Les habitudes et attentes des consommateurs / citoyens ont été entièrement reconfigurées depuis l’introduction des smartphones il y a une quinzaine d’années. Si personne ne peut remettre en question cette assertion, peu d’entreprises ont réellement pris la mesure de ces changements. Pourtant, plus de 80% des adultes dans le monde sont équipés d’un smartphone et n’envisagent aucunement de l’abandonner ou de réduire leur utilisation. À l’heure où le marché arrive à saturation, je vous propose de faire le bilan de ces quinze années de croissance et d’étudier des hypothèses d’évolution pour les prochaines années.

Si les premiers téléphones portables sont apparus il y a une cinquantaine d’années (The History of the Cell Phone), il aura fallu attendre 2007 pour que Steve Jobs révèle au monde son iPhone dont la commercialisation débutera en France quelques mois plus tard. Je ne sais pas pour vous, mais malgré mon enthousiasme de l’époque (cf. Une nouvelle ère pour les services mobiles publié en 2007), j’étais loin de m’imaginer la révolution qu’allait initier l’iPhone…

15 ans plus tard, nous sommes en 2022, et il ne fait plus aucun doute que l’iPhone et plus généralement le smartphone est l’objet le plus iconique du 21e siècle, celui qui a fait basculer notre civilisation dans une nouvelle ère : 15 years ago today the device that changed the world was introduced! et 5 Ways the Original iPhone Changed the World Forever.
Symbole de prestige pour certains (l’iPhone 5S été le premier modèle à proposer une version dorée), ligne de vie pour d’autres (For Refugees in Detention Camps, Smartphones Are a Lifeline), le smartphone est maintenant tellement intégré dans notre quotidien que nous ne serions plus nous débrouiller sans !

On estime aujourd’hui à plus de 6,5 MM le nombre de smartphones en circulation, en croissance constante depuis son introduction : Number of smartphone subscriptions worldwide from 2016 to 2027.

Même si les chiffres diffèrent d’une source à l’autre, nous sommes largement à plus de 5 MM d’unités, soit un taux de pénétration supérieur à 80%, sauf au Japon (Global mobile consumer trends: Second edition).

Je pense ne pas me tromper en écrivant que le smartphone est plus qu’un phénomène de société, c’est LE pilier de notre société, comme l’ont été la voiture ou la télévision au XXe siècle. Sujet d’étude pour de nombreux sociologues, nous manquons clairement de recul pour réellement appréhender son impact sur notre comportement (cf. Le smartphone est l’icône du 21e siècle, pour le meilleur et pour le pire publié en 2019).
Mais il n’y a pas que la sociologie qui s’y intéresse puisque nous commençons également à voir des expériences artistiques très intéressantes comme #nyc qui présente une collection de photos d’écrans de smartphones prises dans la rue à New-York.

Pour approfondir le sujet, je vous propose de faire le point sur le marché, les usages, les dérives, les attentes et les prochains chantiers à mener.
État des lieux du marché en 2022
Après 15 ans de croissance, il se vend en moyenne 1,5 MM d’unités par an : Number of smartphones sold to end users worldwide from 2007 to 2021. Outre le recul des ventes en 2020 dû à la pandémie, on constate un plateau qui correspond à un point d’équilibre entre les nouveaux utilisateurs et le renouvellement.

Pour le premier trimestre 2022, les ventes sont également en recul du fait de la pénurie de composants : Global smartphone shipments fall 11% due to adverse headwinds.

Si Samsung se place en tête des ventes depuis de nombreuses années, Apple est incontestablement le leader de la catégorie de par son influence sur le secteur tout entier. Vous noterez que si Apple ne se positionne “que” en seconde position sur le nombre d’unités vendues, nous parlons de volumes bien plus importants que pour le marché des ordinateurs (Apple now has 1.8 billion active devices). Ceci étant dit, le leadership d’Apple s’amenuise à mesure que les fabricants chinois perfectionnent leurs technologies et consolident leurs gammes (Xiaomi shipped 190.3 million smartphones globally in 2021).
Pour ce qui est du marché européen, nous retrouvons le même trio de tête : État des lieux du marché européen des smartphones.

En termes de connexion réseau, vous souvenez-nous que le premier iPhone n’était même pas compatible avec la 3G ? Aujourd’hui, la norme est à la 5G avec une migration en cours du parc installé et une bascule qui pourrait se faire en 2024, date à laquelle la 5G “native” devrait être effective (5G : 3 millions d’utilisateurs en France, un an après le lancement). D’ici là, le réseau sera de plus en saturé de micro-vidéos et de contenus en streaming, car je vous le rappelle : le smartphone a remplacé la TV. Certes, les opérateurs renouvellent en permanence leurs équipements pour augmenter la bande passante, mais ils ont la contrainte de devoir réduire leur dépendance aux fournisseurs chinois, ce qui leur complique la tâche malgré les aides : L’UE met un milliard d’euros sur la table pour améliorer ses infrastructures télécoms.
Puisqu’il est question de renouvellement, intéressons-nous maintenant aux terminaux en eux-mêmes et à ce que l’on trouve dedans : les applications.
15 ans d’innovations à marche forcée pour les terminaux et applications
En 15 ans, les smartphones ont largement eu le temps d’évoluer et de proposer toujours plus de pixels et de puissance. La forme générale (format de type “brique”) et l’interface (tactile, puis vocale) n’ont pas beaucoup changé malgré de nombreuses tentatives : Une troisième vague d’innovation pour les terminaux mobiles. Si les réflexions sont intenses pour savoir quel sera le prochain iPhone, force est de constater que les smartphones ne sont pas près d’être détrônés… (cf. Sommes-nous à la veille d’un nouveau paradigme numérique ? publié en 2019).
En revanche, si les smartphones conservent leur forme initiale, les proportions ne sont plus du tout les mêmes avec des écrans plus grands et des batteries plus performantes (iPhone Timeline 2007-2022), principalement pour pouvoir consommer plus de vidéos dans de meilleures conditions. ci-contre une comparaison des différents modèles d’iPhone :

L’évolution est encore plus flagrante chez Samsung puisque les smartphones de la gamme Galaxy passent de 12,2 à 16,35 cm de hauteur : Du Galaxy S au Galaxy S22, voici une chronologie des téléphones Android phares de Samsung.

Comme expliqué plus haut, le marché des smartphones est une catégorie de produits très complexe qui exige d’énormes investissements en R&D ainsi qu’en capacités de production. De ce fait, ce sont naturellement les plus gros acteurs qui dominent. Ceci étant dit, rien n’est réellement joué, car il y a toujours de nouveaux entrants ou sous-traitants qui ambitionnent de bousculer l’ordre établi :
- Nothing, créé par l’ancien CEO de OnePlus qui veut percer sur le segment des smartphones Android (Nothing’s first smartphone is aimed at Apple, not OnePlus)
- MediaTeck, le fabricant de puces taïwanais qui petit à petit parvient à rattraper le leader américain Qualcomm (MediaTek might have overtaken Qualcomm in US Android marketshare)
Du côté logiciel, là aussi il y a eu une énorme évolution depuis les premières applications, qui oscillaient entre utilitaires et gadgets, jusqu’aux meta-applications sur lesquelles nous passons tout notre temps aujourd’hui (The inside story of iBeer, the underdog beer app that made milllions). Il suffit de constater l’évolution de l’interface de l’application Facebook pour s’en convaincre : The revolution and evolution of mobile application design. Nous sommes ainsi passés par différentes approches ergonomiques, notamment au niveau de la barre d’onglets ou du logo :

En 15 ans, le retour d’expérience est gigantesque, même si nous avons encore des plantages à grande échelle (L’application SNCF, déconnectée de ses utilisateurs).
Pour ce qui est des places de marché d’applications, là aussi il y a du changement avec le dénouement d’un bras de fer épique entre Apple et l’Union Européenne qui devrait apporter un bouffée d’oxygène aux éditeurs : Apple would be forced to allow sideloading and third-party app stores under new EU law et Apple finally lets ‘reader’ apps like Kindle, Netflix, and Spotify link to their own sites.
C’est une très bonne chose que l’UE soit parvenue à libérer en partie l’accès aux clients d’Apple, et par là même de Google puisque la règle va également s’appliquer à la place de marché et aux smartphones Android, mais la main-mise de la firme à la pomme n’a pas tout à fait disparue puisque dans le même temps, cela ne leur a pas empêché de resserrer son emprise sur les utilisateurs en compliquant l’accès aux identifiants publicitaires (Apple launches the post-IDFA world to the dismay of advertisers), de façon si abrupte que même les équipes internes se sont fait surprendre : Apple’s Privacy Rules Leave Its Engineers in the Dark.

Ne vous y trompez pas : si les investissements sont si colossaux et les régulations si drastiques, c’est que le potentiel du marché est gigantesque (App stores to see record consumer spend of $133 billion in 2021, 143.6 billion new app installs) et que le potentiel de croissance est encore bien réel.
L’objectif poursuivi n’est plus de trouver de nouveaux utilisateurs, mais d’étendre la plage d’utilisation journalière jusqu’à son maximum. Littéralement !
De l’internet mobile au web ambiant
À une époque pas si lointaine, nous trouvions intéressant de pouvoir consulter les emails en situation de mobilité. Aujourd’hui, le smartphone est le premier écran en termes de temps de consultation (merci la VoD), mais également le premier réflexe de consultation. Pour résumer : le smartphone a pris la place de la TV et de l’ordinateur avec des usages qui tournent essentiellement autour des médias et de la consommation : The State of Mobile in 2022 et 57 % des consommateurs français utilisent leur mobile pour faire leurs achats. Dans le Top 10 des applications les plus téléchargées, nous retrouvons ainsi essentiellement des applications sociales, médiatiques et marchandes.

Ce n’est un secret pour personne : les médias traditionnels comme la télévision, la radio, les journaux ou les magazines sont ainsi les grandes victimes de la ruée vers le petit écran (En 2021, vous avez passé en moyenne 5 heures par jour sur votre smartphone). À ce sujet, il est amusant que constater que pour nos grands-parents, la télévision était désignée comme le “petit écran” !

Sinon, concernant les usages, l’essentiel du temps passé sur les smartphones se fait sur les applications sociales. Très clairement il y aune relation symbiotique entre les médias sociaux et les smartphones, car les uns se nourrissent des autres, et inversement : Les applications sociales & vidéo captent 70% du temps passé sur les mobiles.
Il y a encore quelques années, nous pensions que Facebook était indétrônable, nous savons maintenant qu’il n’en est rien et que les mobinautes n’hésitent pas à changer leurs habitudes pour aller chercher de la nouveauté. La croissance flamboyante de TikTok en est ainsi la parfaite illustration, de même que le succès fulgurant de BeReal, la nouvelle coqueluche des ados : Meet BeReal, Gen Z’s new favorite app.

Au sujet de l’évolution des usages, j’étais très enthousiaste il y a quelques années sur les assistants vocaux (cf. À quoi va ressembler l’ère post-smartphone ? publié en 2016 et Les assistants personnels ne délivrent leur potentiel que pendant les micro-moments vocaux en 2018), mais l’adoption est finalement beaucoup plus lente que prévu.
La voix n’est donc pas forcément l’interface de référence. Ceci est confirmé par la baisse constante des appels vocaux qui sont en train de se ringardiser avec en moyenne moins de 4 h par mois pour les appels sur terminaux mobiles et moins de 1 h 30 pour les appels fixes : Les appels sur le bon vieux téléphone fixe chutent à un niveau historique.
Très clairement, de nouvelles habitudes se sont installées, notamment avec les applications de messagerie qui sont extrêmement populaires, à commencer par les applications natives (iMessages et Google Messages affichent chacun plus d’1 milliard d’utilisateurs), mais également WhatsApp et Messenger (respectivement 2 et 1,5 milliards d’utilisateurs), ou encore Snapchat qui est extrêmement populaire après des 18-25 ans : Snapchat passe le cap des 25 millions d’utilisateurs en France. Anecdote intéressante : les messages courts audio sont très populaires, donc une forme de conversation asynchrone (People are sending 7 billion voice messages on WhatsApp every day).
Ces nouvelles habitudes sont progressivement prises en compte par les annonceurs qui petit à petit s’invitent dans les plateformes de messagerie avec des comptes officiels et des messages sponsorisés.

Mais outre les médias sociaux et messagerie, des usages plus structurants sont en train d’émerger comme le paiement via smartphone qui se généralise : 58 % des Français déclarent connaître et utiliser le paiement mobile en magasin et 73 % des millennials achètent sur mobile 1 à 4 fois par semaine. Là nous avons quelque chose de très intéressant à étudier, car le parcours d’achat est maintenant parfaitement intégré au smartphone :
- Découverte des produits (Facebook, Instagram, Pinterest, Snapchat, TikTok…)
- Incitation à l’achat (SMS / RCS géolocalisé ou notifications en geofencing)
- Renseignement sur un produit (Google Lens)
- Recherche d’un point de vente (Google Maps / Shopping)
- Paiement (Apple Pay, Google Pay, PayPal, Paylib…)
- Fidélisation (SMS / RCS, WhatsApp ou Messenger)
Toutes les étapes-clés du parcours d’achat cohabitent au sein d’un même appareil qui est connecté en permanence et est toujours à proximité immédiate de son propriétaire (littéralement au bout de son bras). Dans la mesure où toutes ces interactions génèrent des données très précises, le smartphone est incontestablement le support le plus intéressant à travailler d’un point de vue marketing. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si toutes les plateformes dominantes doivent leur succès aux smartphones : Uber, Deliveroo, Getir…

Grâce aux smartphones, les consommateurs sont enfin libérés de toutes contraintes, ils sont omniscients (ils peuvent se renseigner sur n’importe quel produit, n’importe quand) et omnipotents (ils peuvent réserver et commander n’importe quoi en quelques secondes). OK, mais nous ne pouvons pas résumer l’impact du smartphone aux joies de la consommation, car tout n’est pas rose au pays de la mobilité…
De nombreuses dérives et addictions qui ne touchent pas que les jeunes
Quelle que soit la personne à qui vous parlez de l’utilisation des smartphones, la réaction est toujours la même : il faut protéger les enfants. La question que je me pose est plutôt : Qui protège les adultes ? La réalité est que nous ne pouvons plus nous passer de nos smartphones, le “doudou des adultes”, que je considère pour ma part comme la télécommande de notre quotidien numérique.
Nous manquons clairement de recul pour bien appréhender notre dépendance à notre smartphone qui se traduit notamment par une peur viscérale de le perdre, un sentiment très puissant qui porte un nom : La nomophobie, le mal de notre siècle !
Il y a bien évidemment l’addiction aux nombreux services rendus par les smartphones à travers tous les utilitaires (agenda, carte, messages…), mais également l’addiction aux contenus que l’on consomme compulsivement : The Psychology of Your Scrolling Addiction. Des pratiques tellement ancrées dans notre quotidien qu’elles ont généré une accoutumance quasiment plus forte que celle à la cigarette : What using an iPhone for 15 years has done to your brain.

Une addiction plus ou moins assumée par des milliards d’utilisateurs, mais que certains tentent de combattre pour revenir à des comportements sociaux de proximité : The people deciding to ditch their smartphones.
Je précise que je ne juge pas, je constate simplement un phénomène d’addiction lié à une adoption trop rapide et surtout un manque flagrant de pédagogie : Qui vous a appris à vous servir de votre smartphone ou vous a mis en garde contre les dangers potentiels ?
Ceci étant dit, nous pourrions dire la même chose d’autres médias ou terminaux, car nous sommes accros à notre smartphone tout comme nous sommes accros à la TV, la radio ou la musique dans le sens où nous l’avons intégré à notre quotidien. À priori, rien de très inquiétant, sauf que votre TV ne peut pas être utilisée pour vous espionner.
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Bon OK, en fait si, puisque la commande vocale est maintenant intégrée à la plupart des télécommandes des box, mais ce n’est pas le sujet de l’article. Si effectivement les “smart TV” sont maintenant capables de comprendre la composition d’un foyer ainsi que les habitudes et attentes des utilisateurs (Vizio Admits Modern TV Sets Are Cheaper Because They’re Spying On You), les smartphones sont non seulement personnels (on ne le partage jamais), ils sont en plus capables de collecter d’innombrables types de données qu’une TV ne peut pas (ex : localisation) en respectant ou en contournant les limitations imposées par Apple et Google : There’s a Multibillion-Dollar Market for Your Phone’s Location Data.
Quand c’est fait à des fins publicitaires, ça énerve, mais il n’y a pas mort d’hommes. En revanche, quand ce sont des gouvernements qui s’en servent contre leurs citoyens ou contre les membres du gouvernement de pays adverses ou “amis”, là ça devient beaucoup plus inquiétant : How Democracies Spy on Their Citizens. Ce qui est certain, c’est que les mobinautes sont très loin de bien appréhender les enjeux de confidentialité / sécurité liés à l’objet qui structure leur quotidien : Is your phone listening to your conversations? No, because it already has your data.

Rassurez-vous : Apple et Google travaillent d’arrache-pied pour sécuriser tous les accès à votre smartphone, l’exploitation des données personnelles par des tiers est ainsi toujours plus complexe. Non pas que Apple et Google se soucient de votre vie privée, mais qu’ils peuvent en tirer des bénéfices substantiels. En verrouillant l’accès aux identifiants publicitaires, Apple a ainsi provoqué un véritable séisme dans l’industrie (Apple’s app tracking policy reportedly cost social media platforms nearly $10 billion) et envoyé un message très fort aux annonceurs : tout le monde doit payer la taxe numérique pour avoir le droit de s’adresser à LEURS clients.
Encore une fois, ceci ne doit pas vous effrayer, bien au contraire, car le smartphone reste un canal d’interactions extrêmement puissant. Il y a de plus encore tant à faire…
Les prochains chantiers à mener
Jusqu’à récemment, nous pensions que pour exister sur les smartphones, une marque devait lancer une application mobile, de préférence en technologie native. Depuis, les certitudes ont évolué puisque nous avons maintenant un minimum de recul pour évaluer l’exorbitant coût d’acquisition des utilisateurs mobiles (Pourquoi les Progressive Web Apps sont la seule alternative viable aux applications natives), et parce que nous avons compris qu’il existe de multiples façons pour un annonceur d’être présent sur le smartphone de ses clients ou cibles.

En 15 ans, nous avons enfin compris que l’important n’est pas la portée ou la fréquence, mais la maitrise des coûts d’acquisition et de transaction. Inutile donc pour votre marque d’être présente sur tous les supports (SMS, appli, messagerie, médias sociaux…) si c’est pour cramer la majeure partie de votre budget marketing. N’essayez pas non plus de bombarder vos utilisateurs chèrement acquis avec des sollicitations, car il y a toutes les chances que votre application soit définitivement réduite au silence (les notifications push sont maintenant bridées au niveau de l’OS).
Et au cas où vous vous poseriez la question : non, il n’est plus possible d’aspirer le contenu du smartphone de vos utilisateurs ou d’espionner leurs moindres faits et gestes, car Apple et Google ne le tolèrent plus : avant d’être vos clients, ce sont leurs utilisateurs. D’où un réalignement de la stratégie mobile des marques vers une rationalisation des moyens et surtout une intégration plus fine avec l’existant : les autres supports numériques et analogiques (cf. Des applications mobiles aux écosystèmes mobiles).

Dans l’article cité juste avant, je disais ceci : “L’important n’est pas d’éditer une application mobile, mais de toucher les consommateurs dans toutes les situations de mobilité“. Cette assertion est d’autant plus vraie maintenant que l’émergence de super apps est imminente sur les marchés occidentaux (au pire à horizon 2025).
Très populaires en Asie et en Amérique du Sud, les “applications d’applications” fascinent les éditeurs de contenus et services ainsi que les annonceurs. Mais dans la mesure où Apple et Google ont su imposer leur place de marché d’applications, aucun acteur américain ou européen n’a réussi à reproduire le succès de Weixin ou Paytm (cf L’avènement des super apps publié en 2019).
Aux États-Unis, Facebook et Uber piétinent tandis que PayPal ne parvient pas à se démarquer malgré une application repensée (PayPal launches its super app combining payments, savings, bill pay, crypto, shopping and more) et potentiellement la première monnaie numérique pour le grand public (PayPal Explores Launch of Own Stablecoin in Crypto Push).

En Europe, la situation est plus complexe, car le contexte est très différent d’un pays à l’autre avec de nombreux “prétendants locaux”(ex : Lydia, Paylib et Swile en France). Ceci étant dit, l’acteur le mieux positionné est certainement PayPal, encore lui, et pour plusieurs raisons :
- Ce service existe depuis 25 ans (il fait partie du quotidien des internautes depuis le début) ;
- L’application est beaucoup plus riche qu’elle n’y parait (car régulièrement enrichie et personnalisée en fonction de chaque profil) ;
- C’est un moyen de paiement en et hors ligne extrêmement populaire en Allemagne, Italie et Espagne (là où la carte à puce n’a été généralisée que tardivement) ;
- La France a toujours été un pays pilote (transactions CtoC sans frais, remboursement des frais retours, paiements en plusieurs fois sans frais…) ;
- Des services à forte valeur ajoutée vont être prochainement intégrés (ex : coupons et bons de réduction avec le rachat de Honey) ou sont à l’étude (achat/vente de cryptos, dématérialisation de tickets restaurant…).
Un entretien récent avec Francis Barel, le Directeur de la filiale française, m’a permis de confirmer cette intuition, notamment en ce qui concerne l’ambition et les moyens mobilisés par PayPal pour préempter ce territoire auprès des clients particuliers, mais également des marchands : PayPal wants to be an all-in-one super app it has its work cut out.

Outre la richesse fonctionnelle, un autre moyen de pénétrer le marché européen serait grâce à une approche identitaire : la super app des motards, la super app des LGBT, la super app des gamers, la super app des musulmans… comme nous pouvons le voir sur le créneau des applications de rencontre où de nombreux acteurs identitaires tentent de se faire une place à l’ombre de Tinder.
Enfin, le dernier gros chantier sera celui de la transition vers le “nouvel internet” : le métavers et plus largement tous les usages tournant autour du gaming et de la réalité augmentée / virtuelle / mixte.

Selon cette optique, le smartphone serait un support de conquête pour des utilisateurs qui développeraient de nouvelles habitudes et souhaiteraient intensifier leurs usages sur d’autres terminaux. Par exemple : jouer à la version mobile de Fortnite puis sur une console de dernière génération, se créer un avatar dans Bitmoji ou Zepeto et tester les univers virtuels sociaux avec un casque de réalité virtuelle (lire à ce sujet : Le réservoir de croissance du métavers n’est pas là où vous croyez).
Vous pouvez trouver l’idée incongrue, mais le patron de Facebook y croit très fort et a fait le choix de réorienter sa stratégie de développement (Le métavers veut « devenir la prochaine génération d’Internet » en misant sur les jeux VR) avec un horizon de réalisation à moyen terme, donc d’ici 5 ans.
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Où en seront le marché des smartphones et les usages mobiles dans 5 ans ? Il est très difficile de répondre à cette question tant l’environnement est instable et volatile. Ce qui est certain, c’est que les utilisateurs seront plus accros que jamais à leur smartphone et que les marques et organisations devront impérativement adapter leurs objectifs et moyens en fonction de l’évolution des usages mobiles. Car oui, au cas où vous ne vous en seriez pas rendu compte, nous sommes passé du “mobile first” au “mobile centric” : un quotidien pro / perso dominé par des usages numériques principalement consommés à travers des smartphones.