Après deux mois de confinement, nous connaissons maintenant les grandes lignes du déconfinement : il sera progressif et conditionnel. C’est effectivement un peu décevant, mais il reste encore beaucoup d’incertitudes que malheureusement personne n’est capable de clarifier. Il en résulte des conditions de reprise d’activité très incertaines qui vont forcer les entreprises et organisations à faire preuve de la plus grande souplesse pour pouvoir réagir vite si elles veulent espérer passer l’année. Un changement nécessaire de mentalités, de méthodes et d’outils qui seront essentiels pour traverser cette période trouble et se préparer au COVID-20.

C’est déjà le quatrième article que je publie sur le sujet de la transformation digitale dans le contexte du COVID : 40 ans de progression des usages digitaux pour atteindre une forme de résilience numérique, Accélérer sa transformation digitale pour s’adapter au jour d’après et Le smartphone sera le sésame du déconfinement. Il faut dire que cette période est propice aux remises en question et prises de hauteur (Why The World has Needed the Coronavirus).
Dans la mesure où je travaille dans le milieu de l’internet depuis plus de 20 ans, j’ai comme une déformation professionnelle qui me pousse à aborder cette crise par le prisme du numérique. Ceci explique, en partie, cette série d’articles. L’autre partie de l’explication, beaucoup plus simple, est que jusqu’à preuve du contraire, le numérique est le seul outil à notre disposition pour relancer l’économie d façon rapide, massive et coordonnée. Car non, il ne suffira de travailler plus dur, comme pendant la crise financière de 2008, mais plutôt de travailler mieux. Toute la difficulté de cet exercice est que ce “mieux” est subjectif, car il y a énormément d’incertitudes et de facteurs exogènes que nous ne maitrisons pas, en plus des autres ! (cf. Global Uncertainty Related to Coronavirus at Record High)

La dure réalité, celle à laquelle nous avons du mal à nous résigner est que nous avançons en territoire inconnu dans la mesure où il n’y a jamais eu de situations équivalentes dans l’histoire contemporaine. Puisque nous ne pouvons pas anticiper l’avenir avec les événements passés, il n’y a plus de place pour l’intuition ou l’expérience, car le contexte de marché auquel nous allons devoir faire face est une première dans l’histoire de l’humanité : un arrêt brutal de l’activité suivi d’une reprise progressive.
Les prochains mois vont être particulièrement critiques pour bon nombre d’entreprises, car la consommation sera fébrile, la trésorerie au plus bas et la contestation plus forte que jamais (le droit de retrait sera l’arme ultime des syndicalistes et opposants). Dans ce contexte, chaque mauvaise décision ou inaction sera potentiellement fatale.
La donné au coeur de la gestion de la crise
Comme la majorité des Français, vous devez passer beaucoup de temps sur les médias traditionnels et en ligne pour essayer d’en savoir plus sur ce qui nous attend. Et comme moi, vous devez très certainement ressentir de la frustration, car plus vous y consacrez du temps et moins vous en savez. Le problème est que les médias nous livrent de nombreuses informations et avis, souvent contradictoires, qui sont le reflet du déficit de connaissances des journalistes et commentateurs en matière d’analyse des données. Certes, il y a la pression des plateaux TV et l’injonction de produire des contenus pour remplir l’antenne, mais ça ne justifie pas les nombreuses contre-vérités et approximations qui sont livrées sans filtre au grand public
La donnée est la matière première de toute analyse, mais contrairement à la croyance populaire, la donnée n’est pas impartiale, elle doit être mise en contexte et interprétée. Le problème est que nous sommes abreuvés de chiffres et courbes (nombre d’hospitalisations et de décès, taux de viralité…) qui sont d’habitude réservés aux initiées (moyennes sur 7 jours, projections…).

De nombreuses données sont effectivement à disposition (notamment sur WorldOmeter ou OurWorldInData), mais elles sont dures à décrypter, car cela nécessite un minimum de rigueur, d’esprit d’analyse et des connaissances de base en statistiques. Il en résulte des interprétations erronées et des avis biaisés, car livrés sous la pression médiatique. Je vous mets ainsi au défi de me dire si le schéma ci-dessous est plutôt encourageant ou pas :

Il y a donc cette abondance de données, d’une grande complexité, qui complique la tâche des commentateurs et des médias qui ont la fâcheuse tendance à vouloir tout simplifier. Un important travail pédagogique reste à fournir sur les différents indicateurs de la crise (ex : Coronavirus R0: Is this the crucial number?).
Il y a surtout un énorme problème de fiabilité des chiffres, car ils proviennent d’innombrables sources et n’ont pas été collectés avec les même méthodes ou la même rigueur (c’est le fameux troisième V des big data, “véracité”) : Des erreurs de comptage relevées dans la première cartographie du coronavirus.
Quoi qu’il en soit, il faut faire avec, car c’est le seul moyen pour se projeter et de définir des scénarios de sortie de crise. Même le Gouvernement s’en remet aux données issues du système médical (nombre de nouveaux cas, nombre de lits de réanimation disponibles…) pour piloter le déconfinement : reprise des cours, réouverture des bars et restaurants, reprise des compétitions sportives et évènements culturels… Particuliers, entreprises, institutions, gouvernements… sont tous logés à la même enseigne : ils s’efforcent de naviguer à vue en s’appuyant sur des hypothèses, projections et scénarios.

Il y a 26 siècles, Pythagore disait : “Les nombres gouvernent le monde”. Cette assertion est toujours valable, et d’autant plus en cette période dominée par l’incertitude et la complexité.
COVID = VUCA²
Après deux mois de confinement, les esprits s’échauffent, car les professionnels comme particuliers aimeraient bien avoir des éléments tangibles pour organiser les prochains mois (ex : dates-clés et conditions de déconfinement). Problème, ces éléments tangibles ne sont pas fiables, car dépendant d’innombrables facteurs fluctuants. D’où le sentiment de frustration liée aux nombreuses incertitudes, avec en premier lieu, la période de vacances estivales.
Quand on y réfléchit, nous vivons en ce moment la quintessence d’un environnement VUCA :
- Volatilité, des pans entiers de l’économie peuvent rebondir ou s’écrouler en fonction des dates d’autorisations de reprise ;
- Incertitude, notamment sur les conditions de reprise progressive dans le commerce, l’éducation, les transports… ;
- Complexité, par exemple très peu sont ceux qui prennent le temps d’expliquer les enjeux des solutions de traçage numérique, car il est beaucoup plus simple de rejeter ce que l’on ne comprend pas ;
- Ambiguïté, avec de nombreuses vérités alternatives sur les facteurs aggravant ou limitant (ex : obésité vs. nicotine), les possibles traitements (ex : Chloroquine, Tocilizumab, Remdesivir…) et effets secondaires du COVID-19 (ex : maladie de Kawasaki).
Tout ceci ne facilite pas la tâche des autorités qui doivent orchestrer un déconfinement partiel qui sera soumis à de nombreuses conditions. Des conditions dépendantes de facteurs que nous ne maitrisons pas et que nous avons le plus grand mal à anticiper (ex : respect de la distanciation sociale dans les transports en commun). Il va donc falloir s’attendre à une reprise en dent de scie qui sera très probablement rythmée par des phases de reconfinement : La stratégie du “stop and go” face au Covid-19 : déconfiner pour mieux reconfiner ? et 10 choses à savoir sur Neil Ferguson, l’épidémiologiste que tout le monde écoute face au Covid-19.

Au moment où j’écris ces lignes, le reconfinement est une hypothèse plus que probable, comme c’est le cas au Japon avec une nouvelle fermeture des écoles, mais elle est redoutée, car elle nous ferait replonger dans l’incertitude (combien de temps et surtout combien de phases de reconfinement ?). Loin de moi l’idée de jouer les oiseaux de mauvais augure, mais comme précisé en début d’article, il faut se préparer à tout pour éviter de prendre de mauvaises décisions (cf. Beyond the Curve: How to Restart in the Wake of COVID-19).
Reconfinement ou pas, la période de déconfinement va probablement s’étaler sur de nombreux mois et risque de devenir la nouvelle norme pour les prochaines années, jusqu’à la disponibilité d’un vaccin fiable pour l’ensemble de la population mondiale. Dans ce contexte, les entreprises et organisations doivent impérativement changer de méthode pour maximiser leurs chances de survie :
- Exploiter la donnée pour réduire l’incertitude et pouvoir élaborer des hypothèses (Le numérique comme moteur de votre Plan de Reprise d’Activité) ;
- Accélérer leur transformation digitale pour bénéficier au plus vite des opportunités offertes par le numérique (6 chantiers de transformation prioritaires pour l’après-confinement) ;
- Augmenter leur agilité pour améliorer la réactivité (Les 12 principes à suivre pour devenir une entreprise agile).
Ce triptyque était tout à fait pertinent dans des conditions “normales”, il devient une nécessité en cette période de grande incertitude.
🦠 + 😱 + 😷 = Transformation + Data + Agilité
Si toutes les entreprises et organisations se sont plus ou moins accommodées de la phase de confinement en bricolant des solutions temporaires, la phase de déconfinement devra être abordée avec beaucoup plus de rigueur, car elle risque de durer plus que quelques semaines. Il ne sera ainsi plus question de prendre des commandes par email ou de remplacer des réunions par des visio-conférences, les conditions extrêmes de la reprise économique exigeront des changements plus profonds, notamment une accélération de la transformation digitale (De l’uberisation à l’accélération numérique) et l’abandon des dogmes hérités du XXe siècle (L’accélération numérique implique un changement de mentalités).
N’allez pas penser que la clé de l’accélération numérique réside essentiellement dans des solutions technologiques, car ça serait minimiser la résistance au changement, les mentalités toxiques (“Je suis le chef, j’ai de l’expérience, donc je sais ce qu’il faut faire“) ou les blocages culturels (“Si les ventes baissent, il suffit d’intensifier l’effort commercial pour compenser“).
⚠️ Spolier alerte : Non, stimuler les ventes avec des promotions ne vous aidera pas, au contraire. Les pratiques de direct-response advertising vont peut-être vous aider à relancer la machine à très court terme, mais elles ne feront qu’endommager la valeur perçue de votre offre et vous compliquerons la tâche à moyen et long terme.
Comme de nombreux observateurs, je me suis fait à l’idée que le Coronavirus est une sorte de cri d’alarme pour nous mettre en garde contre la sur-consommation. Cette crise mondiale est ainsi l’opportunité pour nous de revoir les priorités : l’important n’est plus d’augmenter les volumes (vendre plus), mais d’améliorer la valeur : produire mieux pour diminuer la consommation de resources, vendre mieux pour maintenir les marges, satisfaire mieux pour consolider la relation avec les clients. Selon cette optique, le numérique est le champ d’exploration qui offre le plus d’opportunités : Pourquoi l’intelligence artificielle ? Pour faire plus avec moins.
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Deuxième chantier de reprise : la data. Encore une fois, les pratiques de data science étaient parfaitement justifiées en période normale, elles sont vitales en cette période d’incertitude : intensifier l’exploitation de la donnée pour acquérir rapidement de nouveaux leviers compétitifs (La donnée est un enjeu majeur de l’accélération digitale) et développer de nouvelles capacités (Des entreprises augmentées aux entreprises exponentielles).
Problème : il faut du temps et des ressources pour mettre en oeuvre une stratégie data efficace, celle qui permet d’avoir un volume suffisant de données entrantes (le fameux data pipeline : Qu’est-ce qu’un pipeline de données ?) et des données de qualité (éviter le data swamp : The difference between a data swamp and a data lake? 5 signs).
Il conviendra de diversifier au plus vite les sources de données et d’adopter des méthodes de collecte plus rigoureuses, car non, les meilleurs algorithmes de machine learning ne pourront rien pour vous si la qualité des données n’est pas au rendez-vous.
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Troisième et dernier impératif : améliorer la souplesse et la réactivité de votre organisation. Ce qui n’est pas une mince affaire, car contrairement à l’image que l’on peut s’en faire, l’agilité ne s’acquiert pas en faisant des réunions debout ou en sautant l’étape du cahier des charges. Les préceptes agiles reposent avant tout sur la responsabilisation des collaborateurs et l’adaptation permanente au changement (Mythes et réalités de l’entreprise agile).
Problème : la majeure partie des entreprises sont encore dans un schéma organisationnel de type Command & Control qui laisse très peu de place à les responsabilités individuelles et à l’autonomie. Être une entreprise agile implique de faire confiance aux collaborateurs et d’accepter l’idée que l’on ne sait pas tout et qu’il faudra s’adapter au fil des mois. Exactement la situation décrite en début d’article !
Plus facile à dire qu’à faire, car l’essentiel de la valeur créé dans les entreprises est issu d’activités récurrentes, celles qui reposent sur de nombreux processus que personne ne sait ou n’a envie de faire évoluer. Attendez-vous donc à une très forte inertie de la part de collaborateurs et d’équipes encore traumatisés par les efforts que l’on a exigés d’eux après la crise financière de 2008. Il faudra déployer beaucoup d’énergie pour vaincre la résistance au changement et surtout la déresponsabilisation des salariés.
La bonne nouvelle est que… nous n’avons pas le choix !
Le point de bascule du 21e siècle
Même si les répercussions ont été dramatiques, les précédents événements majeurs à l’échelle de la planète n’ont pas provoqué de bouleversements majeurs : attaques terroristes du 11/09 ou la crise financière de 2008 n’ont pas exemple pas influé sur les comportements de déplacements (les 4*4 était le segment à plus forte hausse dans l’industrie automobile) ou de consommation (la fast fashion était à son apogée).
La crise sanitaire du Coronavirus sera assurément bien plus impactante et forcera les individus à revoir leurs priorités, ainsi que la société à se réinvente. Beaucoup parlent du jour d’après, vraisemblablement, il y a aura certes des changements irrémédiables dans nos façon de travailler, de nous déplacer, de consommer, de sociabiliser… mais des changements qui ne se produiront pas du jour au lendemain. De nombreuses nouvelles habitudes vont se mettre en place au cours des prochains mois, mais nous ne savons pas de quelle nature, à quelle vitesse et dans quel ordre. D’où l’obligation d’avoir une meilleure lecture du marché (data), de réagir vote à ces changements (agilité) et d’exploiter les outils et supports les plus pertinents pour s’adapter à ces changements (transformation digitale).

J’insiste sur le fait que les changements vont être massifs et spectaculaires, soit, mais nous n’avons aucune certitudes sur lesquelles bâtir des solutions, si ce n’est quelques scénarios d’extrapolation. Donc je reformule : la meilleure façon d’aborder les challenges de ces prochains mois est d’intégrer les interactions à distance (communication, commerce et collaboration en ligne), d’être à l’écoute du marché (exploitation intensive de la donnée) et de faire preuve d’un maximum de réactivité (agilité).
La question est maintenant de savoir si dans le cadre de votre entreprise / organisation vous allez faire partie du problème (résistance au changement) ou de la solution (adaptation rapide).