Cela fait plus de 20 ans que je travaille dans le milieu du web, deux décennies au cours desquelles je me suis éreinté à expliquer, rassurer et persuader les entreprises de l’intérêt du web et des supports numériques. Si aujourd’hui personne ne remet en question la nécessité ou l’intérêt de la transformation digitale, je souhaiterais m’attarder sur la combinaison de nombreux facteurs socio-démo-éco-technologiques qui font que la transition numérique est devenue une évidence : pourquoi est-ce une question de survie maintenant alors que ça ne l’était pas réellement il y a quelques années ?
20 ans de maturation pour une transformation en profondeur
La première offre de connexion à internet pour le grand public a été lancée en juin 1994. Les contenus et services numériques auxquels nous accédons sont donc la résultante de plus de 20 ans d’évolution (À quoi ressemblaient les sites Internet en 1995). Pour vous donner une idée de l’ambiance de l’époque, je vous recommande le visionnage de ces deux reportages diffusés à la TV en 1995 ici et là.
Plus de deux décennies d’évolution qui couvrent différents aspects :
- évolution des usages avec une croissance constante des achats en ligne (cartographie du e-commerce en 2017), toujours plus de temps passé sur les médias sociaux (cf. mon dernier Panorama des médias sociaux ainsi que : en 4 ans, les internautes sont passés de 3 comptes sociaux à 7) et des habitudes de consommation média qui s’éloignent de la sacro-sainte TV (Évolution des modes de consommation des médias, Le temps passé avec les médias en France et YouTube has 1.5 billion logged-in monthly users watching a ton of mobile video) ;
- évolution des offres avec de nouveaux modèles économiques (commerce à l’abonnement, paiement à l’utilisation…) et de nouveaux canaux de distribution (streaming audio / vidéo, généralisation des plateformes de contenus et services…) ;
- évolution des supports avec l’avènement des smartphones qui dominent largement les terminaux alternatifs, mais préparent la montée en puissance des assistants personnels ainsi que de la réalité augmentée / virtuelle…) ;
- évolution des technologies (les logiciels en ligne qui s’imposent comme la nouvelle norme, les APIs et offres de cloud computing qui redéfinissent le paysage informatique, la généralisation des intelligences artificielles, des interfaces naturelles…) ;
- évolution des pratiques marketing et communication (programmatic buying, marketing automation, machine learning…).
Il y a donc eu une évolution sur quasiment tous les plans. Rajoutez à cela l’irrésistible montée en puissance des GAFA qui s’impose comme les nouvelles super-puissances (Les GAFA ne sont pas nos ennemis… mais méfions nous quand même !, Comment Facebook s’est transformé pour devenir le média dominant du XXIe siècle, Comment Amazon est en train de conquérir nos foyers et de s’imposer dans notre quotidien), ainsi que de nombreuses tensions économiques, écologiques, démographiques, sociétales… qui façonnent un quotidien reposant sur l’incertitude avec lequel il faut savoir composer (Quels outils et pratiques marketing dans un monde VUCA ?).
Nous sommes tous d’accord pour dire que cela fait beaucoup d’innovations et évolutions à assimiler en peu de temps. La résistance au changement en entreprise est au plus haut, mais heureusement, le départ à la retraite des enfants du baby boom va accélérer le renouvellement des actifs (Le “Papy boom” va connaître son pic en 2017).
Tout ce “sang neuf” qui débarque (et va continuer de débarquer) en entreprise permet de dépoussiérer les mentalités et de tourner définitivement la page du XXe siècle pour se projeter dans le XXIe siècle et ses projets de plus en plus fous (blockchainisation de tous les secteurs, mise au point d’interfaces neuronaux, conquête spatiale…).
Voilà pourquoi on parle tant de la transformation digitale depuis ces deux dernières années, car la pression n’a jamais été aussi forte pour accélérer la transition numérique, aussi bien au niveau des poids lourds de l’économie française (banques, compagnies d’assurance, industriels…) que des PME. Tous les facteurs cités précédemment se cumulent pour en décupler l’impact et faire de la transformation digitale LE chantier prioritaire des entreprises, MAINTENANT, pas dans 5 ans.
Les entreprises françaises sont-elles bien placées ? Oui et non
Il est toujours délicat de sortir un classement des meilleurs élèves en matière de transformation digitale tant le nombre de facteurs à prendre en compte est important. Il y a bien l’université de Tuft, en partenariat avec Mastercard, qui édite depuis plusieurs années leur Digital Evolution Index et fournit un bon cadre de référence, mais ça reste discutable.
Toutes ces données macro-économiques sont difficiles à interpréter au niveau de votre entreprise, aussi je vous propose plutôt de vous faire une idée de la situation avec l’augmentation des investissements (Boudée pendant 10 ans, la France retrouve enfin son attractivité auprès des étrangers) et le nouvel élan politique insufflé en Europe, notamment en Estonie (Is This Tiny European Nation a Preview of Our Tech Future?) ainsi qu’au niveau national (Pourquoi faut-il prendre au sérieux la “startup nation” du Président Macron ? et Edouard Philippe veut s’inspirer de l’e-administration de l’Estonie). En synthèse : il y a une très forte dynamique qui augmente de façon drastique la pression concurrentielle.
#EvolveOrDie
La bonne nouvelle est qu’il y a une véritable prise de conscience : d’après une étude du cabinet Umanis, 76% des entreprises pensent que la transition numérique est un chantier stratégique, et 56% pensent que la disruption doit venir de l’interne (Transformation Digitale : Où en sont les entreprises françaises?).
Le problème est qu’il y a un très gros écart entre le discours des patrons / managers et ce qu’en pensent leurs équipes. Le cabinet Capgemini a publié le mois dernier un rapport très instructif (The Digital Culture Challenge: Closing the Employee-Leadership Gap) où l’on apprend que 75% des dirigeants pensent que leur société a une culture centrée sur l’innovation technologique alors que ce sentiment n’est partagé que par 37 % des salariés. Vous noterez dans le schéma suivant que la France est le pays où l’écart est le plus fort (ouch !).
Le rapport met l’accent sur les réticences culturelles qui sont particulièrement fortes en France (re-ouch !) :
Outre ces réticences culturelles, c’est avant tout l’absence de vision qui ralentit la transformation digitale : les collaborateurs ne comprennent pas bien pourquoi ils doivent changer leurs habitudes et surtout vers quel modèle ils doivent s’orienter. En gros, on leur demande de “penser digital” ou de “faire plus de digital” sans ce ça s’inscrive dans une stratégie cohérente. La belle affaire…
Rassurez-vous, le rapport de Capgemini, n’est pas qu’un prétexte pour faire du French Bashing, puisqu’ils fournissent une liste des caractéristiques essentielles pour réussir sa transformation digitale :
- une vision centrée sur le client (et les collaborateurs) ;
- une forte capacité d’innovation ;
- des processus de décisions reposant sur une exploitation de la donnée ;
- une culture de l’ouverture et de la collaboration ;
- des réflexes numériques ;
- de la flexibilité et de l’agilité.
Nous sommes d’accord pour dire que tout ceci est très générique, mais ce rapport a le mérite de fournir une vision structurée et de s’inscrire dans la droite ligne des Exponential Organizations (cf. Quel modèle d’entreprise pour lutter contre l’uberisation ?).
Si l’on résume : la pression du marché n’a jamais été aussi forte et toutes les conditions sont réunies pour accomplir la transformation digitale de votre marque ou organisation. Il y a en revanche une réelle nécessité de travailler la vision (se transformer en quoi ?) et la feuille de route (définir les grandes étapes de la transformation). Une fois cette étape préliminaire accomplie, il convient de partager cette vision avec les collaborateurs (les faire adhérer au projet de transformation), et surtout de procéder à une refonte en profondeur des processus (Chez Air Liquide le digital transforme le cœur de métier et l’expérience employé), voire du lieu de travail (L’innovation n’est pas qu’une question de technologies).
Moralité : faire de la transformation de surface (du commerce en ligne au sein d’une filiale, sous-traiter l’organisation de hackathons, déléguer la mise en place d’un programme d’incubation de startups…) ne fera que repousser l’échéance. Pour être effective et sécuriser l’activité de votre entreprise, la transformation digitale doit s’opérer en profondeur, aussi bien au niveau de l’offre, que des méthodes de travail, que des mentalités.
A reblogué ceci sur Connected Doctors, les médecins connectéset a ajouté:
Excellent article de Fred CAVAZZA sur l’actualité de la #TransfoNum
Merci pour cette analyse de la transformation digitale que je trouve aussi pertinente que complète,
Aujourd’hui, les entreprises se trouvent face à un consommateur hyper-connectés et averti, ce qui n’était pas le cas auparavant. Elles doivent donc le séduire via internet en diffusant des contenus enrichissants et utiles.
Une vision synthétique des enjeux de la transformations digitales et des enjeux au sein des équipes. Merci
Bonjour et merci pour l’article. Vous avez tout à fait raison, c’est maintenant ou jamais.