La formation est l’étincelle de la transformation digitale

La transformation digitale est un chantier de longue haleine, c’est également un thème récurrent sur ce blog (il y a surement ici une relation de cause à effet). Si le sujet commence à être bien documenté et maitrisé, la transformation effective des entreprises est longue à venir, une nouvelle étude de la BPI vient illustrer ce retard (Pour 87% des dirigeants PME ETI, la transformation digitale n’est pas primordiale). L’immobilisme des entreprises françaises est d’autant plus inquiétant que les consommateurs et la concurrence poursuivent leur évolution vers le numérique. Nous sommes très clairement ici face à un verrou psychologique dont la formation pourrait être la clé.

Shadok-cat

Ce week-end, je suis allé au cinéma voir la suite de Blade Runner. Outre l’excellent film, j’ai été marqué par les publicités diffusées en début de séance : une pour Uber, une pour Amazon, une pour Samsung et deux pour des jeux vidéo (Destiny 2 et L’ombre du Mordor). À une époque pas si lointaine, c’étaient plutôt les banques, les constructeurs automobiles, les opérateurs téléphoniques ou les enseignes de distribution qui faisaient de la publicité, mais ces entreprises ont été remplacées par des produits et services numériques. Cette anecdote illustre bien pour moi le déplacement de la valeur. Pour information, la capitalisation boursière de Carrefour est d’à peine plus de 13 MM€, tandis que celle d’Amazon est supérieur à 475 MM$ (cf. En vingt ans, le fabuleux destin boursier d’Amazon).

Amazon-retailers.jpg

La réalité économique est la suivante : les activités traditionnelles ne parviennent plus à créer de la valeur. Certes, de nombreuses sociétés traditionnelles sont encore rentables, celles qui parviennent à pressuriser suffisamment leurs fournisseurs, mais les perspectives de croissance sont limitées. Dans notre jargon, on appelle ça un jeu à somme nulle : pour gagner 1 € supplémentaire, il faut le prendre à un concurrent. Et à ce petit jeu, les nouveaux entrants numériques sont avantagés par des coûts d’acquisition, de transaction et d’exploitation bien inférieurs. Voilà pourquoi les entreprises traditionnelles se font petit à petit asphyxier tandis que les nouveaux entrants numériques prospèrent.

Les entreprises tardent à se transformer…

Dans ce contexte, je peux tout à fait comprendre que l’on cherche à minimiser le risque (“pourquoi mettre en péril un business qui tourne encore ?“), mais la politique de l’autruche n’est en aucun cas une stratégie viable. Pour utiliser une célèbre analogie issue du monde animal : telle la grenouille, les entreprises ne sentent pas l’eau qui est en train de les faire bouillir. Ne pensez pas que c’est une métaphore, certains en sont morts (cf. Le syndrome de la grenouille cuite).

Pour se convaincre qu’il y a effectivement un problème, il suffit de s’intéresser aux études qui sont régulièrement publiées. Le cabinet Altimeter vient ainsi de publier la nouvelle édition de son State of Digital Transformation qui sonde les entreprises US sur l’état de leur transformation, et les résultats 2017 ne sont pas très bons : When it comes to digital transformation, companies are still way behind. Une observation paradoxale dans la mesure où les entreprises ont globalement bien identifié les facteurs de transformation :

KeyDrivers-DigitalTransfo

Pourtant, elles piétinent et tardent à mettre en oeuvre un chantier d’envergure. Plusieurs raisons sont invoquées dont le manque d’expertise, la culture interne ou le manque de ressources à disposition :

TopChallenges-DigitalTransfo

Même son de cloche avec l’étude récente de la BPI qui montre que les patrons français se croient à l’abri : Dirigeants de PME et ETI face au digital. Ce qui me surprend énormément dans cette étude, c’est l’écart entre la maturité sur le sujet et la frilosité des patrons : les conséquences de la transformation des marchés sont bien identifiées (des prix sous tension, des avantages concurrentiels qui s’érodent, des consommateurs qui privilégient l’usage à la possession…), de même que les grands chantiers (remettre le client au centre, rendre son organisation agile, s’appuyer sur ses partenaires pour créer de la valeur), mais la transformation ne se fait pas.

BPI-TransfoDigitale

Le constat est dur à digérer, mais il est bien réel. Les raisons invoquées sont toujours les mêmes :

  • la complexité du sujet (pour 34% des dirigeants) ;
  • le manque de compétences internes (pour 32%) ;
  • les résistances au changement en interne (pour 28%).

En synthèse : c’est compliqué, on a pas le temps et on a pas envie. Donc dans le doute, on continue de faire ce que l’on a toujours fait, et on croise les doigts pour que ça tienne encore une année, encore un trimestre, encore un mois…

Shadoks.gif

Les shadoks continuent de pomper et pendant ce temps là, les GAFA se goinfrent.

…pourtant, les marchés continuent de se transformer

Ce qui est particulièrement frustrant dans cette situation est que la pression du marché n’a jamais été aussi forte :

Et pourtant, on continue de faire comme si rien n’avait changé : 1 million de TPE/PME françaises ne sont pas présentes sur Internet. Encore une fois, je peux comprendre qu’un dirigeant de PME soit intimidé par un chantier de transformation, mais je ne comprends pas qu’ils choisissent de se trouver des excuses pour ne rien faire. C’est un peu comme si ils attendaient un évènement déclencheur ou l’arrivée d’une ressource providentielle.

*** Spolier alert ***

Ça n’arrivera pas.

*** Fin de la spoiler alert ***

La formation est la solution la plus pragmatique pour faire sauter les verrous psychologiques et motiver les troupes

En y réfléchissant bien, la ressource humaine est le point commun aux principales raisons évoquées :

  • manque de compétences (on ne sait pas faire) ;
  • manque de temps (on préfère se concentrer sur ce que l’on sait faire) ;
  • manque de leadership (on ne comprend pas bien le sujet) ;
  • fortes résistances en interne (ça nous fait peur).

Croyez-le ou non, mais la formation est à la fois la solution la plus accessible, mais c’est également la plus pertinente pour pallier à ces manquements :

  • transmettre une culture numérique pour lever les peurs psychologiques ;
  • éduquer et décrypter les usages pour aider les collaborateurs à se projeter ;
  • faire monter en compétences les équipes internes pour mobiliser les collaborateurs.

Outre les bénéfices psychologiques et émotionnels (cf. cet article publié en 2010 : L’Entreprise 2.0 implique avant tout des transformations psychologiques et émotionnelles), la formation est également un excellent prétexte pour se remettre en question et faire prendre conscience aux plus réticents du potentiel et de l’importance du danger. Des outils d’animation comme le Business Model Canvas ou le Value Proposition Canvas sont particulièrement utiles pour faire passer ce genre de message.

Business-Model-Canvas.jpg

Former les équipes aux dernières pratiques de e-marketing ou leur transmettre une culture numérique est une chose, mais leur faire comprendre le rôle qu’ils peuvent jouer dans la transformation digitale de leur entreprise en est une autre. Pourtant, tous les collaborateurs peuvent apporter leur contribution à la transition numérique :

  • au niveau marketing pour mieux comprendre l’évolution du marché (les besoins des clients, les nouveaux prospects, les nouveaux concurrents directs et indirects…) ;
  • à un niveau opérationnel pour améliorer la compétitivité (définition de nouvelles offres, sélection de nouveaux canaux de diffusion et distribution, adoption de nouvelles pratiques et méthodes de travail…) ;
  • au niveau organisationnel pour optimiser le fonctionnement (libérer l’information, adopter des logiciels et outils en ligne, partager les ressources physiques, développer un écosystème de partenaires…).

Comme vous pouvez le voir, il y a beaucoup à faire et tout le monde peut participer, même à la plus petite échelle. Et la clé pour faire sauter les verrous psychologiques, débloquer de la ressource et motiver les collaborateurs, c’est la formation. Un levier d’autant plus intéressant à exploiter qu’elle est fortement stimulée par le gouvernement, notamment à travers les différents dispositifs de formation professionnelle continue.

Je sais que j’avais déjà lancé cette idée il y a 3 ans (Réforme de la formation professionnelle et transformation digitale) et que le décret d’application tarde à venir, mais je reste persuadé que la formation est la clé de la transformation.

Pour finir de vous convaincre, je reproduis la citation d’un dirigeant de PME trouvée dans le rapport de la BPI : Tous les jours, quelque part, quelqu’un travaille à ma perte ; il ne sait pas qui je suis, je ne sais pas qui il est. Comment rester impassible face à un tel défi ?

 

5 commentaires sur “La formation est l’étincelle de la transformation digitale

  1. Merci de votre article et de votre référence à notre étude ! Je partage votre constat sur le fait que beaucoup reste à faire.

    Juste un détail sur la citation de Luc Doublet en fin de post. Elle n’est pas retranscrite correctement. Elle dit : “Tous les jours, quelque part, quelqu’un travaille à ma perte ; il ne sait pas qui je suis, il ne sait pas qui il est”. Votre erreur est commune. Mais en fait sa version correcte est encore plus puissante. Elle traduit l’incertitude dans laquelle les entreprises vivent. Aujourd’hui, des entreprises se créent sans avoir de business model consolidé et peuvent pivoter plusieurs fois avant de trouver la bonne voie, qui peut justement venir disrupter des entreprises qui n’avaient rien vu venir…

    En tout cas, au plaisir de discuter sur le sujet ! Il y a effectivement beaucoup à faire.

    1. Merci pour cette précision, effectivement, la citation est d’autant plus puissante : des startups qui ne se rendent même pas compte qu’elles disruptent des business

  2. Totalement d’accord !
    Pour accompagner les grandes entreprises dans le digital (dans le secteur de la santé principalement) la manque de culture interne lié au numérique est le facteur le plus important de déni de la transformation en cours de notre société. Pourtant ils le voient tous les jours. J’aime beaucoup “le syndrome de la grenouille cuite” ;)
    A ce sujet on organise des évènements pour acculturer au numérique principalement dans la santé comme le grand hackathon http://hackinghealth.camp/fr et l’évènement est éligible à la formation professionnelle :)
    Rendez-vous en mars prochain.

  3. Je suis tout à fait en phase avec la notion de formation, mais est ce que finalement le problème ne vient pas un peu de nous les prestataires ou plutôt de ceux qui accompagnent les PME en mode “on va faire votre transformation digitale, on sait pas pourquoi mais c’est à la mode”.
    Nombreuses sont les entreprises que je rencontre qui ont été échaudées par leur “premier” contact avec un prestataire dans le “digital” soit elles ont foncé en suivant un messie auto-proclamé ou finalement ont préféré l’immobilisme plutôt que de prendre le risque de se planter.
    La formation est plus que nécessaire pour faire grandir les équipes sur ces sujets, et lorsqu’on parlera d’objectif, d’augmentation de CA etc. elles écoutent(ront).

  4. Comment une organisation peut-elle se penser autrement qu’en tant que collectif d’invididus apprenants ? La formation est le bras armé du changement et de la formation, l’étincelle étant l’intention, le projet. Merci pour ce billet

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