Voilà presque un an que la COVID-19 a fait son apparition en Asie. Certes, la crise du coronavirus a prit le monde de vitesse, mais vous n’avez maintenant plus d’excuses, car aucun retour à la normale n’est envisagé dans les prochains mois. Face à cette situation exceptionnelle, il convient de prendre des mesures exceptionnelles pour faire face aux contraintes et bouleversements liés au reconfinement. Toute la difficulté est que nous sommes dans une zone de turbulences qui empêche de définir une nouvelle stratégie, et que nous ne savons pas combien de temps cela va durer.

Nous vivons en ce moment une incroyable période d’incertitude et de volatilité. En attendant la mise à jour du World Uncertainty Index qui devrait être publié en fin de mois, le Economic Policy Global Uncertainty Index illustre à quel point le marché est instable.

Dans un tel contexte d’instabilité, les entreprises et organisations se retrouvent dans une situation très désagréable, car en l’absence de visibilité, il est très difficile de définir une nouvelle stratégie.
Ceci étant dit, il n’est pas non plus envisageable de continuer à opérer avec les mêmes objectifs, moyens ou organisations. Je vous propose donc de prolonger la réflexion initiée dans un précédent article (Du marketing de masse au marketing de résilience) pour vous inciter à passer de la planification stratégique à une approche plus tactique afin de maximiser votre capacité d’adaptation à ce marché extrêmement instable. Car au-delà des mots et théories, figurez-vous qu’il existe des méthodes et des outils pour y arriver.
Spoiler alert : vous n’atteindrez pas vos objectifs en 2020 (ni en 2021)
Dans un monde idéal, les entreprises et organisations formalisent une vision, définissent des objectifs et allouent des moyens pour les atteindre. Problème : la planification stratégique est inopérante dans le contexte de la COVID car le virus se moque de ce que votre patron à écrit dans son diaporama.
Ainsi, les objectifs fixés avant la COVID, ceux qui ne pourront jamais être atteints, sont à considérer comme un idéal contre-productif qui ne pourra que décourager les équipes (cf. Quand l’idéal est un fardeau: L’exemple de la notion d’Occident). Idem pour les moyens définis en fin d’année dernière : non seulement ils ne sont plus adaptés à la situation, mais en plus ils ont toutes les chances d’être désengagés pour cause de rigueur budgétaire.

Dans l’illustration précédente, les “Tactical Initiatives” sont dérivées des “Long Term Objectives”. Adapter les initiatives tactiques aux contraintes d’un quotidien sans-contact revient à mettre en oeuvre un nouveau plan d’action qui fait abstraction des précédents objectifs, du SWOT évalué en période de calme, des facteurs-clés de succès, des problématiques critiques… En résumé : travailler à l’aveugle.
Le problème, c’est que la très large majorité des entreprises sont encore pilotées selon le modèle Command & Control (souvenez-vous que même Zappos à abandonné son principe d’holacratie). Laisser les collaborateurs s’auto-organiser dans cette période d’incertitude sans un minimum de cadre présente un risque considérable. C’est un peu comme si vous imposiez du jour au lendemain à vos employés de travailler de chez eux avec les mêmes outils et circuits de décision !
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J’imagine qu’à ce stade de la crise de la COVID vous avez pu vous rendre compte par vous-même des limites du télétravail et surtout de l’incompatibilité des modèles de management traditionnels avec les nouvelles contraintes imposées par la crise sanitaire.

Dans la mesure où nous baignons toujours dans l’incertitude d’un reconfinement (local ou national, couvre-feu), du maintien des aides (chômage partiel) ou des aléas du quotidien (catastrophes naturelles, manifestations, scandales…), il faut revoir les objectifs et l’organisation pour se rapprocher non pas d’un idéal (la sempiternelle croissance), mais d’un processus (l’adaptation permanente).
Nous parlons bien ici de mettre en place une organisation temporaire qui va permettre à votre entreprise ou organisation d’absorber les chocs et de s’adapter en attendant une éventuelle accalmie.
La résilience est votre seule et unique priorité
Croyez-le ou non, mais il n’y a aucune certitude quant à la pérennité de votre activité ou de la mienne : potentiellement, tous les professionnels sont exposés à court terme au risque de faillite. À moins que vous bénéficiez d’une avance de trésorerie d’au moins deux ans, il convient d’abandonner tout espoir de retour à la normale rapide et de se concentrer sur le présent : inutile de vous projeter à 5 ou 3 ans, l’important est d’assurer la subsistance de votre activité pour le prochain trimestre et éventuellement le suivant. Au-delà de ces deux échéances, la planification stratégique relève de la divination ou du fantasme.
Maximiser la capacité de résistance et d’adaptation d’une entreprise ou organisation qui n’a jamais connu de crise de cette ampleur requiert un changement de mentalité. À ce sujet, je rebondis sur un autre article de Philippe Silberzahn : Contre la tyrannie de l’idéal: Agir localement dans un monde incertain. Cette approche “locale” est parfaitement adaptée à ce que nous vivons en ce moment : des restrictions physiques et temporelles appliquées à l’échelle d’une ville ou d’un département qui neutralise donc tout raisonnement national.

Ceci m’amène à faire le lien avec le marketing de résilience et les deux moteurs de cette logique : le pragmatisme et l’effectuation. J’imagine que vous connaissez le premier terme, mais pas forcément le second. Je vous propose donc une rapide explication sémantique pour bien appréhender la pertinence de ces termes.
Le pragmatisme est une doctrine selon laquelle n’est vrai que ce qui fonctionne réellement. Selon son fondateur, Charles Sanders Peirce, l’école philosophique du pragmatisme est plus une attitude qu’un ensemble de dogmes. Le mot “pragmatisme” vient du grec “pragma” (le résultat de la “praxis”, c’est à dire l’action en grec). Adopter une attitude pragmatique signifie être proche du concret, de l’action, par opposition à l’abstraction, la réflexion ou la projection. En synthèse : le manager pragmatique est celui qui raisonne à courts à courts termes et sans à priori (seuls les résultats comptent).

L’effectuation est une vision pragmatique du management. La théorie de l’effectuation remonte aux travaux de Frank Knight, le fondateur de la première école de Chicago, et a été formalisée avec la chercheuse Saras Sarasvathy qui a modélisé au début des années 2000 le processus de prise de décisions des entrepreneurs à succès : ne pas partir d’un but précis, mais plutôt des ressources qui sont à disposition. Ainsi, avec l’approche classique, on part d’un objectif et on en déduit les moyens nécessaires. Avec l’approche effectuale, on part des moyens et on en déduit des objectifs atteignables pour le prochain trimestre / semestre.
Les grands principes sur lesquels s’appuient la démarche effectuale sont les suivants :
- démarrer avec ce que l’on a ;
- limiter la prise de risque ;
- faire preuve d’opportunisme ;
- accepter que l’on ne sait pas prédire l’avenir et qu’il va falloir s’adapter à son environnement.

Je ne sais pas pour vous, mais ces grands principes me semblent tout à fait dans l’ère du temps. D’autant plus que si vous travaillez dans le numérique, ils ne doivent pas vous être totalement étrangers.
Adopter des méthodes qui ont fait leurs preuves
Comme déjà dit dans un précédent article, la COVID est le parfait “stress test” pour éprouver la robustesse de votre organisation et surtout sa capacité d’adaptation (Une rentrée sous le signe de la résilience numérique).
Il existe différentes méthodes liées au numérique qui sont particulièrement adaptées à cette période d’incertitude et s’insèrent tout à fait dans l’approche pragmatique prônée par l’effectuation :
- Lean UX qui place les besoins des clients au centre de l’offre. Avec cette approche, il n’est pas question de faire un gigantesque travail de recherche, mais de partir sur des hypothèses facilement vérifiables et de s’appuyer sur les feedbacks des utilisateurs pour itérer rapidement et se concentrer sur la création de valeur.
- Agilité, avec un ensemble de méthodes dites “agiles” qui favorisent les cycles de développements courts afin d’éviter l’effet tunnel en procédant à des livraisons régulières. Selon ces méthodes, il n’est pas question de lancer le projet informatique du siècle, mais de construire une base et de procéder à des améliorations continues.
- Growth hacking qui réunit différents profils (marketing, communication, commercial…) travaillant de concert pour générer une croissance rapide en procédant à une succession de tests / apprentissages.
Si l’on combine ces trois approches et que l’on y associe les grands principes de l’effectuation, on obtient des équipes transverses qui sont autonomes et opérationnelles dans leur capacité à définir et mettre rapidement sur le marché des offres adaptées aux contraintes du moment.
Il n’est ainsi pas question de revoir intégralement les produits et les canaux de distribution pour mettre au point le modèle de référence pour les 20 prochaines années, mais de faire preuve de pragmatisme et d’opportunisme en partant de l’existant et des moyens disponibles. Rien qu’en appliquant la logique du groupage / dégroupage, il y a tout un tas de nouvelles offres qu’il est possible de concevoir et de distribuer en ligne avec une approche Direct-to-Consumer. Parfait exemple de cette démarche : les offres d’abonnement vendues en ligne depuis peu par Royal Canin.

Le cas de Royal Canin est particulièrement intéressant, car il a été mis en oeuvre en 3 semaines. Si l’on reprend les méthodes citées précédemment, il serait possible de définir le séquençage suivant :
- 1 semaine pour détecter un besoin non-couvert ou une opportunité, concevoir une offre et la faire valider par la hiérarchie (la lean startup appliquée à une entreprise traditionnelle) ;
- 1 semaine pour prototyper et réaliser les supports numériques nécessaires à la commercialisation DTC (site web, application mobile… grâce aux outils no-code) ;
- 1 semaine pour réaliser les premières ventes, récolter des feedbacks de clients et optimiser le dispositif (growth hacking).
Est-ce là l’avenir du marketing : créer et commercialiser une offre en 3 semaines ? Non, mais c’est assurément la démarche qui va vous permettre de minimiser la casse pendant cette période trouble. La mise en oeuvre d’une telle démarche n’est néanmoins pas si simple, surtout pour des équipes qui sont habituées à des contextes plus confortables (temps, budget, ressources…). Le plus important est encore une fois de faire preuve de discernement et de pragmatisme :
- savoir où l’on en est dans la transformation digitale de l’entreprise (forces et faiblesses de l’existant, souplesse de l’organisation, maturité digitale des équipes…) ;
- évaluer ce qui peut être fait en interne (compétences disponibles et capacités d’exécution) ;
- définir ce qui doit être privilégié (prioriser les nouvelles offres de façon rationnelle, en fonction du potentiel marché).

J’espère qu’avec ces explications et ces exemples vous y voyez plus clair sur les décisions à prendre à court terme (abandon des objectifs, remaniement temporaire de l’organisation…) et sur la meilleure façon de traverser cette crise qui n’en finit plus.