Voilà plus de 5 ans que l’on parle du Web 2.0 et de ses concepts disruptifs tel que le Software as a Service. Jusque-là tout allait bien et les industriels du logiciel préparaient tranquillement la migration de leur offre. Oui mais voilà, sous la pression d’Apple (avec son App Store) et d’une infinité de petits éditeurs, les grands de ce monde sont obligés de revoir leur copie et de proposer de nouveaux leviers de différentiation pour maintenir leurs parts de marché dans cet univers redevenu hyperconcurrentiel.
Je vous propose ainsi de faire le point sur ce que nous réservent les grands éditeurs dans leur quête du nouveau nouveau modèle de logiciel.
App Store et Personal Cloud Computing pour Apple
Dans le monde de la distribution de contenus numériques, il y a un avant et un après iTunes. Pierre angulaire de la transformation de la marque à la pomme, l’App Store est certainement l’ingrédient-clé de la réussite de l’iPhone. Autant Apple compte se la jouer très rustique en maintenant sa gamme iLife et iWork (des logiciels à installer, distribués dans des boites sur les étagères des magasins), autant ils préparent un gros coup avec le Mac App Store.
Avec cette déclinaison de l’App Store sur Mac OS, Apple souhaite ainsi donner un second souffle à son modèle de distribution de micro-applications. Des quoi ? Des micro-applications : des petites applications qui se concentrent généralement sur une tâche (ou une série de tâches) et sont vendues à petit prix. L’efficacité du modèle n’est plus à prouver, mais sauront-ils motiver suffisamment d’éditeurs pour atteindre la taille critique ? C’est la question que se posent certains : Might The Mac App Store Lead To A New Class Of Micro-Apps?.
Il va également falloir compter sur Mobile Me, l’offre de Personal Cloud Computing qui permet de partager des contenus (photos, vidéos…) entre vos différents appareils, de profiter d’applications en ligne comme l’email ou le calendrier et peut-être dans un futur proche de consommer de la musique sous forme d’abonnement (qui sait ce qu’Apple va faire de Lala.com ?). Bref, une offre assez vaste qui ne demande qu’à s’agrandir (avec des options payantes à la clé).
L’approche d’Apple semble donc être parfaitement diversifiée : Logiciels traditionnels (iLife…), App Store, outils en ligne (Mail, Calendar…) et Personal Cloud Computing (MobileMe).
Software + Service pour Microsoft
Du côté de Microsoft, l’offre de cloud computing a été entièrement repensée avec l’annonce récente d’Office 365, le nouveau vaisseau amiral (dans les nuages) de la firme de Redmond qui regroupe Office, Exchange, SharePoint… Le credo de Microsoft pour cette offre est de proposer du cloud computing comme les autres, mais avec les avantages et garanties de Microsoft (stabilité, sécurité, compatibilité…). Rien de très surprenant dans la mesure où Microsoft ne pouvait pas se laisser distancer par Google (Microsoft Rolls Up Cloud Services Into Office 365, Takes Aim At Google Apps). La grille de tarifs reste encore assez complexe (de 2$ / mois / utilisateur à 27$ pour l’offre complète) mais c’est tout de même un très grand pas pour le secteur : Office 365, le Cloud Computing a définitivement gagné la partie.
Mais ce n’est pas tout, car on murmure également une Windows Marketplace parfaitement intégrée au futur Windows 8 (qui devrait sortir en 2013) et un Games for Windows Marketplace en avance de phase pour faire barrage au très alléchant Steam (Microsoft Games for Windows Marketplace relaunches in your browser on November 15) et bénéficier du levier communautaire au travers de XBox Live et Windows Live.
Au final, nous avons donc un mélange de Software and Services pour les entreprises et un App Store pour les particuliers. Pas mal pour le poids lourd du secteur qui a su réagir en très peu de temps.
Apps, Marketplace, Mashup et Web Store pour Google
En ce qui concerne Google, ils ne chôment pas depuis le lancement des Google Apps car la concurrence est rude (notamment des suites comme Zoho ou Zimbra) :
- Lancement en début d’année d’une Apps Marketplace pour rattraper le retard accumulé sur SalesForce (Google et SalesForce concurrents sur l’offre de S.I. à la carte) ;
- Lancement des Apps Scripts pour faire du Business Process Automation et des mashups d’entreprise (afin de fermer la porte à des acteurs de niche comme KickApps : Enterprises Leading the Point and Click App Creation Revolution) ;
- Intensifications des efforts sur l’offre étudiante (Over 10 Million Students Now Use Google Apps for Education) afin de maintenir à l’écart des concurrents comme Live@edu de Microsoft ou des offres de niche comme Aviary Education.
Mais il y a surtout le Chrome Web Store qui devrait être lancé normalement le mois prochain en même temps que Chrome OS (Google Chrome OS = iOS + iTunes). On ne sait pas grand-chose encore sur cet App Store façon Google, juste qu’il fonctionnera à peu près comme l’App Store d’Apple (ou de Mozilla).
Donc pour Google l’avenir du logiciel est résolument en ligne : Tout dans les nuages, rien sur le disque dur. Une posture intéressante, surtout avec la montée en puissance des terminaux alternatifs et nomades.
Le grand chelem pour Adobe avec Rome
Terminons ce tour d’horizon avec Adobe qui a été précurseur dans son approche de Rich Desktop Application avec AIR et qui veut donner un coup de pouce à la communauté des développeurs avec InMarket, une plateforme de distribution permettant de gérer la commercialisation d’applications sur plusieurs marketplace en même temps (Introducing Adobe InMarket: Reach milions, generate revenue).
Mais la grosse nouveauté d’Adobe est le lancement en beta de Project Rome, une application de nouvelle génération qui permet de créer et publier des contenus de tous types. La particularité de cette application, c’est que ça n’en est pas réellement une :
- Vous pouvez lancer le logiciel dans votre navigateur (avec Flash) ou l’installer sur votre bureau (avec AIR) ;
- Une place de marché de templates est disponible directement dans le menu ;
- Vos créations peuvent être sauvegardées sur le disque dur ou publiées dans Acrobat.com pour inviter d’autres personnes à collaborer dessus ;
- Il n’y a pas de licence à payer mais un abonnement mensuel.
Non seulement Adobe réussit le tour de force de mélanger SaaS, RDA, cloud computing, marketplace, mais le logiciel en lui-même adopte un positionnement intéressant : moins puissant que les gros logiciels traditionnels de la Creative Suite mais plus riche que les micro-logiciels déjà disponibles comme Picnik (propriété de Google).
Au final, Adobe me semble être l’éditeur le plus innovant dans les modèles proposés : SaaS (Omniture), cloud computing (Acrobat.com), RDA, RMA (Photoshop Express)…
Une transformation obligatoire où tout change, mais rien ne change réellement
L’industrie du logiciel est donc en pleine mutation face à différents facteurs externes :
- L’ascension fulgurante d’éditeurs indépendants comme SalesForce ou 37Signals ;
- Le hold-up d’Apple dans les jeux mobiles ;
- Les nouvelles pratiques de collaboration en ligne ;
- L’arrivée prochaine en entreprise de terminaux alternatifs (touchbooks, smartbooks…).
Tout ceci pousse donc les éditeurs à chercher de nouveaux modèles et surtout à se réapproprier la chaine de valeur avec de la ré-intermédiation : Les logiciels sont plus distribués à la Fnac mais dans des App Stores propriétaires (avec les mêmes contraintes de référencement dans le catalogue, de têtes de gondoles…). Donc au final on prend les mêmes et on recommence… À ce sujet je précise que je n’ai pas mentionné IBM car je ne connais pas bien leur offre.
Et vous dans tout ça ?
Nous en venons maintenant à LA grande question : En quoi tout ceci peut vous être bénéfique ? Et bien tout dépend :
- Si vous êtes un internaute, il n’a jamais été aussi simple de choisir et exploiter des logiciels et micro-logiciels (donc n’hésitez pas) ;
- Si vous êtes une PME, il n’a jamais été aussi simple d’exploiter des outils simples qui s’insèrent de façon transparente dans votre organisation naissante (donc n’hésitez pas) ;
- Si vous êtes un grand compte, il n’a jamais été aussi simple de s’affranchir des contraintes de déploiement et d’injecter une dimension collaborative dans votre système d’information (donc n’hésitez pas) ;
- Si vous êtes éditeur, il n’y a jamais au autant d’opportunités (donc n’hésitez pas) ;
- Si vous êtes une marque, il n’y a jamais eu autant de possibilité de points de contacts et d’interactions au travers d’applications sponsorisées ou d’applications de marque (donc n’hésitez pas).
Comme vous pouvez le constater, tout le monde gagne. C’est comme à l’école de fans mais avec des milliards de $ en jeu. Dans tous les cas de figure, il est pour le moment difficile de prédire quel sera le bon modèle (ou paradigme), mais il est par contre très simple de comprendre que les logiciels à l’ancienne sont définitivement condamnés (et relayés à des niches). Bon débarras !
MàJ (01/12/2010) : Adobe vient d’annoncer officiellement l’abandon du projet Rome. Autant vous dire que c’est la consternation et surtout l’incompréhension dans la blogosphère car le projet était réellement novateur et n’avait été lancé que depuis quelques semaines. Je pense qu’il n’y a qu’une explication rationelle à cette décision : une forte pression de la part des investisseurs qui souhaiteraient un peu plus de discrétion quand aux nouveaux modèles d’adobe (distribution, facturation…). C’est en tout cas très fâcheux…
super analyse, que je partage entièrement. Le gros des efforts des éditeurs ca va être surtout de combattre les croyances et les certitudes des DSI et autres admin systèmes qui font la loi dans les plus grandes entreprises, et qui ne sont pas aussi enthousiastes.
Il y a un point non évoqué dans cet article:
L’extrème sensibilité au réseau des applis “cloud”.
Une perte du lien réseau et tout s’écroule.
Aucun de mes employeur n’avait de lien réseau redondant. Je doute que ce soit le cas d’une PME.
Nous avons connu plusieurs pertes de réseau et la perte de serveurs distants était déjà pénalisante, mais on pouvait continuer à travailler.
Personnellement je ne crois pas trop au cloud computing. Pas assez fiable et pas assez sûr.
Ca n’est qu’une mode comme une autre, qui finira par passer quand les utilisateurs se seront rendu compte de ses réelles faiblesses.
Enfin c’est mon avis en tout cas.
Super article. et IBM alors ? il va être jaloux.
@ Pat > Rares sont les S.I. qui tournent encore quand le réseau s’effondre. De toute façon, la philosophie du cloud computing n’est pas de placer 100% du S.I. dans les nuages mais les briques les moins sensibles et celles sur laquelle il y a le moins de valeur ajoutée à les maintenir en interne. La migration va donc se faire de façon progressive et surtout en mesurant bien le risque que tu évoques.
@ Mickael > Comme précisé en fin d’article je ne connais pas bien l’offre d’IBM, donc absent de l’article.
” De toute façon, la philosophie du cloud computing n’est pas de placer 100% du S.I. dans les nuages mais les briques les moins sensibles et celles sur laquelle il y a le moins de valeur ajoutée à les maintenir en interne. ”
Ba justement, des grands acteurs comme ceux évoqués ici font miroiter le contraire.
Personnellement, je vois surtout que les grands acteurs ont enfin trouvé un endroit où exclure potentiellement le logiciel libre et monétiser tout ce qui passe : le cloud.
Mais bon je veux pas lancer de troll alors je vais pas plus développer …
Très intéressant, très bonne synthèse, on parle peu de l’approche d’Adobe.
On entend effectivement beaucoup parler des micro-apps. Je vois une énorme limite au principe : le manque d’interopérabilité (on la retrouve aussi pour le SaaS)
Peu d’acteurs sont capables d’offrir les mêmes garanties de compatibilité comme Microsoft par exemple. Ce modèle est peut-être parfaitement pertinent pour le divertissement, mais l’approche Office a encore de l’avenir devant elle, notamment pour les entreprises…
Peu d’acteurs sont capables d’offrir les mêmes garanties de compatibilité comme Microsoft par exemple. Ce modèle est peut-être parfaitement pertinent pour le divertissement, mais l’approche Office a encore de l’avenir devant elle, notamment pour les entreprises…
Hello,
Excellent article qui permet de saisir rapidement les nuances entre app stores, marketplaces, Web stores, Software as a Service … Il y a en effet de quoi s’y perdre pour un simple utilisateur.
Il faut également constater qu’Apple a encore une fois su parfaitement profiter de la situation et rendre les choses limpides. Leur approche est sans doute la meilleure pour un contenu de qualité. Les développeurs bénéficient d’un environnement de qualité avec des Guidelines, SDK, App Store etc., bien que l’on puisse reprocher à Apple une certaine rigidité.
Ce genre de démarche doit impérativement exister dans le monde Windows afin de permettre l’émergence d’applications, en réalité je préfère le terme d’apps, facile d’utilisation (avec des installations silencieuses en 1 clic, un suivi transparent et des apps qui ne nécessitent pas de lire un manuel de 20 pages pour commencer à en profiter !). Cela créerait une dynamique unique pour les développeurs indépendants qui pourraient enfin se concentrer sur leur job et se reposer sur un véritable Apps Store pour la promotion de leur produit, l’intégration des apps entre elle, l’échange entre développeus, des conseils sur la conception graphique, la prise en charge des aspects commerciaux (micro-paiment en ligne), etc.
++
Sylvain@Allmyapps
http://Allmyapps.com/birth
Intéressant.
A mon sens les deux freins sont :
– Usage personnel, encore beaucoup de piratages pour les solutions graphiques et bureautiques et jusqu’a présent peu davantages pour l’utilisateur. Et puis nous ne sommes pas connectés en permanence.
– Usage pro, fébrilité des DSI et la crainte toujours présente d’ouvrir les réseaux et de ne pas “avoir la main mise” sur les logiciels.
Avec des propositions comme celle d’Adobe et des arguments solides pour le B2C (accessibilité des versions mobiles, TV, fixe simplement, partage des données…) c’est sans doute l’avenir.
Juste un lien à rajouter en comparaison du Mac App Store :
– Le gestionnaire des pacquets sous linux > http://fr.wikipedia.org/wiki/Gestionnaire_de_paquets
Apple n’a rien inventé c’est juste la présentation qui est plus amazing, simple, gorgeous, wonderfull, magic ….
@pat > Je pense que tu te trompes complètement. Les gens en ont marre d’installer des softs en local (savoir les installer, les configurer etc …), en ont marre de gérer leur pc, en ont marre des virus, cracks en tout genre. En clair, le cloud est comme la garantie 3 ans constructeurs des marques de voitures, c’est peut être plus cher sur la durée mais bien plus aisé à utiliser.
@GeekGrunge > Apple n’a effectivement rien inventé mais entre le gestionnaire Linux et celui d’Apple qui permet des softs gratuits mais aussi payants plus d’autres types de choses, que choisirais tu honnêtement ?
Moi ce qui me fait un peu peur quand je pense à cet article, c’est la force des gros à faire croire à la masse qu’ils ont tout inventé alors qu’ils n’ont en général soit qu’acheter une autre boite leur offrant un produit mature, soit que copier leur concurrent direct. La concentration des mastodontes de l’informatique n’a jamais été si fort dans la perspective du contrôle du web et de sa vision de conception :
IBM (Capitalisation 202Md), Microsoft (Capitalisation 260Md), Apple (Capitalisation 280Md), Google (Capitalisation 199Md), Oracle (Capitalisation 120Md) voila le groupe des 5 entreprises qui régissent le monde informatique d’aujourd’hui, on y ajoute quelques gros noms comme Facebook, Cisco, Amazon, Ebay, VmWare et avec tout ça si vous me trouvez un marché logiciel et web qu’ils ne dominent pas …
Adobe vient d’annoncer la fin de ROME.
Je croyais aussi au potentiel de ce produit répondant au problème de création de contenus riches multi supports. Adobe n’a pas cru jusqu’au bout et a écourtée prématurément les développements sur ce produit, au grand étonnement de pas mal de monde.
J’espère qu’Adobe va rebondir et proposant à nouveau des produits innovants de la qualité de ceux que nous connaissons déjà et qui ont grandement fait avancer la création de contenus, dans la chaîne graphique et sur Internet.
Adobe a vraiment du mal en ce moment …
@ Philippe > Oui tout à fait, merci de le noter. C’est effectivement une décision surprenante, presque ridicule dans la mesure où le produit a été lancé il y a quelques semaines…