Si l’on vous demandait quel est le principal intérêt du web, vous répondriez sans doute la possibilité de commander en ligne. Effectivement, le commerce en ligne est un des premiers usages numériques, la première source de revenus de géants comme Amazon ou Alibaba. Proposée quasiment depuis le lancement du web, la vente en ligne est une pratique qui au fond n’a pas beaucoup évolué. Ou peut-être que si. En fait cela dépend du point de vue de l’observateur. Quoi qu’il en soit, je vous propose de faire le point sur les usages, pratiques et enjeux.
20 ans de croissance et un véritable impact sur notre quotidien
Cette semaine, je suis à Barcelone à l’occasion de l’évènement Magento Live, la première conférence officielle depuis l’annonce du rachat par Adobe en début d’année (Adobe to acquire Magento for $1.68B). Cet événement est l’occasion pour moi d’étudier les dernières tendances, mais également d’aborder le sujet du commerce en ligne d’un point de vue macro.
Cela fait plus de 20 ans que le commerce en ligne existe. Deux décennies de croissance ininterrompue, qui ne représente aujourd’hui qu’une fraction du commerce global (plus ou moins 8% selon les pays), mais un secteur d’activité florissant (Cartographie du e-commerce en 2018) avec une progression à deux chiffres (European online sales grew by 11% in 2017, with still faster growth expected in 2018).
Le e-commerce n’est plus réservé aux biens culturels, car aujourd’hui, tout se vend en ligne : des brosses à dents aux voitures. Dans certains secteurs d’activité, les volumes de ventes sont gigantesques (27% of apparel sales are now online) avec un impact significatif sur le quotidien des consommateurs (How E-Commerce Is Transforming Rural China).
Le commerce en ligne a permis l’émergence d’empires industriels : Amazon en premier lieu (Amazon’s share of the US e-commerce market is now 49%, or 5% of all retail spend), mais aussi Ocado en Angleterre, Jumia dans toute l’Afrique, et bien évidement les géants asiatiques comme Alibaba, JD, Rakuten, Lazada… En synthèse : le commerce en ligne est un des piliers de notre économie, générant de nombreux emplois (plus de 180.000 boutiques en ligne recensées en 2018).
Des fondamentaux inchangés, mais de nombreux modèles alternatifs
Si l’on décortique un site de commerce en ligne, on se rend compte que le principe est quasiment le même depuis le début : une page d’accueil, des pages de catégorie, des fiches produit et un tunnel de commande. En ce sens, le commerce en ligne se contente de numériser le principe des catalogues de VPC, et propose essentiellement des évolutions incrémentales sur la présentation du catalogue (ex : rich commerce, sites à page unique…).
Ceci étant dit, le commerce en ligne ne se limite pas à des boutiques vendant des produits physiques, car il existe de nombreuses variantes de la formule de base qui ont été expérimentées au fil des années :
- les box mensuelles (Birchbox…) dont il existe même des comparateurs (ToutesLesBox) ;
- les sites de curation (Fancy, Uncrate…)
- les sites de sélections journalières (Woot, DailyLook…)
- la vente par abonnement (Diapers, Soap, depuis réintégrés à Amazon)
- les marketplaces qui fleurissent ces dernières années (Le plébiscite des marketplaces)
- les sites de ventes CtoC (VestiaireCollective)
- les sites de try & buy (TrunkClub, StichFix…)
- les services de conciergerie (Walmart’s new personal shopping service Jetblack launches in New York)
- et dernièrement le novelty commerce avec des sites / applications mobiles comme Wish qui affiche de très fortes ambitions (Shopping app Wish building an empire on $2 sunglasses to rival Amazon, Walmart).
La dernière catégorie est particulièrement intéressante, car elle est la quintessence de la mondialisation du commerce (mise en relation de consommateurs avec une ribambelle de fabricants chinois) et de pratiques commerciales radicales (certains produits sont gratuits, vous ne payez que les frais de port, sur lesquels ils font de la marge).
Cette liste n’est pas exhaustive, mais elle permet d’illustrer la diversité des pratiques et l’ingéniosité de certains modèles économiques. Il existe également d’autres modèles extrêmes, mais plus anecdotiques (cf. cet article publié en 2011 : À la recherche d’innovations d’usage pour le commerce en ligne). Sinon, l’essentiel des boutiques en ligne se contente de reproduire le modèle ancestral des catalogues VPC : une “simple” présentation des produits rangés dans des catégories avec un formulaire de commande.
Plus récemment, nous avons également vu apparaitre de nouvelles pratiques reposant sur des innovations technologiques comme les chatbots ou les assistants vocaux en essayant de nous faire croire que vraiment ce coup-ci ça y est, c’est la révolution (Five ways ecommerce is being revolutionized right now), mais au final, pas tant que ça (Surprise, no one buys things via Alexa). Attendez-vous à entendre ce même discours avec la blockchain et les véhicules de livraison autonomes…
Vous l’aurez compris, je n’adhère pas totalement à l’idée que le commerce en ligne se réinvente tous les ans en faisant table raz du passé, tout simplement car ce n’est pas le cas. Cependant, cela n’empêche pas les acteurs les plus audacieux de proposer des innovations low-tech particulièrement disruptives comme la livraison dans le coffre de votre voiture (Amazon will now deliver packages to the trunk of your car) ou directement dans votre réfrigérateur (Amazon’s in-home delivery service now supports eight smart locks).
Du côté des opérateurs du commerce en ligne, il y a par contre eu beaucoup de changements, notamment avec l’automatisation de la logistique initiée par Amazon et perfectionnée par d’autres (Welcome to the automated warehouse of the future et Chinese e-commerce giant JD has a new warehouse with only 4 employees).
Dans la série “optimisation”, certains gros acteurs sont passés maitres dans l’art de remonter la chaine d’approvisionnement et de procéder à une intégration verticale des catégories de produit les plus rentables, jusqu’à les dominer complètement (Amazon owns more than 90% market share across 5 different product categories).
Si une grande partie des e-commerçants téléchargent des outils open source comme Magento ou Prestashop pour les opérer eux-mêmes, signalons l’apparition il y a quelques années d’offres déléguées (Tout savoir sur la délégation E-commerce), mais dont on entend poins parler ces derniers temps.
Tous les chemins mènent à Amazon… et à Instagram
Celles et ceux qui suivent le sujet de près savent à quel point l’ombre d’Amazon plane de façon quasi permanente, telle une épée de Damocles au-dessus de la tête de tous les opérateurs de commerce en ligne. Et pour cause : ils sont partout et abreuvent régulièrement le secteur de nombreuses innovations (ex : subscription commerce, try & buy, boutiques sans caissiers…).
Sinon, les deux plus gros facteurs de changement observés ces 10 dernières années sont incontestablement le mobile et le social. Le mobile, car le smartphone permet de faire le pont entre commerce traditionnel commerce en ligne. Le social, car des plateformes comme Facebook, YouTube, Pinterest… ont révolutionné la façon de faire découvrir de nouveaux produits aux consommateurs.
Au fil des ans, de nombreuses tentatives ont été faites pour exploiter ces deux leviers d’innovation : des mini-boutiques intégrées à Facebook aux applications marchandes, mais elles n’ont pas survécu à la dure réalité du marché. Les choses semblent maintenant stabilisées avec l’intégration native de fonctions marchandes sur les applications sociales (Instagram, Facebook, Pinterest…).
Mobile et social semblent donc être le duo gagnant du commerce en ligne. Deux tendances qui se rejoignent naturellement puisque l’essentiel des contenus consommés et interactions sociales se font sur le mobile. Si l’on rajoute en plus de l’IA, ça nous donne la recherche visuelle : Snapchat lets you take a photo of an object to buy it on Amazon.
Cette fonction de recherche visuelle (que l’on trouve aussi chez Pinterest) est donc la dernière innovation majeure en date du commerce en ligne. Mais dans l’absolu, est-elle réellement révolutionnaire ? Dans l’absolu, c’est l’accès aux produits qui a évolué, mais sinon le principe reste le même : l’objectif est d’orchestrer la rencontre entre l’offre et la demande. Peu importe qu’elle se fasse en boutique, à travers un catalogue papier, un site web plus ou moins sophistiqué, une marketplace, une application mobile, un chatbot, un assistant vocal… ce ne sont que des interfaces entre les consommateurs et les produits.
Quels enjeux pour 2018-2019 ?
Toutes ces réflexions autour des fondamentaux du e-commerce (et du commerce) nous amènent immanquablement à réfléchir à l’avenir. Alors que plane depuis des années le spectre du No Shopping Challenge (These women tried to give up shopping in 2018, here’s what they did, The Calm Collective No Shop Challenge Breakdown) et que le législateur adopte de nouvelles règlementations (RGPD) et lois qui compliquent la tâche des e-commerçants (Le Sénat adopte une taxe sur la livraison des biens en ligne, variant selon la distance parcourue), l’avenir du commerce en ligne semble être entre les mains des plus gros acteurs. Non pas qu’ils aient le monopole des bonnes idées ou de la créativité, mais le commerce en ligne est une activité à très faible marge. Or, pour innover, il faut du cash. Les acteurs historiques qui ont développé d’autres sources de revenus (ex : Amazon avec AWS) ou bénéficient de financement d’une holding (ex : CDiscount avec Casino) ont logiquement une longueur d’avance qu’ils peuvent exploiter pour investir en matériel (automatisation) ou en R&D.
Sur ce dernier point, il y a évidemment une grosse marge de progression qui peut être réalisée grâce au machine learning, notamment pour améliorer la précision du ciblage et la personnalisation des offres et contenus. Nous parlons bien ici de personnalisation individuelle : de générer des versions uniques des pages d’entrée, page d’accueil, pages de catégorie, listes de résultats de recherche… pour chaque visiteur en fonction de leur historique d’achat, profil ou comportement. La personnalisation n’est qu’une des facettes de l’utilisation de machine learning appliqué au commerce en ligne (cf. Beyond Chatbots: 40+ Commerce Startups Using AI To Style Shoppers, Adjust Pricing, Track Behavior, And More), et heureusement il existe un écosystème très riche de startups pour aider les commerçants de n’importe quelle taille à se différencier.
Les deux gros chantiers des prochaines années sont donc la R&D au service de la performance (Big Data, IA…) et le rapprochement entre commerce physique et numérique, j’ai nommé le commerce phygital. Dans ce domaine-là, il n’y a pas de mystère : seuls les plus gros acteurs peuvent se permettre d’investir et de prendre des risques. Ce sont donc logiquement les acteurs historiques du commerce de détail qui s’illustrent, notamment Walmart avec des rachats spectaculaires opérés ces dernières années: Walmart completes its $16 billion acquisition of Flipkart et Walmart goes after city folk with rebrand of Jet.com.
Sinon pour les autres, la compétition va être très rude, car il n’existe pas de recette miracle pour distancer la concurrence. Au final, les commerçants sont toujours confrontés au même problème : comment maintenir la qualité de service et la performance dans un environnement concurrentiel où le nombre de clients est constant, mais le nombre de canaux, le bruit et le degré de sophistication augmentent sans cesse ? C’est là l’équation impossible qu’il va falloir résoudre pour se développer. Sachant qu’avec plus de 85% de taux de pénétration, nous sommes dans un jeu à somme nulle : pour gagner un client, il faut le prendre à un concurrent. Seuls les meilleurs survivront : les plus malins, les plus agiles, les plus créatifs, les plus audacieux…
J’espère que les conférences des prochains jours vont nous apporter une vision éclairante. Je publierai mon compte-rendu en fin de semaine.
Synthèse intéressante.
C’est comme dans tous les secteurs plus il y a de monde moins il y a de place :) et plus les marges baissent.
Je fais la même conclusion, il n’y a que les gros qui vont pouvoir s’adapter…
A mon avis l’année 2018 c’est le commencement du déclin du nombre de e-commercant (enfin je fais le pari).
Wish c’est vraiment le focus sur tout ce qui ne va pas : Du C2C (China To Consumer)
Quelqu’un pourrait me dire comment c’est possible d’avoir une commande (unitaire) qui vient de Chine et qui passe par la Poste (Française) avec si peu de frais !!!???? Oh pas la peine de réfléchir trop longtemps.. surrement un accord de La Poste avec la Chine… BRAVO !!
Et pourquoi ne parle t’on pas des copies de marques sur Wish ?! Des copies de Licence… des copies en tout genre.. c’est vraiment un problème qui devrait être pris + au sérieux.. c’est bien beau de dire que Wish a trouver un nouveau model.. je glousse…
Et tout reste IA.. personnalisation… pfffff je crois vraiment que ce n’est qu’un détail… Amazon et Wish prouve simplement que le PRIX EST ROI !!!
:)
“Sinon, l’essentiel des boutiques en ligne se contente de reproduire le modèle ancestral des catalogues VPC : une « simple » présentation des produits rangés dans des catégories avec un formulaire de commande”
Avec une image du bon de commande de la Redoute ?
Vous êtes sûr de l’association ?
Allez visiter le site de @LaRedouteFr ?
Prenez contact avec @Nathalie_Balla Elle vous comment 90% du (presque) milliard de CA est fait en ligne
Oui je sais, mais d’un point de vue fonctionnel, une boutique en ligne ne fait que numériser la VPC : une page d’accueil (la couverture), des pages de catégorie (les chapitres), des fiches produit (le détail des produits) et un tunnel de commande (le formulaire).
L’illustration est là pour noter la similarité entre bon de commande et tunnel de commande en ligne.
Bon article merci. J’ajouterais Pinterest pour le social shopping et l’usage du machine learning pour prévoir le réassort côté logistique.
Un article très complet ! Le screen d’Amazon dans ses premiers jour m’a rappeler de vieux souvenirs ^^