L’année dernière, je vous disais que le marketing est le catalyseur de la transformation digitale. Un an après, la catalyse semble ne pas avoir produit l’effet escompté. Certes, des CDO ont été nommés, des hackathons ont été organisés, des social newsroom ont été créées, des managers ont été installés dans des espaces de coworking, des incubateurs ont même été créés, mais toutes ces initiatives se font à la marge, elles ne sont que des paravents que l’on déploie pour rassurer les actionnaires et faire bonne figure. Le problème est que la transformation ne doit pas se faire en surface (un nouveau site web, une nouvelle offre “digitale”…), mais en profondeur. Et pour se faire, le plus simple est de réitérer la manoeuvre et de repartir du marketing.
Un fossé qui se creuse entre les entreprises et le marché
Rassurez-vous, je ne vais pas vous faire faire l’article sur la transformation digitale, il suffit de regarder autour de vous pour vous en convaincre (omniprésence des médias sociaux, basculement des usages numériques vers les smartphones, modification durable des comportements d’achat, nouvelles formes de concurrence…). Beaucoup de choses ont déjà été dites sur ce sujet. Néanmoins, je constate que la transformation ne s’opère pas réellement au sein des marques et organisations, si ce n’est en surface.
Nous sommes tous d’accord pour dire qu’une transformation trop brutale peut faire beaucoup de dégâts (ex : les nombreux suicides chez France Telecom il y a quelques années), mais pendant que l’on se cache derrière le principe de précaution (“pourquoi changer quelque chose qui a parfaitement fonctionné pendant des décennies et qui fonctionne encore à peu près bien ?“), le marché continue d’évoluer. Ce phénomène est parfaitement illustré dans la loi des MarTech : les technologies évoluent à un rythme exponentiel, alors que les organisations se transforment à un rythme logarithmique (Martec’s Law: the greatest management challenge of the 21st century).
En résumé : les entreprises n’évoluent pas assez vite par rapport au marché (clients et concurrents) et leur retard s’accentue à mesure que les innovations technologiques font évoluer les usages. Certes, une entreprise lambda peut légitimement se sentir larguée face à ce foisonnement, mais l’immobilisme est la pire des postures (cf.
De l’inexorable montée en puissance des MarTech).
Le plus efficace pour bien aborder le chantier de la transformation est de commencer directement par le coeur du réacteur : les clients et l’offre. Devinez quel service au sein des organisations est généralement en charge de la connaissance client et de l’offre ? Le marketing !
Le marketing est au coeur des organisations, il sera au coeur de leur transformation
Étant en lien direct avec le terrain et les clients, le département marketing est (en théorie) le mieux placé pour constater l’impact du numérique sur le comportement et les attentes des consommateurs. Il est donc logique qu’il soit le premier département à initier la transformation et à se remettre en question (cf. La transformation digitale impose de nouveaux outils marketing, mais surtout de nouvelles méthodes).
La remise en question des marketeurs est justement le thème central de l’étude Digital Roadblock d’Adobe, et visiblement, une certaine forme d’anxiété persiste : Transformation digitale, les marketeurs ont du mal à suivre.
Le consensus qui semble émerger de cette étude, et des éditions précédentes, est qu’il est très compliqué de se tenir au courant des dernières innovations / technologies / usages, et qu’il y a des freins organisationnels à la transformation. Je n’aborderais pas le second point, car je ne suis pas réellement légitime, en revanche, le premier point est un élément de blocage récurrent qui pourrait être rapidement adressé.
Encore une fois, il est tout à fait normal de se sentir découragé face à l’accélération de l’innovation et de la transformation des usages : médias sociaux, smartphones, big data, intelligence artificielle, réalité augmentée / virtuelle… sont autant de thématiques qu’un marketeur lambda a du mal à maitriser. Soit, mais le marché et les clients n’attendent pas, il faut s’adapter et évoluer, sinon vous allez voir progressivement décliner l’efficacité de vos campagnes, la pertinence de votre offre, la puissance de votre marque… Comme le disent nos amis québécois : pas le temps de niaiser.
La bonne nouvelle, c’est que nous commençons à avoir un peu de recul sur les nouvelles pratiques de marketing, celles qui reposent sur un usage intensif des nouvelles technologies et qui font intervenir de nouveaux profils hybrides (creative technologists et marketing technologists). Hasard du calendrier, deux études viennent d’être publiées sur le sujet : une première par l’agence Walker Sands (Chief Martech Study: Martech Maturity Has Skyrocketed) et une autre par l’agence SapientNitro (Marketing technologist study reveals digital business transformationMarketing technologist study reveals digital business transformation).
Deux éléments me semblent particulièrement intéressants dans cette dernière étude : le département marketing est impliqué dans 3/4 des initiatives de transformation digitale, il est même leader dans 1/4 des cas.
Le fait que le marketing, et plus spécifiquement les marketing technologists, soit activement impliqué dans les chantiers de transformation digitale n’est pas surprenant dans la mesure où le premier domaine d’application de la transformation est l’expérience client, devant les processus internes, le système d’information et le modèle économique. Cette statistique résonne d’ailleurs avec un autre article que j’avais publié l’année dernière (L’expérience au coeur de la révolution du marketing dans un contexte de transformation digitale).
J’insiste sur le fait que le rôle du marketing technologist est d’accompagner la transformation digitale en simplifiant l’appropriation et l’exploitation de nouvelles technologies dans un contexte marketing en vue de l’amélioration de l’expérience client. Tester ou implémenter de nouveaux outils / technologies n’est pas une fin en soi, c’est un moyen. D’ailleurs à ce sujet…
Moins de machine learning et plus d’human learning
J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur l’inévitable rapprochement entre marketing et technologie. Si ce rapprochement est inévitable, pour pouvoir rester compétitif face à une concurrence toujours plus féroce et des clients toujours plus volatiles, la technologie ne doit pas se substituer à l’humain. Nous sommes tous d’accord pour dire que les pratiques de programmatic buying et de marketing automation ont profondément bouleversé les métiers de la publicité et de la relation-client, plutôt dans le bon sens, mais j’attire votre attention sur le danger que peuvent représenter ces nouvelles technologies et pratiques : s’éloigner de la réalité du terrain et surtout perdre la maitrise des opérations.
Je m’inquiète en effet de la sortie récente d’outils associés à des intelligences artificielles : Salesforce looks to the future with Einstein artificial intelligence, Adobe launches its Sensei layer of AI services throughout its clouds, Ad agencies are rushing out artificial intelligence services. Déjà que nous avions un problème de paramétrage des outils de programmatic buying lié à une méconnaissance (notamment sur des campagnes de retargeting), si on délègue en plus l’optimisation des campagnes, les marketeurs ne servent plus à rien, si ce n’est à signer des bons de commande.
Je peux tout à fait comprendre que l’on soit séduit par la promesse des outils de segmentation ou de gestion de campagne dopés au machine learning, mais plus on leur confit des tâches et plus on détruit du savoir-faire. Le débat n’est pas simple (savoir-faire vs. gains de performance à court terme), mais il doit être clairement exprimé, car il va se poser de plus ne plus souvent (pour les emplois non qualifiés, tout comme pour les emplois de service).
Je suis intimement persuadé que la transformation digitale ne doit pas se faire au détriment des collaborateurs, mais avec eux. Les dispositifs de formation continue ont d’ailleurs été créés à cette fin : permettre aux salariés de se former (ou d’être formés) dans le cadre de leurs activités professionnelles pour pouvoir rester compétitifs. Vous noterez d’ailleurs que dans le mot “transformation” il y a “formation” ;-)
Donc… si l’on récapitule : la transformation digitale commence par les clients et le marché, donc par l’expérience client, donc par le marketing, donc par les outils et pratiques marketing, donc par les collaborateurs, donc par la remise à niveau de leurs connaissances et compétences.
Moralité : votre priorité est d’investir dans du capital humain (creative technologists, marketing technologists…) et non de vous lancer dans une course à l’armement technologique.
100% d’accord Fred , c’est pour cela que les 2 versants doivent être abordés ensemble : Clients et Martech d’un côté ; et collaborateurs / RH de l’autre doivent être embarquées au départ des projets de trans-formations ! Paul Nathan
Merci d’apporter un point de vue global sur le positionnement des marketers dans la transformation digitale. L’accélération du rythme de lancement des outils à maîtriser pour faire du marketing aujourd’hui est en effet impressionnant. “Marketing technologist” est un terme approprié pour désigner ceux qui gèrent l’acquisition, le nurturing, la fidélisation, et – triste réalité – met l’accent sur les moyens plutôt que sur la fin: l’amélioration de la relation et de la connaissance du client. Certaines entreprises s’équipent en marketing automation en occultant la maintenance fine de la base de données, en temps réel, et la qualité de leurs contacts. Pourtant tout contact veut être considéré comme unique et rien ne vaut une relation personnelle, humaine pour rendre cette relation solide et durable, au-delà des liens, des historiques de navigation et des clics. La formation des marketers devrait toujours garder l’utilisateur au centre, dans son individualité. Si on place uniquement le “contact ID” au centre, la déconnexion du terrain guette le marketer. Et le métier perd de son intérêt. Après tout, c’est une science humaine.
Merci pour cette analyse.
Une question: Est-ce le service marketing qui doit être au centre de la transformation ou une service client (souvent inexistant) à l’écoute des consommateurs et des prospects?
Voir les marques qui utilisent par exemple TokyWoky qui fédèrent les communautés qui gravitent sur internet autour des produits sans que l’entreprise en ai totalement conscience.