J’ai ouvert ce blog il y a plus de 12 ans. Douze années au cours desquelles j’ai vu la blogosphère naitre, se développer, se transformer, se contracter… Nous sommes bientôt en 2016, et il est très difficile de se faire une idée de l’état réel de la blogosphère, surtout depuis que Technorati ne publie plus ses rapports annuels.
Avec la domination totale de Facebook, Twitter et autres Snapchat, vous avez peut-être l’impression que les blogs ont disparu, pourtant je peux vous assurer qu’ils sont encore là, du moins pour ceux qui savent chercher et qui se soucient un minimum de la qualité des contenus qu’ils consomment. Pour décrire la situation, je vous propose de prendre l’analogie de la télévision : il y a ceux qui ne sont pas très regardants et s’installent devant la première chaîne en attendant de se faire sagement informer / divertir avec des contenus formatés (dont l’objectif est de déplaire au moins de personnes possible) et ceux qui vont choisir leurs contenus à la main (sur Netflix ou autre) et décident du moment où ils vont les consommer. Pour les contenus en ligne, c’est la même chose : il y a la solution de facilité, se mettre devant son fil Facebook et attendre sagement que l’algorithme décide des contenus qui seront affichés, ou sélectionner ses sources en allant explorer la blogosphère. Et quand je dis “explorer”, je n’exagère pas.
La blogosphère est plus active que jamais
J’ai assisté hier soir à la sixième édition des Golden Blog Awards. Je n’avais pas eu le temps (bon OK, le courage) de venir aux éditions précédentes, si bien que j’ai été fortement impressionné par l’ampleur de l’événement : un décor superbe et une salle comble.
J’ai vu au cours de cette soirée de nombreux talents (à l’image de Pierre, le grand gagnant de la soirée) et beaucoup de diversité : hommes, femmes, jeunes et… encore plus jeunes (de nombreux lauréats ressemblaient à des lycéens). J’y ai surtout vu des projets éditoriaux avec des approches très décalées (ex : Les Enjoliveuses, le Hollywood Rapporteur, ou Votre Tour du Monde).
Bref, il y avait du très beau monde et le niveau (éditorial) était très élevé. Je regrette que des blogs comme Aruco ou Siècle Digital n’aient pas été cités (je suis un lecteur régulier), mais le nombre de lauréats est limité. Donc tout va bien pour la blogosphère, sauf que…
De réelles menaces
Nous vivons à une époque où tout va plus vite, peut-être trop vite : plus personne n’a le temps de rien, le snacking media est devenu la norme. Nous constatons ainsi que les contenus sont de plus en plus visuels, nous n’avons plus le temps de décrire le présent avec des mots, alors une photo fera l’affaire (Instagram est maintenant plus gros que Twitter). De ce fait, les éditeurs et plateformes sociales privilégient les micro-contenus comme ceux que l’on trouve sur Snapchat ou Vine : plus faciles à consommer, surtout quand on “picore” tout au long de la journée.
Nous assistons également à l’avènement des plateformes de contenu : Snapchat Discover, Facebook Instant Articles, Google AMP, Apple News… sont les nouveaux portails d’information. Ce qui est vrai dans la distribution physique (concentration des enseignes et des services), l’est également dans le web : plus il y a de contenus et services, et plus vous avez de chance de fidéliser les internautes, de faire partie de leur quotidien, et de leur donner l’illusion qu’ils ont le contrôle (comme à l’époque de My Yahoo). Cette problématique de distribution des contenus sur les canaux numériques est complexe, et je n’ai pas la prétention d’y répondre dans cet article. Il n’empêche que je suis très inquiet quant à l’avenir du web en tant que média libre (sans une autorité centrale de régulation, ou un algorithme pour sélectionner ou écarter des sources).
Dans ce contexte où l’on essaye de contraindre le web dans des silos (pourquoi perdre du temps à chercher sur Google alors que vous pouvez trouver tout ce qui vous intéresse sur Facebook ?), les blogs se positionnent en tant qu’alternatives aux contenus trop pauvres ou trop formatés (ex : “18 chiots nouveaux-nés prêts à découvrir le monde“, “Les rousses ne sont pas vraiment votre style ? Après ces 15 photos, vous allez changer d’avis…“).
Je pense ne pas me tromper en disant que ce qui différencie un blogueur d’un journaliste est l’absence de contraintes éditoriales : les blogs sont des territoires d’expression qui ne sont régis par aucune règle éditoriale, pour le meilleur et le pire. Bien que ça ne soit pas aussi simple…
Vers une crise identitaire ?
La soirée d’hier soir était l’occasion d’aborder LA question ultime : qu’est-ce qu’un blog ? Cette question n’est pas simple, surtout quand on apprend que WordPress est installé sur près d’1/4 des sites web. Les différents interlocuteurs auxquels j’ai pu poser la question sont tous unanimes : un blog c’est avant tout une voix, un rédacteur… sauf quand il est anonyme… ou quand ils sont plusieurs. Non en fait, un blog c’est avant tout une passion, on ne le fait pas pour de l’argent… sauf qu’il faut bien payer ses factures, et qu’il y a de nombreux sponsors potentiels. Décrire un blog, et à fortiori la blogosphère, est une tâche plus ardue qu’il n’y parait.
Wikipedia nous donne une définition basique, mais qui reste pertinente : “Un blog, est un type de site web utilisé pour la publication périodique et régulière d’articles, généralement succincts, et rendant compte d’une actualité autour d’un sujet donné ou d’une profession“. À partir de là, nous pouvons identifier plusieurs types de blogs :
- Les blogs personnels, rédigés par un individu passionné qui souhaite avant tout s’exprimer et partager (ex : Passeur de sciences) ;
- Les blogs professionnels, tenus par des experts qui souhaitent démontrer et partager une expertise (je classe mon blog dans cette catégorie) ;
- Les mini-medias, qui sont rédigés par des individus, des collectifs, des entreprises ou organisations diverses qui souhaitent toucher la plus large audience. Dans cette typologie, nous allons retrouver les blogs de mode et les portails en devenir comme Limonadier, Le petit shaman ou Untitled.
Plus largement, un blog sert à exprimer un point de vue. Certes, un blog peut servir à informer, mais la principale distinction avec des publications institutionnelles est que les rédacteurs partagent leurs idées / opinions et sont prêt à débattre (contrairement aux éditorialistes qui se contentent de donner leur point de vue sans voix retour). Les plateformes de blog de “nouvelle génération” comme Medium ou Ghost brouillent les pistes, mais le dénominateur commun reste cette notion de point de vue personnel.
De l’importance des commentaires
Un blog se définit selon moi par un contrat de lecture tacite entre le rédacteur et les lecteurs : on troc de l’objectivité pour de l’interaction. Les lecteurs de Korben vont y chercher des informations et astuces (ex : “Transformer une image en CSS“, “Comment cracker un mot de passe Windows“), mais également des coups de gueule (ex : “Chers Youtubeurs…“). Selon cette optique, une publication institutionnelle aura des lecteurs, tandis qu’un blog aura une communauté de lecteurs. La différence est subtile, mais elle a son importance.
Ces derniers temps, les commentaires se font de plus en plus rares, la faute à Twitter (en partie). Ils sont cependant une composante essentielle de la communauté des lecteurs. Sans eux, il n’y a plus d’échanges, on se contente de consommer des contenus au kilomètre. Je constate que les grandes solutions de gestion des commentaires comme Disqus ou LiveFyre se sont égarées (Disqus now you lets create your own forum et Livefyre Launches Ads in Comments), tant pis pour elles. Je reste très attaché aux commentaires et je déplore la baisse notable de dépôts de commentaires sur ce blog. À ce sujet, je veux bien admettre mes erreurs : j’ai été trop ambitieux à vouloir rédiger 8 blogs en même temps, mais je suis en train d’y remédier…
Peut-être y a-t-il également un problème de forme avec les commentaires : ils existent depuis 15 ans et n’ont quasiment pas évolué. J’avais mentionné l’année dernière la sortie de GraphComment, une solution française qui apporte une réponse pragmatique pour faciliter la lecture des commentaires (GraphComment veut dépoussiérer les commentaires). Peut-être qu’un dépoussiérage serait un moyen de redonner envie aux lecteurs de commenter…
Luttons contre la banalisation des contenus !
Vous pourriez penser que je fais une fixation, pourtant je ne suis pas le seul à m’inquiéter des Instant Articles de Facebook et plus généralement de la “plateformisation” du web (The Walled Gardens Of The Web Are Growing, The Web Is Dying, Apps Are Killing It, Facebook’s Quest To Absorb The Internet et Walled gardens and the wild west days of distributed content). Vous noterez au passage la pertinence de la question posée par ce dernier article : “Google AMP – walled garden or public park?“.
Je suis persuadé que ces solutions d’hébergement / distribution d’articles vont accélérer la dissolution des communautés de lecteurs. Sous prétexte d’améliorer le confort de lecture, elles piègent le lecteur dans l’illusion qu’il choisit ses sources, alors que c’est un algorithme qui décide pour lui. Pire : des solutions comme les Instant Articles rétrogradent les auteurs au statut de simple producteurs de contenus.
La blogosphère va-t-elle être victime de l’infobésité ? Peut-être, car nous subissons un phénomène de banalisation des contenus (“commoditization” en anglais) : ces derniers sont produits en masse pour combler les espaces entre les bannières et les publicités natives. Je n’insiste pas sur ce point, car j’ose espérer que vous vous en étiez rendu compte.
Je vous invite donc à lutter pour préserver la blogosphère telle que vous l’avez connue, et plus généralement pour préserver le web “ouvert” : lisez, explorez, partagez, commentez… En résumé : préservez votre statut d’internaute libre et privilégiez la qualité à la quantité.
/* – – – CONFIGURATION VARIABLES: MAKE SURE THE ID IS YOURS – – – */
window.graphcomment_id = ‘Fredcavazza-net’;
/* – – – DON’T EDIT BELOW THIS LINE – – – */
(function() {
if (document.URL) {
if (document.URL.indexOf(‘cavazza.net/’, document.URL.length – ‘cavazza.net/’.length) === -1) {
var gc = document.createElement(‘script’); gc.type = ‘text/javascript’; gc.async = true;
gc.src = ‘https://graphcomment.com/js/integration.js’;
(document.getElementsByTagName(‘head’)[0] || document.getElementsByTagName(‘body’)[0]).appendChild(gc);
}
}
})();
100% d’accord !
C’est du vécu.
Peut-être aussi qu’avec les smartphones, les gens sont plus habitués à n’aller voir que leur application (Facebook, Twitter, et cie) et des contenus visuels (images, vidéos).
Enfin un BON article sur la blogosphère en 2015 !
C’est sur qu’entre Google et Facebook. Le blog “seul” devient un OVNI.
De plus en plus d’internautes ne savent même pas ce que c’est qu’une URL et donc n’imagine pas voir autre chose qu’en partant de Google (Search) ou de FB (Flux).
Il faudra sans doute inventer quelque chose de nouveau pour que nos blogs reprennent de la visibilité. La dessus je te rejoints Fred.
Vive les blog!
Lecteur de la premiere heure, Merci Fred, de continuer à nous transmettre tes lectures et reflections !
Merci pour cette analyse très intéressante. (Au passage je signale la présence d’une “coquille orthographique” dans la première phrase de la conclusion. Mais j’ai lu aussi le reste :))
Merci pour cette analyse très intéressante Fred. Tes articles sont super pertinent à chaque fois ! pour rebondir sur tes propos, je pense que la blogosphère doit s’adapter à cet environnement en pleine mutation et que les blogs et les blogueurs peuvent tirer leur épingle du jeu en misant sur la mailing list. Trouver sa niche et créer du contenu ultra qualitatif. Ne penses-tu pas ?
Mon temps est précieux. C’est pour ça que je trouve qu’un article bien écrit, construit et pensé est préférable à une vidéo qui devrait faire 10 heures pour arriver à faire passer autant d’information. Sans parler des phrases toutes faites censées faire réfléchir (souvent incrustés sur une image) sur facebook qui doivent plaire au taoïste pas leur vacuité. Twitter me sert le plus souvent à repérer des articles, si le sujet du blog m’intéresse particulièrement je m’abonne au rss.
Par contre c’est vrai que je ne laisse pas beaucoup de commentaires, le plus souvent rebuté par la procédure d’inscription. Les blogs comme celui-çi ou il suffit de renseigner deux cases sont trop rares, le plus souvent c’est la totale avec mot de passe et courrier de confirmation. Pour des blogs ou je passe deux fois par an, j’ai pas forcément la motivation.
Très bonne analyse.
On peut aussi citer LinkedIn et Pulse qui cherche à devenir le Facebook des pros, catégorie dans laquelle tes blogs et le mien tombent.
Cette évolution fait que j’ai une expérience complémentaire de publication double dans des médias et sur mon blog, ce qui me permet de toucher des communautés différentes et de répondre au cloisonnement. Va t – on voir cette migration des contenus des blogs se développer?
Même constat de notre côté de l’Atlantique.
Pour poursuivre sur l’image de la télévision, rappelons-nous que la télévision à ses débuts se voulait “une fenêtre sur le monde” et elle devenue aujourd’hui divertissement.
Les blogues sont ce qui reste des intentions des débuts. Nous sommes devenus les ARTE du web, en quelques sortes…
Je rejoins Gael les blogs où l’on peut facilement échanger en postant facilement un commentaire se font rares, il faut de plus en plus attendre une modération ou passer des tests si ce n’est pas devoir souscrire à un service. Un “vrai blogueur” pour moi, c’est celui de la premiere heure qui a mis un peu les mains dans le camboui en ayant fait l’effort d’avoir son petit hébergement, son petit nom de domaine et qui partage. En gros c’est l’internaute qui maîtrise un peu sa liberté après il y a les semi-blogueur c’est ceux qui sont sur les plates-formes et qui sont 100% tributaire de leur prestataire et du coup souvent nous impose des pubs, des systèmes de commentaires intrusifs des balises nofollows et qui ne le savent même pas. Pour les mini-medias oui ce sont des mini-médias l’esprit blogueur n’y est plus.
Article très intéressant. Personnellement je n’ai eu internet qu’assez tard, au moment où Facebook commençait à avoir du succès justement.
Je n’ai donc jamais participé à l’ère des blogs, les seuls dont j’ai la connaissance étant ceux issus des partages de mes connaissances sur ceux-ci*. Cet article m’apprend donc beaucoup de choses x) J’irai suivre le lien des Awards pour ouvrir un peu ma vision du monde internet. Il y a tant de choses qu’on ne voit pas en se cantonnant à une utilisation “normale” de celui… –‘
*Je suis arrivé sur cet article par un partage du blog Korben Info x)
au top mon Fred !
Fred je t’aime et ça fait trop longtemps. Je n’écris plus autant dans mon blogue mais je suis toujours là. Moins de “dernières nouveautés” mais plus d’analyses ou de coup de gueulles. Je m’ennuie de nos Yulbiz et de nos chicanes à propos de Second life :-) Grosse bise
Un beau tour de piste en effet – je conseille à mes ami(e)s de tenir un blog pour le plaisir de l’exercice avant toute de chose – rédiger, publier, partager. Garder le contact avec soi-même en laissant les autres jeter un coup d’oeil par-dessus votre épaule. Un journal de bord que toute personne de passage peut consulter. Parfois un moyen d’engager la conversation. Sans obligation. C’est le côté personnel qui rend les blogs indestructibles. Derrière un blog il y a toujours quelqu’un. Si il n’y a personne ce n’est pas un blog.
Bonsoir,
Commentaires très intéressants et très instructifs pour moi qui ne suis encore qu`un amateur dans le domaine des blogues, mais ce qui m`a surpris le plus, et déçu à la fois, c`est de voir la superbe photo du ¨Golden Blog Awards¨, et ne connaissant pas cette rencontre, j`ai cherché à savoir où cet évènement avait eu lieux, croyant tout d`abord à un quelconque endroit des U.S.A., mais à ma grande surprise, à Paris… et franchement, à mon point de vue, pas très original et pas très distinctif comme titre entièrement en anglais, et ici, la belle langue française en prend pour son rhume…encore une autre fois !
Mes meilleures salutations,
Pégé
Facebook et Google sont un problème : ils doivent faire de l’argent, en masse, alors qu’un blogueur le fait pour son plaisir.
Les Gafam veulent que leur audience reste captive, a tout prix.
Je me suis rarement autant senti concerné par un tel billet. Merci d’avoir écrit en notre nom à tous.
Cordialement.