Alors que le Mobile World Congress s’achève sur une avalanche de nouveautés, la situation n’a jamais été aussi claire : les smartphones sont en fin de cycle. Les fabricants mettent les bouchées doubles pour stimuler la demande, mais le marché à déjà le regard fixé sur le prochain paradigme des terminaux mobiles. Je me doute que ces assertions vous laissent sceptiques, mais laissez-moi vous faire changer d’avis…

La semaine dernière se tenait la 10e édition du Mobile World Congress (MWC Barcelona pour les intimes). Organisée par la GSMA, l’association des opérateurs et acteurs du mobile, cette grand-messe annuelle est l’occasion de prendre le pouls du marché et surtout d’exhiber les dernières nouveautés. Est-ce réellement important de s’intéresser aux smartphones ? Oui, car c’est devenu une composante essentielle de notre vie : la télécommande de notre quotidien numérique (cf. État des lieux du mobile en France et 60% des 15-24 ans sont désormais “Mobile Only”).

Plus de 5 milliards d’utilisateurs de la téléphonie mobile
Outre l’organisation du Mobile World Congress, la GSMA en tant qu’association est également une source de données plutôt fiable, surtout en ce qui concerne les usages mobiles. À ce sujet, je vous recommande vivement leur dernier rapport annuel : The Mobile Economy 2019.
Dans ce rapport, on y apprend qu’il y a près de 8 milliards de cartes SIM en circulation et plus de 5 milliards d’utilisateurs mobiles. Ce chiffre englobe tous les terminaux de téléphonie mobiles, mais pour ce qui est des smartphones (ou équivalent), nous étions à 3,6 MM en 2018 avec une projection à 5 MM en 2025.

Est-ce bien réaliste de faire des prévisions aussi optimistes ? Oui, car certains gros marchés comme l’Inde ou l’Afrique sont encore largement sous-équipés : Smartphone penetration ranges from 24% in India to 95% in South Korea.

Est-ce que tout va bien dans le meilleur des mondes (mobiles) ? Non pas tout à fait, car nous avons très clairement atteint un plateau de croissance dans les pays développés. Comprenez par là que le taux d’adoption en smartphones a atteint sa limite, notamment fixée par des critères économiques (ça coûte cher) et ergonomiques (c’est compliqué à utiliser). En conséquence de quoi, les chiffres de vente stagnent ou reculent en fonction de la période et des zones géographiques qui sont prises en compte : IDC: Smartphone shipments declined 4.9% in Q4 2018 vs. Gartner: Global smartphone shipments grew 1.4% in Q3 2018.
Bon dans l’absolu, c’est avant tout un problème pour les fabricants ou distributeurs de smartphones, pour les éditeurs de contenus ou services, ça reste une très bonne nouvelle. Ceci étant dit, la principale préoccupation des éditeurs reste de savoir où mettre la priorité, et là les choses semblent toujours aussi compliquées, car on nous annonce d’un côté l’effondrement des ventes chez Apple (iPhone sales took a nosedive in 2018), mais une répartition iPhone/Android qui évolue dans l’autre sens (Part de marché Android Vs iOS 2019).

Soit, peu importe l’évolution de ces chiffres, car le duopole Apple/Google est définitivement établi (personne n’envisage l’arrivée d’un troisième acteur) et parce qu’en tant que premier écran pour les consommateurs, aucune marque ou organisation ne peut se permettre de négliger l’un ou l’autre. D’autant plus qu’elles n’ont plus à choisir : Pourquoi les Progressive Web Apps sont la seule alternative viable aux applications natives.
Mais là n’est pas le sujet de cet article, car il traite avant tout de l’évolution du marché dans son ensemble.
Ce ne sont pas les ventes qui chutent, mais les besoins qui évoluent
Il y a une infinité de facteurs qui rentrent en compte pour expliquer la stagnation (ou le recul) des ventes de smartphones. Pour vous éviter une longue et laborieuse explication, je vous propose la synthèse suivante : les smartphones arrivent en fin de cycle de vie. Ce n’est pas la fin du monde, simplement le signe du début d’une nouvelle phase de développement du marché.
Le marché de la mobilité a ainsi connu deux grandes phases :
- l’âge d’or de la téléphonie mobile, correspondant à l’arrivée sur le marché des premiers téléphones mobiles (au début des années 90) avec la formidable croissance de fabricants comme Ericsson ou Nokia, ainsi que des opérateurs téléphoniques ;
- la fulgurante ascension des smartphones à partir de 2007 avec l’irruption sur le marché de l’iPhone, qui a conduit à une seconde vague de croissance pour d’autres fabricants (Apple, Samsung…) et des plateformes de contenus / applications (iTunes, Google Play, Facebook) qui ont permis à de nombreux éditeurs de jeux (Rovio, King, Supercell…) ou fournisseurs de services de prospérer (Uber, Deliveroo…).
Chaque produit suit le même cycle de vie (lancement, croissance, maturité, déclin), il n’y a pas d’exception. Tout comme les téléphones mobiles ont fini par se ressembler et proposer grosso modo les mêmes fonctionnalités dans le milieu des années 2000, les smartphones sont en plein dans la phase de maturité. Comprenez par là que les leaders d’hier se sont fait rattraper par de nouveaux entrants proposant quasiment le même produit à deux fois moins cher (ex : Xiaomi, OnePlus…). Pire, on commence même à voir arriver des sous-marques encore plus agressives sur les prix (Honor, Oppo, Poco, iQoo…) pour pouvoir conquérir les tranches basses du marché : Sub-brands are the new weapon in China’s smartphone war.
La pression n’a donc jamais été aussi forte pour les acteurs historiques qui tentent de contre-attaquer en pratiquant l’intégration verticale. Google couvre ainsi tous les maillons de la chaine de valeur : le logiciel (Android), la distribution (Play), le matériel (Pixel) et même l’abonnement (Fi). En ce sens, ils se rapprochent du modèle intégré de Apple qui embarque maintenant une eSIM dans ses iPhones. J’ai eu l’occasion d’en parler avec des personnes chez Orange qui m’ont assuré que : “non, non, au contraire, c’est une très bonne chose pour nous“. OK… si vous le dites les gars…
Déjà en 2015 je commençais à voir des signes d’essoufflement dans la proposition de valeur des fabricants : Les innovations d’usage sont l’avenir des smartphones. C’est aujourd’hui une réalité de marché flagrante : tous les smartphones finissent par se ressembler et il est de plus en plus compliqué pour les constructeurs de justifier des prix de vente qui dépassent régulièrement les 1.000 € pour les modèles haut de gamme. Il en résulte un allongement du délai de renouvellement et des consommateurs qui se rabattent sur les mid-range flagships à moins de 500 € comme le Mi 9 ou le View 20.
La dure réalité du marché est que les utilisateurs mobiles ont une approche très utilitariste de leur smartphone. Autant à une époque, posséder un iPhone était un marqueur social ; autant aujourd’hui, s’afficher avec un téléphone à plus de 1.500 € ne véhicule plus la même image (je ne développe volontairement pas ce point-là, à vous de faire un petit travail d’introspection si vous vous sentez visé). Une étude récente de la société Morning Consult a d’ailleurs de quoi inquiéter les fabricants de smartphones haut de gamme : Ce que les consommateurs veulent vraiment de leur smartphone.

Tout ceci nous mène donc à la dernière édition du Mobile World Congress et son avalanche de nouveautés.
Des innovations en pagaille pour relancer les ventes
Pas besoin d’être un observateur averti pour avoir constaté un certain manque d’inspiration chez les fabricants de smartphones ces dernières années. Heureusement, les choses ont commencé à bouger récemment avec l’iPhone X et son notch, puis avec les premiers smartphones avec écran coulissant. Et cette année, il semblerait que tous les fabricants se sont donné comme ambition de revoir leur copie et de proposer des formats innovants.
Nous avons ainsi pu voir des smartphones pliants ou à double écran chez Samsung, Huawei, LG ou Oppo :

Ont également été présentés, des modèles haut de gamme avec des caractéristiques techniques impressionnantes chez Samsung, Xiaomi, LG ou Nokia :

À l’opposé, il y avait des modèles très aboutis de feature phones ou smartphones low-cost chez Nokia et Orange :

De même, une première salve de smartphones compatibles avec la 5G ont été fièrement annoncés chez Oppo, Xiaomi, Huawei, ZTE… :

Enfin, certains constructeurs se sont enfin lâchés avec des smartphones présentant des caractéristiques hors-norme : un zoom optique x10 chez Oppo, un écran 21:9 chez Sony, une batterie de 18.000 mAh chez Energizer, une puce dédiée à la blockchain chez HTC…

Beaucoup d’enthousiasme et de prise de risque pour des constructeurs fiers d’annoncer leurs dernières innovations, mais pas forcément pressés de les soumettre à la critique : Le smartphone sous cloche, la grande tendance du Mobile World Congress 2019.
N’allez pas croire que je me moque, je suis le premier à être agréablement surpris par cette vague d’innovations qui ont permis de nous faire oublier la 5G “révolutionnaire” (avec laquelle on nous rabâche les oreilles depuis des années). Dans tous les cas de figure, cette édition 2019 du MWC a été l’occasion pour Huawei de voler la vedette à Samsung et de s’imposer comme le nouveau poids lourd de la catégorie (pas encore sur le nombre d’unités vendues, mais sur l’innovation technologique).
Inutile de préciser que Apple était le grand absent de cette grande célébration de l’innovation. Attaqué de tous côtés par une concurrence enragée (matériel, logiciel, IA…), la marque à la pomme à bien du mal à faire front et cela s’en ressent d’ailleurs dans le cours de son action à la bourse (Apple’s trillion-dollar market cap was always a false idol).

Bref, tout ça pour dire que nous assistons à une quasi-opération de sauvetage pour un créneau en perte de vitesse. Certes, il y a un indéniable phénomène de banalisation, mais il y a surtout la pression des nouveaux usages.
Lunettes connectées et réalité mixte comme prochains paradigmes de la mobilité
Si vous suivez ce blog régulièrement, ou l’actualité numérique en général, vous ne devriez pas être trop surpris par ce schéma issu d’un article de 2017 : The end of smartphone innovation.

L’auteur y décrit les trois phases de croissance et maturation de l’informatique : la première phase avec l’informatique traditionnelle (les ordinateurs), la seconde phase avec l’informatique mobile (les smartphones), et la prochaine phase avec l’informatique spatiale (celle qui mélange des éléments numériques au monde physique : What is spatial computing ?).
Je sais d’avance ce que vous êtes en train de vous dire : “la réalité augmentée / virtuelle ? Ce truc qu’on essaye de nous refourguer depuis des années alors que la technologie n’est pas prête ?“. Effectivement, il y a un empressement notable des grands promoteurs de la réalité alternée pour accélérer le rythme d’adoption. Et effectivement, même si les progrès technologiques sont indéniables, il y a encore du chemin à faire… du chemin pour aller où ? Pour transformer une vision idéalisée d’une dimension numérique parallèle à notre monde physique : AR will spark the next big tech platforme, call it the MirrorWorld et Magic Leap CEO: We’re dead serious about the ‘Magicverse’.

Très clairement nous parlons ici d’une vision prospective très avant-gardiste qui serait en rupture avec les premières expérimentations que nous avons pu tester (For AR/VR 2.0 to live, AR/VR 1.0 must die). Selon cette vision, les masques et lunettes de réalité augmentée nous permettraient d’accéder à cette dimension parallèle et de profiter de nombreux contenus et services innovants. Une vision pas si fantasque puisqu’encore une fois, des progrès spectaculaires ont été réalisés à la fois sur le matériel, sur les données (les fameux digital twins, les jumeaux numériques), mais également sur la couche logicielle : Microsoft’s Hololens 2 put a full-fledged computer on your face.
À ce stade de mon argumentation, il est important d’utiliser les bons termes et de préciser que nous ne parlons pas ici de réalité augmentée, mais de réalité mixte, celle qui permet de représenter et d’interagir avec des objets 3D dans l’environnement réel. Ceci implique la mise en oeuvre de technologies beaucoup plus complexe que la “simple” réalité augmentée.

La réalité mixte est très clairement la prochaine étape majeure de l’informatique, et de nombreux prétendants espèrent prendre de l’avance en capitalisant sur leurs atouts :
- Google avec son retour d’expérience acquis dans l’industrie via ses Google Glass ;
- Microsoft qui compte s’appuyer sur sa force de frappe auprès des grandes entreprises ;
- Apple et son indéniable savoir-faire en matière de produits grand public ;
- Magic Leap et ses liens très étroits avec le monde des médias…
En attendant, certains font preuve de plus de réalisme et misent sur des contenus et services directement exploitable grâce aux smartphones : Where is augmented reality going in 2019. Saluons à ce sujet l’initiative de Lego qui créé une nouvelle ligne de produits intégrant la réalité augmentée : LEGO launches eight AR-focused sets.
Sur ce créneau, nous retrouvons logiquement les deux mastodontes de la mobilité, mais également d’autres acteurs :
- Apple qui bénéficie d’un contrôle total et peut très rapidement déployer de nouvelles puces / fonctionnalités sur des centaines de millions d’appareils (How the iPhone’s next 3D camera signals phase two in the AR race) ;
- Google qui progresse très vite dans l’évolution de ses briques logicielles (ARCore 1.7 adds augmented faces, object animations, and UI Elements) et dans l’intégration de la réalité augmentée au sein de ses applications-phares (AR in Local Commerce: Google Shows the Way) ;
- Facebook qui affiche toujours de très fortes ambitions (Facebook confirms it’s building augmented reality glasses) ;
- Snapchat qui reste en embuscade et pourrait bien prendre tout le monde de vitesse (Snapchat Spectacles 3 tipped to double the cameras and price) ;
- Amazon ou Netflix qui pourraient attaquer ce créneau par le biais des contenus…
Qu’elle soit augmentée, virtuelle ou mixte, ce qui est certain, c’est que cette nouvelle réalité est en train d’arriver et qu’elle va assurément initier une nouvelle vague d’innovations et de croissance. Difficile de dire pour le moment quels sont les acteurs les plus légitimes tant le sujet est vaste et les contraintes nombreuses. Toujours est-il que le potentiel est bel et bien là. Pour correctement l’évaluer, je vous recommande chaudement le livre The Fourth Transformation de Robert Scoble. Même s’il commence à dater, il reste le plus pertinent que j’ai eu l’occasion de lire sur ce sujet (Review: The Fourth Transformation).

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Non, l’avenir n’est très clairement pas dans les smartphones pliables à plus de 2.000 €, mais toutes ces innovations participent à l’arrivée à maturité de composants électroniques permettant de viabiliser l’informatique spatiale. Peut-être que toutes les innovations présentées au MWC ne sont qu’un paravent pour masquer un certain nombre de projets secrètement développés à Shenzhen. Au final, peut-être que ce sont les acteurs chinois qui vont prendre le marché de vitesse…
Il serait utile de rappeler je pense, à chaque fois que l’on parle de smartphones et des technologies numériques : 1/ les désastres sociaux et environnementaux nécessaires à la production de ces gadgets, et indissociables de leur fin de vie. 2/ les quantités d’énergie phénoménales nécessaires au fonctionnement des applications connectée, des datacenters etc. 3/ Les désastres cognitifs de leur utilisation. La pub de Lego dans l’article est de ce point de vue particulièrement flippante. On sait aujourd’hui que l’exposition des enfants aux smartphone et tablettes causent des retard mentaux, de langage, d’appréhension du monde réel, troubles de l’attention, jusqu’aux troubles autistiques. Et ce quel que soit le programme, même éducatif. C’est triste de voir autant d’argent et d’énergie dépensés pour des projets aussi nuisible aux humains et à la planète. Alors oui c’est surement rigolo de faire de l’essayage de chaussure en réalité mixte depuis chez soi. Mais sachant qu’il faut saccager la planète (extraction des terres rares pour les composants électroniques, décharges à ciel ouvert dans des pays pauvres pour nos gadgets électroniques passés de mode), réduire des être humains en esclavage pour fabriquer des smartphones, créer des tonnes de déchets nucléaires pour faire tourner les datacenters, …. ne serait il pas plus pertinent de se rendre simplement en magasin pour essayer des chaussures ? Et en oubliant les arguments précédents, ne serait-ce que pour être sûr qu’elles soit bien à notre taille, mince !
Il faudra une grosse valeur ajouté pour convaincre des personnes sans lunette d’en porter.
Mais je vous remercie pour cet article, mon portable à bientôt dix ans et même si les nouveaux modèles sont plus performants, ils ne font rien que mon vieux HTC Désire ne sache faire.