Quelles pratiques marketing dans le métavers ?

De nombreuses marques se sont lancées dans le métavers pour essayer de surfer sur la tendance. Mais au-delà de l’attrait médiatique (profiter de l’exposition qu’en font les médias), ces initiatives sont très limitées d’un point de vue marketing. Non pas que ces marques manquent d’ambition, mais parce que nous manquons tout simplement des outils qui permettent justement de faire du marketing (profilage, ciblage, personnalisation, mesure…). Mais tout ne se résume pas à la disponibilité des outils, il faut également faire évoluer les mentalités en interne, comme ça a été le cas avec les médias sociaux.

Voilà presque 7 mois que Facebook a changé son nom en Meta. Je pense ne pas me tromper en écrivant que cette réorientation stratégique a été le catalyseur d’une tendance de marché et le point de départ d’un véritable raz-de-marée médiatique autour de la notion de métavers.

7 mois après, il reste beaucoup de questions auxquelles les annonceurs n’ont pas de réponse et beaucoup d’initiatives qui ressemblent plus à de la précipitation (y être pour bénéficier de l’exposition médiatique) qu’à un choix mûrement réfléchi (une présence durable et cohérente vis-à-vis de son écosystème numérique).

Cette semaine, un article publié par McKinsey a attiré mon attention, car il y est question de réécrire les règles du marketing : Marketing in the metaverse, An opportunity for innovation and experimentation. La réflexion est intéressante, mais elle repose sur des hypothèses de croissance et des usages à venir. Comme il est précisé dans le titre, l’objectif affiché est très clairement d’expérimenter : “Now is the right time to adopt a test-and-learn mindset, to be open to experiments in the metaverse“. Ce qui me dérange avec cette assertion, c’est qu’il y a 15 ans déjà il fallait tester et expérimenter dans Second Life.

Comme c’est trop souvent le cas, on nous présente le métavers comme un environnement virtuel universel en construction, alors qu’il y a des usages et des supports parfaitement mûrs qui sont délaissés par les annonceurs : Le réservoir de croissance du métavers n’est pas là où vous croyez.

J’ai déjà eu l’occasion d’expliquer que le métavers n’est pas le futur d’internet, mais plutôt son passé et son présent (Le métavers n’est pas une rupture, mais une continuité). Je vais maintenant tenter de vous expliquer en quoi les pratiques de marketing diffèrent dans le métavers, ou pas, mais surtout en quoi la démarche et les objectifs du marketing restent les mêmes.

Le métavers est un média, comme le web, avec ses spécificités

Première précision importante, le métavers n’est pas une technologie, c’est un concept né de la littérature cyberpunk des années 90, qui désigne néanmoins aujourd’hui quelque chose de concret : un média immersif où des avatars vivent des expériences dans des environnements virtuels persistants.

Ainsi, au même titre que le web désigne un média avec des supports numériques (Yahoo, Google, Amazon…) regroupés dans des familles (portails, moteurs de recherche, places de marché…), le métavers est un média avec des supports numériques (Fortnite, Decentraland, Zepeto…) regroupés dans des familles (jeux en ligne, univers virtuels, applications d’avatars…). Pour une définition plus complète, je vous recommande la lecture d’un précédent article : Cartographie des métavers et des usages virtuels (sinon il y a aussi cette étude de Newzoo : Metaverse Ecosystem Infographic).

Mais la comparaison s’arrête là, car la grande différence entre le métavers et le web est que vous n’avez pas à faire à des consommateurs, mais à des avatars. Les utilisateurs ont beau être les mêmes personnes, ils ne sont pas dans le métavers pour les mêmes raisons et le sont surtout dans un contexte bien différent.

Le web auquel on accède avec un ordinateur correspond à un contexte très utilitaire : chercher de l’information, prendre un RDV, passer une commande… les différents usages associés au métavers sont beaucoup plus ludiques et correspondent à un contexte d’évasion, d’échappatoire au quotidien. La démarche est très différente, car vous ne parlez pas à des clients, mais à leur avatar, et il convient de ne pas les traiter comme des téléspectateurs.

On ne s’adresse pas à des joueurs comme à des cibles publicitaires

À chaque support ses usages et pratiques. Tout comme il n’est pas envisageable de faire des promos sur les applications de messageries (il n’y a pas de bannières ou de campagnes de marketing direct dans WhatsApp), il n’est pas envisageable de reproduire les pratiques du e-marketing dans le métavers.

D’une part, pour des raisons pratiques : il faut s’adapter aux spécificités du média, et notamment à une interface immersive en 2 ou 3D où il n’y a pas de boutons à cliquer ni de formulaires à remplir. Les mécaniques d’engagement et de transformation sont ici très différentes, elles se rapprochent très clairement des jeux vidéo.

D’autre part, il faut impérativement tenir compte des attentes et aspirations des utilisateurs. Nous distinguons ainsi différents types de supports auxquels correspondent différents types d’utilisateurs :

  • des joueurs dans les jeux en ligne multijoueurs qui cherchent avant tout à se détendre et à vivre des expériences ludiques (ex : le concert d’Ariana Grande dans Fortnite) ;
  • des résidents dans les univers virtuels qui cherchent avant tout à interagir et à vivre des expériences sociales (ex : la Virtual Fashion Week dans Decentraland) ;
  • des investisseurs dans les jeux Play-to-Earn qui cherchent à gagner des cryptomonnaies et/ou à investir dans des actifs numériques (ex : achat / location de NFTs dans Axie Infinity) ;

Bref, il y a des expériences et des motivations très différentes d’un support à un autre, ne pas en tenir compte implique nécessairement de déranger les utilisateurs et nuire à leur expérience.

Avec les spécificités de ces différents supports en tête, on comprend facilement que les pratiques publicitaires ou marketing que l’on trouve dans les médias traditionnels ne sont pas compatibles avec le métavers (ex : direct response advertising).

Ceci étant dit, il n’est pas non plus question de changer de métier. Ainsi, tout comme nous avons adapté les pratiques marketing au web ou aux smartphones, il est tout à fait possible d’identifier des pratiques pertinentes et légitimes du marketing sans remettre en cause la profession.

Les fondamentaux du marketing ne changent pas

Le marketing est un domaine dans lequel on trouve plusieurs disciplines regroupant différents métiers (étude des besoins / comportements, analyse de la concurrence, définition / évolution de l’offre…). Si le métavers est un média qui diffère de façon radicale avec les médias traditionnels (TV, radio, journaux…), la démarche marketing est non seulement la même, mais elle est plus que nécessaire, car l’environnement est complexe et très loin d’être maitrisé. Les usages sont ainsi très largement méconnus dans la plupart des directions marketing qui voient dans le métavers un terrain de jeux pour faire de la pub en 3D.

En prenant un peu de hauteur et surtout en évitant de tomber dans le piège du choc des générations (considérer que le métavers est un truc de djeunz), il est tout à fait possible de décliner les grandes disciplines du marketing dans le métavers :

  • L’analyse du marché pour comprendre les usages et attentes des utilisateurs. Dans le cas du métavers, bien appréhender les contraintes des différents supports (affichage 2D / 3D, possibilités ou limitations de l’environnement…) ;
  • La définition de l’offre. Avec le métavers, il ne s’agit pas tant d’une offre que de l’expérience que vous proposez aux avatars (le gameplay dans un environnement ludique, la mécanique économique dans un jeu Play-to-Earn) ;
  • La maitrise de la communication et de la distribution. Dans le métavers, ça se traduit par la maitrise des leviers de recrutement (inciter les utilisateurs à participer aux activités et à y passer du temps), des passerelles permettant de mesurer l’efficacité (intégration des KPIs au système d’information marketing), de réaliser des transactions (injection des commandes dans l’ERP) et d’assurer le service après vente en cas de problème ;
  • L’optimisation de la relation-client. Dans le métavers, il s’agira surtout de fluidifier l’embasement (relier un avatar à un identifiant dans la base CRM) et de faciliter les interactions (notamment les échanges de messages).

Plus facile à dire qu’à faire, car malheureusement nous sommes encore à l’âge de pierre : quasiment tout doit être fait à la main.

Repenser les outils et pratiques du marketing

Quasiment toutes les pratiques de e-marketing sont aujourd’hui industrialisées. Nous avons ainsi ds outils de gestion de contenus, des solutions pour gérer les newsletters et les campagnes publicitaires, des consoles intégrées pour optimiser le référencement ou l’engagement sur les médias sociaux, des éditeurs no-code pour les applications mobiles ou les chatbots…

En 20 ans, toutes les pratiques liées au e-marketing se sont professionnalisées. Comprenez par là qu’elles se sont codifiées (unification du vocabulaire), structurées (créations d’agences et prestataires dédiés), outillés (multiplication des solutions) et même institutionnalisées (définition de fiches de poste génériques). Mais aucun des outils dont nous disposons sur le web (création / distribution de contenus, publicité programmatique, analyse d’audience…) n’existe dans le métavers.

Impossible pour le moment de profiler les utilisateurs, cibler et personnaliser les messages ou mesurer les résultats des campagnes. Voilà pourquoi la très large majorité des marques présentes dans le métavers se contente de faire du placement produits, car il faut tout faire à la main. Il en résulte logiquement des coûts au contact utile et des coûts d’acquisition très élevés.

Mais dans la mesure où les acheteurs de demain passent une bonne partie de leur temps libre dans le métavers (notamment les jeux en ligne), il est essentiel pour les marques de se familiariser avec les supports virtuels, car il y a une longue courbe d’apprentissage qui passe par de nombreuses expérimentations.

Ainsi, de nombreuses initiatives de grandes marques ne répondent pas à une logique de ROAS comme sur d’autres supports numériques (Return on Ad Spend). Le but de leur présence est plus de comprendre les usages et attentes, quitte à essuyer des plâtres : Nissan unveiled its new EV in the metaverse and I hate it, I visited Chipotle in the metaverse to try and understand why restaurant chains are flocking to it, Coca-Cola launches its latest weird soda flavor in the metaverse, Carrefour recrute dans le métavers et fait marrer les internautes

Si vous cherchez des exemples d’opérations maladroites, vous en trouverez sans peine. Cependant, avec un peu de chance, vous trouverez également sur des opérations réellement intéressantes et porteuses de sens : The Rafa Nadal Academy makes the leap to the metaverse, La marque de déodorant Degree organise le premier marathon dans le metaverse et donne accès à l’inclusivité, Les métiers du BTP sont mis à l’honneur sur Minecraft

Certains annonceurs sortent carrément du lot comme Gucci, car ils ont quasiment tout testé et abordent maintenant le métavers de façon durable : Gucci built a persistent town inside of Roblox.

Ce que vous devez retenir de tout ça est que l’important n’est pas de trouver de nouveaux clients (Google et Facebook sont nettement plus efficaces pour ça), mais de s’inscrire dans une démarche d’apprentissage continue et de compréhension des usages. Entendons-nous bien, ce n’est pas un pari sur l’avenir, mais une approche pragmatique pour tout annonceur qui souhaite acquérir de l’expérience pour ne pas être dépendant de prestataires, comme ça a été le cas pour les autres canaux numériques (web, mobile et social).

Sous cet angle, on comprend mieux la démarche d’acteurs de la grande distribution qui ont acheté un terrain dans The Sandbox afin de comprendre, tester et surtout de faire évoluer les mentalités en interne : éviter la panne d’inspiration et des campagnes qui se résument à se promener dans les rayons ou à distribuer des bons de réduction virtuels. On ne peut pas leur en vouloir, souvenez-vous que les mêmes erreurs de jeunesse ont été faites avec sur les médias sociaux ou les smartphones. Il a ainsi fallu attendre quelques années avant de voir apparaitre des contenus et services à valeur ajoutée. Espérons que cela prenne moins de temps avec le métavers…