Enjeux et usages de la 5G

Cette semaine se tient à Barcelone le Mobile World Congress, la grande foire annuelle de la téléphonie. L’occasion pour les constructeurs de présenter leurs derniers produits, mais également de faire du lobbying pour accélérer l’évolution du secteur. Balbutiante lors de la précédente édition, la 5G est dans toutes les discussions cette année, car elle fait converger les intérêts de toute l’industrie. Je vous propose d’en décrypter les enjeux et les usages.

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Rassurez-vous, je ne vais pas vous assommer avec de longues explications techniques sur la 5G, c’est en dehors de mon domaine de compétences. En revanche, je vais m’efforcer dans cet article de vous expliquer pourquoi l’industrie tient tant à nous vendre la 5G alors qu’elle n’existe pas (en tant que norme finalisée) et que la 4G est encore loin d’être saturée (Panorama de l’adoption de la 4G en France, c’est pas gagné !).

Qu’est-ce que la 5G ?

Pour résumer une longue explication, la 5G est la prochaine génération de technologie de téléphonie mobile, c’est l’évolution de la 4G (reposant sur la norme LTE) et la 4G+ (la norme LTE-Advanced). 2G, 3G, 4G, 5G… sont des appellations commerciales pour faciliter la mise sur le marché de normes technologiques complexes. La complexité venant du fait que les normes peuvent être différentes d’un pays à l’autre.

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La 5G est donc l’appellation commerciale du standard IMT-2020 défini par l’IUT (l’International Telecommunication Union dont la création remonte à 1865). Le rôle de cet organisme est justement de veiller à ce que les industriels ne fassent pas n’importe quoi et parviennent à s’entendre sur des standards communs pour ne pas reproduire des aberrations comme dans la vidéo (VHS vs. Betamax ou HD-DVD vs. Blueray).

Pour qu’une nouvelle génération comme la 5G soit officiellement commercialisée, il faut que l’ensemble des acteurs (constructeurs d’infrastructures, de matériel, de logiciels, opérateurs, fabricants de smartphones, fondeurs…) soient d’accord sur des spécifications. C’est justement ce qui est en train de se passer : l’IUT vient de proposer une première version des spécifications, une sorte de cahier des charges : 5G specs announced: 20Gbps download, 1ms latency, 1M devices per square km. Ce travail d’affinage et de validation des spécifications va encore durer quelques années, aussi des évènements comme le Mobile World Congress sont l’occasion de rassembler toutes les parties prenantes et d’essayer d’accélérer la manoeuvre.

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Les enjeux sont très importants, car la finalisation d’une nouvelle génération de technologie de communication mobile est un véritable moteur pour l’économie. C’est bien simple, tout le monde y gagne : les équipementiers, les opérateurs, les fabricants de smartphones et terminaux, les éditeurs de contenus et services, même l’état (qui distribue les licences). On comprend mieux pourquoi tout le monde s’excite, à l’image du régulateur anglais qui fait de gros efforts pour “vendre” la 5G au grand public (cf. Ofcom publishes beginner’s guide to 5G) ou de Ericsson qui s’adresse plus aux industriels (5G systems : enabling the transformation of industry and society).

On trouve bien quelques détracteurs (5G? Pff, don’t bother, says one-time Ofcom man’s new book), mais dans l’ensemble, tout le monde est d’accord pour dire que la 5G est la solution à tous les problèmes, et surtout ceux des opérateurs !

Quel est le problème avec la 4G ?

Outre l’exploit technologique, la mise au point d’une nouvelle norme permet de lancer de nouvelles offres, donc de tirer le marché vers le haut. Dans cette histoire, ce sont clairement les opérateurs qui ont le plus à gagner, car ils sont dans une situation assez désagréable.

D’un côté, nous avons des mobinautes qui consomment de plus en plus de bande passante, notamment avec les grandes plateformes sociales comme Facebook, Instagram ou Snapchat qui misent tout sur les images et la vidéo.

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Plus de bande passante consommée signifie la nécessité pour les opérateurs de faire monter en puissance leur réseau, donc d’investir dans de l’équipement. Le problème est que le revenu moyen par utilisateur (ARPU) est en baisse depuis de nombreuses années : Observatoire des marchés des communications électroniques en France.

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Pour pallier à cette baisse progressive de l’ARPU, il n’y a qu’un moyen : revaloriser l’offre. Voilà pourquoi les opérateurs investissent dans la création de contenus (ex : séries TV, droits de diffusion de la première ligue…). C’est également pour ça que nous observons un rapprochement entre opérateurs et médias (ex : rachat de AOL puis Yahoo par Verizon, ainsi que de Time Warner par AT&T). Le but de la manoeuvre est de fidéliser les clients existants et d’en conquérir de nouveaux grâce à des contenus à valeur ajoutée. Contenus qui incitent les mobinautes à consommer plus de bande passante. Bande passante qui risque bien d’arriver à saturation dans quelques années. Or, comme il faut 4 à 5 ans pour finaliser une norme, mettre à niveau les infrastructures et sortir de nouvelles offres, il n’y a plus de temps à perdre, il faut passer en marche forcée. D’où le forcing des opérateurs qui annoncent de nombreux “tests concluants”.

À ce petit jeu, ce sont malheureusement les opérateurs chinois qui vont avoir une longueur d’avance dans la mesure où ils ont accès à un marché de plus d’1 milliard de clients avec un seul régulateur. L’Union européenne essaye de construire une vision collective (Comment l’Europe cherche à promouvoir la 5G), mais c’est forcément plus compliqué. Des accords sont donc signés pour accélérer le processus de normalisation (Orange signs deal with Huawei to collaborate on 5G).

Autre problème de taille avec la 4G : cette norme a été conçue pour les smartphones, mais pas les autres terminaux. En l’absence d’une technologie de communication adaptée aux contraintes des objets connectés, de nombreuses “normes” se sont développées en espérant prendre de vitesse les autres : Sigfox, LoRa, LTE-M et maintenant NB-IoT qui a été finalisée il y a quelques mois par la 3GPP (NB-IoT, la nouvelle norme à la conquête de l’Internet des objets).

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Le problème de toutes ces normes, c’est que chacun est en train de construire son propre réseau parallèle. Même si une norme pour l’internet des objets était unanimement adoptée, elle cohabiterait avec les normes de téléphonie mobile (3G, 4G…). Un des objectifs de la 5G est donc de réunifier ces deux mondes : la téléphonie grand public / entreprises et la télécommunication industrielle.

Une fois le décor planté, la question que l’on se pose légitimement est la suivante : que va-t-on pouvoir faire avec la 5G que l’on ne peut pas faire avec de la 4G ?

Quels sont les avantages de la 5G ?

Je vous avais promis en début d’article de ne pas vous noyer sous des termes techniques, je vais donc prendre des raccourcis et lister les promesses de la 5G :

  • une meilleure bande passante (pour pouvoir délivrer de nouveaux services, comme de la vidéo 4K en streaming ou de la traduction vocale instantanée) ;
  • une plus grande densité (pour connecter plus de monde et surtout plus d’objets sur la même borne) ;
  • un délai de latence plus faible (très utile pour tout ce qui est pilotage à distance) ;
  • une plus faible consommation énergétique (pour améliorer la couverture dans les zones éloignées) ;
  • la possibilité de définir des couches dédiées à tel ou tel usage (pour garantir une disponibilité ou une bande passante minimum)…

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Si la 4G permettait d’avoir un réseau 100% numérique, la 5G apportera donc de nombreuses améliorations en termes de performances. Chose très utile, notamment quand on essaye de vendre des services à valeur ajoutée, les fameux nouveaux services censés inverser la baisse des revenus pour les opérateurs.

Quatre cas d’usage concrets pour la 5G

Donc… la 5G est la solution miracle qui va résoudre tous nos problèmes et permettre de développer de nouveaux services à valeur ajoutée. Le souci, est que les consommateurs n’ont pour le moment pas réellement de problème avec la 4G et qu’ils ne réclament pas vraiment de nouveau services. Les industriels ont beau nous abreuver d’acronymes tous plus savants les uns que les autres, il faut fournir un gros effort d’imagination pour se persuader de l’intérêt de la 5G.

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Pour vous aider à mieux appréhender les bénéfices concrets de la 5G, je vous propose les quatre cas d’usages suivants :

  • Mobile VR. La réalité virtuelle est un marché à très fort potentiel, le problème est que ce potentiel ne pourra pas être concrétisé tant que le ticket d’entrée sera supérieur à 1.000 € et que les soucis d’autonomie n’auront pas été réglés. Tel qu’il est configuré, le marché de la réalité virtuelle se limite aujourd’hui aux hardcore gamers. Pour s’adresser à la masse, il faudrait contourner les problèmes monétaires et matériels. La solution serait de se servir des smartphones existants comme d’écrans déportés, ceci permettrait de supprimer le câble qui relie le casque à l’ordinateur ou la console (les calculs nécessaires à la création de l’environnement 3D étant fait dans des data centers). Le mariage de la réalité virtuelle et du cloud gaming ne pourra se faire sans une bande passante beaucoup plus importante et une très faible latence. D’où la 5G.
  • Industry 4.0. Avec l’avènement de la miniaturisation, de la robotisation et de l’intelligence artificielle, nous devrions connaitre la quatrième révolution industrielle. Le problème est qu’avec toutes ces normes de communication, les industriels ont du mal à réaliser les fameuses économies ou avantages concurrentiels promis. Certes, il est déjà possible de faire des relevés à distance (smart sensors), de faire du traçage à distance (smart tags) et de déployer des flottes de véhicules autonomes (pilotage à distance), mais tout ceci se fait avec des normes différentes, donc des technologies sur lesquelles ont ne peut pas forcément capitaliser et des compétences que l’on ne peut pas mutualiser. De là à dire que tout ceci va générer d’innombrables données que l’on va avoir le plus grand mal à réconcilier, il n’y a qu’un pas. L’avenir de l’industrie, de l’agriculture, des transports… passe par des technologies convergentes et une norme de communication unique pour opérer, surveiller et mesurer à la fois des capteurs passifs et des véhicules autonomes. Sans parler de la sécurisation… D’où la 5G.
  • Véhicules connectés. Vous ne le savez peut-être pas, mais la plupart des véhicules sont déjà équipés d’une carte SIM qui est utilisée pour prévenir les secours si vous avez un accident ou appeler l’assistance. Si tous les véhicules étaient dotés de technologies de communication plus performantes, ils pourraient communiquer entre eux, notamment pour anticiper une situation d’urgence et freiner quelques dixièmes de secondes avant vous (qui peuvent se traduire par plusieurs mètres gagnés dans la distance de freinage). Les véhicules pourraient également communiquer des données précieuses au constructeur pour que celui améliore la fiabilité des parties mécaniques, diminuant ainsi les coûts de maintenance. Nous pourrions même envisager d’inclure la voiture dans les packs proposés par les opérateurs (internet + TV + téléphone fixe + téléphone portable + voiture connectée) pour pouvoir proposer des contenus exclusifs aux passagers (musique, films, séries…). Tout ceci exige une très bonne passante et une latence très faible, voire garantie. D’où la 5G.
  • Smart City. De plus en plus de monde vit en ville. Avec cet accroissement de la densité de population, viennent les problèmes de gestion des ressources (énergie, eau…). Doter les différents équipements urbains de capacités de communication (robinets, feux rouges, abris bus…) c’est collecter de précieuses données pour pouvoir surveiller leur fonctionnement et optimiser la consommation de ressources. Si ces différents équipements (bus, robinets, lampadaires…) communiquent avec des technologies différentes, cela alourdit la facture d’installation / maintenance et complique le travail de collecte des données et de synchronisation des équipements entre eux. Adopter une norme unique permettra de produire des puces / capteurs en plus grande quantité (donc d’abaisser les coûts) et de simplifier leur mise en oeuvre et exploitation (donc d’accélérer le ROI). D’où la 5G.

En règle générale, limiter la prolifération des normes de communication permet de concentrer les efforts et de rendre plus accessibles les technologies qui en découlent et les offres plus compétitives. Nous sommes tous d’accord sur le principe, encore faut-il régler deux ou trois légers soucis…

Les enjeux de la 5G

Pour pouvoir augmenter la bande passante, il n’y a pas de secret, il faut exploiter au mieux les fréquences. Le problème est que d’un pays à l’autre, les bandes de fréquence ont été allouées de façon non coordonnée. Trouver des fréquences communes exploitables pour l’ensemble des pays du monde est un véritable casse-tête. Il y a visiblement un consensus pour exploiter les très hautes fréquences (26 Ghz), mais ce n’est pas suffisant. Les industriels militent pour récupérer également les basses fréquences (700 MHz), mais également les fréquences intermédiaires utilisées par… la télévision.

Essayez d’imaginer le travail de lobbying nécessaire pour prendre de la bande passante utilisée par la TNT pour la réattribuer à de la téléphonie mobile et vous comprenez un peu mieux la taille des stands et les efforts réalisés pour convaincre les différents interlocuteurs.

Outre cet enjeu économico-publicitaire, il y a également un enjeu politique, à savoir le rééquilibrage des forces entre l’occident et l’Asie. À une époque reculée, la Scandinavie était prédominante avec le savoir-faire de Nokia et Ericsson, elle partageait cette domination avec l’américain Cisco. À une époque plus proche, Apple et Google avaient pris le leadership du secteur de la mobilité avec iOS, Android et leurs places de marché d’applications et contenus. Aujourd’hui, il faut composer avec des géants asiatiques présents dans les services (ex : Tencent avec Weixin / Wechat), les équipements (ex : Huawei, ZTE…) et les terminaux (Samsung, HTC, LG, ZTE, Oppo, Huawei/Honor…).

Tout ceci compose un écosystème très dense avec des partenariats et des prises de participation dans tous les sens. Bref, ce n’est pas simple et ça ne va pas forcément favoriser la finalisation rapide des spécifications de la 5G. Ceci étant dit, plus les besoins des utilisateurs augmentent et plus l’industrie a intérêt à accélérer la commercialisation de la 5G. Dans tous les cas de figure, je suis persuadé que la 5G va bénéficier à tout le monde et qu’elle autorisera surtout le déploiement à grande échelle de nouveaux types de contenus et services. La 5G sera-t-elle un accélérateur de la transformation digitale ? Hum… mouais… en quelque sorte… ne mélangeons pas tout, ces deux sujets sont déjà suffisamment complexes à comprendre de façon isolée.

2 commentaires sur “Enjeux et usages de la 5G

  1. Très pertinent effectivement, et il naît à peu près une question à chaque paragraphe tellement les enjeux sont importants…Wait and see?

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