Si nous sommes tous d’accord pour dire que dans un monde idéal une marque doit exploiter le maximum de supports possibles et proposer les meilleures expériences, les conditions de marché défavorables que nous subissons en moment (incertitude, inflation…) forcent les annonceurs à revoir leur stratégie publicitaire et plus généralement leur écosystème numérique.

Depuis que Facebook a décidé de changer son nom en Meta, le métavers est devenu un authentique phénomène médiatique. Objet de tous les fantasmes, le métavers est maintenant un mot magique que l’on sert à toutes les occasions pour valoriser un projet ou une activité : Au CES de Las Vegas, le Métaverse est la star de la tech !
Le métavers est clairement l’endroit où il faut voir et être vu, quitte à y déménager les grands événements comme Coachella ou le Festival de Cannes : Experience the music and fashion of Coachella in Fortnite et Le Festival de Cannes s’invite dans le métavers.

Ceci étant dit, après plusieurs mois de brouhaha médiatique, le métavers reste un sujet mal compris qui génère encore beaucoup de questions et de précipitation (Cartographie des métavers et des usages virtuels). Beaucoup de marques se sont ainsi lancés dans des projets sans bien maitriser les coûts ou les bénéfices potentiels.
Aujourd’hui, je pense ne pas me tromper en disant que la prime au premier entrant a déjà été collectée. Comprenez par là que les bénéfices en termes d’image ou d’exposition médiatique d’une marque qui décide de lancer maintenant dans le métavers sont quasi nuls.
Formulé autrement : le soufflet retombe, il est maintenant temps de réfléchir au ROI de la présence de votre marque sur le métavers, et c’est là où les choses se corsent…
La donnée client reste la priorité absolue pour les deux prochaines années
Au cas où vous auriez passé les deux dernières années enfermé chez vous…
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Oups ! 🫢
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Je vais reformuler : au cas où vous auriez été déconnecté du marché publicitaire ces deux dernières années, vous n’êtes pas censé ignorer que les agences, régies et annonceurs sont en état d’alerte maximale car les géants numériques bloquent petit à petit l’accès aux identifiants publicitaires, notamment Apple depuis la dernière version d’iOS où l’accès à l’IDFA (Identifier for Advertisers) est maintenant soumis à l’approbation des utilisateurs, et Google qui a annoncé vouloir bloquer les cookies tiers dans son navigateur Chrome : De l’évolution nécessaire des stratégies marketing dans un monde post-cookies.
Avec cette manoeuvre en tenaille, Apple et Google souhaitent rendre aveugles les régies et annonceurs afin de capter une part toujours plus importante des budgets publicitaires : Le duel des GAFA pour contrôler le marché de la publicité numérique. Face au mouvement de panique du marché lors de la présentation de sa solution alternative, Google a fait marche arrière et a reporté de 2 ans la mise en oeuvre du blocage des cookies tiers le temps de trouver une autre alternative (Google kills off FLoC, replaces it with Topics). En revanche, Apple a imposé les changements dans iOS avec la brutalité qu’on lui connait, forçant les annonceurs à passer par ses “partenaires privilégiés” pour pouvoir continuer à profiler, cibler et personnaliser : Apple launches the post-IDFA world to the dismay of advertisers.

La situation est-elle grave ? Oui, très ! Aussi bien pour les annonceurs que pour les éditeurs. Les premiers voient l’efficacité de leurs campagnes drastiquement réduite, tandis que les seconds se lamentent de l’effondrement de leurs revenus publicitaires : Apple’s 2021 privacy cut revenues for 40% of mobile advertisers. Nous sommes ici face à un flagrant abus de position dominante : Apple profite de sa mainmise sur les utilisateurs d’iPhone et iPad pour compliquer l’accès aux identifiants publicitaires et asphyxier ainsi les éditeurs et distributeurs de contenus numériques (s’il n’est plus possible de cibler et personnaliser les publicités, alors leur efficacité diminue, donc leur valeur). L’impact est colossal, notamment pour Facebook qui a évalué le manque à gagner à près de 10 MM de $ : Meta estimates Apple’s iOS changes will cost it $10B in 2022.
Entre les changements imposés par Apple et les annonces de Google, les annonceurs ont de quoi être inquiets et remettre en cause leur stratégie publicitaire : La publicité numérique condamnée à se réinventer, à nouveau ! Nous pensions que le métavers allait changer la donne et offrir une alternative à l’oligopole formé par les GAFA (le métavers est un échappatoire aux monopoles numériques), mais la réalité est plus contrastée, car à part pour les marques de luxe, le bénéfice d’une présence sur le métavers est minime.
Le problème est que nous avons d’un côté les jeux multijoueurs où les possibilités sont très limitées et les coûts prohibitifs ; et de l’autre, les univers virtuels décentralisés dont les audiences sont encore ridiculement faibles : 3 M d’utilisateurs de Decentraland contre 3 MM pour Facebook ! (cf. Le réservoir de croissance du métavers n’est pas là où vous croyez).
En l’absence d’alternative viable pour faire vivre une marque et assurer la promotion des produits au plus grand nombre, les annonceurs sont pour le moment dans une impasse. Ils n’ont d’autre choix que de faire avec les canaux numériques qu’ils exploitent déjà, ceux qui présentent le plus fort potentiel pour l’acquisition, la transformation et la rétention.
Et comme si la situation n’était pas assez compliquée, l’Union Européenne vient accentuer l’incertitude avec l’approbation de son futur Digital Marketing Act qui risque de définitivement chambouler le paysage publicitaire (Législation sur les marchés numériques (DMA): accord entre le Conseil et le Parlement européen).

Au coeur de tous ces chamboulements, il y a bien évidemment les données client, celles qui permettent de constituer des profils publicitaires, de cibler les consommateurs de façon individuelle, de personnaliser les messages et offres ainsi que de mesurer avec une grande précision. Ce qui différencie les médias numériques des médias traditionnels, c’est justement toutes ces données qui permettent de faire du marketing de précision. En bloquant l’accès aux identifiants publicitaires, les GAFA rétrogradent le web au statut de média de masse.
C’est un retour en arrière de près de 15 ans, à l’époque où il fallait afficher des millions de bannières pour espérer influer sur les comportements d’achat. D’où, la nécessité pour les marques et annonceurs de revoir leur stratégie marketing / publicitaire pour pouvoir continuer à collecter et exploiter les données client : Quels enjeux pour le data marketing 15 ans après ?
L’objectif à poursuivre pour les marques est de collecter elles-mêmes les données pour pouvoir constituer des profils publicitaires et optimiser les campagnes. Mais ceci ne règle pas le problème de la fragmentation des supports numériques…
Plus de canaux et supports = Moins de budget par canaux et supports
Au fil des ans, le nombre de canaux et de supports numériques a considérablement augmenté. Une marque souhaitant maximiser son exposition doit ainsi prendre en compte les supports “historiques” consultés sur ordinateurs (portails…), mais également les supports plus récents auxquels on accède sur smartphone : Marketing Is Getting More Difficult, Here’s Why.
Dans l’histoire de la publicité en ligne, il y a très clairement eu un avant et un après médias sociaux, dans la mesure où les annonceurs doivent maintenant faire vivre leur marque et exposer leurs produits / services sur un certain nombre de plateformes sociales qui utilisent des modèles d’interaction et des formats spécifiques : Facebook, Instagram, YouTube, Twitter, Pinterest, SnapChat, TikTok, LinkedIn…

Dans ce panorama, le métavers est à considérer comme un nouveau média numérique avec de nombreux canaux et supports qui présentent tous des expériences et formats spécifiques. Comme vous pouvez le constater avec l’illustration ci-dessous : les éléments graphiques utilisés par Nike ne sont pas les mêmes entre Fortnite, Roblox, Bitmoji et Pokemon Go. Pas de réutilisation possible = faire 4 fois le travail de création graphique.

Entre les frais de production des contenus publicitaires et l’achat d’espaces, la situation devient très compliquée pour les annonceurs qui doivent composer avec toujours plus de supports sur lesquels décliner leurs actions, hors dans la mesure où le nombre de clients est le même, tout nouveau support = moins de budget pour les autres.
Il faut donc, d’une part, prendre en compte toute la richesse des supports numériques en 2D, mais également se familiariser avec les outils de production de contenus 3D. Et ce n’est vraiment pas simple, car les agences et régies ne savent travailler qu’en 2D. Idem pour les référenceurs et growth hackers (ou assimilés). Comprenez par là que l’écosystème de la publicité en ligne raisonne et travaille en deux dimensions, il n’y a pas de place pour la 3D (cf. Les 73 types de contenu du content marketing).
Rares sont les marques qui opèrent elles-mêmes leurs campagnes sur le web ou les médias sociaux, car elles ne maitrisent pas toutes les subtilités des pratiques publicitaires, alors je ne vous laisse même pas imaginer leur désarroi face aux métavers ! Les annonceurs n’ont clairement pas d’autres choix que d’avoir recours à des agences spécialisées, donc de débloquer un budget supplémentaire, ce qu’ils ont beaucoup de mal à faire en cette période d’incertitude.
La réalité du marché pousse ainsi les marques à repenser leur stratégie publicitaire, l’allocation des moyens, pour éviter la dispersion des budgets. Rationaliser l’exploitation des supports numériques à des fins publicitaires est une étape obligatoire pour optimiser les coûts au contact utile et les coûts d’acquisition client.
Cette démarche d’optimisation de son écosystème numérique n’est pas neuve, j’en ai déjà parlé dans de précédents articles (De la complexité des écosystèmes numériques du XXIe siècle, Des applications mobiles aux écosystèmes mobiles, De l’intérêt de définir une architecture communautaire et sociale…), mais elle prend tout son sens avec la montée en puissance du métavers et des supports virtuels et/ou 3D.
L’expression de la marque et l’exposition des produits / services est ainsi écartelée entre différents médias numériques qui répondent à des contextes d’utilisation et des logiques publicitaires très différentes :
- les sites web sont très riches et fonctionnels, ils permettent de trouver rapidement de l’information tandis que les places de marché proposent un très large choix de produits ;
- les applications mobiles sont très utilitaires, elles donnent accès à un ensemble de contenus et services en situation de mobilité ;
- les plateformes sociales sont avant tout utilisées pour échanger, partager, discuter, trouver de l’inspiration ;
- les supports virtuels permettent surtout de se divertir et de s’échapper du quotidien.
De ce fait, une marque est écartelée entre différents supports et usages numériques :

Dans la mesure où ces différents supports / usages ne sont pas “compatibles” entre eux (une marque ne peut pas se permettre se simplement adapter les éléments graphiques d’un support à l’autre), il faut faire des choix. Dans l’absolu, si, il est tout à fait possible de décliner les éléments graphiques d’une campagne entre les différents supports (site web, newsletter, applis mobiles, médias sociaux, univers virtuels…), mais l’efficacité sera moindre, car il faut tenir compte des contextes d’utilisation et des logiques fonctionnelles / limitation de chaque support. Par exemple, il est impossible de décréter qu’une bouteille d’Evian fera regagner tous ses points de vie à votre personnage dans Fortnite (ça déséquilibrerait le jeu).
Vous noterez que le fait de faire des choix pour maximiser l’exposition publicitaire tout en optimisant le budget n’est pas neuve, ça s’appelle du média planning ! En revanche, ce qui est nouveau, c’est la complexité de ces choix d’allocation de moyens et budgets, car le paysage médiatique est beaucoup plus complexe qu’avant. De plus, les supports numériques étant pérennes, le but de la manoeuvre ne concerne pas que la diffusion de publicités, mais bien la présence d’une marque. Voici pourquoi je préfère parler d’optimisation d’écosystème numérique.
Optimiser son écosystème numérique pour maximiser le ROI
À une époque pas si lointaine, de nombreuses micro-marques avaient des pratiques d’acquisition clients très agressives (Le combat asymétrique entre marques traditionnelles et DNVB). Mais ça, c’était avant le virus, la guerre et le blocage des identifiants publicitaires. Aujourd’hui, le contexte de marché est bien plus défavorable, il faut faire des choix, car les ressources sont limitées : aussi bien les budgets publicitaires que l’attention des cibles.
Ainsi, l’arbitrage entre les différents supports numériques doit se faire en fonction de différents critères :
- la taille de l’audience du support visé (il y a ainsi 1.000 fois plus de monde sur Facebook que sur Decentraland) ;
- la complexité de mise en oeuvre et d’exploitation du support ;
- le fait de posséder ou non le support, donc le niveau de maitrise que vous en avez (vous pouvez faire ce que vous voulez sur votre site web ou votre newsletter, mais pas sur Twiter ou dans Roblox).
En fonction de ces critères, il est donc possible de hiérarchiser les supports numériques en fonction de leur importance pour votre marque :

Vous vous en doutiez déjà, mais il est toujours bon de rappeler que les marques doivent impérativement privilégier les supports numériques qui sont simples à exploiter et dont elles ont l’entière maitrise : leurs sites web et newsletters. Cela ne veut pas dire qu’il faut délaisser votre présence sur les médias sociaux ou abandonner un projet sur le métavers, mais que dans un marché tendu, le ROI doit rester votre priorité.
Si vous avez impérativement besoin de valoriser votre image de marque, car les marges de vos produits sont très élevées, comme c’est le cas dans le luxe, alors vous ne pouvez pas faire l’impasse sur les supports numériques fortement médiatisés (le métavers). Si votre marque opère dans un domaine ultra-concurrentiel où les marges sont faibles et les leviers de différenciation complexes à mettre en oeuvre, alors il est préférable de privilégier les supports numériques qui offrent le meilleur ratio coûts / résultats.
Dans tous les cas de figure, le blocage progressif des identifiants publicitaire force les annonceurs à replacer le site web au coeur de leur écosystème numérique, ne serait-ce que pour déposer des cookies internes (“first party”), ceux qui ne seront pas bloqués, pour pouvoir continuer à profiler, cibler, personnaliser et mesurer comme avant.
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Combien de temps ces conditions de marché défavorables vont-elles durer ? Je ne sais pas. Le métavers n’offre-t-il pas justement un moyen de se différencier et de capter de nouveaux clients ? Peut-être, ça dépend de votre activité, de votre offre et de la concurrence. Lassés de tous ces sites web qui se ressemblent, les consommateurs ne sont-ils pas à la recherche de nouvelles expériences ? Certainement, mais je ne mettrai pas en péril la survie d’une société sur cette simple hypothèse.
La seule conclusion que je puisse formuler pour cet article est qu’en période trouble, il est essentiel d’assurer les fondamentaux avant de chercher à se diversifier. Formulé plus simplement : assurez-vous que votre site web soit lisible, simple à utiliser et performant avant de vous lancer dans une opération publicitaire dont vous ne maitrisez aucun paramètre. Car oui, c’est bel et bien le cas avec le métavers : un support numérique où les outils et pratiques publicitaires sont balbutiants.
Ce point sera abordé dans un prochain article où j’essayerai de définir ce qu’est le v-marketing et d’évaluer la maturité des outils et pratiques.