Les applications mobiles de marque sont une utopie

J’ai comme l’impression que mon dernier article sur l’obsolescence des applications mobiles a suscité plus de perplexité que d’adhésion. Après relecture, je me rends compte que la formulation peut prêter à interprétation. Je ressors donc mon clavier pour clarifier mon propos, et j’en profite même pour durcir ma prise de position.

“1 contenu / service = 1 application mobile” est une aberration

Si les applications mobiles existaient déjà au siècle dernier (les fameuses applis java), c’est avec la sortie d’iOS 2 en juillet 2008 qu’elles ont connu leur âge d’or. À cette époque, l’iPhone régnait en maître sur le créneau des smartphones et Apple avait une position suffisamment dominante pour imposer son point de vue : une application pour chaque fournisseur de contenus ou services. Sept ans plus tard, les choses ont bien changé : Android est maintenant le système d’exploitation dominant (près de 75% de parts de marché dans le monde), les app stores sont complètement saturés (plus de 1,3 M d’applications mobiles référencées sur iTunes et Google Play), et les navigateurs mobiles ont fait des progrès spectaculaires (aussi bien les navigateurs officiels que ceux proposés par Mozilla, Opera ou Dolphin). Il est donc plus que temps de réévaluer la viabilité des applications mobiles natives et surtout de se poser les bonnes questions.

Ces dernières années, les annonceurs se sont tous précipités sur ce créneau en espérant gagner une place dans le quotidien des mobinautes. Sauf qu’il devient de plus ne plus compliqué et couteux pour un annonceur d’exister à travers une ou plusieurs applications mobiles. Si les applications natives restent la référence pour les jeux, les applications de productivité et les applications sociales, la très grande majorité des applications mobiles proposées dans l’app store se contente de distribuer un contenu ou de reproduire un service qui est disponible sur le web, donc sans aucune valeur ajoutée. Ceci explique le manque d’engouement des mobinautes pour les applications de marque (App users regularly use 7-8 apps on mobile devices, social networking apps most popular).

Malgré ces chiffres édifiants, les annonceurs ne renoncent pas pour autant et s’entêtent à vouloir rentrer en compétition avec Facebook Messenger et Candy Crush…

“C’est quand même mieux d’être sur l’écran d’accueil des clients, non ?”

Dans l’absolu, oui, c’est effectivement mieux si un annonceur parvient à placer son application mobile sur l’écran d’accueil des smartphones de ses clients. Sauf que dans la réalité, les clients en question ne savent plus quelles applications ils ont installées ni où. De toute façon, ils n’exploitent qu’un nombre très limités d’applications (email, SMS, calendrier, carte, Facebook, Twitter…). La dure réalité, est que seule une poignée d’annonceurs parviennent à justifier leur place sur l’écran d’accueil : Vente privée, SNCF, Air France… les autres applications d’annonceurs sont noyées dans la masse des applications disponibles dans les app stores et n’ont que très peu de chance d’être installées et ouvertes régulièrement.

Pour vous en convaincre, posez-vous la question suivante : si votre marque proposait un logiciel à télécharger, combien de clients l’installeraient sur leur ordinateur ? Sous cet angle, l’intérêt d’investir du temps et de l’argent dans une application est bien plus faible. À ma connaissance, le seul annonceur français ayant tenté l’expérience est la Fnac, en 2007.

La vérité à laquelle les annonceurs ont du mal à se confronter est que la valeur d’usage de leur application mobile est bien plus faible que la somme des efforts demandés aux clients pour effectivement installer, paramétrer et utiliser l’application en question. Et là, nous parlons des clients, pour les prospects c’est encore pire (cf. Les applications mobiles sont des outils de fidélisation, pas de conquête).

“Oui, mais avec une application native, nous pouvons envoyer des notifications push”

Oui effectivement, avec une application native vous avez la possibilité d’envoyer des notifications aux mobinautes, et alors ? Est-ce parce que vous pouvez le faire qu’il faut le faire ? Ne perdez pas de vue que les mobinautes en question sont déjà inondés de notifications : SMS, email, rappels de RDV, demande de connexion, nouveau message, nouveau bonus pour tel ou tel jeu…

Là encore, je vous invite à vous poser cette question : Vos clients sont-ils enclins à recevoir un coup de fil de votre part à chaque fois que vous sortez un nouveau produit ? Là encore, l’intérêt des notifications est à relativiser, car vous aurez toutes les chances de provoquer une réaction très négative : à force de vouloir se faire remarquer, on finit par se faire détester.

Loin de moi l’idée l’enfoncer des portes ouvertes, mais je vous rappelle que l’on ne peut pas forcer une relation marque-client, elle doit reposer sur la confiance et se construire dans la durée. Souvenez-vous qu’un smartphone est comme un espace d’intimité, ne violez pas cet espace au risque de vous faire définitivement exclure et classer dans la catégorie “spam”.

Les annonceurs n’ont pas réellement besoin d’une application mobile

Au final, quand on y réfléchi bien, on se rend compte que les applications mobiles éditées par des marques demandent beaucoup d’énergie et d’argent, mais génèrent finalement très peu s’usages réels. Je le dis et je le répète : les applications natives ne sont légitimes que pour des usages bien particuliers : jeux, outils de communication, outils de productivité et applications sociales. Autant il y a un vrai intérêt à installer une application mobile pour exploiter des services comme Sunrise ou Slack, autant s’il s’agit de lire des contenus HTML ou d’accéder à des services en ligne, autant rendre compatible votre site web avec les smartphones. Le ROI de cette opération sera bien meilleur que si vous vous lancez dans la création d’une application mobile.

Généralement, c’est à ce stade de la discussion que l’on me répond “oui, mais les utilisateurs préfèrent les applications mobiles, car elles proposent une meilleure expérience“. Et là je réponds invariablement : “forcer un prospect ou un client à installer et paramétrer une application (ave création de compte, email de vérification et tout et tout) n’est pas réellement une expérience satisfaisante, surtout pour récupérer une malheureuse information“.

En un mot comme en cent : privilégiez toujours la compatibilité de votre site web avec les smartphones. Dans un second temps, vous pourrez réfléchir à la mise à disposition d’une application mobile proposant un service à valeur ajoutée, un VRAI service à valeur ajoutée. L’application McDonald’s ne se contente pas de présenter les menus et de lister les restaurants, elle permet en plus de commander un repas et de la récupérer sans faire la queue. L’application Starbucks ne se contente pas de lister les derniers arômes de café, elle permet de commander et de payer ses boissons. En ce sens, elle fournit un service de paiement dématérialisé, elle facilite le quotidien des clients et justifie le fait que ces derniers s’embêtent à l’installer et à paramétrer leur compte. Est-ce le cas pour votre application mobile ? Réellement ?

Encore une fois, mon objectif n’est pas de dénigrer les applications mobiles, mais plutôt de vous démontrer qu’elles ne sont pas une priorité. L’urgence pour un annonceur est avant tout de s’assurer qu’il est capable de fournir une information ou de délivrer un service le plus rapidement possible en demandant le moins d’effort aux utilisateurs. Dans cette optique, je vois mal comment une application native peut rivaliser avec un site web, sauf dans les cas précédemment cités (jeux, outils de communication, outils de productivité et applications sociales). CQFD.

Moralité : les applications mobiles ne sont qu’un moyen d’exploiter les smartphones, un moyen de plus en plus contraignant, d’où l’urgence d’étudier d’autres solutions : site mobile dédié, application tierce (ex : Google Maps ou Yelp), assistants personnels, application de messagerie “ouvertes”…

10 commentaires sur “Les applications mobiles de marque sont une utopie

  1. Globalement en phase Fred. Il y a tant d’autres priorités pour une entreprise d’autant que la durée de vie d’une App et l’utilisation effective est un paramètre important à prendre en compte étant donné la kyrielle d’App téléchargées par les mobinautes mais dont peu finalement sont réellement utilisées.

    Je pense que le RoI sera à évaluer (difficilement) au cas par cas par les marques et également en fonction de leur stratégie. Et que sauf exception, l’intérêt est plus comme tu le soulignes pour des grandes marques, non pour des PME sauf pour une App ayant en rapport avec l’activité de la PME ou si une fonction liée à la géolocalisation/à une commande directe peut avoir un intérêt eu égard aux produits/services de l’entreprise. En tout cas, les marketeurs devront cogiter.

  2. Et oui, fini l’age d’or pour le dev d’applis, il me semble même que les clients comprennent mieux le manque d’utilité d’une appli “site web flux rss” qu’une boite de com…

  3. C’est pratiquement un cas d’école d’application de la Loi d’Ohm. Et il est vrai que les annonceurs feraient bien d’y réfléchir à deux fois, voire plus, car concevoir une application, ça coûte fort cher.

  4. Je me permets un commentaire negatif sur ta ligne editoriale Fred. Depuis le temps que je commente tes articles j’espere que tu ne le prendras pas mal mais au contraire que tu y verras une certaine valeur.

    Tes articles s’adressent principalement a des professionnels du marketing mais surtout a des professionnels du marketing digital relativement avertis. Je me doute que pour un visiteur regulier comme moi, tu dois en avoir pas mal d’irreguliers (et dans le tas, quelque-uns de non-avertis) mais tout de meme : ton lectorat n’est pas complement novice sur le sujet.

    Hors depuis quelques temps j’ai l’impression que tu emplois la phrase “loin de moi l’idee de me repeter” trois fois par article. Et meme si je comprends que dans un esprit de generation de traffic tu dois toucher un public relativement large et adresser des sujets du moment… ca devient lassant. Car oui tu te repetes : ca fait un bout de temps que je n’ai pas lu un article sur tes blogs et que je me suis dit “waw la il met le doigt sur quelque chose, et avant tout le monde !”.

    Bref, en resume : n’hesite pas a ecrire des articles plus pousses et “avant gardiste” (c’est un mot un peu fort mais c’est fait expres), ton lectorat serait sans doute plus interesse.

    En esperant t’avoir ete utile,

    Remi

  5. @ David > Non non, je ne parle pas de PME, mais de marques nationales / internationales qui doivent revoir leurs priorités : d’abord un site compatible et performant, puis (si c’est justifié) une application mobile dédiée à une fonction à valeur ajoutée.

  6. @ Rémi > Merci pour ton commentaire, très utile. Effectivement, maintenant que tu le fais remarquer, j’ai développer un affreux tic avec “Loin de moi l’idée…”. J’essaye de rester humble dans mes prises de position et de ne pas reproduire les erreurs faits à mes débuts où j’étais un vrai donneur de leçons !

    Concernant la ligne éditoriale et le fait de mettre le doigt sur un truc avant tout le monde, là je ne sais pas trop quoi répondre. Il y a bien longtemps que j’ai abandonné l’idée de faire des breaking news, je préfère me concentrer sur des articles de fonds où je vais relier des signaux faible entre eux pour développer une théorie autour d’une tendance naissante. Loin de moi l’idée de faire du slow blogging, mais je… AAAAARRRRGRGGHHHHHHHH !!!!!!!

  7. @remi et @Fred : je suis partiellement d’accord avec Rémi.
    Si on prend cet article comme exemple, le fond n’est peut-être pas révolutionnaire. En revanche, on y trouve sur la forme des arguments bien sentis (comparaison avec un logiciel à installer ou avec un coup de fil) qui peuvent aider même des professionnels aguerris à développer leur point de vue face à des décideurs souvent à la traîne sur le sujet.

  8. Les applications mobile apportent avant tout l’usage en mobilité et le nomadisme.
    Accéder à une page Web via le browser depuis un terminal mobile me semble plus laborieux que cliquer sur l’icone de l’appli … que l’on a du mal à retrouver parfois il est vrai. ;->
    Merci Frédéric pour votre blog de qualité.

  9. @ Reynald > Cliquer sur un lien et consulter l’information que tu cherches te sembles plus compliqué que de : ouvrir l’app store, vérifier que l’application proposée est bien celle de la marque, vérifier la compatibilité de ton OS, télécharger l’appli, réussir l’installation, retrouver l’icône, lancer l’appli, s’identifier ou créer un compte, comprendre le système de navigation puis trouver l’information que tu cherches ? Sérieusement ?

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