Compte-rendu MagentoLive 2018 et tendances e-commerce

Cette semaine j’étais à Barcelone pour l’édition 2018 de la convention MagentoLive. Cette convention a été l’occasion de faire de nombreuses rencontres avec des pros du e-commerce et d’avoir des discussions très intéressantes sur les tendances et l’évolution des pratiques, dont je vous propose un compte-rendu.

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Le rachat de Magento et la feuille de route d’Adobe

Initialement développée par l’agence Varien, Magento est une solution de commerce en ligne très populaire lancée il y a déjà 10 ans. Rachetée par Ebay, puis par un fond d’investissement, la société a finalement été absorbée par Adobe en début d’année pour l’intégrer dans son Experience Cloud. Pour vous la faire simple, Magento est en quelque sorte le WordPress du commerce en ligne, c’est une solution open source qui est également disponible en version Entreprise et en SaaS.

Il existe un certain nombre de solutions concurrentes sur le créneau du commerce en ligne avec des solutions open source (osCommerce, WooCommerce, ZenCart, OpenCart, Drupal Commerce, Prestashop…), des solutions hébergées pour les PME (Shopify, Wix, BigCommerce, Squarespace…), des solutions commercialisées par de gros éditeurs (Websphere par IBM, Hybris par SAP, DemandWare par SalesForce, GSI Commerce par Ebay…) ou encore d’autres par des éditeurs spécialisés (Intershop, Elastic Path, Digital River…). Toutes ces solutions forment un écosystème dense (cf. le Magic Quadrant for Digital Commerce de Gartner), mais Magento reste la coqueluche des développeurs PHP avec une communauté de 350.000 développeurs dans le monde.

Gartner-eCommerce-MQ-2018

Le crédo de Magento est “Change commerce through digital experience“. Le rachat par Adobe semblait donc logique, car les deux sociétés partagent la même culture de l’expérience client (Adobe to acquire Magento for $1.68B). Le CEO d’Adobe avait d’ailleurs fait le déplacement à Barcelone pour nous expliquer sa vision sur le rachat : Adobe s’est fait une spécialité dans les outils de création, gestion et mesure des contenus. Avec le rachat de Magento, ils ajoutent maintenant la possibilité de monétiser les contenus. L’intégration entre les deux éditeurs se fait de façon naturelle : les données en provenance du marketing cloud d’Adobe servent à personnaliser l’expérience (After its acquisition, Magento starts integrating Adobe’s personalization and analytics tools).

Vous noterez qu’avec le rachat très récent d’un acteur majeur du marketing automation (With Marketo mega-deal, Adobe’s reach just got a whole lot wider), l’éditeur originel de Photoshop et PDF ambitionne de rejoindre le club très prisé des décacornes (Adobe could be the next $10 billion software company).

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Au sujet de l’expérience client, le patron d’Adobe fait un parallèle intéressant avec la loi de Moore : comme il y a toujours plus de puissance dans les terminaux numériques, les consommateurs s’attendent à des performances toujours plus élevées ; de même, comme certains leaders proposent une expérience toujours plus riche (ex : Amazon, Zappos, Disney…), les marques doivent investir pour améliorer l’expérience qu’elles proposent à leurs clients afin de ne pas se faire distancer.

Enfin, les patrons respectifs de Magento et Adobe ont évoqué les deux gros enjeux du e-commerce : d’une part l’intégration (car les annonceurs utilisent de nombreuses solutions SaaS dans leur marketing stack qui éparpillent les données des clients) et d’autre part, l’explosion des terminaux mobiles et alternatifs (ex : smartphones, tablettes, kiosques…). Magento a d’ailleurs fait le choix des PWA, l’évolution naturelle du responsive design (cf. Pourquoi les Progressive Web Apps sont la seule alternative viable aux applications natives).

Les évolutions majeures du commerce en ligne

Dans un article précédent, j’avançais l’idée que depuis la généralisation de l’accès au web et l’apparition des premières boutiques en ligne, le e-commerce n’avait pas beaucoup évolué dans la mesure où les boutiques en ligne sont fonctionnellement les mêmes qu’il y a 20 ans (cf. Rétrospective sur les grandes évolutions du commerce en ligne). J’ai eu l’occasion de confronter cette idée avec Mark Lenhart, le SVP Strategy & Growth de Magento, et s’il est grosso-modo d’accord (on retrouve effectivement toujours une page, d’accueil, des pages de catégories, des fiches produit, un tunnel de commande…), l’environnement concurrentiel et le contexte général du secteur ont tout de même pas mal évolué. L’argument principal avancé est que le commerce en ligne est une discipline assez jeune : seulement deux décennies de pratique, ce qui est très peu comparé au commerce physique “moderne” qui est apparu il y a plus de 150 ans avec les premières succursales et grands magasins (Au bonheur des dames de Zola a été publié en 1883). Pour la petite histoire, sachez que la première commande en ligne a été faite par un journaliste du NY Times en 1994 (Attention Shoppers: Internet Is Open).

Pour bien analyser l’évolution du commerce en ligne, il faut faire le distinguo entre les boutiques en ligne grand public et le marché des entreprises. En ce qui concerne le BtoC, voici les principaux faits marquants de ces dernières années :

  • Un abaissement des barrières à l’entrée avec d’une part des solutions technologiques beaucoup plus simples à mettre en oeuvre (notamment les offres SaaS comme Shopify et les prestataires dédiés à la logistique), et d’autre part, la possibilité offerte par des plateformes sociales comme Instagram de développer sa notoriété assez rapidement. Ceci a favorisé l’émergence de micro-marques ou d’offres auto-financées par la communauté via Kickstarter ou Indiegogo.
  • L’évolution des mentalités, aussi bien chez les clients (qui consomment indifféremment en et hors-ligne) que chez les distributeurs (qui ne font plus l’erreur de scinder commerce en et hors-ligne). Il en résulte le fait que l’omni-canalité soit maintenant la norme. Ceci étant dit, le commerce physique est loin d’être condamné puisque les professionnels de la distribution estiment que la part des transactions en ligne ne dépassera pas la moitié du total des transactions, même sur le long terme (rappelons que la moyenne mondiale est à 8%).
  • La multiplication des canaux numériques, notamment avec la généralisation des marketplaces. L’intégration de flux de données entrants et sortants est une capacité indispensable à la survie d’un e-commerçant.
  • Les géants asiatiques qui ont une influence non négligeable sur le secteur (Alibaba, Rakuten…) et affichent de grosses ambitions pour conquérir les marchés occidentaux (Amérique du Nord, Europe…).
  • Nous disposons aujourd’hui de beaucoup plus de données pour pouvoir personnaliser les offres et contenus. Malheureusement, cette tendance risque de s’inverser avec la RGPD et la prochaine version de la directive e-Privacy, au profit des GAFA (GDPR has cut ad trackers in Europe but helped Google, study suggests). Certes, la nouvelle règlementation protège les internautes, mais elle complique la tâche des distributeurs, car avec la généralisation des smartphones, la surface d’affichage moyenne a diminué de façon drastique (moins de pixels à exploiter), il devient primordial de pouvoir personnaliser les messages et offres pour pouvoir s’aligner sur les exigences des consommateurs. Hors, sans données personnelles, ça n’est pas possible.
  • Enfin, la montée en puissance des interfaces vocales et assistants personnels qui vont forcer les distributeurs à complètement revoir leur approche en passant d’une logique d’abondance (référencer des millions de produits via une marketplace) à une logique d’assistance (mieux cerner les besoins des consommateurs pour limiter au maximum le nombre de produits proposés, idéalement un seul).

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Tous ces facteurs de changement se combinent en un environnement concurrentiel effectivement très différent de ce qu’il était il y a seulement quelques années. Pour ce qui est du BtoB, la situation est très différente car nous sommes dans une discipline encore plus récente et qui présente de nombreuses spécificités :

  • Il n’y a pas de boutiques ou de centres commerciaux dans le milieu professionnel (ni de pub TV d’ailleurs). Il est donc plus compliqué de créer et entretenir une marque.
  • Nous ne sommes passés des commandes par téléphone et fax aux marketplaces BtoB qu’il y a quelques années, le secteur ne bénéficie donc pas de la même maturité que le BtoC.
  • Il peut y avoir de grosses différences d’un client à un autre dans la formulation de l’offre, notamment en ce qui concerne les prix (remises sur volume), les frais d’expédition, le passage de commande (il peut y avoir de nombreuses étapes de validation avec plusieurs interlocuteurs pour les grands comptes)… d’où la nécessité de pouvoir personnaliser l’interface (afficher plus ou moins d’informations) et les offres (en fonction du profil du client).
  • Les cycles de vente peuvent être très courts (renouvellement de fournitures) ou très longs (notamment dans l’industrie ou l’administration), d’où l’intérêt de coupler une solution de e-commerce BtoB avec de l’Account-Based Marketing.
  • Les modèles en BtoBtoC se multiplient avec des industriels qui essayent de développer une relation directe avec les consommateurs (via les médias sociaux) et même à contractualiser en direct (ex : EviansChezVous, Casper et toutes les autres marques de matelas qui sont traditionnellement vendus par des distributeurs spécialisés).

Moralité : si le principe de boutique en ligne n’a pas beaucoup évolué, les pratiques de commerce en ligne ont grandement gagné en sophistication.

Hyper-personnalisation, LA killer app du commerce en ligne

S’il y a bien une pratique qui revient systématiquement dans les discussions, c’est la personnalisation. D’une part, car les distributeurs ont à leur disposition beaucoup plus de données, et d’autre part, car ils peuvent maintenant exploiter des solutions industrielles pour pouvoir faire de la personnalisation à la volée à un niveau individuel.

À ce sujet, j’ai pu assister à une conférence très intéressante de Nosto, un fournisseur de briques technologiques qui était accompagné de son client, ToolStop, une boutique de produits de bricolage en Angleterre.

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Il y avait dans leur retour d’expérience des choses très intéressantes :

  • Plus le nombre de versions de votre boutique en ligne est proche du nombre de visiteurs, meilleures seront les chances de conversion (d’après eux, c’est mathématique) ;
  • La personnalisation peut se faire sur d’innombrables critères (le profil de l’internaute, son comportement, son état d’avancement dans la prise de décision d’achat…) et peut même se faire sur des choses très basiques comme l’emplacement géographique (qui va faire varier les frais de port) ;
  • Les consommateurs sont presque systématiquement fidèles à une marque, leur préférence de marque est donc une information critique à récupérer le plus vite possible, notamment pour pouvoir personnaliser le haut de page (bandeau de navigation, mises en avant dans le menu et les carrousels…) ;
  • Il faut savoir faire preuve de pragmatisme pour transformer les visiteurs inconnus (notamment en leur proposant LE produit star du catalogue) afin de récolter un maximum d’informations sur eux et pouvoir leur faire des offres ciblées ;
  • Les solutions de personnalisation proposées sur étagère permettent de faire des gains de performance tout à fait réels et durables si elles sont correctement paramètrées (-5% de taux de rebond, +5% de panier moyen…) ;
  • Les solutions exploitant le machine learning autorisent un niveau de personnalisation et une précision bien supérieurs à ce que peuvent faire les humains (en plus, elles ne dorment pas ou ne sont jamais malades).

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Les grincheux pourraient me dire qu’il n’y a rien de neuf dans ce discours, que ce n’est que du bon sens. Soit, effectivement, mais ça fait toujours du bien de le rappeler.

Les enjeux du commerce en ligne pour 2019

Pour conclure ce compte-rendu, je vous propose une liste des grands enjeux du e-commerce qui ont été abordés au cours des deux jours :

  • La confiance. Il ne se passe pas une semaine sans que l’on découvre une nouvelle faille de sécurité, un piratage à grande échelle ou une cyberattaque. Inutile de dire que le contexte est plutôt tendu et que la confiance est une denrée très rare, donc précieuse.
  • La performance. Là encore, je pense ne rien vous apprendre en disant que les outils et pratiques ne cessent de progresser, surtout avec la maturation des solutions de martech et d’intelligence artificielle. La question n’est plus savoir si l’utilisation de ces solutions présente un intérêt, mais plutôt de faire preuve d’agilité pour ne pas se faire distancer par la concurrence (nous passons ainsi d’une logique de ROI à une logique de RONI, Risk of Non Investment).
  • La rentabilité. Idem, je ne vous apprendrais rien en disant que la multiplication des canaux et la fragmentation de l’attention compliquent considérablement la tâche des annonceurs, donc augmentent les coûts d’acquisition et de fidélisation. D’où l’intérêt d’automatiser un maximum de choses dans le parcours client et d’avoir recours aux dernières solutions de machine learning pour grappiller quelques % (notamment pour tout ce qui touche au ciblage ou à la lutte contre la fraude).
  • Simplicité et fluidité. Plus personne n’a le temps ou l’envie de faire des efforts. Chaque seconde perdue dans le parcours d’achat représente du C.A. ou de la marge qui s’évapore. Il est donc essentiel de se remettre constamment en question pour tenter d’améliorer l’expérience et de réduire au maximum les frictions (ex : adopter les systèmes de paiement des GAFA pour raccourcir le tunnel de commande).
  • Les données, qui sont la matière première du XXIe siècle. Vous devez impérativement mettre en place une architecture modulaire vous permettant d’échanger des données en permanence, car l’important n’est pas de vendre sur votre boutique, mais de vendre vos produits, peu importe où (sur Instagram ou YouTube, Amazon ou une autre marketplace…). Ceci nous amène immanquablement à envisager un découplage du front-office (la boutique en ligne) et du middle-office (le système marchand). Sur le même principe que les Headless CMS, certains envisagent des solutions de Headless Commerce passant par une structuration formelle des données sur les produits par l’intermédiaire d’un PIM (Product Information Manager). Oui c’est pointu et technique, mais c’est visiblement l’avenir.

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Voici l’essentiel de ce que j’ai retenu de ces deux jours de conférences et discussions. Deux journées très enrichissantes, qui m’ont aidé à y voir beaucoup plus clair sur les tendances et l’évolution du commerce en ligne.

Et si vous vous demandez pourquoi la mascotte d’Iron Maiden est utilisée dans l’illustration de l’article, c’est parce que le chanteur iconique du groupe était invité sur scène pour parler de sa carrière de pilote d’avion (véridique !) et de ses nombreuses aventures entrepreneuriales : Iron Maiden’s Bruce Dickinson steals the show with an inspirational keynote.

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Assurément la vedette de l’édition 2018 de la convention ! Vivement l’édition 2019, qui sait, peut-être avec Scott Vogel ou Kevin Sharp en guest speaker

7 commentaires sur “Compte-rendu MagentoLive 2018 et tendances e-commerce

  1. Il n’y pas pas de bouleversement technologue, juste l’habitude des gens qui évolue et qui demande tout pour le même Prix.. et si c’est gratuit c’est encore mieux :)
    grappiller quelques %, et oui l’e-commerce (à part Amazon) en est là en 2018

    C’est le combat de DavidVsGoliath, Amazon sort son système de Personnalisation et des SaaS essayent de le copier… sauf que Personne ne se dit que Amazon est unique.. et que de calquer leur Pratique n’a pas énormément d’intérêt.. Si on prend l’exemple de la personnalisation ca n’a d’intérêt que lorsqu’on a énormément de produit de la même “catégorie”.. Après si c’est peu chère la mise en place d’une Personnalisation de type SaaS.. why not…

    Mais bon les boites qui proposent des offres SaaS dans le e-commerce font ce quelle peuvent.. pour moi la vraie avancée de ces dernières années c’est Amazon Choice.. mais Personne n’en parle alors je dois me tromper AHAHA..

    Merci pour l’article… j’ai bien fait de rester chez moi ;)

      1. Amazon à été toujours très fort pour donner pleine satisfaction à ses clients… qu’il connait très bien !
        Et le Client à confiance en Amazon Car Amazon lui a fourni pour peu chère TOUT avec un SAV au top et des délais de livraison très bon !!!!
        Amazon à une vue globale sur les ventes, les stocks, les prix, la qualité (retour client).. et donc Amazon peut facilement (pas besoin d’IA !!) sélectionner des produits qui vont à 80% être “bon pour le client”…

        Le Client fainéant (on tend tous à l’être..) n’a plus envie d’analyser les caractéristiques des produits, des prix… bref il va faire confiance à Amazon’s Choice ! Et il aura RAISON !

        Et donc la guerre va se situer à ce niveau… Comment être dans la liste des produits Amazon’s Choice ?
        Réponse : en proposant le meilleur Produit !!

        La prochaine guerre est là.. évidement on pense aussi aux enceintes connectées.. qui utilisera une sorte d’Amazon Choice… bref c’est juste le nerd de la guerre qui à débuté y a plus d’un an… d’autres questions peuvent être creusées comme le coté juridique et commerciale d’une telle pratique.. le coté étiques, le coté uniformisation des individus…

        Et ce n’est que le début… évidemment quand on parle de personnalisation comme avenir et que du coté d’Amazon on est dans un phénomène inverse, il y a de quoi se poser des questions sur la vision des experts du secteur..

        bref Bon Week End

  2. Super debrief. Très intéressant, Nosto, je ne connaissais pas.
    Pour la petite histoire, je suis allé visiter leur site, depuis mon Mac. 2mn après (mais vraiment 2mn, hein), j’ouvre l’app LinkedIn sur mon iPhone. Boom, un post sponsorisé Nosto…

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