples raisons économiques : les cycles de renouvellement vont s’allonger, car les consommateurs ne peuvent pas suivre la cadence imposée par les grands constructeurs (Apple en tête).
En revanche, nous voyons arriver sur les derniers modèles de smartphones des innovations incrémentales tout à fait intéressantes :
- des lecteurs d’empreintes digitales offrant un bien meilleur niveau de sécurisation (indispensable pour tous les usages relatifs au paiement) ;
- des interfaces vocales bien plus performantes (indispensable également pour viabiliser les assistants personnels comme Google Now, Siri ou Cortana) ;
- des interfaces tactiles plus sophistiquées comme le 3D Touch d’Apple ou le FingerAngle de Qeexo (permettant de reproduire le clic droit d’une souris).
C’est très clairement dans cette direction que les constructeurs de smartphones devraient concentrer leurs efforts d’innovation. Vous pourriez me dire que ces nouvelles fonctionnalités ne sont possibles qu’avec des composants de dernière génération, ceux qui font grimper l’addition, et vous auriez raison ! Le fond du problème est que les stratégies de différenciation des constructeurs s’appuient essentiellement sur des évolutions techniques et non sur des innovations d’usage. Pourtant, il y aurait fort à faire, notamment sur des niches très largement sous-exploitées comme les pré-ados (avec des smartphones économiques et de petite taille, adaptés à leurs petites mains) ou les séniors (avec des interfaces et app stores ultra-simplifiées).
Au-delà de ces deux niches d’utilisateurs, il existe encore un certain nombre de tâches qui restent complexes à réaliser sur un smartphone :
- Envoyer ses coordonnées. Échanger une carte de visite électronique avec un ou plusieurs interlocuteurs est un authentique casse-tête (aussi bien via Bluetooth que par NFC). Comment se fait-il que des solutions toutes simples reposant sur des codes à flasher comme le proposent Snapchat ou Kik ne soient pas directement intégrées au système d’exploitation ? La question se pose également pour LinkedIn : mais pourquoi donc ne proposent-ils pas un système équivalent ?
- Consulter des contenus hors-ligne. Malgré ce qu’essayent de nous faire croire les opérateurs téléphoniques, les mobinautes se retrouvent souvent dans des zones où la couverture est très faible (métro, parkings…) et où ils ont impérativement besoin de consulter un message ou une adresse. Certes, les choses s’améliorent pour Google Maps, mais j’ai du mal à comprendre pourquoi les applications de messagerie ne chargent pas en arrière plan les emails reçus dans les dernières 24h pour pouvoir faire de la consultation hors-ligne, au cas où.
- Migrer son profil, ses applications et données d’un smartphone à l’autre. Là encore, je ne comprends pas pourquoi il est toujours aussi compliqué de changer de smartphone. J’imagine que les constructeurs sont très fiers de leur stratégie de rétention, mais ils jouent carrément avec le feu en compliquant la tâche des “switchers” (qui je vous le rappelle, ont très bonne mémoire).
- Consulter ses messages vocaux. Apple propose depuis le 1er iPhone une messagerie visuelle intégrée, mais cette fonctionnalité fait toujours défaut à Android qui en est pourtant à sa sixième version, une honte !
- Piloter sa télévision. Je pense ne rien vous apprendre en vous disant que les télécommandes des box limitent fortement les interactions avec une télévision. Comment se fait-il que les opérateurs proposant des box fournissent des applications mobiles aussi minables (voir rien du tout) ? Rechercher un programme ou manipuler sa TV avec son smartphone serait pourtant une expérience bien plus simple, qui stimulerait les usages.
- Scanner un QR code. Nous sommes bientôt en 2016, et les géants de la mobilité (Apple, Google, Microsoft) forcent toujours leurs utilisateurs à télécharger une application spécifique pour pouvoir scanner des QR codes. Là encore, je me demande ce que j’ai bien pu faire pour mériter un tel traitement de leur part… Ce n’est pourtant pas très compliqué d’intégrer une option “Scan” dans l’application native de prise de photo, si ? Quel dommage, car les QR codes n’ont plus à prouver leur utilité ni même leur efficacité (des centaines de millions de Chinois s’en servent avec Weixin : Why have QR codes taken off in China?).
Donc comme vous pouvez le constater, les smartphones récents, même les tout derniers modèles, pêchent encore sur de nombreuses fonctionnalités très basiques. Maintenant que les smartphones ont été adoptés par la majorité de la population en Europe, il reste à convaincre les retardataires, ceux qui n’ont aucune chance de faire la différence entre un processeur Snapdragon 808 et 810, ils ne savent d’ailleurs probablement pas ce qu’est un processeur et s’en moquent. C’est spécifiquement pour cette tranche de la population que les constructeurs et éditeurs devraient lever le pied sur la surenchère des composants technologiques et s’intéresser de plus près aux innovations d’usage, celles qui simplifient réellement le quotidien des utilisateurs. Il y a un marché à conquérir et des opportunités à saisir, alors dépêchez-vous : la place est libre, mais elle ne le restera pas longtemps.
Bonjour
Merci pour l’article (et l’ensemble des informations du blog que je suis depuis de nombreuses années).
Sur le chapitre de l’usage, je me souviens d’une citation de Yves Deforges dans un ouvrage de 1981 (oui on réfléchit sur le sujet depuis longtemps !), “Technologie et génétique de l’objet industriel”. L’auteur écrivait déjà à l’époque que “L’objet technique remplit toujours une fonction d’usage et une fonction de signe.” En la matière, les innovations techniques attirent les consommateurs par cette fonction de signe.
Je n’ai pas analysé en détails la stratégie de communication d’Apple pour l’iWatch mais j’ai eu l’impression qu’elle se déroulait en deux temps :
1. Créer le désir de l’objet sur ses caractéristiques techniques. Vis à vis de ces objets, le désir de posséder précède l’idée qu’il ait une utilité quelconque.
2. Présenter des usages, non pas pour susciter le désir de l’achat, mais pour fournir au consommateur une justification à son acte. Car pour que le désir se mue en action, il faut une justification, fut-elle artificielle. La publicité que j’ai vue met en scène un utilisateur (masculin) montrant à sa compagne sur l’écran leur bébé dormant paisiblement… La montre sert donc à concilier hédonisme et sécurité… Et en la matière, l’argument massue de la cible masculine pour justifier l’achat… auprès de la cible féminine.
Un autre ouvrage passionnant nous éclaire sur “La logique de l’usage”. C’est le livre éponyme de Jacques Perriault qui nous cite de nombreux usages de détournement d’usage des machines à communiquer par les utilisateurs. Passionnant.
Merci encore pour le blog et très bonne journée.
@ Jean-Marie Cailleaux > J’irai même plus loin en disant que la communication d’Apple (ou de Google / Microsoft) vise avant tout à séduire les développeurs d’applications : “regardez ces belles caractéristiques techniques avec lesquelles vous allez pouvoir vous amuser”. Quelque part, ils font le pari que la communauté va se charger de trouver des innovations d’usage. Une formule qui a très bien fonctionné ces dernières années, mais qui montre ses limites avec l’Apple Watch.
Entièrement d’accord sur les politiques de séduction envers les développeurs. Très intéressant aussi de noter la présence de l’utilisateur intermédiaire (le développeur) qui va inventer des usages qui seront eux mêmes parfois détournés par les utilisateurs finaux. J’attends en ce sens de voir ce que les utilisateurs feront de Periscope par exemple.
Je manque de données pour évaluer le succès des smartwatchs mais sur le sujet plusieurs points me semblent important à relever :
1. La montre traditionnelle porte une fonction de signe très marquée. Nous avons donc affaire à une confrontation entre deux objets à forte fonction de signe. Se pose donc là le problème de la convergence : allons nous voir se développer des Rolex connectées ou des Apple watch griffées Hermes ?
2. En termes d’usages, la smartwatch me semble en passe de devenir indispensable pour résoudre le problème clé qui est celui de la sécurisation des mobiles et en particulier de la sécurisation des opérations par authentification forte. On ne peut pas sécuriser l’accès à une application ou l’autorisation d’une transaction par l’envoi d’un code SMS si l’accès à l’application s’effectue sur le terminal qui reçoit le SMS… La smartwatch devient une excellente solution à ces problématiques. On pourrait pour cela développer des fonctionnalités simples, dédiées, intégrées dans les montres “traditionnelles”. On s’éloignerait alors du modèle “universel” actuellement en vogue (dérivation miniaturisée du smartphone) pour repenser la notion de montre connectée et s’orienter vers des terminaux pensés réellement en complément d’usage. Il me semble que vous avez consacré un article sur le sujet du retour aux interfaces simplifiées.
Petite erreur à propos de la messagerie visuelle, elle est présente par défaut dans Android 6.
(et sinon les apps de certains opérateurs l’integrent)
@ Twidi > Non ce n’est pas une erreur : la fonction a été annoncé, mais elle n’est toujours pas disponible (absente de mon Nexus 5X). Visiblement c’est une option que les opérateurs devront choisir d’activer… quand elle sera effectivement disponible (dans une prochaine mise à jour).
Je ne suis pas du genre à dire quelque chose comme ça sans savoir.
Depuis Android 6, j’ai, sur mon Nexus 5 (première génération) la messagerie visuelle.
Probablement car mon opérateur (Sosh, donc Orange) propose ce qu’il faut pour.
Et je n’ai aucune surcouche opérateur, ni app Sosh ou Orange installée.
@ Angel > Oui effectivement c’est une option proposée par les opérateurs (ni SFR, ni Free). Dommage que Google ne l’impose pas…