La publicité en ligne en pleine crise de croissance

D’après le magazine Wired, la première bannière publicitaire a été publié il y a presque 22 ans (Oct. 27, 1994: Web Gives Birth to Banner Ads). Une longévité record pour un produit qui n’a quasiment pas évolué (un rectangle qui clignote dans le coin d’une page web). Pourtant, si le produit publicitaire en lui-même n’a pas beaucoup évolué, les techniques de ciblage se sont considérablement améliorées (Évolution, tendances et enjeux de la publicité en ligne). L’effervescence sur le salon Dmexco de Cologne nous prouve à quel point le secteur est dynamique : Buzz, noise and a little bit of bullshit: Inside the weird world of Dmexco.

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Jusqu’ici tout va bien, non ?

Le problème de tout marché en forte croissance, c’est qu’il atteint rapidement son point de surchauffe, et c’est manifestement ce qui est en train de se passer. L’achat programmatique est très populaire, surtout en France (Two-Thirds of Display Spending in France Is Programmatic), mais les outils se sont complexifiés à un rythme affolant, et nous nous retrouvons aujourd’hui avec des solutions toujours plus obscures comme le waterfalling, header bidding… Si personne ne peut remettre en question l’intérêt d’exploiter des machines pour faire de l’achat d’espace, force est de constater que cette fuite en avant technologique devient inquiétante (Header Bidding : bon ou mauvais ?).

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Pour résumer : les solutions d’achat programmatique ont engendré un mille-feuille technologique que les annonceurs et agences ne semblent plus maitriser. Il en résulte de gros problèmes de transparence (notamment dans les rapports de campagne) dénoncés avant l’été par un rapport de l’Association of National Advertisers : ANA report shines the light on sketchy ad tech deals).

Dire que la situation est préoccupante serait un euphémisme, et certains signes ne trompent pas, comme le fait que certains annonceurs font machine arrière et recommencent à investir dans de la publicité “classique” non ciblée (P&G, the world’s biggest ad spender, is cutting back on targeted Facebook ads because they weren’t effective).

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Tout ça pour ça ?

Du côté des éditeurs, le constat est également amer, avec des tarifs au plus bas, une très forte concurrence des grandes plateformes sociales comme Facebook qui viennent manger dans leur assiette (Former Guardian editor: Facebook sucked up £20 million of our online ad revenue last year) et des solutions de monétisation alternatives beaucoup plus intéressantes (notamment celles de Taboola ou Outbrain qui peuvent rapporter jusqu’à 3 € le CPM : La cash machine des contenus sponsorisés).

Au final, on en vient à se demander si tout ça en vaut bien la chandelle, car après tout, la contribution des bannières au trafic entrant est très faible (entre 0,5% et 2,5% selon les secteurs d’activité : Les sources d’acquisition de trafic du e-commerce). Ceci étant dit, les campagnes display ne sont pas que des outils de création de trafic, elles sont beaucoup exploitées dans une logique de visibilité et d’image de marque. Mais quand même, la contribution est faible, très faible…

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Cachez-moi ces bannières que je ne saurais voir (ou pas) (ça dépend des bannières)

Et comme si ce n’était pas assez, nous avons en plus le spectre des bloqueurs de bannières. Les chiffres divergent d’une étude à l’autre (Lies, damned lies and ad blocking statistics), mais il existe un consensus en France sur 30% de taux d’adoption (légèrement en dessous de la moyenne européenne).

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Redoutés et détestés par les éditeurs, ignorés par les agences, vous pourriez croire que les bloqueurs de bannières vont finir par tuer la profession, je préfère penser qu’ils ont au contraire un rôle salutaire pour aider la profession à se remettre en question (Les ad-blockers accélèrent la transformation de la publicité en ligne).

Après le mea culpa de l’IAB l’année dernière (Getting LEAN with Digital Ad UX), des pratiques publicitaires plus respectueuses sont visiblement en train de prendre de l’ampleur, notamment avec le coming out d’Eyeo (Adblock Plus launches advertising platform for its Acceptable Ads program) et cette toute nouvelle initiative groupée (Google and 16 other companies have formed a coalition that wants to police ads on the web).

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Les Acceptable Ads ou Better Ads sont-elles la solution ? Personne ne peut le dire, en tout cas c’est un très bon début pour tenter de limiter les dérives (cf. Acceptable Ads Criteria), et c’est surtout un excellent signal envoyé au marché, et accessoirement aux internautes !

Vers des parcours publicitaires plus élégants

Étant un utilisateur des bloqueurs de bannières de plus de 10 ans, je suis le premier à me réjouir de ces initiatives, les seules qui me paraissent réellement raisonnables. Mais encore faut-il convaincre les annonceurs qui ne sont pas toujours pas très bien conseillés.

Dans l’idéal, la bonne démarche serait de revoir intégralement son approche publicitaire et de raisonner en termes de parcours et non de pilonnage (pudiquement appelé “pression publicitaire”). Plutôt que de mettre en concurrence les canaux (bannières, emails, mots-clés sponsorisés, messages sponsorisés…) il me semble plus intéressant de privilégier la cohérence des actions de communication. Je suis ainsi toujours très surpris de constater à quel point certains annonceurs pratiquent la politique de la terre brulée : ils matraquent les internautes sans trop se soucier des dommages que cela provoque sur leur image de marque. Pourtant, il n’a jamais été aussi simple de mesurer la pression publicitaire exercée sur un internaute sur l’ensemble des supports (ordinateur, smartphone, tablette…) et canaux (sites web, email, applications mobiles…).

Le problème pourrait être résumé ainsi : les outils technologiques sont aujourd’hui utilisés pour augmenter la puissance des campagnes, au détriment de l’expérience des utilisateurs. Car non, améliorer le ciblage des publicités ne fera pas diminuer la pression (ou du moins son ressenti).

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Mais heureusement, les choses sont en train de changer, espérons que cette prise de conscience aboutira rapidement. Dans tous les cas de figure, ce débat qui tombe à pic, car il est impératif de revoir les pratiques publicitaires digitales avant de passer aux choses sérieuses : l’achat programmatique sur la TV, à la radio ou sur des panneaux d’affichage numériques. Autant il est simple d’éteindre son ordinateur ou de ranger son smartphone dans sa poche, autant les dérives du programmatic buying et du marketing automation pourraient avoir de lourdes conséquences sur les médias traditionnels.

En conclusion : il faut impérativement reprendre le contrôle avant que la situation dégénère et que le secteur des adtech ne se tire une balle dans le pied.

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